Cass. 3e civ., 20 octobre 2021, n° 20-17.118
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Farrenq-Nési
Avocats :
Me Soltner, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 1], 28 novembre 2019), en 2011 et 2012, la société 3I capital a réalisé avec la société ZV Holding des opérations immobilières portant sur des immeubles situés [Adresse 4].
2. Dans la perspective d'une opération similaire sur un immeuble situé [Adresse 5], le 8 avril 2013, elle a conclu, avec le propriétaire, la société Klépierre, une promesse de vente avec faculté de substitution au profit d'une société [Adresse 5], dont le capital était détenu à hauteur de 20 % par la société 3I capital et de 80 % par la société ZV Holding.
3. Cette dernière a versé une somme de 3 000 000 euros au titre du dépôt de garantie prévu à la promesse.
4. A la suite d'un désaccord survenu entre les sociétés 3I capital et ZV Holding, celle-ci a décidé de ne pas procéder à l'opération et l'immeuble a été vendu à un tiers.
5. Se plaignant d'une rupture abusive d'un contrat de partenariat, la société 3I capital a assigné ZV Holding en paiement de dommages et intérêts.
6. La société ZV Holding a formé une demande reconventionnelle en restitution du dépôt de garantie versé au titre de l'opération [Adresse 5], ainsi que des sommes versées au titre des deux autres opérations, au motif que les accords conclus à ce titre seraient entachés de nullité pour violation de la loi du 2 janvier 1970 et de l'article 52 de la loi du 29 janvier 1993.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches, du pourvoi principal, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
8. La société 3I capital fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages et intérêts contre la société ZV Holding pour faute dans l'opération [Adresse 5], alors :
« 1°/ que l'objet dont l'absence est sanctionnée par la nullité de la convention s'entend de l'objet de l'obligation que renferme cette convention, et non de l'objet du contrat ; que pour rejeter l'action en responsabilité de la société 3i capital contre la société ZV holding fondée sur une rupture brutale, par cette dernière, d'un contrat de partenariat conclu en vue de réaliser une opération immobilière, la cour d'appel a retenu qu'un tel contrat ne pouvait avoir été conclu puisque les autorisations administratives nécessaires à cette opération n'avaient pas été obtenues, de sorte que « c'est l'objet même de l'opération qui ne pouvait être atteint » ; qu'en se déterminant ainsi, quand l'impossibilité prétendue de réaliser l'opération immobilière projetée n'empêchait pas les parties de conclure un contrat de partenariat en vue de mener à bien cette opération, la cour d'appel a violé les articles 1108, 1126 et 1134 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ qu'en toute hypothèse, l'objet du contrat doit être simplement possible et s'apprécie à la date de sa conclusion ; qu'en retenant que l'objet du contrat de partenariat envisagé entre les sociétés 3i capital et ZV holding ne pouvait être atteint parce que les autorisations administratives nécessaires à l'opération projetée n'avaient pas été obtenues à la date prévue pour la signature de l'acte de vente définitif, cependant que l'absence d'obtention de
cette autorisation, à la supposer nécessaire, ne privait pas d'objet la convention de partenariat dès lors que l'opération immobilière demeurait possible au jour de sa conclusion, la cour d'appel a violé les articles 1108, 1126 et 1134 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a relevé que, dès le départ, les parties avaient projeté l'acquisition du bien immobilier en vue de l'exploiter en totalité à usage de commerce, alors qu'il était à l'origine à usage principal de bureaux et que la société 3I capital, qui avait conscience qu'il était nécessaire d'obtenir une autorisation de la commission départementale d'aménagement commercial (la CDAC) pour procéder à la transformation de l'immeuble en sa totalité en usage de commerce, n'avait pas tenu informé la société ZV Holding de cette difficulté majeure.
10. Elle a constaté que la société 3I capital avait signé seule la promesse de vente, avec substitution d'acquéreur, qui ne contenait aucune condition suspensive, que, si les discussions entre les sociétés 3I capital et ZV Holding se poursuivaient, un projet d'accord de partenariat en date du 17 juillet 2013 n'avait pas été signé par la société ZV Holding et que, le 23 juillet 2013, l'autorisation de la CDAC n'ayant pas encore été obtenue, la société 3I capital lui avait adressé un courriel l'informant de l'existence de trois options pour cette opération, la signature de l'acte authentique de vente étant prévue le 26 juillet chez le notaire.
