ARCEP, 1 juillet 2010, n° 2010-0742
ARCEP
se prononçant sur une demande de règlement de différend opposant les sociétés Mobius et La Réunion Numérique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Silicani
Membre :
Mme Toledano, M. Curien, M. Courtois, M. Rapone, M. Bridoux
L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,
Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques aux ressources associées ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès ») ;
Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;
Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE), notamment ses articles L. 36-8, R. 11-1, D. 99-6 et D. 99-10 ;
Vu le récépissé de déclaration n° 03-44 du 25 août 2003 qui atteste que la société Mobius déclare son intention d’établir et d’exploiter des réseaux ouverts au public et de fournir au public des services de communications électroniques ;
Vu le récépissé de déclaration n° 07-2154 du 4 octobre 2007 qui atteste que la société La Réunion Numérique déclare son intention d’établir et d’exploiter des réseaux ouverts au public et de fournir au public des services de communications électroniques ;
Vu le règlement intérieur de l’Autorité, modifié par la décision n° 2009-0527 de l’Autorité en date du 11 juin 2009 ;
Vu la demande de règlement de différend enregistrée à l'Autorité le 5 mars 2010, présentée par la société Mobius, RCS de Saint-Denis (Réunion) B 432 891 786 (200 B 655), dont le siège social est situé rue Théodore Drouhet, ZAC 2000, 97829 Le Port, représentée par Maître Martine Georges-Naïm du cabinet SCP Bersay & Associés ;
La société Mobius demande à l’Autorité de :
1) déterminer des conditions techniques et tarifaires équitables et non discriminatoires des offres de la société La Réunion Numérique, c’est-à-dire :
- premièrement, pour l’offre d’hébergement en armoire de rue, un tarif unique, qui ne pourra être supérieur à une redevance annuelle d’hébergement de 5 000 euros hors taxes et une redevance annuelle de maintenance de 500 euros hors taxes ;
- deuxièmement, pour l’offre de location de fibre noire, des tarifs orientés sur les coûts de location payés par la société La Réunion Numérique à la région de La Réunion et au minimum alignés sur les tarifs proposés par la société France Télécom, quel que soit le tronçon commandé, ainsi qu’une périodicité de facturation mensuelle ;
- troisièmement, pour l’offre « DSL Grand Public », une révision de ses tarifs afin :
o qu’ils soient orientés vers les coûts,
o que le coût de revient par abonné pour un opérateur efficace soit de 5,3 euros inférieur aux tarifs prévus dans la proposition de révision tarifaire présentée en février 2010 par la société La Réunion Numérique, en fixant à tout le moins les frais d’accès au service à 54 euros, en supprimant les frais de résiliation, et en prévoyant, à l’avenir, la répercussion automatique des évolutions tarifaires des offres d’accès et de collecte de la société France Télécom sur les offres de la société La Réunion Numérique ;
ainsi que les modalités de migration des lignes des clients de la société Mobius qui utilisent une offre proposée par un autre opérateur de gros vers l’offre « DSL Grand Public », comportant la dispense du paiement par la société Mobius des frais d’accès pendant au moins six mois ;
2) de définir les conditions techniques des offres de la société La Réunion Numérique assurant un traitement parfaitement étanche des informations d’accès, notamment interdisant la sous-traitance du système d’information de l’exploitant du réseau à un fournisseur de service sur le marché de détail ;
3) demander à la société La Réunion Numérique la communication :
o de la comptabilité séparée des activités déléguées tenue en application du III de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales (ci-après CGCT) ;
o des conditions financières de la convention de délégation telles qu’elles figurent, notamment, en annexe 11 à cette convention ;
o des contrats de sous-traitance établis entre la société La Réunion Numérique et ses actionnaires, notamment la société Mediaserv ;
4) fixer la date d’applicabilité des nouvelles conditions techniques et tarifaires que l’Autorité déterminera à la date de notification de la décision de règlement de différend et de conditionner la commercialisation de la version multicast de l’offre « DSL Grand Public » à l’entrée en vigueur des nouvelles conditions tarifaires et à la mise en place opérationnelle d’un système d’information totalement indépendant de tout fournisseur sur le marché de détail ;
5)enjoindre à la société La Réunion Numérique de proposer sans délai à la région une révision du catalogue de ses offres, conforme aux conditions techniques et tarifaires équitables déterminées par l’Autorité ;
6) saisir l’Autorité de la concurrence des pratiques entravant le libre exercice de la concurrence à La Réunion connues à l’occasion de la présente affaire.
La société Mobius soutient que :
- l’Autorité est compétente pour régler le différend sur le fondement des articles L. 36-8 du CPCE et L. 1425-1 du CGCT, compte tenu de la qualité d’opérateur des parties et de l’objet du différend, dès lors qu’un réseau d'initiative publique ne fait pas obstacle à la compétence de l'Autorité pour préciser le caractère équitable de l’accès ; que les négociations ont échoué, dès lors, d’une part, que la société La Réunion Numérique n’a pas donné de suite favorable aux demandes que la société Mobius lui a adressées par de nombreux courriers concernant le caractère excessif des tarifs de l'offre d'hébergement ainsi que le niveau, la structure tarifaire et la périodicité de facturation de l'offre de location de fibre noire optique, les conditions financières de l'offre « DSL Grand Public » et des conditions spéciales de migration de ses clients vers l’offre « DSL Grand Public » de la société La Réunion Numérique ;
- la société La Réunion Numérique bénéficie de la mise à disposition du réseau Gazelle, financé sur fonds publics, à un niveau attractif de 103 000 euros par an et d’une subvention à hauteur de 12.9 millions d’euros par la Région, soit 72 % de l’investissement ;
- les tarifs des offres proposées par la société La Réunion Numérique sont fixés à un niveau excessif, la structure tarifaire de ces offres est inadaptée et les modalités de paiement sont abusives, alors pourtant que ces offres sont indispensables compte tenu de l’absence d’autres ressources en fibre noire disponible et d’autres d’offres permettant d’offrir un service de télévision sur toute l’île de La Réunion ;
- la société La Réunion Numérique utilise comme levier le caractère incontournable de son monopole sur l'infrastructure Gazelle pour l'étendre aux prestations d'hébergement et « DSL Grand Public » ;
- la confusion des moyens matériels, humains et financiers entre les sociétés La Réunion Numérique et Mediaserv conduit à un traitement discriminatoire dans la fourniture d’informations et les processus techniques de commandes, en méconnaissance des dispositions de l’article D. 99-6 du CPCE, dès lors que la société Mediaserv peut accéder en priorité aux informations techniques relatives aux offres de la société La Réunion Numérique, notamment celles relatives au mode multicast de l’offre « DSL Grand Public » ; les conditions tarifaires des offres de la société La Réunion Numérique sont telles que leur surcoût ne peut être supporté que par un opérateur intégré ;
- une baisse des tarifs ne remettrait pas en cause l’équilibre économique de la délégation.
Sur les conditions tarifaires de l'offre d'hébergement, la société Mobius soutient, en particulier, que :
- le tarif de l'hébergement par la société La Réunion Numérique est plus de trois fois et demi plus élevé qu'un hébergement sur des NRA similaires de la société France Télécom en métropole pour les 20 NRA listés par la société La Réunion Numérique, qu’il est sans rapport avec les tarifs pratiqués par d'autres collectivités de l'île et qu’il ne reflète pas les coûts que la société La Réunion Numérique supporte effectivement ;
- les tarifs proposés par la société La Réunion Numérique ne sont pas favorables à l'aménagement : une tarification acceptable uniquement sur les NRA de moins de 500 lignes ne permet pas de densifier le réseau ;
- les évolutions envisagées par la société La Réunion Numérique ne répondent pas aux besoins de la société Mobius.
Sur les conditions tarifaires de l’offre de location de fibre noire, la société Mobius soutient, en particulier, que :
- les tarifs sont sans rapport avec les coûts supportés par le délégataire, dans un rapport de 1 à 15 et supérieurs de 60 % à ceux de la société France Télécom sur un tronçon « incontournable » ;
- la structure tarifaire de l’offre de la société La Réunion Numérique est inadaptée à l’architecture du réseau Gazelle, beaucoup moins dense et proposant moins de tracés directs que celui de l’opérateur historique et devrait, par exemple, utiliser un paramètre de mètre linéaire à la « distance client » et non à la « distance réseau » ;
- le caractère prohibitif de l’offre est renforcé par la périodicité annuelle de la facturation.
Sur les conditions tarifaires de l’offre « DSL Grand Public », la société Mobius soutient, en particulier, que :
- les écarts constatés entre les tarifs pratiqués par la société La Réunion Numérique et les coûts d’un opérateur efficace sont de l’ordre de 30 % et les écarts avec les tarifs de la société France Télécom pour les frais d’accès au service (FAS) et les frais de résiliation sont très importants ;
- la proposition d’évolution tarifaire de février 2010 laisse subsister un surcoût de près de 6 euros par ligne et par mois, surcoût qui ne peut descendre en dessous de 5,2 euros par mois et par ligne en cas de bénéfice d’une remise aux volumes ; la baisse tarifaire proposée pour les FAS est en réalité compensée par l’instauration de frais complémentaires pour des prestations que la société Mobius n’utilise pas ;
- l’enrichissement de l’offre par la possibilité de fournir un service de télévision par l’activation du mode multicast aggravera la distorsion de concurrence profitant à la société Mediaserv dès lors que les opérateurs souscrivant actuellement à l’offre bitstream de la société France Télécom comme solution d’attente devront payer à nouveau des FAS en souscrivant à la version multicast de l’offre « DSL Grand Public » ; des conditions spéciales de migration doivent donc être prévues, comme une dispense de FAS pendant le délai nécessaire pour basculer les clients vers l’offre de la société La Réunion Numérique.
Vu le courrier du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 11 mars 2010 transmettant aux parties le calendrier prévisionnel de dépôt des observations et désignant les rapporteurs ;
Vu les observations en défense enregistrées le 7 avril 2010, présentées par la société La Réunion Numérique SAS, RCS de Saint-Denis (Réunion) n° B 500 118 369, dont le siège social est situé 7 rue Henri Cornu, 97490 Sainte Clotilde, représentée par Maîtres Anne-Solène Gay et Anne-Laure-Hélène des Ylouses du cabinet SELARL YGMA ;
La société La Réunion Numérique demande à l’Autorité de :
- rejeter les demandes de la société Mobius ;
- donner acte du caractère équitable, justifié et non discriminatoire des offres de la société La Réunion Numérique.
La société La Réunion Numérique soutient, à titre principal que :
- l’Autorité est incompétente pour connaître des conditions techniques et tarifaires d’une délégation de service public dès lors que les clauses tarifaires de la délégation ont un caractère réglementaire et que le contrôle de l’exécution de la convention relève uniquement de la responsabilité du délégant, sous le contrôle du juge administratif ;
- l’Autorité est incompétente pour faire droit à la demande de communication de documents administratifs et contractuels protégés du secret des affaires, relevant de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
- la demande de la société Mobius est irrecevable, en l’absence d’échec des négociations dès lors que, en qualité de délégataire, La Réunion Numérique n’est pas décisionnaire sur les évolutions du catalogue, que la société La Réunion Numérique a soumis plusieurs propositions de modifications à la Région, laquelle n’a pu prendre une décision en raison de l’attitude obstructive de la société Mobius et, concernant l’offre de location de fibre noire, que la société Mobius a choisi une offre alternative proposée par la société La Réunion Numérique ;
- son activité contribue à l’animation de la concurrence sur les marchés de gros de l’accès à La Réunion, auparavant en situation de quasi-monopole ;
- le taux de couverture du réseau de la société La Réunion Numérique est actuellement supérieur à celui des réseaux des opérateurs alternatifs, de sorte que 80 % des lignes de la société France Télécom peuvent être dégroupées en passant par le réseau de la société La Réunion Numérique, probablement 92 % fin avril 2010 et 100 % en juillet 2010 ;
- la société La Réunion Numérique propose des offres relevant des marchés 4 (marché de gros des offres d’accès aux infrastructures physiques constitutives de la boucle locale filaire) et 5, sur lesquels la société France Télécom est en position dominante ;
- la société France Télécom n’ayant, en tant qu’opérateur puissant sur le marché de gros des offres d’accès haut débit activées (dit « marché 5 »), aucune obligation d’orientation vers les coûts, la société La Réunion Numérique, qui n’est pas un opérateur puissant, ne peut, à plus forte raison, se voir imposer une telle obligation ;
- la société La Réunion Numérique propose des offres adaptées aux contraintes techniques et réglementaires, et à la préservation de la concurrence.
A titre subsidiaire, la société La Réunion Numérique soutient que :
- les tarifs qu’elle propose sont dans la moyenne des tarifs des réseaux d’initiative publique domiens et métropolitains et sont pertinents par comparaison avec les offres de la société France Télécom, ainsi que le démontre le fait que les offres sont largement utilisées par la grande majorité des opérateurs à La Réunion ;
- les comparaisons avancées par la société Mobius ne prennent pas en compte les coûts complémentaires facturés par la société France Télécom.
Sur les conditions tarifaires de l'offre d'hébergement, la société La Réunion Numérique soutient que :
- les différentes comparaisons de tarifs effectuées par la société Mobius ne sont pas pertinentes ;
- l’objectif de la politique publique mise en place est de faciliter le déploiement des équipements des opérateurs dans les petits NRA du fait de leur moindre rentabilité ;
- la société La Réunion Numérique ne concurrence pas les offres pratiquées sur des sites construits par des établissements publics de coopération intercommunale ;
- la révision de la tarification de l’offre d’hébergement en armoire de rue mettrait à mal l’offre la plus avantageuse de la société La Réunion Numérique, c’est-à-dire l’offre « DSL Grand Public » ;
- le caractère incontournable de l’offre de la société La Réunion Numérique n’est pas démontré dès lors qu’un opérateur nouveau sur le marché, la société SRR, a choisi l’installation de ses propres armoires de rue, pour dégrouper en propre les NRA les plus importants.
