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Décisions

ARCEP, 24 juin 2010, n° 2010-0716

ARCEP

se prononçant sur un différend opposant les sociétés Télénéo et SFR

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Silicani

Membre :

M.Bridoux, M. Curien, M. Rapone, Mme Toledano, M. Courtois

ARCEP n° 2010-0716

23 juin 2010

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE ;

Vu le code des postes et des communications électroniques, ci-après CPCE, notamment ses articles L. 34, L. 36-8, R. 10 à R. 11 et R. 11-1 ;

Vu l’arrêté du 18 juillet 2001 autorisant la Société Française du Radiotéléphone (SFR) à établir et exploiter un réseau radioélectrique de troisième génération ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;

Vu le récépissé de déclaration n° 08-1751 du 8 juillet 2008 qui atteste que la société Télénéo déclare son intention de fournir des services de communications électroniques au public ;

Vu la décision n° 06-0639 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et  des postes en date du 30 novembre 2006 précisant les conditions de mise à disposition des listes d’abonnés et d’utilisateurs à des fins d’édition d’annuaires universels ou de fourniture de services universels de renseignements ;

Vu la décision n° 2009-0527 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 11 juin 2009 portant modification du règlement intérieur ;

Vu la demande de règlement d’un différend, enregistrée à l'Autorité le 18 mars 2010, présentée par la société Télénéo SAS, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro   493 138 705, dont le siège social est situé, 195 boulevard Pereire, 75017 Paris, représentée par M. Guillaume de Maussion de Cande, président du conseil de surveillance ;

 La société Télénéo demande à l'Autorité :

- de confirmer sa position selon laquelle il n’appartient pas à un opérateur de communications électroniques de procéder à une instruction des demandes présentées par un éditeur d’annuaire universel ;

- de constater que la société SFR ne remplit pas ses obligations réglementaires ;

- d’enjoindre à la société SFR de lui communiquer ses listes d’abonnés.

La société Télénéo soutient que la société SFR refuse de lui communiquer ses listes d’abonnés ; qu’il n’appartient à aucun acteur du marché de procéder à une instruction des demandes présentées par les éditeurs d’annuaires universels, dès lors que l’article L. 34 du CPCE fait obligation aux opérateurs de céder leurs listes lorsqu’ils sont saisis d’une demande en ce sens ; que, ce faisant, en application du h) de l’article L. 33-1 du CPCE, SFR ne respecte pas les obligations qui s’imposent aux opérateurs de communications électroniques.

Vu les observations en défense présentées par la société SFR, SA inscrite au RCS de Paris sous le numéro 403 106 537 dont le siège social est situé Tour Séquoia, 1 place Carpeaux, 92915 Paris La Défense, représentée par M. Arnaud Lucaussy, directeur de la réglementation et des études économiques, enregistrées à l’Autorité le 19 avril 2010 ;

La société SFR demande à l’Autorité de rejeter la demande de règlement de différend de Télénéo.

La société SFR soutient que la demande est irrecevable, en l’absence d’échec des  négociations commerciales, Télénéo n’ayant pas même répondu à sa dernière demande de lui fournir des éléments probants permettant de vérifier l’applicabilité, au cas d’espèce, de l’article L. 34 du CPCE ; que les listes d’abonnés, compte tenu de leur caractère sensible, ne peuvent être cédées qu’à des éditeurs d’annuaires universels ou à des fournisseurs de services de renseignements universels, dont il appartient aux opérateurs, investis d’une responsabilité civile et pénale, de vérifier les garanties qu’ils présentent ; qu’en l’espèce, les investigations qu’elle a elle-même menées démontrent que la société Télénéo ne poursuit pas une activité d’«annuairiste » universel.

Vu les observations en réponse présentées par la société Télénéo et enregistrées à l’Autorité le 6 mai 2010 ;

La société Télénéo persiste dans ses conclusions précédentes par les mêmes moyens et demande, en outre, à l’Autorité de lui donner acte de ce qu’elle entend solliciter la réparation du préjudice subi du fait de l’attitude fautive de la société SFR devant le Tribunal de commerce de Paris.

Elle ajoute qu’elle exerce une activité d’éditeur d’annuaire universel, ainsi que le prouve le site internet qu’elle édite : www.zople.com, ainsi que le récépissé de sa déclaration de traitement de données personnelles auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ; que la circonstance qu’elle propose d’autres services n’est pas incompatible avec son activité d’éditeur d’annuaire universel ; que la responsabilité pénale liée à l’utilisation des listes d’abonnés incombe aux éditeurs d’annuaire, et non aux opérateurs.

