Décisions

CA Bourges, 1re ch., 16 février 2023, n° 22/00002

BOURGES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Domaines et Vignobles Associés (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tessier-Flohic

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocats :

Me Le Roy des Barres, Selarl Fiacre, La Batie, Hoffman, SCP Avocats Business Conseils

T. com. Bourges, du 26 oct. 2021

26 octobre 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

La S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés, agent commercial chargé de la promotion de domaine viticole français, s'est vue confier selon contrat du 9 mai 2016 par la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] qui vinifie et commercialise des vins de la vallée du Rhône et notamment ceux de sa filiale 'le clos Bellane', un mandat de vente de vins, produits ou embouteillés par elle, de ses domaines où des marques qu'elle propose (une dizaine de marques) sur un secteur défini par les parties à savoir : l'Asie, l'Europe de l'Est, le Moyen-Orient, l'Inde et au titre des départements et territoires d'outre-mer, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie.

En contrepartie, de cette exclusivité sur les secteurs, des objectifs étaient fixés et un taux de commission de 15 % des ventes hors-taxes était accordé au titre de la rémunération de Domaines et Vignobles Associés.

Selon courrier numérique du 11 décembre 2019, la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] informait la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés, du retrait de la commercialisation des vins sur les zones géographiques de la Chine, Hong Kong, Taiwan, la Corée, l'Indonésie, les Philippines, Singapour, l'Inde, la Malaisie, le Vietnam, la Thaïlande et l'Indochine, ainsi qu'en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 12 décembre 2019, la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés prenait acte de la volonté de rupture du mandat en précisait la date d'effet au 1er juillet 2020 compte tenu d'un préavis de 6 mois.

Elle sollicitait en outre le règlement d'une indemnité telle que prévue par les dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce.

La S.A.S.U. la Ferme du [Localité 5] lui transmettait par mail du 7 janvier 2020 de nouveaux tarifs en précisant qu'ils n'étaient cependant pas applicables à l'Asie. Le même jour, la société Domaines et Vignobles Associés indiquait poursuivre son mandat dans les conditions initiales à défaut de respect des obligations contractuelles. Puis, par courrier recommandé du 14 mai 2020, la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés mettait en demeure son mandant de confirmer la modification des secteurs d'intervention et de lui régler l'indemnité due.

Faute de règlement amiable, la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés assignait le 25 novembre 2020 la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] afin de lui régler les indemnités de fin de contrat, une indemnité compensatrice de préavis ainsi que 10'000 € à titre de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 26 octobre 2021, le tribunal de commerce de Bourges constatait la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] et condamnait cette dernière à régler à la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés les sommes de :

-15'161,27 € HT à titre d'indemnité de fin de contrat,

- 6 463,26 € HT au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

-1 000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

La juridiction rejetait les demandes formées en dommages-intérêts pour brusque rupture des relations.

C'est dans ces conditions que par déclaration en date du 31 décembre 2021, la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] interjetait appel de la décision en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il avait été reconnu une rupture du contrat à ses torts exclusifs.

Au terme de ses conclusions échangées le 29 décembre 2022, la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] soutient que l'exécution du contrat d'agent commercial confié à la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés n'a pas été à la hauteur des attentes :

- l'échec commercial est apparu dès 2015 et 2016 puisque la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés ne générait qu'un seul client à savoir la compagnie Cathay Pacific à l'exception d'une petite commande pour la Nouvelle-Calédonie.

- En 2017, il était pris acte de la fin de contrat avec le client Cathay Pacific et les ventes étaient modestes à l'exception d'une commande d'une société chinoise [I] [D] pour 80'486 €.

- En 2017, le chiffre d'affaires généré était de 12'262 €.

Les échanges entre les deux entreprises commerciales montraient selon La Ferme du [Localité 5] que les ventes ne décollaient pas. Si la société chinoise [I] [D] renouvelait sa commande cette année-là le chiffre d'affaires moyen se situait autour de 15'000 €.

Seuls quatre clients étaient apportés et, ceux démarchés directement par la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] n'étaient pas conservés à travers le contrat d'agent commercial.

