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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 21 février 2023, n° 21/01540

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Agence Py (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prouzat

Conseillers :

Mme Bourdon, M. Graffin

Avocats :

Me Fita, Me Nese

T. com. Perpignan, du 2 févr. 2021, n° 2…

2 février 2021

FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Par acte sous seing privé du 1er juillet 2001, [R] [Z] épouse [T] a conclu un contrat d'agent commercial d'une durée indéterminée avec la SARL Agence Py, exploitant à [Localité 3] (Pyrénées-Orientales) une agence immobilière ; l'article 5 du contrat dispose : « En cas de cessation du contrat, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi dans les conditions prévues par les articles 12 et 13 de la loi du 25 juin 1991 ».

A compter du 1er juillet 2014, Mme [T] a dû interrompre son activité pour cause de maladie.

Par courrier recommandé du 29 novembre 2017, elle a notifié à la société Agence Py son intention de mettre fin à son contrat d'agent commercial à l'issue d'un préavis de trois mois et sollicité une copie de la comptabilité des ventes intervenues depuis le 1er juillet 2014 afin de vérifier l'existence éventuelle de commissions qui lui seraient dues et lui permettre de calculer son indemnité de fin de contrat.

La société Agence Py a transmis le récapitulatif des commissions qu'elle a estimé devoir à Mme [T], ainsi que les bilans de l'agence pour les exercices 2014 à 2017.

Au motif que ces éléments ne lui permettaient pas d'opérer les contrôles et calculs souhaités, Mme [T] a saisi, le 13 juin 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Perpignan lequel, par ordonnance en date du 3 septembre 2018, a condamné la société Agence Py à lui transmettre, sous astreinte, tous les documents comptables détaillant les ventes intervenues depuis le 1er juillet 2014.

La société Agence Py a fait appel de cette décision laquelle a été infirmée par un arrêt de cette cour (2ème chambre civile) en date du 6 février 2020 qui a dit n'y avoir lieu à référé.

Par exploit également délivré le 13 juin 2018, Mme [T] a fait assigner la société Agence Py en paiement d'une indemnité de fin de contrat de 99 802 euros devant le tribunal de commerce de Perpignan lequel, par un premier jugement du 18 novembre 2019, a sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour.

Par un second jugement du 2 février 2021, le tribunal a statué en ces termes :

- « Dit qu'il y a lieu d'accorder à Mme [R] [Z] épouse [T] son indemnité de fin de contrat,

- Condamne l'Agence Py à transmettre à Mme [R] [Z] épouse [T] tous documents comptables détaillant les ventes intervenues depuis le 1er juillet 2014 jusqu'au 29 avril 2018, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

- Dit à Mme [R] [Z] épouse [T] pourra se réserver la faculté de liquider ladite astreinte,

- Renvoie les parties à l'audience de plaidoirie du lundi 17 mai 2021 à 14 heures 30, afin de statuer définitivement sur les demandes de Mme [Z],

- Dit que la présente décision tient lieu de convocation,

- Réserve les dépens en fin de cause ».

La société Agence Py a relevé appel, le 9 mars 2021, de ce jugement.

Elle demande à la cour, dans ses conclusions déposées et notifiées le 1er septembre 2021 via le RPVA, de :

Tenant les dispositions des articles L. 134-12 et suivants du code de commerce,

- voir réformer le jugement du tribunal de commerce en date du 2 février 2021 et statuant à nouveau,

A titre principal,

- voir débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- voir désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission :

- se faire communiquer tout document et entendre toute personne utile,

- déterminer les causes des arrêts maladies de Mme [T] de novembre 2015 au jour de la rupture du contrat d'agent commercial,

- donner son avis sur la pertinence médicale de ces arrêts maladies,

- déterminer si au jour de la rupture du contrat d'agent commercial, Mme [T] était en capacité raisonnable de poursuivre son activité, au besoin avec des adaptations nécessaires,

- donner tous éléments paraissant pertinents,

En tout état de cause,

- voir débouter Mme [T] de sa demande de communication,

- voir condamner Mme [T] à lui payer la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- l'appel est recevable puisque le jugement du 2 février 2021 est un jugement mixte, tranchant au fond une partie du litige en reconnaissant à Mme [T] le droit à une indemnité de fin de contrat,

- Mme [T] ne rapporte pas la preuve qu'à la date d'effet de la rupture du contrat d'agence, soit le 28 février 2018, elle ne pouvait raisonnablement poursuivre son activité en raison des circonstances dues à son état de santé,

- elle-même a pu légitimement penser que son état de santé s'était amélioré puisque l'intéressée, qui avait été atteinte d'un cancer du sein dont elle avait été guérie, a repris son activité professionnelle de septembre 2014 à novembre 2015,

- Mme [T] n'établit donc pas que son état de santé ne lui permettait pas de poursuivre son activité postérieurement, le travail d'agent commercial en matière immobilière n'étant pas classé comme une activité particulièrement pénible,

- le statut d'agent commercial et l'existence d'un supposé droit à indemnité ne permettent pas à Mme [T] d'obtenir communication de l'ensemble de la comptabilité des ventes de l'agence, cette demande portant en outre atteinte à la confidentialité de son activité.

Mme [T], dont les conclusions ont été déposées et notifiées par le RPVA le 16 novembre 2021, sollicite de voir :

Vu les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, 1134, 1147 anciens et 1343-2 du code civil, L. 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- confirmer le jugement avant-dire droit rendu le 2 février 2021 par le tribunal de commerce de Perpignan dans toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a dit qu'il y avait lieu de lui accorder son indemnité de fin de contrat et en ce qu'il a condamné la société Agence Py à lui transmettre tous documents comptables détaillant les ventes intervenues depuis le 1er juillet 2014 jusqu'au 29 avril 2018 sous astreinte de 200 euros par jours de retard,

- débouter la société Agence Py de l'ensemble de ses demandes,

- condamner reconventionnellement la société Agence Py à lui payer la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner la société Agence Py aux entiers dépens de la procédure d'appel.