Sur les conditions tarifaires de l’offre de location de fibre noire, la société La Réunion Numérique soutient que :
- les tarifs de l’offre de location de la boucle principale Gazelle sont au minimum 25 % moins chers que ceux de la société France Télécom, lorsque l’offre existe ;
- elle supporte d’autres charges que la redevance payée à la Région, notamment de maintenance, d’astreinte, des droits de passage des fourreaux sur les domaines public et privé et des redevances versées à EDF pour l’utilisation de ses infrastructures ;
- seules 4 fibres sont effectivement commercialisées par la société La Réunion Numérique ;
- la demande de la société Mobius de tarification « à vol d’oiseau » n’est pas légitime en ce qu’elle n’est pas conforme au standard national du mètre linéaire en matière de fibre optique noire ;
- la société Mobius ne peut prétendre que l’offre de la société France Télécom serait moins chère, dès lors que la société France Télécom impose un délai de 40 semaines et que, en souscrivant à l’offre de bande passante Ethernet, la société Mobius fait une économie de 13 000 euros par an par rapport à l’offre de la société France Télécom ;
- les fibres optiques noires de la société La Réunion Numérique emprunte les mêmes axes routiers que celles de la société France Télécom ;
- dans une perspective de baisse des tarifs, la société La Réunion Numérique et la Région envisagent actuellement de récupérer des fibres existantes sur la route du littoral, afin de réduire la longueur du tronçon ;
- les offres d’hébergement en armoire de rue et l’offre de location de fibre optique noire ont une facturation annuelle, en conformité avec l’ensemble des autres délégations de service public en métropole et outremer.
Sur les conditions techniques et tarifaires de l’offre « DSL Grand Public », la société La Réunion Numérique soutient que :
- l’offre « DSL Grand Public » cumule les caractéristiques des offres de dégroupage (ci- après « option 1 ») et de bitstream de la société France Télécom ;
- les FAS de la société La Réunion Numérique sont forfaitaires et comprennent toutes les prestations qui peuvent être facturées par la société France Télécom dans le cadre du dégroupage de la boucle locale ;
- l’offre « DSL Grand Public » est plus avantageuse en tant qu’elle propose au même prix des services ne figurant pas au catalogue de la société France Télécom ;
- dès lors qu’elle utilise les offres « option 1 » de la société France Télécom, et non l’offre bitstream de la société France Télécom, elle supporte des frais de résiliation prévus par l’offre de dégroupage de la boucle locale de la société France Télécom ;
- afin de s’approcher d’une facturation au réel et de réduire le montant du forfait d’activation, la société La Réunion Numérique a proposé à la Région dès la fin mars 2009 de baisser les tarifs des FAS et de refacturer les frais ponctuels comme les frais de signalisation transmise à tort, d’expertise à tort et de commande non-conforme ; la dernière proposition de baisse tarifaire a été présentée aux opérateurs lors du comité des utilisateurs du réseau Gazelle du 9 février 2010, soit un mois avant la saisine de l’Autorité par la société Mobius ;
- l’étude effectuée par le cabinet TERA Consultants procède à une utilisation inappropriée du modèle règlementaire de l’Autorité ;
- pour un client opérateur efficace, les tarifs proposés par la société La Réunion Numérique sont donc inférieurs à ceux pratiqués actuellement par la société France Télécom ;
- le déploiement en dégroupage en propre des plus gros NRA de la société Mobius ne semble pas avoir été freiné.
« Très subsidiairement et à titre très superfétatoire », la société La Réunion Numérique soutient qu’il n’existe pas de confusion entre les sociétés La Réunion Numérique et
Mediaserv et que, en tout état de cause, une éventuelle violation de l’article D. 99-6 du CPCE ne peut être sanctionnée que dans le cadre de l’article L. 36-11 du CPCE.
Vu les nouvelles observations enregistrées le 21 avril 2010, présentées par la société Mobius par lesquelles elle maintient ses conclusions ;
La société Mobius demande, en outre, à l’Autorité :
- d’ordonner à la société La Réunion Numérique la production du contrat de sous- traitance du système d’information à la société Mediaserv ;
- d’ordonner à la société La Réunion Numérique de fournir l’ensemble de ses frais afférents à la boucle initiale du réseau Gazelle ;
- d’enjoindre à la société La Réunion Numérique d’établir un compte séparé des coûts et des revenus du poste « Frais d’accès » de l’offre « DSL Grand Public » et de reverser à la Région l’éventuel solde positif de ce compte.
La société Mobius ajoute que :
- l’Autorité est compétente pour intervenir sur le tarif de prestations non régulées dans le cadre d’un règlement de différend ;
- la société La Réunion Numérique est tenue à une obligation de garantie des conditions d’accès adéquates et équitables, même si elle n’est pas en position dominante sur le marché de gros de l’île de La Réunion ;
- la société La Réunion Numérique ne se conforme pas à son obligation de justifier ses tarifs, ni ne produit de document financier ou comptable permettant de justifier ses coûts ;
- la proposition de révision tarifaire de la société La Réunion Numérique à la Région n’a toujours pas été matérialisée et, en tout état de cause, est insuffisante ;
- elle ne demande pas à la société La Réunion Numérique de pratiquer des tarifs orientés vers les coûts intégrant la subvention mais de pratiquer une orientation vers les coûts d’un opérateur efficace non subventionné, tel que le modélise l’Autorité ;
- sur l’offre d’hébergement en armoire de rue, l’enjeu du présent litige concerne les NRA de taille moyenne et les NRA ruraux ;
- sur l’offre de location de fibre noire, la société La Réunion Numérique ne fournit pas d’éléments de coûts réels ;
- sur l’offre « DSL Grand Public », la société La Réunion Numérique ne justifie pas ses prix actuels mais argumente sur des propositions d’évolution.
Vu les courriers de l’adjoint au directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 22 avril 2010, transmettant un questionnaire aux parties et fixant au lundi 17 mai 2010, la clôture des réponses ;
Vu le courrier de l’adjoint au directeur des affaires juridiques en date du 22 avril 2010 transmettant un questionnaire à la Région Réunion et fixant au lundi 10 mai 2010 la clôture des réponses ;
Vu les nouvelles observations en défense enregistrées le 5 mai 2010, présentées par la société La Réunion Numérique par lesquelles elle maintient ses conclusions ;
La société La Réunion Numérique ajoute que :
- l’annexe financière de la délégation de service public ne contient ni les conditions techniques, ni les conditions financières, ni la comptabilité retraçant les dépenses et les recettes afférentes aux activités visées par le II de l’article L. 1425-1 du CGCT ;
- l’hébergement étant dans un espace limité à une armoire de rue, il n’existe pas d’offre équivalente dans le catalogue de la société France Télécom ou dans les autres délégations de service public ;
- la société La Réunion Numérique ne bénéficie pas de tarifs préférentiels d’occupation du domaine public du fait de son statut de délégataire de service public ni d’un droit de passage privilégié ; enfin, si les tarifs étaient baissés, cette offre cannibaliserait l’offre phare de la délégation de service public, l’offre « DSL Grand Public », en permettant aux opérateurs de dégrouper tous les NRA aux frais de la société La Réunion Numérique ;
- la demande de la société Mobius relative à l’établissement d’une comptabilité spécifique aux FAS est disproportionnée puisque l’équilibre de la délégation s’apprécie au regard du plan d’affaires global et non poste par poste ;
- la société Mobius a reçu les spécifications techniques de la version multicast de l’offre « DSL Grand Public » par un courriel en date du 29 janvier 2010, auquel elle a répondu le 30 janvier 2010 ;
Vu les réponses enregistrées le 10 mai 2010, apportées par la Région Réunion au questionnaire des rapporteurs ;
Vu les réponses enregistrées le 17 mai 2010, apportées par les sociétés Mobius et La Réunion Numérique au questionnaire des rapporteurs ;
Vu les réponses complémentaires enregistrées le 28 mai 2010, présentées par la société Mobius, relatives au questionnaire adressé par les rapporteurs ;
Vu le courrier du directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 28 mai 2010 informant les parties que la date d’audience est fixée au 24 juin 2010 ;
Vu les nouvelles observations enregistrées le 31 mai 2010, présentées par la société Mobius, relatives aux réponses de la société La Réunion Numérique au questionnaire des rapporteurs ;
Vu les réponses complémentaires enregistrées le 7 juin 2010, présentées par la société La Réunion Numérique au questionnaire des rapporteurs ;
Vu le courrier de l’adjoint au directeur des affaires juridiques de l’Autorité en date du 11 juin 2010 demandant à la Région Réunion un complément aux réponses qu’elle a adressées le 10 mai 2010 ;
Vu les réponses complémentaires enregistrées le 16 juin 2010, présentées par la Région Réunion au questionnaire des rapporteurs ;
Vu le courrier de la société Mobius, enregistré le 17 juin 2010, souhaitant que l'audience devant le collège soit publique ;
Vu le courrier de la société La Réunion Numérique, enregistré le 17 juin 2010 souhaitant que l'audience devant le collège ne soit pas publique ;
Vu les observations complémentaires enregistrées le 18 juin 2010, présentées par la société Mobius relatives aux réponses complémentaires de la Région Réunion au questionnaire des rapporteurs ;
Vu les nouvelles observations en défense enregistrées le 18 juin 2010, présentées par la société La Réunion Numérique ;
Après avoir entendu le 24 juin 2010, lors de l'audience devant le collège (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mme Joëlle Toledano et MM. Édouard Bridoux, Nicolas Curien, Daniel-Georges Courtois et Denis Rapone) :
- le rapport de M. Jeremy Bonan, rapporteur présentant les conclusions et les moyens des parties ;
- les observations de M. Yann de Prince, de Maître Martine Georges-Naïm du Cabinet Bersay et de M. Antoine Fournier du Cabinet TERA Consultants, pour la société Mobius ;
- les observations de M. Ehsan Emami, de Maîtres Anne-Solène Gay et Anne-Laure Hélène des Ylouses du Cabinet YGMA, pour la société La Réunion Numérique ;
En présence de :
- M. Boris Clausse et Mme Julie Deneux, et de Maître Sophie Papon du Cabinet Bersay, pour la société Mobius ;
- M. Frédéric Douarin, et de M. Mohsen Hassan Zadeh du Cabinet YGMA, pour la société La Réunion Numérique ;
- MM. François Lions, Michel Combot, Joël Mau, Stéphane Hoynck, Laurent Perrin, Guillaume Méheut, Thomas Hoarau, Francesco Materia, et de Mmes Patricia Lewin, Clémentine Maudoux et Sandrine Thiébaud, agents de l'Autorité ;
Sur la publicité de l'audience
L'article 15 du règlement intérieur susvisé dispose que : « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe, le collège de l'Autorité en délibère ». La société La Réunion Numérique a indiqué par courrier du 17 juin 2010 qu’elle souhaitait que l’audience ne soit pas publique. Interrogée sur ce point par le président de l’Autorité avant l'ouverture des débats de l'audience, la société La Réunion Numérique a indiqué qu'elle ne s'opposait pas à ce que l'audience soit publique, comme le souhaitait la société Mobius.
Le collège (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, Mme Joëlle Toledano et MM. Édouard Bridoux, Nicolas Curien, Daniel Georges-Courtois et Denis Rapone) en ayant délibéré le 1er juillet 2010, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après.
1. Sur le contexte du règlement de différend
1.1. Les actions liminaires de la Région Réunion
La Région Réunion a engagé en 1998 une réflexion sur les problématiques du haut débit. Un schéma directeur des télécommunications a alors été adopté afin de définir une stratégie d’aménagement du territoire dont les objectifs principaux étaient « [d’assurer] une desserte cohérente de l’espace réunionnais » et de « faciliter une offre de services publics de qualité et le déploiement de nouveaux services » pour les citoyens et les entreprises, dans un souci de solidarité territoriale et de compétitivité1.
En 2002, la Région a lancé une étude concernant le développement du haut débit à La Réunion autour de trois questions : l’accès à l’internet haut débit sur la boucle locale, la disponibilité de réseaux de collecte et les communications intercontinentales et internationales. L’étude concluait que :
« Finalement, à l’exception de France Télécom, l’ensemble des opérateurs s’accordent sur l’intérêt de louer des fibres optiques (posées par la collectivité) à un gestionnaire d’infrastructure neutre (GIN), aucune offre d’accès à des infrastructures à haut débit n’existant sur l’île.
Une intervention de la force publique apparaît donc indispensable pour réaliser une infrastructure mutualisée à haut débit ceinturant l’île et mise à disposition de l’ensemble des opérateurs et fournisseurs de services dans des conditions transparentes, équitables et non discriminatoire »2.
La Région Réunion a, en conséquence, décidé de construire et de déployer un réseau composé de fibres optiques et de faisceaux hertziens, ainsi que le génie civil nécessaire correspondant. La Région a déployé avec la société EDF une dorsale de 223 kilomètres composée de 48 fibres optiques (dont 12 utilisées par EDF) en utilisant les lignes à haute tension. La Région dispose du reliquat de fibres soit 36 fibres optiques sur la dorsale. À cette dernière, s’ajoutent les bretelles de raccordement vers certains sites prioritaires : ceux des opérateurs, notamment ceux de la société France Télécom qui « sont naturellement accessibles aux autres opérateurs dans le cadre du dégroupage »3, des établissements de santé et d’enseignement supérieur, ainsi qu’un point de présence par commune non encore desservie par un point de raccordement au réseau de collecte de la Région.