Dès lors, et à l'exception du seul client chinois [I] [D], l'agent commercial n'était pas en mesure de développer sur l'Asie et le Pacifique des commandes en volume suffisant. En outre, aucune preuve de démarche commerciale n'était rapportée vers la Russie, l'Europe de l'Est, le Moyen-Orient ou l'Inde. La société appelante estimait donc que la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés avait échoué à développer la clientèle.

Si dans son courriel du 11 décembre 2019 la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] précisait que l'Asie restant un gros problème elle avait recours aux services d'un bureau de représentation implanté directement en Asie, elle précisait que cet élément serait sans conséquence sur les relations avec son agent commercial. En effet, elle ne reprenait aucun client à la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés. Le courrier en réponse de cette dernière travestissait la réalité et tente de faire porter la résiliation du contrat d'agent commercial sur le mandant.

De manière surprenante, la S.A.R.L. DVA sollicitait les tarifs pour l'année 2020 ce qui ne manquait pas d'interpeller la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] mais celle-ci déférait à sa demande.

Le rôle du bureau de représentation de l'appelante n'avait pas pour objet d'évincer la S.A.R.L. DVA mais de développer la commercialisation « aucune exclusivité dorénavant n'était plus envisageable ».

Aucune vente n'était effectuée en 2020 et par courrier du 14 mai 2020, la S.A.R.L. DVA la mettait en demeure de lui régler les sommes relatives à la fin de contrat.

Cependant, le 23 juin 2020, la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] rappelait qu'elle n'avait pas l'intention de rompre la relation commerciale ni de l'empêcher de prospecter sur les territoires, courrier qui restait sans réponse.

L'appelante soutient que le contrat d'agent commercial n'a jamais été rompu à son initiative dans la mesure où le mandataire sollicitait les tarifs des produits pour l'année 2020, poursuivait les relations commerciales et obtenait ainsi un volume de vente de 3760,32 € ouvrant droit à une rémunération de 15%, indiquait encore le 6 janvier 2021 avoir deux commandes en préparation ainsi qu'une demande de ses clients habituels. Ce n'est que les 18 et 20 février 2021 que la S.A.R.L. DVA lui adressait un courrier de fin de collaboration.

Contrairement aux affirmations de la société intimée, la S.A.S.U. La Ferme du [Localité 5] n'a jamais réduit le volume de vente au profit de son mandataire ou même refusé des commandes de sa part.

Elle a rappelé que l'ouverture d'un bureau de représentation n'entamait pas les relations commerciales avec l'intimée qui conservait ses clients, même si elle constatait une très nette baisse d'activité des commandes en provenance de son agent commercial, au point que le fond de clientèle avait disparu (chiffre d'affaire en net recul en 2020).

Ensuite, la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] a rappelé que la S.A.R.L. DVA conservait chacun de ses clients de sorte que ne se trouvaient pas privée de 80 % de ses commissions comme l'a relevé de manière abusive la première juridiction. En effet, son activité s'élevait au total à 115'890 € pour 2017, 12'262 € pour 2018 et, 96'963 € pour 2019, et dans son courriel du 11 décembre 2019 l'appelante soutient qu'elle avait spécifié que son agent commercial conserverait les clients de Guangzhou, Dépot Oriented de Nouvelle-Calédonie (le vin autrement) et de Russie à travers Bravo Trade.

En conséquence le mandataire ne se trouvait pas privé des droits à commission sur ces clients d'autant plus qu'elle constatait simultanément que certains de ceux-ci n'avaient pas de relations commerciales suivies. Seule la société 'le vin autrement' était un client régulier, mais pour de modestes volumes.

Elle ajoute que contrairement aux allégations adverses le client GUANGDON [D] qui représentait 80 % de ses ventes en 2019 n'avait pas été repris, mais avait simplement demandé d'établir ses factures au nom de GUANGZHOU JIEJIA.

Il n'y a donc pas eu d'appréhension de la clientèle de la société intimée par l'appelante.

Encore et toujours en réponse aux arguments soutenus par la S.A.R.L. DVA, la S.A.S.U. La ferme du [Localité 5] réaffirme que l'intimée ne disposait d'aucune exclusivité territoriale comme elle tente de le faire plaider, en raison d'une implantation préalable.