Vu les nouvelles observations en défense présentées par la société SFR et enregistrées à l’Autorité le 25 mai 2010 ;

La société SFR persiste dans ses conclusions précédentes par les mêmes moyens.

Elle ajoute que l’obligation de céder ses listes à des « annuairistes universels » à un tarif orienté vers les coûts ne relève pas d’une offre commerciale, mais d’une obligation réglementaire strictement encadrée ; qu’elle-même s’est entièrement conformée à la décision de l’Autorité n° 06-0650 relative à un différend entre Telegate France et Orange France, dont il résulte que l’ARCEP n’opère pas de contrôle a priori sur les demandes de cession des listes et qu’il revient, par conséquent, aux opérateurs, d’accomplir les diligences nécessaires.

Vu le courrier du directeur des affaires juridiques de l'Autorité en date du 2 juin 2010 adressé aux parties les convoquant à une audience devant le collège le 22 juin 2010 ;

Vu la pièce complémentaire adressée par la société Télénéo et enregistrée à l’Autorité le 14 juin 2010 ;

Vu le courrier de la société Télénéo enregistré le 18 juin 2010 souhaitant que l'audience devant le collège soit publique ;

Vu le courrier de la société SFR enregistré le 18 juin 2010 souhaitant que l'audience devant le collège soit publique ;

Après avoir entendu le 22 juin 2010, lors de l'audience devant le collège (composé de MM. Jean-Ludovic Silicani, Edouard Bridoux, Nicolas Curien, Denis Rapone, Daniel- Georges Courtois et Mme Joëlle Toledano) :

- le rapport de M. Guillaume Koch-Mathian, rapporteur présentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de M. Guillaume de Maussion et de Maître Olivier Iteanu pour la société Télénéo ;

- les observations de Mme Marie-Georges Boulay et Maître Alexandre Espenel pour la société SFR ;

En présence de :

- MM. Guillaume de Maussion, Firas Mamoun et Maître Olivier Iteanu pour la société Télénéo ;

- MM. Thomas Moreau, Stéphane Boudoul, Maître Alexandre Espenel et Mme Marie- Georges Boulay pour la société SFR ;

- M. Philippe Distler, directeur général, M. Michel Combot, directeur général adjoint, MM. Nicolas Deffieux, Guillaume Koch-Mathian, Laurent Perrin, Stéphane Hoynck, Guillaume Meheut et Mmes Gaëlle Nguyen, Sandrine Thiebaud, agents de l’Autorité ;

Sur la publicité de l'audience

L'article 15 du règlement intérieur susvisé dispose que « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe le collège de l'Autorité en délibère ». Les sociétés Télénéo et SFR ont indiqué par courrier du 18 juin 2010 qu’elles demandaient que l’audience soit publique.

Le collège (composé de MM. Jean-Ludovic Silicani, Edouard Bridoux, Nicolas Curien, Denis Rapone, Daniel-Georges Courtois et Mme Joëlle Toledano) en ayant délibéré le 22 juin 2010, hors la présence du rapporteur et des agents de l'Autorité ;

Adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après.

I.      Sur le cadre juridique applicable

Aux termes des dispositions du II de l’article L. 36-8 du CPCE : « En cas d’échec des négociations commerciales, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut être saisie des différends (…) portant sur : (…) 2° Les conditions techniques et financières de la fourniture des listes d’abonnés prévue à l’article L. 34 ».

L’article L. 34 du même code dispose que : « Sur toute demande présentée en vue d’éditer un annuaire universel ou de fournir un service universel de renseignements, même limitée à une zone géographique déterminée, les opérateurs sont tenus de communiquer, dans des conditions non discriminatoires et à un tarif reflétant les coûts du service rendu, la liste de tous les abonnés ou utilisateurs auxquels ils ont affecté (…) un ou plusieurs numéros du plan national de numérotation téléphonique prévu à l’article L. 44 (…). Les litiges relatifs aux conditions techniques et financières de la fourniture des listes d’abonnés prévue à l’article L. 34 relèvent de la compétence de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l’article L. 36-8 du CPCE ».