L’investissement total prévisionnel s’élevait à 19,3 millions d’euros répartis entre l’établissement de la dorsale comprenant plusieurs raccordements (8,6 millions d’euros dont 5,9 millions d’euros pour la seule dorsale) et les bretelles de raccordement (10,6 millions d’euros)4.
1.2. La délégation de service public de mise à disposition du Réseau Régional à haut débit Gazelle
La Région Réunion a ensuite décidé de déléguer la gestion du réseau Gazelle. Elle constatait que « l’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications depuis 1998 s’est concrétisée plus récemment sur la boucle locale avec le dégroupage de la boucle locale filaire (…) » mais que, « d’une manière générale les initiatives des opérateurs ne s’inscrivent pas dans des perspectives d’aménagement du territoire » au risque d’empêcher le « développement équitable » de « l’offre de services à haut débit à un prix abordable » sur l’ensemble du territoire5.
Pour les raisons exposées ci-dessus, la Région justifiait son intervention sur le marché des communications électroniques et a défini les objectifs poursuivis par la délégation de service public :
« Le potentiel sur la boucle locale à La Réunion présente de grandes opportunités pour les populations, ménages, professionnels et services publics, du fait notamment d’une politique volontariste des FAI (fournisseurs d’accès internet) locaux, de la présence d’opérateurs de télécoms désireux de proposer des services dans le cadre du dégroupage et par leurs technologies propres. De par sa configuration socio-géographique, le territoire réunionnais reste donc un formidable potentiel de développement de la concurrence pour autant que les opérateurs puissent se déployer sur les boucles locales via un réseau neutre de collecte régional.
Le Conseil régional de La Réunion a donc engagé une étude stratégique pour le développement des TIC sur son territoire qui a notamment mis en relief des risques importants de déséquilibre dans l’aménagement du territoire et le développement compte tenu des fortes disparités géographiques en matière d’accès aux services de communications électroniques à haut débit. (…)
L’objectif de ce réseau mutualisé est de mettre en place un service public de mise à disposition d’un réseau régional à haut débit afin de dynamiser l’offre « haut débit » aux Réunionnais en créant une infrastructure performante de collecte du trafic de communications électroniques couvrant l’ensemble de l’île et favorisant ainsi l’aménagement du territoire et la diversité des services au niveau local. (…)
La mise en œuvre du réseau consiste en la définition d’une architecture de réseau répondant aux besoins des opérateurs de communications électroniques et des communautés publiques, mais également aux impératifs d’aménagement du territoire que se fixe la Collectivité »6.
La Région précise ensuite les impacts attendus de la mise en œuvre du réseau qui sont :
« l’accès des opérateurs aux capacités de transport » et « la disponibilité et la diversification des services fournis par les Usagers du Réseau Régional aux utilisateurs finals dans des conditions de qualité optimale et aux meilleurs tarifs ».7
La candidature du groupement d’entreprises composé des sociétés Mediaserv, Sogetrel et LD Collectivités a été sélectionnée par le Conseil régional dans le cadre de la procédure de délégation du service public qui comprend la mise à disposition du réseau régional à haut débit Gazelle pour une durée de douze ans. Cette infrastructure se compose de la dorsale principale, des liaisons complémentaires et des fourreaux disponibles8.
Cette infrastructure mise à la disposition du délégataire est complétée par les ouvrages réalisés par le délégataire lui-même. Ces ouvrages se composent notamment de la fourniture des équipements pour les onze NRA et les dix sites déjà raccordés par la Région, du raccordement des autres NRA et du onzième site d’intérêt régional, le raccordement de tout nouveau local technique du réseau de la société France Télécom permettant la mise en œuvre du dégroupage de la boucle locale et de tous les nouveaux sites d’intérêt régional désignés par la Région et enfin, la mise à disposition des locaux d’hébergement à proximité des onze NRA susvisés et pour les autres NRA en fonction des besoins exprimés par les opérateurs-usagers. L’annexe 3 de la convention de DSP complète la liste des sites à raccorder et récapitule l’origine et le statut des linéaires du réseau mis à disposition ou à construire. Le contrat prévoit donc la mise à disposition au délégataire de 355 248 mètres linéaires de réseau et la réalisation par celui-ci de 50 527 mètres linéaires de réseau.
Le contrat de délégation de service public prévoit une contrepartie à la mise à disposition de l’infrastructure financée directement par la Région. Cette contrepartie est une redevance dont le montant s’élève à 1 133 000 euros, divisée en onze annuités de 103 000 euros chacune, payables tous les ans à compter de la deuxième année d’exécution de la convention et indexées sur l’indice de révision prévu en annexe 11 du contrat10.
Les ouvrages constitutifs du réseau réalisés par le délégataire bénéficient d’une participation de la Région. La participation de la Région est d’un montant maximal de 12 949 000 euros, soit 72 % du coût total prévisionnel des investissements de premier établissement réalisés par le délégataire. L’engagement du délégataire porte à la fois sur le périmètre et le montant (17 985 521,52 euros) des investissements à réaliser11.
1.3. La position des sociétés Mobius et La Réunion Numérique sur le marché
1.3.1. La société Mobius : opérateur de détail à La Réunion
Le marché de détail du haut débit se fonde en très grande majorité sur les offres d’accès utilisant la technologie DSL sur le réseau de boucle locale cuivre de la société France Télécom.
La société Mobius est un opérateur alternatif dont la marque Izi est présente sur le marché de détail du haut débit à La Réunion depuis 2000 avec des offres DSL.
Sur le marché de détail haut débit à La Réunion, il existe un écart tarifaire important en fonction des opérateurs et des services proposés. À titre d’exemples, il existe les deux offres de détail suivantes :
- une offre dual play de la société Mobius (incluant un accès internet haut débit incluant 4 gigaoctets de données en téléchargement et un service de téléphonie fixe illimitée vers les numéros Izi) vendue 19,99 euros ;
- une offre triple play de la société France Télécom (incluant les téléchargements illimités, la téléphonie illimitée et un service de télévision par satellite) vendue 69,99 euros.
Un opérateur alternatif tel la société Mobius dispose aujourd’hui de deux catégories d’offres de gros, complémentaires géographiquement, pour constituer ses offres de détail haut débit DSL :
- le dégroupage de la boucle locale cuivre de la société France Télécom ;
- les offres haut débit activées, dites « bitstream ».
Pour être en mesure d’utiliser l’offre de dégroupage de la société France Télécom, un opérateur alternatif doit, d’une part, installer ses propres équipements actifs (DSLAM) au plus proche du répartiteur général, c'est-à-dire soit au sein du Nœud de raccordement d’abonnés (NRA) de la société France Télécom, soit à proximité immédiate dans un local technique approprié et, d’autre part, raccorder ces équipements actifs à son réseau de collecte.
Dans la mesure où le dégroupage permet de maitriser la plus grande partie de la chaîne de valeur et de proposer des offres de détail innovantes, un opérateur alternatif vise à maximiser sa couverture en dégroupage et à n’avoir recours à des offres activées qu’en complément géographique pour adresser l’ensemble du marché.
Au cas d’espèce, pour l’hébergement de ses équipements actifs, la société Mobius peut :
- souscrire à une offre de colocalisation de la société France Télécom, sous réserve d’espace disponible à l’intérieur du NRA ;
- souscrire à l’offre de localisation distante de la société France Télécom et construire son hébergement à proximité immédiate du NRA ;
- souscrire à l’offre d’hébergement de la société La Réunion Numérique.
Pour le raccordement de ses équipements actifs à son réseau de collecte, la société Mobius peut :
- déployer son propre de réseau de fibre optique jusqu’au NRA ;
- souscrire à l’offre de gros de « offre de lien fibre optique » (dite « LFO ») de la société France Télécom, sous réserve de disponibilité ;
- souscrire à une des offres de fibre optique de la société La Réunion Numérique.
Par ailleurs, en ce qui concerne les offres haut débit activées, la société Mobius peut souscrire à :
- l’offre bitstream de la société France Télécom,
- l’offre « DSL Grand Public » de la société La Réunion Numérique.
Fin 2009, le taux de pénétration du haut débit sur le marché de détail était de 52 % des lignes à La Réunion. Pour les besoins des analyses suivantes, il est raisonnable, comme l’a fait la société Mobius dans ses écritures, de considérer qu’un opérateur efficace a aujourd’hui 20 % de parts de marché. En effet, cette hypothèse, qui est celle du modèle règlementaire de l’accès en vigueur12, peut être considérée comme la part de marché prospective d’un opérateur tel que Mobius qui dispose actuellement d’environ 15 % de part de marché sur le marché de détail du haut débit à La Réunion. Compte tenu de la structure du réseau de la société France Télécom, il apparaît ainsi économiquement rentable pour la société Mobius de dégrouper les NRA de plus de 3 500 lignes de La Réunion, ce qui représente une couverture en dégroupage de l’ordre de 75 % des lignes, et de souscrire à une offre haut débit activée en complément.
1.3.2. La société La Réunion Numérique
La société La Réunion Numérique est un opérateur d’opérateurs présent à La Réunion depuis 2008.
La société La Réunion Numérique est notamment présente sur les trois marchés de gros suivants :
- le marché de gros des offres haut débit activées, via son offre « DSL Grand Public » ;
- le marché de gros des prestations d’hébergement des équipements actifs pour le dégroupage, via son offre d’hébergement en shelter ou en armoire de rue ;
- le marché de gros de la mise à disposition de fibre optique noire sur le réseau de collecte.
Jusqu’alors, la société France Télécom était le seul opérateur présent sur ces marchés de gros, et donc le fournisseur exclusif des opérateurs présents sur le marché de détail.
La société La Réunion Numérique est en outre investie d’une mission de service public par la Région Réunion qui consiste, d’une part, à couvrir la totalité du territoire réunionnais et, d’autre part, à promouvoir le développement de la concurrence sur le marché de détail, notamment en favorisant la couverture en dégroupage en propre par les opérateurs de détail.
Les offres de gros de la société La Réunion Numérique visent à satisfaire la demande d’un opérateur alternatif tel que la société Mobius. Un opérateur de détail efficace s’oriente d’une part, vers les offres d’hébergement et de collecte en fibre optique pour dégrouper 75 % des lignes, et, d’autre part, vers l’offre haut débit activée pour le quart restant des lignes. À ce titre, il est attendu que la société La Réunion Numérique vise à maximiser l’usage de ses offres de gros en adéquation avec la demande d’un opérateur alternatif, tel que la société Mobius, en proposant des tarifs raisonnables pour ses prestations d’hébergement et de collecte et en proposant, en complément, une offre haut débit activée la plus complète en termes de services – permettant, par exemple, la télévision par DSL – et de couverture géographique.
1.4. Le catalogue des services de la société La Réunion Numérique
Le catalogue des services de la société La Réunion Numérique récapitule l’ensemble des offres de la société La Réunion Numérique. La convention de délégation de service public prévoit que le catalogue peut évoluer sur proposition du délégataire après accord de la Région. L’Autorité a eu connaissance d’une modification du catalogue, à la suite de l’avenant n° 1 signé le 22 octobre 2008, et de quatre propositions de modification du catalogue qui n’ont jamais été mises en œuvre. Ces projets de révision du catalogue des services ont été présentés successivement en septembre 2009, décembre 2009, février 2010 et juin 2010.
2.Sur la compétence de l’Autorité pour connaître des conclusions de la société Mobius relatives aux offres d’hébergement en armoire de rue, de location de fibre noire et « DSL Grand Public »
La société Mobius demande à l’Autorité de déterminer les conditions techniques et tarifaires équitables de trois offres de la société La Réunion Numérique : les offres d’hébergement en armoire de rue, de location de fibre noire et « DSL Grand Public ».
Aux termes du I de l’article L. 36-8 du CPCE, l'Autorité peut être saisie d'un différend entre deux parties « en cas de refus d’accès ou d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques (…). Sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ».
Le II de l’article L. 36-8 du CPCE ajoute qu’ : « en cas d'échec des négociations commerciales, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également être saisie des différends relatifs à la mise en œuvre des obligations des opérateurs prévues par le présent titre, (…) notamment ceux portant sur : /(…) 4° Les conditions techniques et tarifaires d'exercice d'une activité d'opérateur de communications électroniques ou d'établissement, de mise à disposition ou de partage des réseaux et infrastructures de communications électroniques visés à l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Elle se prononce sur ces différends dans les conditions de forme et de procédure prévues au I ».
Le III de l’article L. 1425-1 du CGCT rappelle que : « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est saisie, dans les conditions définies à l'article L. 36-8 du code des postes et communications électroniques, de tout différend relatif aux conditions techniques et tarifaires d'exercice d'une activité d'opérateur de communications électroniques ou d'établissement, de mise à disposition ou de partage des réseaux et infrastructures de communications électroniques visés au I. /Les collectivités territoriales, leurs groupements et les opérateurs de communications électroniques concernés lui fournissent, à sa demande, les conditions techniques et tarifaires faisant l'objet du différend, ainsi que la comptabilité retraçant les dépenses et les recettes afférentes aux activités exercées en application du présent article ».