Subsidiairement, la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] soutient que son agent commercial a commis des agissements fautifs graves constitués par la médiocrité voir la nullité des résultats réalisés : les très faibles résultats de vente sur des territoires à potentiel indéniable sont incompréhensibles et en tout état de cause constitutifs d'une faute grave.

À de nombreuses reprises il a été fait part de l'insuffisance voir de l'inexistence des résultats à son agent commercial afin d'obtenir de sa part le redressement d'une situation critique. (Cf courrier du 11 décembre 2019). Les chiffres d'affaires réalisés à travers la S.A.R.L. DVA n'ont cessé de diminuer de 2016 à 2019 passant de 165 K€ à 97 K€ et ne peuvent s'expliquer de manière conjoncturelle. Ainsi, l'intimée a failli à ses objectifs fixés contractuellement de développement de la clientèle.

Mieux, la S.A.R.L. DVA était tenue d'une obligation d'information mensuelle de son mandant (reporting) qu'elle n'a pas respecté, ce qui constitue aussi une défaillance caractérisée.

Encore, ce n'est que parce qu'elle constatait le désintérêt manifeste de son contrat d'agent commercial, que la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] a été contrainte de pallier ces carences en réorganisant sa stratégie.

À titre infiniment subsidiaire et faisant application des conditions contractuelles, l'appelante soutient qu'il convient d'asseoir le montant des sommes ouvrant droit à commission sur cette période du 11 décembre 2019 au 11 mai 2020 où seul 3763,32 € de chiffre d'affaires a été réalisé ouvrant droit à une rémunération de 564 €, somme déjà accordé à l'agent commercial. Il ne peut donc rien être réclamé de ce chef.

Sur le droit commission pour les 2 années suivantes, la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] soutient que c'est son agent commercial qui a notifié à ses clients la fin des relations avec la ferme Du [Localité 5] en 2021, prenant ainsi l'initiative de la rupture et la privant ainsi de tout droit à commission sur les 2 années suivantes. À cette occasion elle rappelle que seules 2 commandes ont été passées durant cette période pour un montant d'environ 12'000 € avec la seule société calédonienne « le vin autrement» et pour un total de 3 763,32 € en mars 2021 et 6 540,90 € en février 2022. En tout état de cause, le droit à commission serait de 1 545,63 €, et la première juridiction a renversé la charge de la preuve alors qu'il appartient à l'agent commercial de faire la preuve de son préjudice.

La société appelante réclame en outre 5000 € à titre de dommages-intérêts et la condamnation de l'intimée à supporter l'ensemble des dépens de première instance et d'appel.

Par d'ultimes écritures échangées via réseau privé virtuel justice le 4 janvier 2022 la S.A.S.U. La ferme du [Localité 5] conclut tant devant le conseiller de la mise en état que devant la cour, à l'irrecevabilité des conclusions de l'intimée comme ayant été déposées postérieurement à la date fixée pour la clôture et en tout état de cause alors qu'il n'avait pas été sollicité le report de celle-ci.

Aux termes de ses dernières écritures échangées le 12 décembre 2022 la S.A.R.L. DVA conclut à la confirmation de la décision en ce qu'il a été constaté une rupture aux torts exclusifs du mandant et sollicite de plus fort qu'il lui soit accordé au titre de la rupture brutale et vexatoire des relations commerciales une somme de 10'000 € à titre de dommages-intérêts.

Reprenant l'analyse développée devant les premiers juges, la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés soutient qu'il y a eu rupture unilatérale du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs du mandant. En effet, l'appelant a failli à son obligation de loyauté ne permettant pas à l'agent commercial d'exécuter son contrat : la modification substantielle des conditions d'exécution du contrat à l'initiative de la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] a eu pour conséquence des modifications sur les volumes d'affaires, les débouchés et les conditions financières puisqu'elle s'est trouvée privée du secteur géographique de l'Asie par courrier du 11 décembre 2019.

Le mandant confiait ainsi l'organisation de la distribution à un bureau de représentation localisée à Singapour qui couvrait la Chine, Hong Kong, Taiwan, la Corée, l'Indonésie, les Philippines, Singapour, l'Inde, la Malaisie, le Vietnam, la Thaïlande et l'Indochine outre l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

En l'espèce selon l'intimée cela représentait 82 % du montant des ventes et des commissions versées pour l'année en cours et la précédente, anéantissant ainsi l'économie du contrat.