Le II de l’article D. 98-5 du même code ajoute que : « L’opérateur prend les mesures propres à assurer la protection, l’intégrité et la confidentialité des données à caractère personnel qu’il détient et qu’il traite ». Le paragraphe 4 de la décision n° 06-0639 de l’Autorité en date du 30 novembre 2006 indique ainsi que « le caractère sensible des données cédées, et les contraintes légales qui s’y rattachent du point de vue du respect du droit des personnes, engagent la responsabilité des opérateurs cédants et les conduisent à opérer cette cession en recherchant les garanties nécessaires quant à l’usage qui sera fait des données cédées. »

Enfin, le paragraphe 4.2 de cette décision, précisant les conditions de mise à disposition des listes d’abonnés et d’utilisateurs à des fins d’édition d’annuaires universels ou de fourniture de services universels de renseignements, prévoit que : « Pour déterminer si un acteur désirant offrir directement un service d’annuaire ou de renseignements au public peut se prévaloir de la qualité de bénéficiaire de la mise à disposition des listes (…), l’Autorité évaluera en particulier si cet acteur satisfait aux conditions suivantes :

 · il a déclaré son activité à la Commission nationale de l’informatique et des libertés ;

 · il s’engage à offrir un service d’accès exhaustif aux données de l’annuaire universel, ce qui implique, entre autres, qu’il vise à fournir l’accès à la totalité des listes mises à disposition par les opérateurs ;

 · il offre un service d’accès aux données de l’annuaire universel sous une forme non discriminante, ce qui implique, entre autres, qu’il traite de manière non discriminante les données personnelles de tous les abonnés ;

 · il respecte les choix de restriction de parution exprimés par les abonnés et utilisateurs tels qu’ils paraissent dans les listes mises à disposition par les opérateurs, et impose contractuellement cette même obligation de protection des données personnelles aux utilisateurs de son service ;

· il ne vend de produits et services d’annuaires qu’aux utilisateurs finals, en particulier les utilisateurs directs ou indirects de ses services ne peuvent, eux, revendre les données d’annuaire sous quelque forme que ce soit ;

 · il met en place des moyens raisonnables pour détecter et éviter que des tiers ne reconstituent aisément des listes d’annuaires à partir des services à  la  requête  offerts ;

· les services offerts ne peuvent l’être que dans l’une ou plusieurs des zones géographiques suivantes : d’une part le territoire français, d’autre part les pays offrant un niveau de protection des données adéquat d’après la loi du 6 janvier 1978, et enfin les pays n'ayant pas un niveau de protection des données adéquat d'après cette loi, mais pour lesquels le transfert de données a été autorisé par la CNIL au titre de la loi du 6 août 2004 ;

 · plus généralement, il offre directement un service d’annuaire universel ou un service universel de renseignements au sens du code des postes et des communications électroniques français ou un service à l’étranger équivalent en termes de finalité, de données concernées, de destinataires, de protection des données et de respect des choix de l’abonné, à l’exclusion de tout autre usage ».

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, saisi d’une demande tendant à l’édition d’un annuaire universel ou à la fourniture d’un service de renseignements, un opérateur de communications électroniques est tenu de communiquer ses listes d’abonnés.

Toutefois, afin d’assurer la conciliation de cette obligation de communication avec la nécessaire protection des données à caractère personnel, il appartient à l’opérateur, garant de la confidentialité des données qu’il détient, et investi d’une responsabilité pénale par la loi    n° 78-17 du 6 janvier 1978, de s’assurer que la demande qu’il reçoit répond aux finalités posées par la loi.

Ainsi, en cas de doutes sur la qualité du demandeur ou sur la finalité de sa demande, l’opérateur est en droit de solliciter du demandeur des éléments de justification sur les points qui lui paraissent faire difficulté. A cette fin, l’opérateur peut demander, de façon proportionnée et précise, ceux des éléments objectifs et non discriminatoires limitativement énumérés dans la décision de l’Autorité n° 06-0639, propres à lever ses doutes.

Le demandeur est tenu, en réponse, d’apporter des justifications sur chacun des points soulevés par l’opérateur.

En cas d’échec des négociations, qui peut porter, ainsi que cela a été rappelé, sur l’appréciation même de la qualité de cet acteur à se prévaloir d’un droit de cession de listes d’abonnés, l’Autorité peut être saisie d’une demande de règlement de différend. L’Autorité se prononce alors au vu des échanges entre les parties et apprécie si le refus de l’opérateur n’a pas été pris en considération de motifs étrangers à ceux prévus par la loi et explicités dans la décision de l’Autorité mentionnée ci-dessus.

