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Décisions

Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-14.445

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

Mme Batut

Avocats :

SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Defrénois et Lévis, SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas

Paris, du 19 janv. 2012

19 janvier 2012

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2012), que par une décision réglementaire n° 2009-1106 du 22 décembre 2009, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (l'ARCEP) a précisé "les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée", fixant des règles de mutualisation de la partie terminale du réseau et prévoyant des dispositions propres aux zones d'habitat très denses ; que pour ces zones, elle a prévu que l'opérateur d'immeuble doit faire droit aux demandes d'accès des opérateurs formées antérieurement à l'établissement des lignes, soit qu'elles tendent à bénéficier pour chaque logement d'une fibre optique supplémentaire, dite dédiée, entre le point de mutualisation et le logement, et ce, moyennant un préfinancement des coûts de son installation (architecture multifibres), soit qu'elles tendent à installer un dispositif de brassage à proximité du point de mutualisation, permettant de partager l'unique fibre optique installée pour chaque logement, en la mettant à la disposition de l'opérateur commercial finalement choisi par l'occupant du logement (architecture monofibre), précisant encore que, si aucun opérateur n'a, préalablement à la réalisation des travaux, déclaré vouloir disposer d'une fibre dédiée, l'opérateur d'immeuble peut, à son choix, déployer une ou plusieurs fibres entre le point de mutualisation et chaque logement, les opérateurs tiers devant alors s'adapter à l'architecture mise en place ; que l'ARCEP ayant, dans la décision précitée, imposé aux opérateurs d'immeuble de publier, à l'intention des opérateurs tiers intéressés, une offre d'accès à la partie terminale des lignes en fibre optique, dont les conditions tarifaires devaient respecter les principes de non-discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité, la société France Télécom, qui a entrepris depuis 2008 de développer un réseau d'infrastructures de nouvelle génération en fibre optique jusqu'à l'abonné, dite FttH (Fiber to the Home), a publié le 17 février 2010 une offre d'accès qui prévoyait qu'antérieurement à la réalisation des travaux, une offre de co-investissement conférerait à l'opérateur co-investisseur un droit d'usage pérenne et amortissable dans la partie verticale du réseau (co-investissement ab initio), qu'une fois les travaux de câblage de l'immeuble réalisés par elle, les autres opérateurs ne pourraient bénéficier de l'accès que sous la forme d'une location de la fibre, conférant un droit non amortissable au preneur, et que le coût de raccordement palier serait réparti à hauteur de 50 % sur l'ensemble des co-investisseurs et de 50 % sur l'opérateur commercial réalisant le raccordement ; que la société Bouygues Télécom, qui souhaite développer son offre de détail en fibre optique, a contesté notamment les conditions du cofinancement des lignes FttH et de la location des lignes FttH au point de mutualisation, qu'elle estimait discriminatoires, déséquilibrées et non équitables ; que n'ayant pu obtenir de la société France Télécom la modification de ces conditions, elle a saisi l'ARCEP d'une demande de règlement de différend ; que par décision n° 2010-1232 du 16 novembre 2010, l'ARCEP a décidé, en premier lieu, que la société France Télécom devait modifier son offre d'accès à la société Bouygues Télécom afin de lui proposer à tout moment une offre d'accès aux lignes FttH permettant de bénéficier de droits d'usage pérennes sur l'infrastructure déployée et d'amortir les investissements correspondants, dans des conditions raisonnables, moyennant un taux de rémunération du capital proportionné tenant compte du risque encouru, en second lieu, que la société France Télécom devait modifier son offre d'accès à la société Bouygues Télécom afin de prévoir la prise en charge d'au moins 90 % des coûts du raccordement palier par l'opérateur commercial recrutant le client ; que la société France Télécom a formé un recours contre cette décision ;

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire accessoire de l'ARCEP, contestée par la société France Télécom :

Attendu que l'ARCEP, n'ayant pas intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir les prétentions d'une partie, est irrecevable en son intervention volontaire accessoire ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt du rejet de son recours en ce qu'il était dirigé contre l'article 1 de la décision lui imposant de modifier son offre d'accès à la société Bouygues Télécom afin de lui proposer à tout moment une offre d'accès aux lignes FttH permettant de bénéficier de droits d'usage pérennes sur l'infrastructure déployée et d'amortir les investissements correspondants, dans des conditions raisonnables, moyennant un taux de rémunération du capital proportionné tenant compte du risque encouru, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en considérant que la décision réglementaire de l'ARCEP n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 n'imposerait pas le cofinancement ab initio et n'exclurait pas le cofinancement a posteriori, la cour d'appel a violé l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques ;

2°/ qu'en admettant que l'ARCEP impose, dans le cadre d'un règlement de différend, une forme d'accès aux lignes FttH en zone dense avec co-financement a posteriori non prévue par la décision réglementaire n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique en zone dense, la cour d'appel a violé les articles L. 34-8-3, L. 36-6 et L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques, ensemble l'article 5 du code civil ;