Si devant la cour, l'appelant soutient désormais que la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés n'aurait pas été empêchée de conserver ses clients, cet élément n'a jamais été mentionné dans les échanges de courriels entre les parties, d'une part, et, d'autre part, il était indiqué expressément qu'il ne pouvait plus être continué à confier la prospection sur la Chine Hong Kong et Taïwan ce qui s'analyse comme un retrait unilatéral du contrat d'agent commercial sur ces zones, puisqu'il s'agit d'une modification unilatérale du contrat, sans respect d'un préavis, et aux torts exclusifs du mandant.

Encore, dans le cadre des relations avec la Nouvelle-Calédonie, la S.A.S.U. la Ferme du [Localité 5] découvrait que la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés avaient informé le client « le vin autrement » qu'elle ne collaborerait plus avec son mandant et ne prendrait plus aucune commande pour celui-ci.

La S.A.R.L. Domaines et Vignoble Associés soutient encore n'avoir commis aucune faute grave rendant impossible le maintien du lien contractuel. Elle affirme que le mandant doit rapporter la preuve d'une baisse d'activité ou d'une activité insuffisante de l'agent. Or tel n'est pas le cas en l'espèce : en effet, avant le courrier de rupture du contrat, aucun reproche ne lui avait été adressé. Si un désaccord était intervenu entre les parties à l'occasion de frais d'envoi d'échantillons pour le salon Vin-Expo de Hong Kong, le montant du différend était dérisoire (168 €) et ne saurait constituer une faute grave.

L'intimée ajoute qu'il n'est pas rapporté d'élément de nature à démontrer une activité insuffisante de l'agent commercial, la baisse du volume de vente ne constituant pas une faute grave selon la jurisprudence constante invoquée.

Sur l'absence de reporting, la S.A.R.L. intimée soutient qu'il n'a jamais été sollicité de quelconque document de cette nature par son mandant, les deux parties se contentant d'échanges téléphoniques. En tout état de cause la S.A.S.U. la ferme Du [Localité 5] n'a jamais fait rappel à son mandataire d'avoir à lui adresser régulièrement de tels rapports d'activité.

Dès lors, il est sollicité au titre de la rupture unilatérale du contrat de mandat, puisque la société la Ferme Du [Localité 5] n'a pas respecté le délai de 6 mois préalable, une indemnité compensatrice liée au préjudice, conséquence de l'extinction prématurée des relations commerciales ainsi créées. La moyenne mensuelle des commissions s'élevant au cours des 3 dernières années à 1077,21 € il est réclamé la confirmation du paiement de la somme de 6463,26 euros hors-taxes, au titre de cette indemnité compensatrice.

Subsidiairement, elle sollicite la condamnation de la ferme Du [Localité 5] à lui régler la somme de 5565,51€ hors-taxes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, basé sur la marge moyenne pour les années 2019 et 2020.

À titre de dommages-intérêts, pour rupture abusive du contrat d'agent commercial, la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés sollicite l'allocation d'une somme de 10'000€, justifiée par le caractère vexatoire de la rupture des relations commerciales.

Enfin, elle sollicite l'octroi de 2000 € au titre de ses frais d'avocat et la condamnation de l'appelante aux entiers dépens.

La société intimée transmettait le 3 janvier 2023 à 14 h 15 de nouvelles conclusions documentant la jurisprudence relative à la violation de la clause d'exclusivité, visant ledit contrat, précisant en outre que la décision de la S.A.S.U. la Ferme du [Localité 5] violait ainsi la clause d'exclusivité, maintenant que l'expédition des affaires en cours, la privant ainsi de tout développement de clientèle d'une part et la laissant régler un souci de conditionnement avec l'acheteur final alors que l'erreur était imputable à la S.A.S.U. La ferme du [Localité 5].

Elle communiquait en outre une pièce nouvelle (la facture de commission sur la vente du 'Vin Autrement' en Nouvelle Calédonie du 13 mai 2020) qui se rapportait à une commande passée en janvier 2020 et que la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés avait accepté de prendre en charge malgré le différend entre les parties.