11. La cour d'appel, qui n'a pas retenu l'inexistence d'un contrat de partenariat pour défaut d'objet, a pu déduire de ces constatations que la rupture des pourparlers par la société ZV Holding, le 26 juillet 2013, n'était pas fautive, dès lors que, les autorisations administratives permettant un changement de destination n'ayant pas été données, l'objet même de l'opération ne pouvait être atteint et qu'en l'absence de preuve d'une attitude abusive de la société ZV Holding, la demande de dommages et intérêts de la société 3I capital devait être rejetée.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. La société 3I capital fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société ZV Holding la somme de 3 000 000 euros, alors :
« 1°/ que les juges doivent trancher le litige conformément aux règles de droit qui leur sont applicables ; que pour condamner la société 3i Capital à rembourser à la société ZV Holding la somme de 3 millions d'euros versée par elle à la société Klepierre à titre de dépôt de garantie, la cour d'appel a retenu qu'alors que toutes deux étaient tenues de verser une partie de cette indemnité, seule la société ZV Holding avait exécuté son obligation, que la société 3i avait tardé à l'avertir qu'elle n'avait pas versé sa part et que lors du dénouement de cette affaire, qui s'est traduite par la présentation d'un nouvel acquéreur par la société 3i Capital, celle-ci a perçu de la société Klepierre une somme d'un million d'euros qui s'est compensée avec celle qu'elle aurait dû verser lors de la signature de la promesse de vente ; qu'en se déterminant par des motifs de pure équité qui ne permettent pas à la Cour de cassation d'apprécier le fondement juridique de l'obligation de remboursement mise à la charge de la société 3i Capital, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
2°/ que seule la société 3i Capital aurait été engagée lors du versement du dépôt de garantie par la société ZV Holding, puisqu'aucun accord de partenariat n'avait été signé, de sorte que cette somme aurait été versée « à titre d'avance » ; qu'en se déterminant par des motifs qui ne permettent pas plus à la Cour de cassation de comprendre la nature juridique du « contrat d'avance » par lequel la société ZV Holding aurait payé une dette personnelle de la société 3i Capital à charge pour celle-ci de lui en restituer le montant, la cour d'appel a encore violé l'article 12 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en retenant, d'une part, que la société ZV Holding devait verser une partie de l'indemnité convenue dans la promesse de vente signée par la société 3i avec faculté de substitution, et, d'autre part, que cette somme avait été versée à titre d'avance puisque seule la société 3i Capital était tenue de verser l'intégralité de cette indemnité, la cour d'appel a statué par des motifs juridiques contradictoires en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ que la partie alléguant l'existence d'un prêt doit établir son intention de prêter; qu'en ne recherchant pas si, en payant une indemnité d'immobilisation de trois millions d'euros entre les mains du vendeur, la société ZV Holding aurait été animée d'une intention de prêt à l'égard de la société 3i Capital, la cour d'appel, par motifs éventuellement adoptés, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1875 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°/ qu'en toute hypothèse, la cassation sur le premier moyen du pourvoi entraînera, par voie de conséquence, celle sur le second par application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. D'une part, la cour d'appel a retenu que, la promesse de vente avec faculté de substitution ayant été conclue entre la société Klépierre et la société 3I capital, c'était cette dernière qui s'était engagée lors du versement du dépôt de garantie, alors qu'aucun accord de partenariat n'avait été contracté avec la société ZV Holding.
15. Elle en a déduit que le versement, par la société ZV Holding, de la somme de 3 000 000 euros constituait une avance sur une opération future, qui devait lui être remboursée, dès lors que l'opération ne s'était pas réalisée pour des motifs qui ne lui étaient pas imputables.
16. La cour d'appel, qui n'a pas retenu l'existence d'un prêt ou d'un contrat d'avance, a, sans statuer par des motifs de pure équité ou contradictoires, fait l'exacte application, à ce fait juridique, de l'article 1376 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, invoqué par la société ZV Holding comme fondement de sa demande.