Contrairement à ce que soutient la société La Réunion Numérique, la circonstance que l’opérateur offre les services faisant l’objet du litige dans le cadre d’une délégation de service public n’est pas de nature à exclure la compétence de l’Autorité pour connaître d’un litige relatif à l’accès ou l’interconnexion entre cet opérateur et un autre opérateur déclaré. Il appartient seulement à l’opérateur délégataire de prendre toutes les mesures permettant d’assurer la pleine application de la décision de règlement de différend, le cas échéant en saisissant l’autorité délégante conformément aux dispositions de la convention de délégation de service public applicables.
En outre, le 8° de l’article L. 32 du CPCE dispose que : « on entend par accès toute mise à disposition de moyens, matériels ou logiciels, ou de services, en vue de permettre au bénéficiaire de fournir des services de communications électroniques ». En l’espèce, les offres d’hébergement en armoire de rue, de location de fibre noire et « DSL Grand Public » sont des offres à l’accès.
Par conséquent et contrairement à ce que soutient la société La Réunion Numérique, l’Autorité est compétente pour connaître de la demande de la société Mobius relative aux conditions techniques et tarifaires des prestations relatives à l’accès, c’est-à-dire les offres d’hébergement en armoire de rue, de location de fibre noire et « DSL Grand Public ».
À cet égard, il y a lieu de relever qu’aucune des prestations objets du présent litige ne sont régulées ex ante. Par suite, ce n’est que dans la mesure où il apparaîtrait que les tarifs de ces prestations seraient inéquitables, notamment en comparaison avec ceux de prestations analogues proposées par d’autres opérateurs et de leurs disponibilités, que l’Autorité peut se substituer à l’appréciation de l’opérateur concerné quant au niveau de ces tarifs. Dans cette appréciation, la circonstance que la reconstitution des coûts d’une prestation serait de nature à révéler une marge par rapport au tarif de cette prestation ne suffit pas, par elle-même, à démontrer le caractère inéquitable de ce tarif.
De même, l’Autorité note que, dans le cas d’une délégation de service public, il n’est pas exclu que les coûts et les tarifs puissent dépendre d’une subvention d’investissement de premier établissement, de subventions croisées entre des offres bénéficiaires et déficitaires et de péréquation au sein d’une même offre. Au cas d’espèce, l’Autorité relève que, malgré ses demandes, elle n’a pas connaissance de mécanisme effectif de péréquation ou de subventionnement croisé, ni d’une éventuelle ventilation de la subvention d’investissement sur les offres de la société La Réunion Numérique.
3. Sur les conditions tarifaires de l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion NumériqueLa société Mobius demande à l’Autorité de fixer un tarif unique pour l’offre d’hébergement en armoire de rue, qui ne pourra être supérieur à une redevance annuelle d’hébergement de 5 000 euros hors taxes et une redevance annuelle de maintenance de 500 euros hors taxes.
3.1. Sur l’échec des négociations
Par un courrier en date du 30 octobre 2009, la société Mobius indique vouloir recourir à l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique, en faisant valoir que les tarifs de l'offre d'hébergement de la société La Réunion Numérique présentent un caractère excessif. Elle demande à la société La Réunion Numérique de réviser ses tarifs en fixant une redevance annuelle unique de 5 000 euros hors taxes et de 500 euros hors taxes pour la maintenance, applicable quelque soit le nombre de lignes.
Par un courriel en date du 18 novembre 2009, la société La Réunion Numérique indique qu’un délai de 15 jours n’est pas suffisant pour répondre à la demande de la société Mobius.
Le compte-rendu de la réunion du 17 décembre 2009 du « Comité des utilisateurs du réseau Gazelle », auquel la société Mobius était représentée et fait état d’une proposition d’évolution tarifaire, qu’un opérateur a jugé insuffisante.
Cependant, le compte-rendu de la réunion du 9 février 2010 du « Comité des utilisateurs du réseau Gazelle », à laquelle la société Mobius était aussi présente, ne fait pas état d’une proposition de modification des tarifs de l’offre d’hébergement en armoire de rue présentée par la Région ou la société La Réunion Numérique, mais de la possibilité de supprimer cette offre, à l’exception des petits NRA, si celle-ci est trop « perturbante ».
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations concernant les conditions tarifaires de l’offre d’hébergement en armoire de rue est caractérisé et que les conclusions de la société Mobius sont recevables.
3.2. Sur le fond
L’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique est disponible sur 48 des 68 NRA de La Réunion, et concerne près de 50 % des lignes.
Elle consiste, pour chaque NRA concerné, en la mise à disposition d’un emplacement pour l’hébergement d’un DSLAM dans une armoire de rue installée par la société La Réunion Numérique à proximité du NRA, et de tout l’environnement nécessaire – énergie, climatisation, renvois cuivre vers le NRA de France Télécom – pour l’activation d’accès dégroupés.
L’opérateur client de la prestation d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique souscrit ainsi, une fois son DSLAM installé, à l’offre de dégroupage de la société France Télécom et se fait livrer ses accès dégroupés au niveau des câbles de renvoi distants installés par la société La Réunion Numérique.
Les tableaux ci-après présentent, respectivement, la situation de l’offre d’hébergement de La Réunion Numérique et les tarifs de l’offre d’hébergement en armoire de rue.
3.2.1. Sur le caractère élevé des tarifs de l’hébergement de la société La Réunion Numérique par rapport aux tarifs proposés par la société France Télécom
La prestation d’hébergement en armoire de rue constitue un maillon essentiel pour la société Mobius dans la construction de son offre DSL fondée sur le dégroupage, dans la mesure où il lui est nécessaire d’héberger ses équipements actifs au plus proche du répartiteur général de la société France Télécom.
La société France Télécom propose aujourd’hui une prestation de colocalisation au sein de ses NRA pour l’hébergement des équipements actifs. Néanmoins, pour un NRA donné, cette prestation est soumise à la disponibilité d’espace dans le bâtiment de la société France Télécom. Or, ainsi que l’Autorité l’a récemment souligné dans son rapport sur l’outre-mer13, il apparaît que « le problème de saturation des NRA se pose davantage outre-mer qu’en métropole, en raison de la taille plus petite des NRA » et que « la forte croissance de la population, et donc du nombre de lignes, peut contribuer à expliquer certaines difficultés rencontrées » par les opérateurs alternatifs pour héberger leurs équipements actifs dans le cadre du dégroupage.
L’offre d’hébergement en armoire de rue proposée par la société La Réunion Numérique sur un nombre significatif des NRA de La Réunion représente pour la société Mobius l’opportunité de disposer pour chaque NRA considéré d’une prestation garantie pour l’hébergement de ses équipements actifs. En particulier, l’offre d’hébergement de la société La Réunion Numérique s’avère disponible de suite et n’est pas sujette à la mise en œuvre d’une éventuelle prestation de désaturation qui induirait pour la société Mobius des coûts et des délais supplémentaires pour la mise en œuvre du dégroupage.
Compte tenu de ces éléments, il importe dès lors d’apprécier le niveau tarifaire de la prestation d’hébergement de la société La Réunion Numérique.
A. En premier lieu, il est utile de comparer de façon synthétique les tarifs de l’offre de la société La Réunion Numérique à ceux de la prestation équivalente fondée sur l’offre de référence de la société France Télécom. L’Autorité a donc évalué le coût moyen d’un accès dégroupé par la société Mobius selon que la société Mobius a recours à l’offre de colocalisation de la société France Télécom – sur la base des tarifs des prestations de l’offre de référence d’accès à la boucle locale cuivre de la société France Télécom en vigueur14 –, ou à l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique.
Le diagramme ci-dessous présente ainsi le coût moyen d’un accès en dégroupage total pour un opérateur alternatif (en euros par mois) à La Réunion selon le nombre de ligne du NRA considéré, en prenant en compte une pénétration du haut débit de 52 % et une part de marché de 20 %, selon que l’opérateur a recours à l’offre de colocalisation de la société France Télécom ou à l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique.
Ce diagramme montre que les tarifs d’hébergement en armoire de rue proposés par la société La Réunion Numérique ne permettent pas à un opérateur alternatif disposant d’une part de marché de 20 % de bénéficier d’un coût moyen par accès dégroupé aussi bas que s’il avait recours à l’offre de colocalisation de la société France Télécom.
Les tarifs de l’offre d’hébergement en armoire de rue proposée par la société La Réunion Numérique induisent ainsi un coût moyen par accès dégroupé, pour un opérateur alternatif disposant d’une part de marché de 20 %, nettement supérieur à celui qu’il supporterait s’il avait recours à l’offre de colocalisation de la société France Télécom pour les NRA de plus de 1 000 lignes. L’offre d’hébergement de la société La Réunion Numérique n’apparaît compétitive avec celle de la société France Télécom que pour les NRA de moins de 1 000 lignes, qui ne représentent qu’un nombre très limité de lignes – moins de 3 % – à La Réunion.
Le constat de cette différence significative des tarifs selon la taille des NRA est corroboré par les écritures de la société La Réunion Numérique : « [la Région] rappelle l’objectif poursuivi en intégrant cette offre [d’hébergement] au catalogue, à savoir faciliter le déploiement des équipements des opérateurs dans les petits NRA (les moins rentables) en faveur de l’aménagement du territoire. Ceci se traduit par l’application de tarifs très faibles pour ces petits NRA et de tarifs plus élevés pour les gros NRA »15.
Or, il apparaît qu’un opérateur alternatif tel que la société Mobius, qui vise à maximiser sa couverture en dégroupage, est susceptible de vouloir dégrouper dans un premier temps, les NRA de plus de 3 500 lignes. À ce titre, le tarif de la prestation d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique n’est pas du tout adapté aux besoins de la société Mobius, dès lors que la colocalisation au sein des NRA de la société France Télécom pourrait ne pas être possible, compte tenu des risques importants de saturation.
De plus, le coût moyen d’un accès dégroupé au niveau des plus petits NRA serait nettement plus élevé que le coût d’un accès fondé sur une offre haut débit DSL activée
– soit 16,7 euros par mois pour un accès bitstream nu proposé par France Télécom. Il est donc plus intéressant pour un opérateur efficace de souscrire à une offre bitstream que de dégrouper, grâce à l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique, les NRA de moins de 1 000 lignes.
Ainsi, même en privilégiant le dégroupage des NRA de moins de 1 000 lignes, au détriment des NRA de taille moyenne, l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique ne correspond pas aux besoins d’un opérateur alternatif tel que la société Mobius.
L’offre d’hébergement de La Réunion Numérique ne permet donc pas de favoriser l’emploi du dégroupage par un opérateur alternatif tel que la société Mobius disposant d’une part de marché de 20 %. Cette inefficacité de l’offre se traduit dans les faits : aucun opérateur alternatif de l’île n’était client de l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique au 31 décembre 2009. La société La Réunion Numérique n’a pas porté à la connaissance de l’Autorité l’existence de nouveaux clients pour cette prestation depuis cette date.
En conséquence, l’offre d’hébergement en armoire de rue ne génère aucun revenu qui permettrait une éventuelle péréquation au sein de cette offre ou avec d’autres offres de la société La Réunion Numérique.
B. En second lieu, il apparaît pertinent d’apprécier le positionnement tarifaire de la prestation d’hébergement en armoire de la société La Réunion Numérique par rapport à son offre de gros activée « DSL Grand Public ». L’analyse menée par l’Autorité consiste ainsi à évaluer le coût moyen d’un accès dégroupé sur la base de l’offre d’hébergement de la société La Réunion Numérique, par rapport au coût d’un accès fondé sur l’offre « DSL Grand Public » de la société La Réunion Numérique.
Le diagramme ci-dessous présente le coût moyen d’un accès pour un opérateur alternatif (en euros par mois) à La Réunion selon le nombre de lignes du NRA considéré, en prenant une pénétration du haut débit de 52 % et une part de marché de 20 %, selon que l’opérateur a recours au dégroupage total avec l’offre d’hébergement de la société La Réunion Numérique ou à l’offre « DSL Grand Public » – option « total » – de la société La Réunion Numérique estimée dans ses écritures à 20,51 euros16.
Il apparaît, à la lecture de ce diagramme, que le coût moyen d’un accès dégroupé sur la base de la prestation d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique, pour un opérateur alternatif disposant de 20 % de parts de marché, est systématiquement plus élevé, pour tout NRA où l’armoire de rue est disponible, que le coût d’un accès fondé sur l’offre de gros « DSL Grand Public » de la société La Réunion Numérique : les niveaux tarifaires respectifs des offres d’hébergement en armoire de rue et de « DSL Grand Public » de la société La Réunion Numérique désincitent un opérateur alternatif, disposant d’une part de marché de 20 %, à dégrouper au profit de l’offre activée de La Réunion Numérique.
Ce constat est corroboré par la société La Réunion Numérique, qui revendique la mise en place d’une telle tarification : « Si les tarifs étaient baissés cette offre d’hébergement en armoire de rue, qui n’est proposée par aucun autre délégataire en France, « cannibaliserait » l’offre phare de la délégation de service public à savoir la fourniture d’Accès DSL Grand Public en permettant aux opérateurs de dégrouper tous les NRA aux frais de LRN rendant inutile l’offre ADSL Grand Public »17.
Ainsi, l’Autorité considère que le niveau tarifaire actuel des offres d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique, est trop élevé pour les NRA de plus de 1 000 lignes et n’incite pas un opérateur alternatif tel que la société Mobius à avoir recours à cette prestation d’hébergement pour poursuivre ou compléter sa couverture en dégroupage. Au contraire, les niveaux tarifaires actuels de l’offre d’hébergement en armoire de rue sont conçus pour inciter les opérateurs alternatifs à souscrire à l’offre activée « DSL Grand Public ».