3°/ qu'en refusant d'examiner la nature du droit d'usage pérenne que la décision entreprise impose à la société France Télécom d'accorder à tout moment à la société Bouygues Télécom sur la considération que l'article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques impose à l'opérateur d'immeuble de faire droit aux demandes raisonnables d'accès des opérateurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 544 du code civil ;

4°/ qu'en se bornant à affirmer, de manière péremptoire, que la mise en oeuvre de la demande de la société Bouygues Télécom, caractérisant une atteinte au droit de propriété de la société France Télécom sur ses infrastructures, serait proportionnée, sans justifier en rien de ce caractère proportionné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'article L. 34-8-4 du code des postes et communications électroniques précise que, dans les cas définis par l'ARCEP, l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur ; que c'est donc sans méconnaître ces dispositions que la cour d'appel a retenu que, dans sa décision réglementaire n° 09-1106 du 22 décembre 2009, qui prévoyait la possibilité pour les opérateurs de former des demandes d'accès spécifiques avant l'équipement de l'immeuble et permettait en ce cas aux opérateurs d'immeuble d'exiger une participation financière, l'ARCEP n'avait ni imposé un cofinancement ab initio ni exclu un cofinancement a posteriori ;

Attendu, en deuxième lieu, que de cette constatation, la cour d'appel a déduit à juste titre que l'ARCEP n'avait pas imposé à la société France Télécom une forme d'accès non prévue par sa décision réglementaire antérieure et qu'elle n'avait fait qu'exercer la mission qui lui était conférée par les articles L. 34-8, L. 34-8-3 et L. 36-8 du code des postes et communications électroniques, en leur version alors en vigueur, en fixant, dans le cadre du règlement du différend qui opposait cette société à la société Bouygues Télécom, les conditions équitables d'ordre technique et financier dans lesquelles l'accès de la seconde à une partie au réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique de la première devait être assuré, lorsque cet accès était demandé après la réalisation des installations ;

Et attendu, enfin, que l'arrêt rappelle que l'article L. 34-8-3 du code des postes et communications électroniques, en ce qu'il impose aux opérateurs d'immeuble de faire droit aux demandes d'accès raisonnables émanant d'opérateurs tiers, qu'elles soient formées avant ou après l'installation de la partie terminale du réseau, a institué, pour des motifs d'intérêt général tenant à la cohérence du réseau, à l'établissement d'une concurrence entre opérateurs sur le marché du très haut débit et à la nécessité de ne pas multiplier les travaux dans les immeubles, le principe d'une mutualisation des installations, en vertu duquel les opérateurs d'immeuble se voient conférer un monopole sur l'unique réseau déployé dans l'immeuble, en contrepartie du partage de ce réseau avec les opérateurs commerciaux afin que l'abonné puisse choisir son opérateur commercial ; qu'il ajoute que l'établissement d'une concurrence loyale et efficace entre ces opérateurs, objectif fixé par l'article L.32-1 du code des postes et communications électroniques, impose que les opérateurs commerciaux aient accès de façon pérenne à la partie terminale du réseau, ce droit d'accès faisant l'objet d'une rémunération au profit de l'opérateur d'immeuble ; qu'il relève encore que la société France Télécom elle-même propose aux opérateurs tiers, dans le cadre de son offre de mutualisation, avant réalisation des travaux dans l'immeuble, une solution de co-investissement leur conférant un droit d'usage pérenne ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que la demande de la société Bouygues Télécom n'engendrait pas pour la société France Télécom des contraintes disproportionnées, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche visée par la troisième branche, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt du rejet de son recours en ce qu'il était dirigé contre l'article 2 de cette décision lui imposant de modifier son offre d'accès à la société Bouygues Télécom afin de prévoir la prise en charge d'au moins 90 % des coûts du raccordement palier par l'opérateur commercial recrutant le client alors, selon le moyen :

1°/ qu'en considérant que l'ARCEP aurait été compétente pour imposer, dans le cadre d'un règlement de différend, un partage des coûts de raccordement palier à hauteur de 90 % pour l'opérateur commercial, quand la société Bouygues Télécom n'a jamais demandé de partage des coûts et réclamait une prise en charge intégrale par l'opérateur commercial, et que la société France Télécom proposait un partage à hauteur de 50 % pour les co-investisseurs, 50 % pour l'opérateur commercial, la cour d'appel a violé l'article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques ;

2°/ qu'en considérant que l'ARCEP pouvait imposer un partage des coûts de raccordement palier à hauteur de 90% pris en charge par l'opérateur commercial, quand, par une telle décision, l'ARCEP a outrepassé les termes de sa saisine, la cour d'appel a violé les articles L. 36-8 du code des postes et des communications, 4 et 5 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte des termes mêmes du moyen que l'ARCEP n'est pas sortie des limites du litige ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu que le premier moyen, en sa cinquième branche, et le second moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes irrecevable en son intervention volontaire accessoire ;

REJETTE le pourvoi.