L'intimée ajoutait enfin qu'il n'avait été fixé aucun objectif entre les parties.

L'ordonnance de clôture est en date du 3 janvier 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 4 janvier 2023 pour être mis en délibéré et l'arrêt a été mis à la disposition des parties le 16 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Recevabilité des conclusions transmises par l'intimé le 3 janvier 2023 :

Aux termes des dispositions de l'article 15 du code de procédure civiles les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Les conclusions déposées le jour même de la clôture sont recevables si elles sont prises en réplique à des conclusions adverses et ne soulèvent ni moyens nouveaux, ni prétentions nouvelles, pourvu qu'elles aient été déposées en temps utile.

En l'espèce, la S.A.R.L. DVA a pris d'ultimes conclusions le 3 janvier 2023, date de la clôture des débats, celles-ci faisant suite aux conclusions de l'appelante du 29 décembre 2022 ; la SAS La Ferme du [Localité 5] en soutient l'irrecevabilité sur la base des dispositions rappelées plus haut et du principe de loyauté des débats ;

Il ressort de leur lecture qu'elles n'apportent pas de changement notable aux moyens soutenus et aux prétentions de l'intimée ; elles ne visent pas non plus de pièces nouvelles.

L'affaire enrôlée le 3 janvier 2022 a permis à chacune des parties d'échanger pièces et conclusions, l'appelante ayant conclu à quatre reprises et l'intimée à trois reprises ; la teneur des écritures ne porte pas atteinte au principe de loyauté des débats, l'intimée ayant estimé devoir prendre d'ultimes écritures ne modifiant pas ses moyens et prétentions.

Ces ultimes écritures font suite à deux reports de clôture à la diligence du conseil de l'intimée, du 25 octobre 2022 au 13 décembre 2022 puis au 3 janvier 2023 après que celle-ci ait conclu le 12 décembre 2022 et que l'appelante ait conclu le 29 décembre 2022.

Chacune des parties ayant pu largement conclure au fond, il n'y a lieu à rejeter les écritures de l'intimée, non plus que les pièces régulièrement produites par l'appelante au soutien de ses dernières écritures du 29 décembre 2022.

Sur le contrat d'agent commercial et la rupture des relations :

Aux termes des dispositions de l'article L. 134-1 du code de commerce l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale et s'immatricule, sur sa déclaration, au registre spécial des agents commerciaux.

De même, les rapports entre l'agent commercial et mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information aux termes de l'article L. 134-4 2ème alinéa du même code.

En l'espèce, les parties avaient convenu le 9mai 2016 d'une telle convention, visant cependant des dispositions abrogées, confiant à la S.A.R.L. DVA un mandat exclusif (hors clientèle et agents existants) sur 5 zones géographiques dont l'Asie, à savoir la Chine, la Corée, Hong-Kong, Taïwan, la Malaisie, le Vietnam, la Thaïlande, les Philippines, l'Indonésie, le Népal, le Cambodge, le Laos, la Birmanie, le Sri Lanka et le Japon.

Par courriel du 11 décembre 2019, la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] adressait sous l'objet relatif au règlement de la représentation des vins de [E] [Z] et de VinExpo Hong Kong, un message au terme duquel elle s'interrogeait sur les résultats mitigés des tentatives d'implantation en Asie et précisait avoir décidé de changer de stratégie sur l'Asie et de confier l'organisation de la distribution à un bureau de représentation basé en Asie pour la Chine (hors CB rouge chez Guangzhou Jiejia Commerce Co, si le client souhaite continuer), Hong Kong, Taïwan (hors la ferme du [Localité 5] [Localité 3] vendange rouge si Dépot oriented Trading Co Ltd souhaite continuer ce vin, la Corée, l'Indonésie, les Philippines, Singapour, l'Inde, la Malaisie le Vietnam la Thaïlande et l'Indochine (sic). Il est en outre précisé que ce bureau s'occuperait aussi de l'Australie et de la Nouvelle Zélande ;

Le courriel poursuit en indiquant qu'il cesse de confier à la S.A.R.L. DVA la prospection sur ces pays sauf à maintenir le courant d'affaires pour les deux sociétés citées plus haut.