A contrario, le tarif de l’hébergement en shelter proposé par la société La Réunion Numérique sur trois NRA de l’île de La Réunion et analysé selon la même méthodologie est compétitif avec les offres d’hébergement de France Télécom. Le diagramme ci-dessous montre les résultats pour les trois NRA concernés.
Le caractère compétitif de ce tarif semble avoir un impact sur l’adhésion des opérateurs pour l’offre, puisque, au 4 juin 2010, trois opérateurs sont clients de la prestation.
3.2.2. Sur la comparaison des tarifs de la société La Réunion Numérique avec les coûts supportés pour fournir l’offre d’hébergement en armoire de rue
Pour évaluer le rapport existant entre les coûts supportés par la société La Réunion Numérique pour proposer l’offre d’hébergement en armoire de rue et les tarifs de cette offre, L’Autorité a valorisé l’armoire de rue selon la méthode des coûts de remplacement en filière18 en considérant un taux de rémunération du capital de 12,83 %19 et une durée d’amortissement de l’armoire de rue de 10 ans. L’Autorité a considéré l’hypothèse prospective prenant en compte un taux de pénétration à terme du haut débit de 60 % et un dimensionnement de l’armoire de rue de la société La Réunion Numérique permettant d’accueillir jusqu’à 50 % des lignes haut débit du NRA. Les calculs ont été effectués pour le plus gros NRA où l’offre d’hébergement en armoire de rue est disponible, à savoir le NRA de Saint-Louis (7 980 lignes) ce qui correspond à 2 394 lignes haut débit dans l’armoire de rue. Ces hypothèses sont conservatrices car elles considèrent d’une part, un taux plus élevé de pénétration du haut débit et d’autre part, une part de marché importante de la société La Réunion Numérique sur le marché de gros de l’hébergement : elles tendent ainsi à renchérir le dimensionnement et donc le coût d’une armoire de rue pour la société La Réunion Numérique.
À la connaissance de l’Autorité, et à défaut d’éléments de coûts fournis par la société La Réunion Numérique ou la société Mobius, les éléments de coûts entrants dans la construction de l’armoire de rue la plus chère proposée par la société La Réunion Numérique au niveau du NRA de Saint-Louis (7 980 lignes) sont les suivants :
- l’enveloppe du volume utile (coque de l’armoire) et les équipements pour accueillir les DSLAM des opérateurs (châssis, équipements optiques, énergie et batterie, etc.), évalués à 10 000 euros20 par pièce, soit 20 000 euros pour deux armoires nécessaires à Saint-Louis pour accueillir 2 394 lignes ;
- la construction de génie civil entre le NRA de la société France Télécom et l’armoire de rue de la société La Réunion Numérique, pour 3 000 euros (en moyenne 30 mètres21 de génie civil à recréer au coût de 100 euros par mètre) ;
- la fourniture de 3 câbles de renvoi 896 paires d’une longueur de 70 mètres22 en moyenne entre la chambre 0 et l’armoire de rue dont 10 mètres entre la chambre 0 et le NRA de la société France Télécom au coût de 26 euros par mètres, soit 5 460 euros ;
- l’installation des têtes de câble aux extrémités des 3 câbles de renvoi de 896 paires, facturée par France Télécom à 4 747 euros par extrémité, soit 28 482 euros ;
- les frais de pénétration de câble dans l’armoire, évalués à 1 684 euros23 ;
- les frais de tirage des câbles de renvoi distants par la société France Télécom sur les 60 mètres24 qui séparent en moyenne le NRA et l’armoire de rue, évalués à 405 euros25.
L’investissement consenti par la société La Réunion Numérique pour installer et équiper une armoire de rue est ainsi évalué à 59 100 euros par l’Autorité.
À ces frais fixes, s’ajoutent des frais récurrents :
- les frais annuels liés à l’offre de localisation distante de France Télécom : location des 10 mètres en moyenne de génie civil entre la chambre 0 et l’infra-répartiteur de la société France Télécom au coût total de 50 euros, pénétration de la chambre 0 au coût de 116 euros et exploitation et maintenance de la conduite et chambre 0 au coût de 8 euros auxquels il convient d’ajouter les frais récurrents annuels de tête de câble de 79 euros pour chaque tête de câble de 896 paires : soit un montant annuel total récurrent de 409 euros26 ;
- une charge d’exploitation opérationnelle évaluée à 10 %27 de l’annuité de l’investissement pour toute la durée de vie de l’équipement, à savoir 10 ans : soit un montant annuel de 959 euros ;
- les coûts communs et commerciaux, pour tenir compte de la contribution de l’offre de fibre optique noire au fonctionnement de la société La Réunion Numérique et des charges de commercialisation de l’offre, évalués à 10 % de la somme des annuités, des coûts récurrents et des OPEX : soit 1 096 euros.
Les résultats des calculs de coûts de l’armoire de rue de Saint-Louis sont synthétisés dans le tableau suivant :
En outre, les armoires de rue de la société La Réunion Numérique sont constituées des deux espaces suivants :
- un espace réservé aux DSLAM de la société La Réunion Numérique lui permettant de fournir la prestation d’offre activée « DSL Grand Public » et ne permettant pas l’hébergement d’autres opérateurs ;
- un espace disponible pour l’offre d’hébergement, de capacité limitée à un seul DSLAM et dont le volume limité à une demi-baie ne dépend pas de la taille du NRA.
Il est donc nécessaire d’évaluer la répartition des coûts entre ces deux espaces pour connaître le coût supporté par l’espace proposé dans l’offre d’hébergement en armoire de rue.
La société La Réunion Numérique propose une demi-baie par armoire de rue à la location aux opérateurs-usagers. L’Autorité n’a pas eu connaissance de la taille exacte des armoires de rue de la société La Réunion Numérique et de la proportion d’espace utilisé pour ses besoins propres. Cependant, les photos28 fournies par la société Mobius, sans avoir été contredite par la société La Réunion Numérique, des armoires des sites de Fleurimont (7 427 lignes, comparable au site de Saint-Louis), de la Possession (3 996 lignes) et de la Saline (3 137 lignes), montrent que ces armoires de rue disposent de 3 baies. Dès lors, il est pertinent de considérer que si une demi-baie est réservée à l’offre d’hébergement, la société La Réunion Numérique utilise au moins une baie pour ses besoins propres sur ces sites. La troisième baie étant visiblement dédiée à l’alimentation électrique de l’armoire de rue. Ainsi, la société La Réunion Numérique réserve au moins deux tiers de l’espace total de l’armoire de rue pour ses besoins propres : elle ne saurait donc faire supporter à l’opérateur-usager plus du tiers de l’annuité de l’armoire de rue, calculée selon la méthode des coûts de remplacement en filière. Cette hypothèse est conservatrice.
Le coût annuel supporté par l’offre d’hébergement en armoire de rue ne saurait dépasser un tiers du coût total annualisé de l’armoire de rue soit environ 4 000 euros.
Par conséquent, le coût annualisé maximum, calculé en début d’année, qui serait supporté par la société La Réunion Numérique pour proposer l’offre d’hébergement aux opérateurs-usagers ne saurait être supérieur à 4 000 euros hors taxes par an, maintenance comprise pour le NRA le plus grand où l’offre d’hébergement en armoire de rue est disponible.
Par ailleurs, il est à noter que la société La Réunion Numérique a bénéficié d’une subvention d’investissement, probablement de 72 %, soit l’application équirépartie de la subvention d’investissement, pour construire l’armoire de rue. En appliquant la même méthodologie de calcul pour l’ensemble des frais fixes de l’armoire de rue et sans appliquer cette subvention aux frais récurrents, on obtient un coût moyen maximum qui serait supporté par la société La Réunion Numérique pour proposer l’offre d’hébergement aux opérateurs-usagers d’environ 1 500 euros.
3.2.3. Sur le fondement de la différenciation des tarifs de l’hébergement en armoire de rue selon les NRA de l’île de La Réunion
L’Autorité a pu constater que les modalités de tarification de l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique sont très éloignées des modalités en vigueur pour les prestations équivalentes de France Télécom ou d’autres délégataires. En effet, la tarification actuelle de l’offre d’hébergement de la société La Réunion Numérique en armoire de rue dépend uniquement de la taille du NRA alors que d’autres inducteurs de coût pour l’hébergement sont généralement utilisés comme le volume ou la surface occupés par l’opérateur.
Lors de l’instruction, l’Autorité a souhaité comprendre au travers des écritures et du questionnaire quels étaient les éléments pouvant justifier une différenciation des tarifs de l’hébergement en armoire de rue en fonction de la taille du NRA.
La société La Réunion Numérique n’a pas souhaité expliciter la construction des différents tarifs de l’hébergement en armoire de rue en réponse au questionnaire de l’Autorité. À cette occasion, la société La Réunion Numérique a néanmoins confirmé que toutes les armoires de rue possèdent la même capacité d’hébergement et que chacune d’elles ne peut accueillir qu’un seul DSLAM et donc un seul opérateur tiers29.
L’analyse de coût précédente a montré que la taille du NRA a un impact sur la taille de l’armoire de rue et par conséquent sur son coût. En effet, du fait de l’encombrement plus important des équipements actifs, des câbles de renvoi et des têtes de câbles, une armoire de rue devra avoir une taille fonction de celle du NRA.
L’application d’un tarif unique pour l’hébergement en armoire de rue n’apparaît donc pas raisonnable dans la mesure où la taille de l’hébergement proposé doit être en rapport avec la taille du NRA.
En revanche, l’Autorité s’interroge sur le volume proposé limité à une demi-baie. Ce volume risque de restreindre le potentiel maximum de lignes dégroupables pour les opérateurs- usagers : en effet, un volume d’une demi-baie ne pourra pas accueillir plus de 300 lignes du fait de l’encombrement des têtes de câble. Le volume proposé dans l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique n’est donc pas suffisant pour tous les NRA où l’offre est disponible.
Dans la mesure où le dimensionnement de l’hébergement en armoire de rue est fonction de la taille du NRA, l’équité ne commande pas de fixer un tarif unique de l’hébergement.
Enfin, concernant la facturation de frais d’accès au service, dans la mesure où l’ensemble des coûts de l’armoire de rue ont été pris en compte, y compris les coûts commerciaux et les coûts de son aménagement pour recevoir les équipements actifs des opérateurs tiers, le résultat de l’analyse prend donc en compte les coûts correspondant aux frais d’accès au service de l’offre d’hébergement en armoire de rue. Dès lors, la demande de Mobius permet de couvrir l’ensemble des coûts de l’offre d’hébergement en armoire de rue y compris les frais d’accès au service. La facturation de frais d’accès au service ne semble donc pas justifiée pour la prestation d’hébergement en armoire de rue.
En conclusion, l’Autorité estime qu’au vu :
- du niveau tarifaire élevé de l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique, qui tend à désinciter un opérateur alternatif tel que la société Mobius disposant d’une part de marché de 20 % à dégrouper,
- de l’absence de revenus liés à la commercialisation de cette offre,
- de l’estimation du coût annuel de l’armoire de rue,
il est équitable de fixer les tarifs de l’offre d’hébergement en armoire de rue à un maximum de 5 000 euros hors taxes pour la redevance d’hébergement et à un maximum de 500 euros hors taxes pour la redevance de maintenance et sans qu’aucun frais d’accès ne soit facturé.
Toutefois, l’Autorité n’estime pas équitable d’imposer à la société La Réunion Numérique un tarif unique pour l’offre d’hébergement en armoire de rue, que la société La Réunion Numérique est libre de moduler en dessous du niveau tarifaire fixé ci- dessus.
Compte tenu de la validation nécessaire par la Région Réunion de la proposition d’évolution tarifaire de son délégataire et de l’annonce lors de l’audience du 24 juin 2010 par la société La Réunion Numérique de l’approbation prochaine de nouvelles conditions tarifaires par la Région Réunion, l’Autorité estime équitable de fixer un délai de deux mois dans lequel la société La Réunion Numérique devra proposer à la société Mobius une convention d’accès dont les conditions tarifaires respectent ce qui précède.
4. Sur l’offre de fibre optique noire
La société Mobius demande à l’Autorité que les tarifs de l’offre de location de fibre optique noire soient orientés sur les coûts de location payés par la société La Réunion Numérique à la Région Réunion et, au minimum, alignés sur les tarifs proposés par la société France Télécom, quel que soit le tronçon commandé, ainsi qu’une périodicité de facturation mensuelle.
4.1. Sur l’échec des négociations
4.1.1. Sur le niveau et la structure tarifaire de l'offre de location de fibre noire optique
Par un courriel en date du 11 décembre 2009, la société Mobius conteste le tarif d’un devis proposé par la société La Réunion Numérique pour la location d’une paire de fibres optiques entre Le Port et Saint-Denis. La société Mobius fait valoir que ce tarif est exorbitant, que les tarifs proposés pour l’utilisation du réseau Gazelle sont décorellés des coûts et sans rapport avec ceux proposé par la société France Télécom. Tout en demandant une renégociation des prix proposés, la société Mobius opte pour une liaison en bande passante Ethernet multipoint à 1 Gbit/s.
Le même jour, par courriel, la société La Réunion Numérique propose un nouveau devis pour la même liaison, empruntant un trajet plus court mais nécessitant des travaux et donc la facturation de frais d'accès au service de l’ordre de 130 000 euros.
La société La Réunion Numérique fait valoir dans ses écritures que les demandes commerciales de la société Mobius ont fait l’objet de propositions de la société La Réunion Numérique à son délégant, présentées le 9 février 2010 dans une réunion du « Comité des utilisateurs du réseau Gazelle ».