II.   Sur l’application du cadre juridique au cas d’espèce

1.   Sur la demande de cession des listes d’abonnés par Télénéo à SFR

La société Télénéo demande à l’ARCEP de régler le différend qui l’oppose à la société SFR, laquelle refuse de lui céder ses listes d’abonnés.

Il résulte de l’instruction que la société Télénéo a adressé, le 27 août 2008, une demande écrite à la société SFR afin de solliciter la cession des listes d’utilisateurs et d’abonnés, en application de l’article L. 34 du CPCE.

En réponse à cette demande, la société SFR a, le 21 octobre 2008, opposé un refus écrit, au motif que la société Télénéo « n’éditait pas d’annuaire universel et proposait à ses abonnés l’accès massif à des bases moyennant paiement d’un abonnement ». La société SFR souligne dans ses observations en défense qu’elle a, à l’occasion de ce refus, proposé « de réétudier la demande sous réserve qu’elle soit accompagnée d’éléments probants, allant dans le sens d’une activité avérée d’édition d’annuaire universel ».

Durant les échanges, la société SFR a persisté dans cette position. Elle a, en effet, répondu le 24 juillet 2009 à la société Télénéo en ces termes : « au préalable à toute nouvelle réunion, je vous serai (sic) gré de bien vouloir porter à notre connaissance par écrit et de façon précise, les éléments nouveaux et probants qui feraient que vous remplissiez désormais les conditions de mise à disposition des listes de nos abonnés (…) ».

Refusant de satisfaire à la demande de justifications de la société SFR, la société Télénéo considère qu’il n’appartient pas à un opérateur de se faire juge de la qualité d’éditeur d’annuaire universel d’une société qui demande la cession de liste. C’est ainsi que, le 7 avril 2009, la société Télénéo a réitéré sa demande : « en rappelant à SFR les dispositions de l’article L. 34 du CPCE qui fait obligation de communiquer ses listes d’abonnés « sur toute demande présentée en vue d’éditer un annuaire universel (…) » ». Elle maintient cette analyse dans sa demande de règlement de différend devant l’Autorité.

Le rappel de ces faits démontre, d’une part, que la société SFR s’est bornée à demander, en termes généraux, des « éléments probants » à la société Télénéo, sans préciser sur quels éléments précis étaient fondés ses propres doutes quant à la qualité d’éditeur d’annuaire universel du demandeur et, d’autre part, que la société Télénéo a refusé, par principe, de justifier de sa qualité auprès de l’opérateur qu’elle a sollicité.

Dans ces circonstances, l’Autorité ne peut que constater que ni la société Télénéo, ni la société SFR n’ont respecté les obligations respectives qui leur incombaient dans le cadre d’une demande de cession de listes d’abonnés. Par conséquent, la demande principale de la société Télénéo tendant à ce que l’Autorité règle le différend qui s’est noué autour de la demande de cession des listes ne peut qu’être rejetée, faute pour les parties d’avoir engagé  une véritable négociation dans le cadre rappelé plus haut. L’Autorité invite, dans ces conditions, les parties à engager des négociations dans le strict respect de ce cadre. Si de telles négociations se soldaient par un échec, il appartiendrait alors à la société Télénéo, si elle s’y croit fondée, de saisir l’ARCEP d’un règlement de différend.

2.   Sur la demande de sanction de la société Télénéo à l’encontre de la société SFR

En invoquant devant l’Autorité la méconnaissance de ses obligations d’opérateur par la société SFR, la société Télénéo doit être regardée comme demandant à l'Autorité d’exercer son pouvoir de sanction. Toutefois, les dispositions de l'article L. 36-8 du CPCE s’opposent à ce que l’Autorité exerce, dans le cadre d’un règlement de différend, son pouvoir de sanction. La demande de la société Télénéo ne peut donc qu’être rejetée comme irrecevable.

3.   Sur la demande tendant à ce qu’il soit donné acte de l’intention de saisir le tribunal de commerce

Il n’appartient pas à l’Autorité de donner acte d’une intention. La demande de la société Télénéo tendant à ce que l’Autorité lui donne acte de son intention de saisir le tribunal de commerce de Paris ne peut ainsi, en tout état de cause, qu’être rejetée.

Décide :

Article 1er – La demande de règlement de différend présentée par la société Télénéo est rejetée.

Article 2 - Le directeur des affaires juridiques ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés Télénéo et SFR la présente décision et de veiller à son exécution. Elle sera rendue publique, sous réserve des secrets protégés par la loi, et publiée sur le site internet de l’Autorité (www.arcep.fr).