Comme l'a très justement analysé la juridiction du premier degré, ce courrier apparaît comme une modification du périmètre géographique du mandat exclusif confié à la société intimée ;

D'ailleurs par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 décembre 2019 adressée par la S.A.R.L. DVA, à la S.A.S.U. la Ferme du [Localité 5] il était pris acte de cette rupture contractuelle et l'agent commercial sollicitait le règlement des indemnités relatives.

Il convient de constater que ce courriel de la S.A.S.U. La Ferme du [Localité 5] ne fait pas suite à une mise en demeure où à un constat basé sur des volumes de vente ou des insuffisances d'objectifs, mais sur la seule constatation d'une absence de son implantation en Asie.

De ce seul chef, la cour doit tirer comme conséquence que la rupture du contrat d'agent commercial est entièrement imputable au mandant qui annonçait mettre en place une structure nouvelle en concurrence directe avec le mandataire et faisant ainsi échec à l'exclusivité concédée et à la prospection sur ces zones géographiques.

De manière surabondante, il ressort de l'attestation d'Assistance et Conseil, expert-comptable de la S.A.R.L. DVA (pièce 14) que le chiffre d'affaire global n'a pas accusé de chute brutale, puisqu'il a été le suivant en :

- 2019 : 141.026 €

- 2020 : 103.773 €

- 2021 : 165.757 €

Sur les volumes financiers, la pièce 6 de l'intimée montre que ceux-ci ont été réalisés avec des entreprise très majoritairement basées à Hong Kong en 2016 (97,78 %), en 2017, le montant sur la zone Asie telle que définie au contrat représentait encore 89,31 %, le surplus étant constitué de clients nouveaux sur les DOM-POM, en 2018 le faible montant des ventes était encore orienté à hauteur de 78 % sur la zone Asie (Taïwan) et en 2019 toujours de 83,76 % sur cette zone.

Ces éléments ne sont d'ailleurs pas contestés par la S.A.S.U. La Ferme du [Localité 5].

En privant le mandataire de l'exclusivité et de la prospection sur cette zone géographique, la S.A.S.U. la Ferme du [Localité 5] a modifié de manière substantielle l'économie du contrat, au point de ne plus permettre à l'agent commercial d'être en mesure d'exécuter son mandat, violant ainsi les dispositions de l'article L 134-4 dernier alinéa du même code.

Il n'y a lieu de rechercher comme a vainement mais habilement tenté de le faire la S.A.S.U. la Ferme du [Localité 5] une insuffisance de volumes de vente, une absence d'atteinte des objectifs, voire même un défaut de reporting (point qui n'a d'ailleurs été évoqué en première instance), ces éléments étant indifférents suite à la modification substantielle des conditions du mandat, qui s'apparentent à une rupture unilatérale à l'initiative du mandant la S.A.S.U. La Ferme du [Localité 5] qui 'cessait de confier la prospection' à son mandataire exclusif, sans respecter les conditions de dénonciation prévues au contrat.

Sur les demandes indemnitaires formulées par la S.A.R.L. DVA :

A.)    L'indemnité de fin de contrat :

Prévue aux termes des dispositions de l'article L 134-12 du code de commerce, elle a pour but de réparer le préjudice constitué par la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.

Il n'y a pas lieu de distinguer si cette rémunération provient de clients préexistants au contrat ou apportés par l'agent commercial.

Cette indemnité est calculée par référence aux commissions brutes perçues par l'agent et est égale à deux ou trois années de commission ;

En l'espèce, il est invoqué pour s'opposer à cette demande indemnitaire des fautes graves de l'agent commercial qui aurait ainsi manqué à ses obligations. Or, la société appelante ne rapporte pas la preuve de tels manquements ni à la date de l'envoi du courrier électronique, ni même depuis ; la seule invocation de difficultés d'implantation en Asie ne saurait suffire pour justifier une faute de la S.A.R.L. DVA;

L'obligation de reporting qui figurait au contrat apparaît une cause nouvelle et n'avait fait l'objet d'aucun rappel de la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] à son agent commercial.