Le compte-rendu de cette réunion indique qu’une proposition de création d’IRU de 9 et 10 ans est faite et qu’une évolution à la baisse de la tarification de l’offre est étudiée. Elle concerne une partie des tarifs de location de fibre optique noire en complément de la location de la boucle Gazelle complète. Le compte-rendu précise qu’en réponse à cette proposition, la société Mobius a demandé qu’une réunion soit organisée pour présenter les évolutions concernant ces offres.
Dans les circonstances de l’espèce, l’Autorité estime que l’échec des négociations concernant les conditions tarifaires de l’offre de location de fibre optique noire est caractérisé et que les conclusions de la société Mobius relatives à la tarification de l’offre de fibre noire optique sont recevables.
4.1.2. Sur la périodicité de facturation de l'offre de location de fibre noire
Par trois courriels en date des 9, 16 et 18 novembre 2009, la société Mobius demande un aménagement de la facturation des redevances d’hébergement et de maintenance, afin qu’elles soient payées mensuellement. Par un courriel en date du 18 novembre 2009, la société La Réunion Numérique a indiqué qu’il n’était pas possible de modifier les conditions de facturation aujourd’hui.
La société La Réunion Numérique fait valoir dans ses écritures que lors de la réunion du « Comité des utilisateurs du réseau Gazelle » du 9 février 2010, la Région a indiqué qu’il était possible d’envisager une tarification mensuelle moyennant un surcoût et que cette demande serait étudiée si elle apparaissait indispensable.
Le compte-rendu de cette réunion n’indique pas qu’une évolution relative à la périodicité de facturation de l’offre a été présentée mais indique effectivement que la Région pourra étudier une demande de tarification mensuelle.
Dès ces circonstances, l’échec des négociations concernant la périodicité de facturation de l’offre de location de fibre optique noire est caractérisé.
4.2. Sur le fond
Le tableau suivant présente les différents tarifs en vigueur de l’offre de fibre optique noire. Ces tarifs s’entendent pour la location d’une paire de fibre optique noire sur le tronçon considéré.
4.2.1. Sur la comparaison des tarifs de la société La Réunion Numérique avec les tarifs de la société France Télécom
La principale offre disponible sur le marché qui peut se substituer à l’offre de fibre optique noire de la société La Réunion Numérique est l’« offre de lien fibre optique » dite « LFO » de la société France Télécom30.
Il s’agît d’une offre commerciale (non régulée) qui permet la location de fibres optiques déployées par la société France Télécom mais non utilisées pour ses propres besoins. Les tarifs de cette offre dépendent de la taille des NRA, du linéaire de fibres optiques louées et de la durée d’engagement. Le tableau suivant permet de comparer les tarifs de location de fibre optique noire de la société La Réunion Numérique avec ceux de la société France Télécom.
Il est à noter que la disponibilité de l’offre « LFO » de la société France Télécom n’est pas garantie sur tout le territoire et certains tronçons sont saturés.
Les offres de fibre optique noire sont généralement tarifées selon le linéaire de fibre utilisé, les coûts sous-jacents dépendant du linéaire de réseau déployé.
Les tarifs au mètre linéaire de la société La Réunion Numérique sont proches de ceux de la société France Télécom. Néanmoins, le réseau de la société La Réunion Numérique est moins capillaire que celui de la société France Télécom. En conséquence, pour relier deux mêmes points, la société La Réunion Numérique propose généralement des tronçons dont le linéaire est sensiblement supérieur à ceux de la société France Télécom. Ceci conduit à renchérir les tarifs finals des offres de la société La Réunion Numérique par rapport à ceux de la société France Télécom.
Cependant, l’Autorité estime qu’il ne serait pas équitable de décorréler les tarifs de fibre optique noire de la société La Réunion Numérique de la longueur de linéaire de fibre réellement louée par l’opérateur-usager.
4.2.2. Sur la nécessité d’une facturation mensuelle
La société France Télécom facture mensuellement les opérateurs clients de son offre LFO, quelle que soit la durée d’engagement.
La facturation mensuelle d’une offre nécessitant un engagement de durée de l’opérateur- usager serait de nature à améliorer les flux de trésorerie de cet opérateur sans déstabiliser outre-mesure l’équilibre financier de l’opérateur d’opérateurs. Elle est de pratique courante en matière de fibre optique.
Pour autant, la société Mobius ne démontre pas que l’imposition d’une facturation mensuelle de l’offre de la société La Réunion Numérique de location de fibre optique noire serait commandée par l’équité.
Dès lors, l’équité ne commande pas de demander à la société La Réunion Numérique de mettre en vigueur une facturation mensuelle de son offre.
L’Autorité note en outre que la Région Réunion a proposé d’étudier la possibilité de prévoir une mensualisation de la tarification, en tenant compte d’une surcote31.
4.2.3. Sur la capacité du réseau de la société La Réunion Numérique de répondre aux besoins de la société Mobius
La Région Réunion s’est fixée pour objectif d’inciter le développement de la concurrence par le dégroupage en propre des opérateurs alternatifs.
À cet effet, la Région Réunion s’est dotée avec le réseau Gazelle d’un réseau d’infrastructures de collecte passive à même de répondre aux besoins des opérateurs souhaitant être présents en dégroupage sur tout le territoire de La Réunion, en particulier dans les NRA qu’ils sont moins susceptibles de dégrouper sans l’action de la collectivité.
L’Autorité rappelle que, pour réaliser ce dégroupage, les opérateurs n’ont pas d’autre choix que de déployer en propre un réseau de collecte passive pour couvrir le territoire ou d’utiliser les réseaux de collecte existant mis à leur disposition.
L’offre « plaque 34 NRA » (incluant la dorsale et les liaisons complémentaires desservant 34 NRA en fibre optique) de La Réunion Numérique permet de disposer immédiatement d’une collecte optique sur 34 NRA de La Réunion qui regroupent 80 % des lignes.
La société Mobius, vue comme un opérateur efficace qui dégrouperait 75 % des lignes, pourrait donc utiliser cette offre pour atteindre le taux efficace de dégroupage.
4.2.4. Sur la comparaison des tarifs de la société La Réunion Numérique avec les coûts supportés pour fournir l’offre de fibre optique noire de la société La Réunion Numérique.
(1) Les coûts supportés par la société La Réunion Numérique pour son réseau de fibre optique noire
Les coûts supportés par le délégataire pour son offre de fibre optique noire correspondent d’une part, à ceux de l’infrastructure construite aux frais de la Région et mise à disposition dans le cadre de la convention de délégation de service public et, d’autre part, aux coûts relatifs aux infrastructures construites par le délégataire dans le cadre de ce même contrat. L’évaluation des coûts tient compte d’une durée d’amortissement de 20 ans.
A. D’après l’annexe 3 du contrat de délégation de service public, la société La Réunion Numérique doit supporter, pendant onze ans, les coûts de mise à disposition du réseau construit par la Région Réunion. Cette mise à disposition concerne un réseau de fibre optique de 324 152 mètres linéaires, pour un montant total de 1 133 000 euros payé annuellement sous la forme d’une redevance de 103 000 euros indexée selon les modalités précisées à l’annexe 11 de la convention de délégation de service public.
B. Le délégataire jouit également de la mise à disposition de 31 096 mètres linéaires d’infrastructures déployés par deux communautés d’agglomération : la Communauté intercommunale Réunion-Est (CIREST) et la communauté d’agglomération du territoire de la côte Ouest (TCO). Ni la société Mobius, ni la société La Réunion Numérique n’ont communiqué à l’Autorité des éléments de coût pour ces tronçons. À défaut, il peut être relevé que les tarifs temporaires d’occupation des fourreaux de TCO sont de 1,03 euro32 par mètre linéaire, auxquels s’ajoutent des coûts de fourniture et tirage de 18 paires de fibre optique que l’Autorité évalue à 10 euros par mètre (étude comprise).
C. Enfin, la société La Réunion Numérique s’est engagée à construire 50 527 mètres linéaires du réseau Gazelle. Ces segments correspondent à des bretelles. L’Autorité n’a pas eu connaissance, malgré une demande lors de l’instruction, des coûts de réalisation de cette partie du réseau par la société La Réunion Numérique. Néanmoins, les coûts de construction de la première partie du réseau Gazelle (dorsale et bretelles) par la Région Réunion figurent dans le rapport NTIC/N° 03/353 et les linéaires sont précisés dans l’annexe 3 de la convention de délégation de service public de mise à disposition du Réseau Régional à haut débit Gazelle, ce qui permet d’en déduire les coûts moyens de construction et de déploiement de la dorsale d’une part, et des bretelles d’autre part. Les résultats sont compilés dans le tableau suivant :
Il est donc raisonnable de considérer que le coût du linéaire des bretelles réalisées par la société La Réunion Numérique est proche de 102 euros par mètre linéaire.
Ainsi, le coût supporté par la société La Réunion Numérique pour le déploiement des 50 527 mètres linéaires d’infrastructure de fibre optique prévus au contrat de délégation de service public peut être estimé à 5 153 754 euros. Ce montant ne prend pas en compte la subvention d’investissement accordée par la Région pour ces travaux.
L’investissement total supporté par la société La Réunion Numérique s’élève à environ 5 464 714 euros correspondant à la somme d’une part, de l’investissement pour la création des 50 527 mètres d’infrastructure et, d’autre part, des frais de fourniture et tirage de 31 096 mètres de fibre optique dans les fourreaux du TCO et de la CIREST au montant de 10 euros par mètre linéaire.
En prenant comme hypothèse un taux de rémunération du capital de 12,83 %33 et une durée d’amortissement de 20 ans, l’annuité calculée en début d’année selon la méthode des coûts de remplacement en filière est de 682 431 euros ou de 191 081 euros selon que l’on prenne ou non en compte la subvention d’investissement, probablement de 72 %, soit l’application équirépartie de la subvention d’investissement.
Au total, les coûts de l’infrastructure de fibre optique noire de La Réunion Numérique correspondent à :
- une annuité de 682 431 euros calculée à partir d’une charge d’investissement totale de 5 464 714 euros qui correspond :
o au déploiement des 50 527 mètres de réseaux construits par La Réunion Numérique dont l’Autorité a évalué le montant à 5 153 754 euros,
o à la fourniture et au tirage de 18 paires de fibre optique dans les 31 096 mètres de fourreaux de TCO et CIREST : le coût par mètre comprenant l’étude, la fourniture de fibres et le tirage est évalué à 10 euros soit un montant total de 310 960 euros.
- une charge d’exploitation regroupant :
o les coûts correspondant à la redevance annuelle de location du réseau Gazelle versé à La Région Réunion d’un montant de 103 000 euros par an ;
o les coûts correspondant à la redevance annuelle de location des infrastructures remises à la CIREST et le TCO évalué à 32 029 euros par an ;
o les coûts de maintenance du réseau. Ni la société Mobius, ni la société La Réunion Numérique n’ont communiqué à l’Autorité une évaluation du montant des charges d’exploitation pour l’offre de fibre optique noire. Néanmoins, l’Autorité a pris en compte dans ses calculs une charge d’exploitation de la fibre optique en se basant sur le montant de la maintenance au mètre linéaire proposé par la société La Réunion Numérique dans son offre d’IRU. Ce montant est de 0,15 euro par an par mètre linéaire de fibre au contrat. Appliqué à la longueur totale du réseau, à savoir 405 775 mètres, ce taux conduit à un montant de 60 866 euros par an ;
o les coûts communs et commerciaux dont le montant équivaut à 10 % des coûts d’investissement annualisé et des coûts d’exploitation, pour tenir compte de la contribution de l’offre de fibre optique noire au fonctionnement de la société La Réunion Numérique et des charges de commercialisation de l’offre.
Les résultats sont synthétisés dans le tableau suivant :
L’Autorité a ensuite comparé ces coûts avec les tarifs des offres forfaitaires de La Réunion Numérique.
(2) La comparaison des coûts supportés par la société La Réunion Numérique pour son réseau de fibre optique noire et des tarifs
Ces tarifs peuvent être comparés aux coûts supportés par la société La Réunion Numérique.
Les coûts annuels du réseau de fibre optique noire supportés par La Réunion Numérique, semblent compris entre deux valeurs extrêmes :
- une valeur maximale ne prenant pas en compte la subvention d’investissement ;
- une valeur minimale où la subvention s’applique, probablement à hauteur de 72 % des investissements d’infrastructure.
L’Autorité constate qu’il existe en tout état de cause une incohérence entre les tarifs forfaitaires de location d’une paire de fibre optique noire de la société La Réunion Numérique et les coûts supportés par la délégation sur ce réseau sachant que le réseau dispose d’au moins 18 paires, alors que le tarif proposé aux opérateurs usagers s’entend pour une unique paire de fibre optique noire.
Il pourrait donc être possible de baisser substantiellement les tarifs de l’offre de fibre optique noire, en particulier les forfaits, dans le but d’inciter les opérateurs à dégrouper les plus petits NRA de l’île de La Réunion raccordés en fibre optique dans le réseau Gazelle qui, pour y parvenir, ont besoin de louer toute la boucle Gazelle ou le réseau concerné par l’offre « plaque 34 NRA ».
Cependant, les éléments nécessaires à l’évaluation exhaustive des coûts supportés par la société La Réunion Numérique n’ont pas été communiqués à l’Autorité, ni même des informations relatives à une éventuelle péréquation au sein de ses offres ou de subventionnement croisé entre ses offres, à des fins d’intérêt général. Par exemple, les bénéfices réalisés grâce à l’offre de fibre optique noire pourraient permettre le financement d’autres offres d’intérêt général déficitaires.