17. D'autre part, la cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen du pourvoi principal, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
19 . La société ZV Holding fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en remboursement des sommes versées au titre des opérations [Adresse 3] et [Adresse 4], alors :
« 1°/ que, selon l'article 52 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 « Est frappé d'une nullité d'ordre public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel de l'immobilier » ; qu'en écartant le moyen tiré de la nullité des conventions litigieuses comme entrant sous le coup de la prohibition prévue par ce texte, aux motifs « qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges les dispositions de cette loi s'appliquent aux personnes physiques ou morales qui, d'une manière habituelle, se livrent, ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, à des opérations sur les biens d'autrui. Or, 3I Capital n'a pas agi en tant qu'agent immobilier, mais en tant que co-investisseur aux côtés de la société ZV holding », cependant que la loi à laquelle les premiers juges faisaient ainsi référence était la loi Hoguet du 2 janvier 1970 sur le fondement de laquelle ils étaient exclusivement saisis, laquelle loi est relative à une activité sans rapport avec celle que prohibe l'article 52 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, la cour d'appel, qui a écarté le moyen de nullité fondé sur ce texte par des motifs sans lien avec la question en litige, a privé sa décision de base légale au regard de ce texte ;
2°/ que selon l'article 52 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 « Est frappé d'une nullité d'ordre public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel de l'immobilier» ; que ce texte s'applique à celui qui se livre de façon habituelle, même à titre accessoire, à des cessions de promesse de vente faites à titre onéreux, peu important qu'il ait ou qu'il ait conservé des intérêts dans l'opération que la cession a pour finalité de réaliser ; qu'en l'espèce, les exposantes faisaient valoir que, selon un schéma reconduit pour toutes les opérations immobilières en cause, la société 3I Capital constituait une société ad hoc dans laquelle elle prenait une participation de 20% sans bourse délier, en contrepartie de la substitution de cette société dans le bénéfice de la promesse dont 3I Capital était bénéficiaire, ainsi que cela résultait du courriel du 5 avril 2013 et comme l'a constaté l'arrêt ; qu'en jugeant que ne pouvaient être appliquées en l'espèce les dispositions du texte susvisé, au motif que « 3I Capital n'a pas agi en tant qu'agent immobilier, mais en tant que co-investisseur aux côtés de la société ZV holding », la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif impropre à exclure la nullité des conventions en cause en application de l'article 52 de la loi du 29 janvier 1993, a violé ce texte ;
3°/ que ce qui est nul est dépourvu de toute existence et emporte annulation de tous les actes ou conventions subséquents dont l'acte nul était la cause ; qu'en écartant les demandes de restitution fondées sur la nullité des conventions conclues au titre des opérations [Adresse 4] et [Adresse 3], aux motifs que « la transaction portant sur l'opération [Adresse 4] avait pour objet le versement de dommages et intérêts, tandis que la facturation relative à l'immeuble de la [Adresse 4] correspond à des prestations effectuées », la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à exclure la restitution de toutes les sommes, quel que soit le fondement ou la cause de leur versement, résultant d'accords qui étaient la suite ou la conséquence des conventions arguées de nullité, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1376 du code civil, 52 la loi du 29 janvier 1993, ensemble l'adage quod nullum est, nullum producit effectum (« ce qui est nul ne peut produire aucun effet ») ;
4°/ qu'en se déterminant encore par le motif selon lequel les cessions de parts seraient intervenues à leur valeur nominale, circonstance indifférente et insusceptible de justifier l'inapplicabilité des dispositions de l'article 52 de la loi susvisée, la cour d'appel l'a violé de ce chef encore. »
Réponse de la Cour
20. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a souverainement retenu, pour l'opération [Adresse 4], qu'aucun document ne permettait de considérer que la transaction par laquelle la société ZV Holding avait versé la somme de 1 722 240 euros de dommages et intérêts à la société 3I capital était fictive et que le montage et l'évolution des relations entre les parties avaient été anticipés pour rendre occulte une substitution réalisée à titre onéreux.
21. En ce qui concerne l'opération [Adresse 3], elle a souverainement retenu que la facture d'honoraires correspondait à des prestations effectuées et ne saurait être assimilée au prix correspondant à la substitution à titre onéreux de la promesse qui aurait dû être envisagée dès sa signature.
22. Ayant ainsi exclu que les substitutions dans les promesses de vente afférentes à ces opérations pussent s'analyser en des cessions à titre onéreux, la cour d'appel a déduit, à bon droit, de ces seuls motifs que la nullité pour violation de l'article 52 de la loi du 29 janvier 1993 n'était pas encourue et que les demandes de remboursement de la société ZV Holding devaient être rejetées.
23. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.