Il en va de même de l'insuffisance alléguée d'objectifs, qui d'ailleurs n'ont jamais fait l'objet de pourparlers et de fixation en des termes écrits.

L'imputabilité de la rupture à l'initiative totale de la S.A.S.U. La ferme du [Localité 5], et l'absence de tout manquement aux obligations du mandataire doit ouvrir droit à une indemnisation basée sur les trois dernières années de commissions ;

C'est à bon droit que ce montant a été fixé à la somme de 15.161,27€ HT et la décision doit être confirmée de ce chef.

B) L'indemnité de préavis :

Il résulte des dispositions de l'article L. 134-11 alinéa 3 qu'un préavis est dû à l'issue du terme du contrat ; Il est de six mois lorsque la durée de celui-ci a été de plus de trois ans.

En l'espèce le contrat avait été conclu le 9 mai 2016 et a été rompu le 11 décembre 2019, soit plus de trois années après sa souscription ; il ouvre donc droit à indemnité de préavis à hauteur de 6 mois.

Cette indemnité de préavis est égale à six mois de commissions ; elle est assise sur l'ensemble de la durée du contrat c'est à dire pour la période du 9 mai 2016 au 11 mai 2020, soit 6.368,83 € HT.

La décision de première instance sera donc infirmée mais pour ce seul montant.

C) La demande de dommages-intérêts pour rupture abusive et vexatoire :

L'article L 442-1-II du code de commerce ouvre droit à une action en responsabilité pour rupture brutale même partielle des relations commerciales en référence aux usages du commerce ou aux accords de la profession.

En l'espèce, la S.A.S.U. la ferme du [Localité 5] a d'initiative et sans préavis, ne se référant à aucune baisse d'activité antérieure ou aucune faute de son agent commercial, décidé de mettre fin au contrat d'exclusivité qui l'y liait. Cette demande n'est pas liée au manquement contractuel, mais à la brutalité de la rupture commerciale qui existait depuis juin 2016.

Elle a privé 'du jour au lendemain', la S.A.R.L. DVA de 80 % de l'activité commerciale qu'ils réalisaient ensemble, lui interdisant de fait, de prospecter à nouveau et la soumettant à la concurrence 'd'un bureau de représentation basé en Asie'.

Cette rupture est constitutive d'une faute caractérisée du mandant.

Le dommage se trouve parfaitement constitué par la brutalité de la rupture, sans qu'il ne soit rapporté la preuve d'échanges de courriers ou de mails antérieurs faisant état de tergiversations de la société mandataire sur les qualités de son mandataire ;

Cette rupture brutale ouvre donc droit à dommages-intérêts à hauteur de la somme de 7.500 €. La décision sera réformée de ce chef.

D). Les frais irrépétibles :

Il est parfaitement équitable d'allouer à l'intimée le remboursement des frais qu'elle a engagé pour faire valoir sa défense ; qu'elle a ainsi conclu à trois reprises et plaidé l'affaire à l'audience ; que dans de telles conditions il doit lui être accordé la somme de 2.000 € qu'elle réclame, en sus de celle déjà allouée de 1.500 € accordée en première instance.

E). Les dépens :

La société appelante succombe en toutes ses prétentions et doit être condamnée aux entiers dépens de l'instance et de ceux de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Dit n'y avoir lieu au rejet des conclusions de la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés du 3 janvier 2023.

- Confirme le jugement entrepris en ce qu'il constate la résiliation du contrat d'agent commercial du 9 mai 2016 entre la S.A.S.U. la Ferme du [Localité 5] et la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés aux torts exclusifs de la S.A.S.U. La ferme du [Localité 5].

- Infirme sur une partie des réclamations financières,

Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés,

- Condamne la S.A.S.U. La ferme du [Localité 5] à payer à la S.A.R.L. Domaines et Vignobles Associés les sommes de :

15 161,27 € HT à titre d'indemnité de fin de contrat,

6 368,83 € HT au titre de l'indemnité de préavis,

7 500 € à titre de dommages-intérêts,

2 000 € au titre de ses frais irrépétibles,

- Condamne la S.A.S.U. La ferme du [Localité 5] aux entiers dépens d'appel et de première instance.