L’Autorité rappelle que les tarifs de cette prestation ne sont pas régulés. Par suite, dès lors que les tarifs au mètre linéaire de cette prestation sont proches de ceux de l’offre « LFO » de la société France Télécom, et bien que la reconstitution des coûts de cette prestation révèle une marge importante par rapport aux tarifs proposés, il n’apparaît pas équitable d’imposer à la société La Réunion Numérique une baisse des tarifs de l’offre de location de fibre noire.
En conclusion, et compte-tenu des informations dont elle dispose, l’Autorité estime qu’au vu :
- d’une part,
o de la pertinence pour un opérateur d’utiliser une grande partie des fibres optiques du réseau de la société La Réunion Numérique pour poursuivre le dégroupage en propre sur les NRA de moins 5 000 lignes,
o de l’écart entre les coûts supportés par la société La Réunion Numérique et les tarifs proposés,
- d’autre part,
o de la proximité des tarifs au mètre linéaire de la société La Réunion Numérique avec ceux de la société France Télécom,
o de la pertinence de tenir compte du principal inducteur de coût (la longueur réelle de fibre louée) dans les tarifs,
o de l’éventuelle péréquation entre les offres bénéficiaires et déficitaires de la délégation de service public, qui n’est pas connue de l’Autorité,
l’équité ne commande pas d’enjoindre à La Réunion Numérique de baisser les tarifs de l’offre de location de fibre optique noire ou de modifier les modalités de facturation de cette offre.
5. Sur les conclusions de la société Mobius relatives à l’offre « DSL Grand Public »
La société Mobius demande à l’Autorité une révision des tarifs de l’offre « DSL Grand Public » afin :
- qu’ils soient orienté vers les coûts ;
- que le coût de revient par abonné pour un opérateur efficace soit de 5,3 euros inférieur aux tarifs prévus dans la proposition de révision tarifaire présentée en février 2010 par la société La Réunion Numérique, en fixant à tout le moins les frais d’accès au service à 54 euros, en supprimant les frais de résiliation et, pour la suite de prévoir la répercussion automatique des évolutions tarifaires des offres d’accès et de collecte de la société France Télécom sur les offres de la société La Réunion Numérique.
La société Mobius demande aussi à l’Autorité de déterminer des conditions techniques et tarifaires équitables de migration des lignes des clients de la société Mobius qui utilisent une offre proposée par un autre opérateur de gros vers l’offre « DSL Grand Public », comportant la dispense du paiement par la société Mobius des frais d’accès pendant au moins six mois.
5.1. Sur l’échec des négociations
5.1.1. Sur les conditions tarifaires de l’offre « DSL Grand Public »
Par deux courriels en date des 17 février et 21 avril 2009, la société Mobius demande aux services techniques de la Région leur position relative aux deux demandes de révision des tarifs et des offres de la société La Réunion Numérique, et, dans le cas où ses demandes étaient acceptées, dans quel calendrier ses modifications pouvaient avoir lieu. La société Mobius précise qu’il est urgent de modifier les tarifs, spécialement les frais de mise en service et de résiliation qui seraient très excessifs.
Par un courriel en date du 21 avril 2009, la société Mobius rappelle à la société La Réunion Numérique et aux services techniques de la Région ses questions relatives aux tarifs des offres de la société La Réunion Numérique.
Par un courrier en date du 22 mai 2009, la société Mobius informe la société La Réunion Numérique de sa saisine du président du Conseil régional de La Réunion sur la question des tarifs de l’offre « DSL Grand Public », sur lesquels la société Mobius indique attirer l’attention de la société La Réunion Numérique depuis de long mois, qualifiés d’incohérents et excessifs, notamment les frais d’accès au service et les frais de résiliation.
Par un courrier en date du 10 juin 2009, la société La Réunion Numérique prend acte de points de blocage présentés par la société Mobius « depuis novembre 2008 » et justifie la construction de ses frais d’accès et de résiliation. La société La Réunion Numérique indique qu’elle a soumis à la Région Réunion une proposition de révision de ces deux tarifs à la baisse.
Par un courrier en date du 30 octobre 2009, la société Mobius met en demeure la société La Réunion Numérique de fixer, au plus tard le 15 novembre 2009, les frais d’accès au service de l’offre « DSL Grand Public » à 54 euros et de supprimer les frais de résiliation, afin que cette offre soit au moins équivalente à celle de la société France Télécom.
Dans ses écritures, la société La Réunion Numérique indique avoir soumis à la Région une proposition d’évolution dès avril 2009, afin notamment d’abandonner la facturation forfaitaire pour une facturation au réel et de réduire le montant du forfait d’activation. De même, à la suite de la baisse des tarifs annoncée par la société France Télécom, la société La Réunion Numérique indique avoir proposé à la Région début 2010 de revoir à la baisse la grille tarifaire.
Le compte-rendu de réunion du « Comité des utilisateurs du réseau Gazelle » du 17 décembre 2009 indique que le surcoût des frais d’accès et de résiliation facturés par la société La Réunion Numérique à ses clients est destiné à compenser des coûts non facturés aux clients. Il est expliqué que si la société La Réunion Numérique aligne les frais d’accès au service et de résiliation au niveau de ceux de la société France Télécom, elle devra répercuter l’intégralité des frais facturés par la société France Télécom à ses clients.
Le compte-rendu de réunion du « Comité des utilisateurs du réseau Gazelle » du 25 février 2010 fait état d’une proposition de baisse des frais d’accès et de résiliation, d’une proposition de baisse des redevances d’accès partagé et total à la suite de l’évolution du catalogue de la société France Télécom et d’une facturation nouvelle de frais ponctuels.
Ce compte-rendu fait aussi état des remarques de la société Mobius selon lesquelles les offres de la société La Réunion Numérique demeurent plus chères que celles de la société France Télécom.
Dans les circonstances de l’espèce, l’échec des négociations concernant la tarification de l’offre « DSL Grand Public » est caractérisé et les conclusions de la société Mobius relatives aux conditions tarifaires de l’offre « DSL Grand Public » de la société Mobius sont recevables.
5.1.2. Sur la création d’une prestation de migration
Par deux courriels en date des 17 et 21 avril 2009, la société Mobius demande aux services techniques de la Région d’étudier la possibilité d’instaurer des conditions tarifaires spéciales pour régler les cas particuliers des migrations des accès des fournisseurs d’accès à internet de la société France Télécom vers la société La Réunion Numérique, pour éviter de supporter deux fois les frais de mise en service lorsqu’elle migrera les lignes de ses clients raccordés par des « solutions d’attente » sur les lignes gérées par la société La Réunion Numérique.
Ainsi, s’agissant de cette prestation, la société Mobius ne fait état que de négociations avec la Région Réunion et elle ne matérialise pas de négociations entre elle et la société La Réunion Numérique.
Les conclusions de la société Mobius relatives à la création d’une prestation de migration sont donc irrecevables.
En tout état de cause, l’Autorité constate que, afin d’augmenter rapidement leurs revenus, certains opérateurs ont une stratégie commerciale agressive de conquête d’opérateurs clients de la société France Télécom qui consiste à financer la migration des accès existants les premiers mois suivant l’ouverture commerciale de leur offre au niveau d’un NRA. Néanmoins, l’Autorité considère que ce type d’offre relève de la seule stratégie commerciale d’un opérateur et qu’il ne serait pas équitable d’enjoindre un opérateur à proposer ce type d’aménagement tarifaire.
5.2. Sur le fond
L’offre « DSL Grand Public » de la société La Réunion Numérique est une offre d’accès activée proposée sur les NRA de l’île de La Réunion où la société La Réunion Numérique a installé des DSLAM et devrait être disponible à terme sur tous les NRA de l’île. Cette offre est proposée en accès partiel ou en accès « nu ». Elle correspond à l’offre bitstream de la société France Télécom. Cette offre est décrite par la société La Réunion Numérique comme étant son offre « phare ».
[…]. C’est grâce à cette offre qu’il propose depuis quelques mois une offre triple play avec un service de télévision sur ADSL.
La grille tarifaire de l’offre se décompose en frais fixe et frais récurrents.
5.2.1. Sur les tarifs des frais fixes (collecte, accès au service et résiliation)
L’opérateur-usager achète la collecte nécessaire pour recueillir le trafic des accès qu’il vend sur le marché de détail.
Les tarifs des prestations de collecte prévoient uniquement des frais d’accès au service.
Les tarifs des prestations d’accès se décomposent entre frais ponctuels d’accès ou de résiliation et des mensualités variables en fonction du type d’accès acheté.
A. Les frais d’accès au service (FAS) répercutent sur les opérateurs-usagers les frais facturés par la société France Télécom pour ouvrir les accès demandés par les clients de la société La Réunion Numérique. La société La Réunion Numérique refacture donc les prestations qu’elle achète à la société France Télécom à ses clients. Pourtant, les frais d’accès au service de la société La Réunion Numérique sont près de deux fois supérieurs à ceux de la société France Télécom. La société La Réunion Numérique justifie cet écart par le fait qu’ils incluent la prise en charge des éventuelles pénalités prévues dans l’offre de référence que la société France Télécom est amenée à facturer aux opérateurs utilisant son réseau lorsqu’ils sont responsables de dysfonctionnements (signalisations transmises à tort, expertise à tort, commande non conforme, etc.).
Cette agrégation des frais ponctuels avec les frais d’accès conduit à renchérir artificiellement les frais d’accès et à priver les éventuels opérateurs-usagers de l’offre « DSL Grand Public » d’un signal économique de nature à les inciter à améliorer les performances de leurs processus de commandes et les prestations associées.
L’Autorité constate que la proposition de révision tarifaire de juin 2010 prévoit d’une part, une baisse significative des frais d’accès au service en les alignant sur ceux de France Télécom auxquels s’ajoutent des frais de gestion et d’autre part, la séparation des prestations ponctuelles facturées par la société France Télécom dont les opérateurs-usagers ont la responsabilité (signalisation transmise à tort, expertise à tort, commande non conforme, etc.).
Cette proposition d’évolution des tarifs répond partiellement à la demande de la société Mobius concernant les frais d’accès au service.
B. Concernant les frais de résiliation, la société La Réunion Numérique se voit facturer une prestation de résiliation par la société France Télécom. Il ne serait donc pas équitable de supprimer la facturation par la société La Réunion Numérique de frais de résiliation de l’accès. Si l’Autorité constate que certains opérateurs ont choisi de ne pas facturer ces frais lorsque la résiliation est du fait du client final, une telle démarche relève de la stratégie commerciale propre à chaque opérateur. Par ailleurs, l’Autorité note que la proposition de révision tarifaire de la société La Réunion Numérique précitée prévoit aussi une baisse significative des frais de résiliation en les alignant sur ceux de France Télécom auxquels s’ajoutent des frais de gestion.
C. S’agissant de la facturation de frais de gestion par la société La Réunion Numérique, la proposition tarifaire de juin 2010 indique que la société La Réunion Numérique réalise une marge comprise entre 5 et 10 euros sur la refacturation à ses clients des prestations payées à la société France Télécom. Le montant de ces frais de gestion pour une même opération de refacturation diffère donc selon la prestation concernée.
Il apparait équitable de considérer que, d’une part, ces frais relatifs à une simple refacturation de prestations payées à l’opérateur historique, qui a lui-même une obligation d’orientation vers les coûts, devraient tendre vers les coûts et que, d’autre part, ces frais de gestion devraient être les mêmes pour chacune des prestations, les coûts afférents à ces opérations étant les mêmes pour chacune d’elles.
L’Autorité note que les frais de gestion des frais de résiliation facturés par la société La Réunion Numérique sont de 5 euros. Ce montant de 5 euros permet aussi de financer les frais de gestion des frais d’accès au service. En conséquence, il apparaît équitable de fixer à un maximum de 5 euros les frais de gestion des prestations de la société France Télécom refacturées par la société La Réunion Numérique aux opérateurs.
D. Enfin, concernant l’indexation des tarifs des frais d’accès et de résiliation sur ceux de la société France Télécom, il semble raisonnable que, dans le cadre de la simple refacturation d’une prestation payée à la société France Télécom à un opérateur-usager de ses offres, la société La Réunion Numérique répercute immédiatement les évolutions tarifaires du catalogue de la société France Télécom.
Il est donc équitable de prévoir l’indexation des tarifs de la société La Réunion Numérique sur les tarifs de la société France Télécom lorsque la société La Réunion Numérique ne fait que refacturer des prestations de la société France Télécom et de fixer à un maximum de 5 euros les frais de gestion des prestations refacturées.
5.2.2. Sur les tarifs des frais récurrents
Les tarifs de l’offre « DSL Grand Public » incluent aussi des frais récurrents mensuels sous la forme de frais d’accès. Ces frais varient en fonction de la nature de l’accès, si celui-ci inclut ou non l’abonnement au service de téléphonie classique (RTC).
L’Autorité note que l’offre « DSL Grand Public » permet de proposer un service supplémentaire par rapport à l’offre de bitstream de la société France Télécom, à savoir un service de télévision linéaire. En effet, l’offre de la société France Télécom ne permet à un opérateur alternatif que de construire une offre dual play (accès à internet et téléphonie sur IP) alors que l’offre « DSL Grand Public » permet de proposer un service de télévision en unicast et prochainement en multicast.
Compte tenu de la richesse supérieure de l’offre activée de la société La Réunion Numérique, il semble raisonnable que les redevances mensuelles puissent être plus élevées que celles de l’offre bitstream de la société France Télécom.
L’Autorité note que les tarifs des redevances mensuelles de l’offre « DSL Grand Public » devraient baisser prochainement et se rapprocher des tarifs de l’offre bitstream de la société France Télécom. Cette baisse à venir a été rappelée par la société La Réunion Numérique lors de l’audience du 24 juin 2010.
Compte tenu de ces éléments, il ne semble pas équitable d’enjoindre à la société La Réunion Numérique une orientation vers les coûts des redevances mensuelles de son offre « DSL Grand Public ».
En conclusion, l’Autorité considère,
- d’une part, qu’au vu :
o de la facturation par la société France Télécom des frais d’accès au service et de frais de résiliation à la société La Réunion Numérique pour la construction et la résiliation des lignes de ses clients,
o de l’identité des coûts de gestion supportés par La Réunion Numérique pour une opération de refacturation de frais d’accès ou de frais de résiliation,
o des frais de gestion proposés par la société La Réunion Numérique pour la refacturation des frais d’accès et de résiliation en juin 2010 pour couvrir ses coûts,
il est équitable de fixer le montant maximum des tarifs des frais d’accès et de résiliation sur celui des tarifs des frais d’accès et de résiliation de l’offre de référence d’accès à la boucle locale de France Télécom, auxquels s’ajoutent des frais de gestion de refacturation dont le montant sera au maximum de 5 euros ;
- et d’autre part, qu’au vu des services supplémentaires rendus possibles par l’offre « DSL Grand Public », et au surplus de la baisse annoncée des tarifs récurrents, il n’est pas équitable de baisser les tarifs récurrents de l’offre « DSL Grand Public ».
Enfin, les conclusions de la société Mobius relatives à la création d’une prestation de migration des accès sont irrecevables.
Compte tenu de la validation nécessaire par la Région Réunion de la proposition d’évolution tarifaire de son délégataire et de l’annonce lors de l’audience du 24 juin 2010 par la société La Réunion Numérique de l’approbation prochaine de nouvelles conditions tarifaires par la Région Réunion, l’Autorité décide qu’il est équitable de fixer un délai de deux mois dans lequel la société La Réunion Numérique devra proposer à la société Mobius une convention d’accès dont les conditions tarifaires respectent ce qui précède.
6. Sur les autres conclusions de la société Mobius
6.1. Sur les conclusions relatives à l’activation du mode multicast de l’offre « DSL Grand Public » de la société La Réunion Numérique
Concernant la demande par la société Mobius à l’Autorité d’enjoindre à la société La Réunion Numérique de conditionner la commercialisation de la version multicast de l’offre « DSL Grand Public » à l’entrée en vigueur de nouvelles conditions tarifaires et de la mise en place opérationnelle d’un « système d’information totalement indépendant de tout fournisseur sur le marché de détail », l’Autorité relève que :
- l’offre « DSL Grand Public » permet actuellement la diffusion d’un service de télévision linéaire en mode unicast,
- la date de mise en place effective du multicast n’est pas encore programmée à ce jour,
- et que la société La Réunion Numérique dispose d’un délai de deux mois pour appliquer les nouvelles conditions tarifaires prévues par la présente décision.
Dans ces conditions, la société Mobius n’établit pas la mesure dans laquelle il serait équitable de faire droit à ses conclusions.
Par suite, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Mobius relative à l’activation du mode multicast de l’offre « DSL Grand Public ».
6.2. Sur les conclusions relatives à une séparation comptable au sein d’une offre de la société La Réunion Numérique et au versement de sommes par la société La Réunion Numérique à la Région Réunion
Concernant la demande par la société Mobius d’enjoindre à la société La Réunion Numérique d’établir un compte séparé des coûts et des revenus du poste « Frais d’accès » de l’offre « DSL Grand Public » et de reverser à la Région l’éventuel solde positif de ce compte, l’Autorité n’est pas compétente pour imposer, dans le cadre d’un règlement de différend, une séparation comptable, ni pour mettre à la charge d’un opérateur partie au litige le versement d’une somme à un tiers à la procédure de règlement de différend. Au surplus, l’Autorité note que la convention de délégation de service public prévoit une clause de retour à meilleure fortune.
En tout état de cause, l’Autorité note qu’il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que ces demandes ont fait l’objet d’un échec des négociations.
Les conclusions de la société Mobius relatives à une séparation comptable au sein d’une offre de la société La Réunion Numérique et au versement de sommes par la société La Réunion Numérique à la Région Réunion sont donc irrecevables.
6.3. Sur les conclusions relatives au traitement des informations d’accès par la société La Réunion Numérique
La société Mobius demande à l’Autorité de définir des conditions techniques des offres de la société La Réunion Numérique assurant un traitement parfaitement étanche des informations d’accès, notamment interdisant la sous-traitance du système d’information de l’exploitant du réseau à un fournisseur de service sur le marché de détail.
Or, l’Autorité constate que la demande de la société Mobius d’imposer des mesures à un opérateur permettant d’assurer un traitement étanche des informations d’accès qu’il détient et sous-traite à un tiers ne porte pas directement ou indirectement sur les conditions équitables d’ordre technique et financier, dans lesquelles l’accès doit être assuré, condition de la compétence de l’Autorité en matière de règlement de différend.
En tout état de cause, il ne ressort d’aucune pièce du dossier qu’à la date de la demande de règlement de différend, des négociations aient eu lieu concernant le traitement par la société La Réunion Numérique des informations d’accès qu’elle détient et sous-traite.
Les conclusions de la société Mobius relatives au traitement des informations d’accès sont donc irrecevables.
L’Autorité rappelle cependant que tous les opérateurs doivent respecter les obligations prévues par le CPCE, notamment l’article D. 99-6 dont le deuxième paragraphe qui dispose que :
« Les opérateurs disposant d'informations dans le cadre d'une négociation ou de la mise en œuvre d'un accord d'interconnexion ou d'accès ne peuvent les utiliser qu'aux seules fins explicitement prévues lors de leur communication. En particulier, ces informations ne sont pas communiquées à d'autres services, filiales ou partenaires pour lesquels elles pourraient constituer un avantage concurrentiel ».
6.4. Sur les demandes de la société Mobius relatives aux mesures d’instruction
La société Mobius demande aux rapporteurs de procéder à diverses mesures d’instructions. Ces mesures consistent en la demande de communication :
- de la comptabilité séparée des activités déléguées tenue en application du III de l’article L. 1425-1 du CGCT,
- des conditions financières de la convention de délégation telles qu’elles figurent, notamment, en annexe 11 à cette convention,
- des contrats de sous-traitance établis entre la société La Réunion Numérique et ses actionnaires, notamment la société Mediaserv,
- de l’ensemble des frais de la société La Réunion Numérique afférents à la boucle initiale du réseau Gazelle.
L’Autorité rappelle qu’en application de l’article 13 du règlement intérieur de l’Autorité, le rapporteur et son adjoint peuvent procéder, en respectant le principe du contradictoire, à toute mesure d’instruction qui leur parait utile.
L’Autorité n’estime pas qu’il y avait lieu de procéder à d’autres mesures d’instruction que celles auxquelles les rapporteurs ont procédé.
6.5. Sur les demandes de la société Mobius relatives à la saisine de l’Autorité de la concurrence
Concernant la demande de la société Mobius relative à l’Autorité de la concurrence, l’Autorité estime qu’il n’y a pas lieu, pour elle, de saisir l’Autorité de la concurrence.
Décide :
Article 1 : Les tarifs de l’offre d’hébergement en armoire de rue de la société La Réunion Numérique applicables à la société Mobius sont fixés à un maximum de 5 000 euros hors taxes par an pour la redevance d’hébergement et à un maximum de 500 euros hors taxes par an pour la redevance de maintenance et sans qu’aucun frais d’accès ne soit facturé.
Article 2 : Les conclusions de la société Mobius relative à l’offre de location de fibre optique noire sont rejetées.
Article 3 : Les tarifs des frais d’accès au service de l’offre « DSL Grand Public » applicables à la société Mobius sont au maximum ceux de l’offre de référence d'accès à la boucle locale de la société France Télécom, auxquels s’ajoutent les frais de gestion de la refacturation qui ne peuvent dépasser un maximum de 5 euros par accès. À la date de la présente décision, les tarifs des frais d’accès sont au maximum de 55 euros pour un accès en dégroupage total et de 65 euros pour un accès en dégroupage partiel.
Article 4 : Les tarifs des frais de résiliation de l’offre « DSL Grand Public » applicables à la société Mobius sont au maximum ceux de l’offre de référence d'accès à la boucle locale de la société France Télécom, auxquels s’ajoutent les frais de gestion de la refacturation qui ne peuvent dépasser un maximum de 5 euros par accès. À la date de la présente décision, les tarifs des frais de résiliation sont au maximum de 20 euros pour un accès en dégroupage total et de 40 euros pour un accès en dégroupage partiel.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la société Mobius est rejeté.
Article 6 : La société La Réunion Numérique devra appliquer la présente décision dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
Article 7 : Le directeur des affaires juridiques ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés Mobius et La Réunion Numérique la présente décision, qui sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.
Notes :
1 Conseil régional de La Réunion (16 mai 2003). Rapport NTIC/N° 03/353 relatif à la « réalisation d’un réseau mutualisé à haut débit utilisant les infrastructures d’EDF », p. 2.
2 Ibid. p. 13
3 Ibid. p. 21
4 Ibid.
5 Conseil régional de La Réunion, Mediaserv, Sogetrel SAS et LD Collectivités (25 juillet 2007). Convention de délégation de service public de mise à disposition du Réseau Régional à haut débit Gazelle, p. 7.
6 Ibid. p. 8-9
7 Ibid. p. 10
8 Ibid. p. 11
9 Ibid. Annexe 3, p. 14
10 Ibid. p. 28
11 Ibid. p. 28
12 Les calculs sont réalisés sur la base du Modèle réglementaire du coût de l’accès dégroupé, publié par l’ARCEP en janvier 2007 : http://www.arcep.fr/fileadmin/reprise/dossiers/modeles-couts/model-cout-acces- consult-0107.xls
13 ARCEP (janvier 2010). Rapport au Parlement et au Gouvernement relatif au secteur des communications électroniques outre-mer, http://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-dom-080110.pdf
14 France Télécom (19 février 2010). Offre d’accès à la boucle locale de France Télécom, http://www.orange.com/fr_FR/groupe/reseau/documentation/att00005989/Offre_de_degroupage_19_fevrier_201 0_publiee.pdf
15 Région Réunion (17 décembre 2009). Compte-rendu de réunion du « Club des utilisateurs du réseau Gazelle » du 17 décembre 2009. (Production n° 7 de La Réunion Numérique)
16 La Réunion Numérique (18 juin 2010). Mémoire récapitulatif en défense, p. 54.
17 La Réunion Numérique (5 mai 2010). Second mémoire en défense, p. 18.
18 La méthode des coûts de remplacement en filière permet d’annualiser un investissement. Elle est adaptée dans le cas d’investissements nouveaux. La méthode de calcul figure dans l’annexe de la consultation publique sur la valorisation de la boucle locale cuivre : http://www.arcep.fr/fileadmin/reprise/publications/c-publique/consult- boucle-cuivre0405.pdf.
19 ARCEP (janvier 2007). Modèle réglementaire de l’accès dégroupé, http://www.arcep.fr/fileadmin/reprise/dossiers/modeles-couts/model-cout-acces-consult-0107.xls
20 Comme indiqué lors de l’audience du 24 juin 2010 par le représentant de la société La Réunion Numérique.
21 La Réunion Numérique (17 mai 2010). Réponse de LRN au questionnaire n° 1 de l’ARCEP, Question 24, p. 13.
22 La Réunion Numérique (17 mai 2010). Réponse de LRN au questionnaire n° 1 de l’ARCEP, Question 24, p. 13.
23 France Télécom (19 février 2010). Offre d’accès à la boucle locale de France Télécom, http://www.orange.com/fr_FR/groupe/reseau/documentation/att00005989/Offre_de_degroupage_19_fevrier_201 0_publiee.pdf
24 La Réunion Numérique (17 mai 2010). Réponse de LRN au questionnaire n° 1 de l’ARCEP, Question 24, p. 13.
25 La Réunion Numérique (17 mai 2010). Réponse de LRN au questionnaire n° 1 de l’ARCEP, Question 24, p. 13.
26 France Télécom (19 février 2010). Offre d’accès à la boucle locale de France Télécom, http://www.orange.com/fr_FR/groupe/reseau/documentation/att00005989/Offre_de_degroupage_19_fevrier_201 0_publiee.pdf
27 La Réunion Numérique (24 juin 2010). Audience du règlement de différend devant l’ARCEP.
28 Mobius (21 avril 2010). Observations en réplique, pièce jointe n° 37.
29 La Réunion Numérique (17 mai 2010). Réponse de la société La Réunion Numérique au questionnaire n° 1 de l’ARCEP, Question 24, p. 13.
30 France Télécom (15 septembre 2008). Offre de lien fibre optique NRA-NRA et NRA-POP de France Télécom, http://www.orange.com/fr_FR/groupe/reseau/documentation/att00005989/Offre_LFO_version_du_15_09_2008. pdf
31 Région Réunion (9 février 2010). Compte-rendu de la réunion du « Comité des utilisateurs du réseau Gazelle » du 9 février 2010, (production n° 9 de La Réunion Numérique)
32 Communauté d’agglomération territoire de la Côte Ouest (1er décembre 2008). Grille tarifaire temporaire pour l’occupation des infrastructures « haut débit ».
33 ARCEP (janvier 2007). Modèle réglementaire de l’accès dégroupé,http://www.arcep.fr/fileadmin/reprise/dossiers/modeles-couts/model-cout-acces-consult-0107.xls