Elle expose en substance que :

- l'appel est irrecevable puisque le jugement qualifié d'avant dire droit, ne pouvait faire l'objet d'un recours immédiat,

- la rupture du contrat d'agent commercial à son initiative est motivée par son état de santé dégradé, dû à un cancer du sein et une septicémie contractés en 2014, qui ne lui permettait plus d'exercer son activité professionnelle,

- les commissions perçues entre octobre 2014 et février 2018 constituent des commissions d'apports, qui résultent d'opérations conclues entre la société Agence Py et des tiers faisant partie de sa propre clientèle et qui ne sauraient donc démonter l'existence d'une reprise d'activité de sa part à partir de novembre 2015,

- les quelques mandats conclus lors de sa période d'arrêt de travail procèdent de services rendus à la société Agence Py du fait de la mise en relation de ses propres clients avec l'agence immobilière,

- la société Agence Py avait parfaitement connaissance de son état de santé, dont elle était régulièrement informée, les pièces médicales produites établissant son incapacité à reprendre son activité professionnelle après plus de trois années d'arrêt de travail,

- elle a d'ailleurs été reconnue médicalement inapte au travail le 23 octobre 2017 et mise à la retraite,

- elle peut légitimement demander la communication des documents comptables détaillant les ventes intervenues depuis le 1er juillet 2014 pour vérifier le montant de ses commissions, sachant que la société Agence Py a bloqué l'accès au logiciel de gestion des clients peu après son arrêt de travail.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 novembre 2022.

MOTIFS de la DECISION :

Aux termes de l'article 544 du code de procédure civile : « Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l'instance » ; en l'occurrence, le jugement dont appel qui « dit qu'il y a lieu d'accorder à Mme [R] [Z] épouse [T] son indemnité de fin de contrat », reconnaissant ainsi à l'intéressée le droit au paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce, dont seul le montant reste à fixer, tranche une partie du principal au sens de l'article 544 et est donc susceptible d'un appel immédiat; le moyen d'irrecevabilité de l'appel n'est donc pas sérieux.

L'article L. 134-13 du code de commerce dispose que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.

Dans le cas présent, il résulte des pièces produites issues en particulier du dossier médical de Mme [T], que celle-ci a été atteinte d'une néoplastie mammaire gauche diagnostiquée en 2014, traitée par chirurgie et par radiothérapie de juillet à septembre 2014, et qu'à la suite de cette affection, l'intéressée a développé un état anxio-dépressif majeur réactionnel, le docteur [W], médecin psychiatre, évoquant, dans un certificat établi le 18 mai 2017, un effondrement thymique, un épuisement physique et moral, une démotivation, une aboulie et une adynamie persistante et réfractaire au traitement biopsychosocial entamé depuis 2015, qui ne lui permettent pas de reprendre le travail et justifient sa mise en invalidité ; il est communiqué l'ensemble des arrêts de travail, dont Mme [T] a bénéficié, de façon continue, du 14 juillet 2014 au 31 décembre 2017 en raison, en dernier lieu, de son état anxio-dépressif réactionnel.

Par ailleurs, il est établi que depuis le 1er juillet 2017, Mme [T] s'est vu attribuer une retraite personnelle par la Carsat Languedoc-Roussillon et le régime social des indépendants (RSI) au titre de l'inaptitude au travail.

À la date du 29 novembre 2017 à laquelle Mme [T] a pris l'initiative de rompre le contrat d'agent commercial la liant à la société Agence Py, l'intéressée était âgée de 65 ans et était donc atteinte d'une pathologie chronique, liée à un état anxio-dépressif majeur réactionnel traité sans succès depuis 2015 et ayant motivé sa mise à la retraite par les organismes de sécurité sociale pour cause d'inaptitude au travail ; à cette date, du fait de son âge et de sa maladie, la poursuite de son activité d'agent commercial ne pouvait ainsi être raisonnablement exigée au sens de l'article L. 134-13 susvisé.

La société Agence Py ne peut sérieusement soutenir que l'état de santé de Mme [T] lui permettait de reprendre son activité d'agent commercial au prétexte qu'une telle activité n'est pas particulièrement pénible, alors que la symptomatologie décrite par son médecin psychiatre fait état d'un épuisement physique et moral, s'accompagnant d'un fort sentiment de culpabilité et d'inutilité lié à son incapacité actuelle à accéder à une insertion socioprofessionnelle, que le docteur [K], médecin oncologue, atteste, le 12 avril 2017, que son état de santé contre-indique la reprise de son activité professionnelle et que son médecin traitant, le docteur [F], précise encore, dans un certificat daté du 28 septembre 2020, que la pathologie, dont elle souffre, nécessitant un suivi régulier et spécialisé, contribue à un état de fatigue chronique, évoluant par poussée et contre indiquant toute activité physique et de travail (sic).

Elle ne peut davantage invoquer le fait qu'au cours de la période de septembre 2014 à novembre 2015, Mme [T] a repris son activité professionnelle, ce qui l'aurait amené à croire légitimement que l'état de santé de l'intéressée s'était amélioré et qu'elle était guérie de sa maladie, alors que pendant la période considérée, Mme [T] a bénéficié d'arrêts de travail pour cause de maladie, qu'elle n'a perçu que des commissions d'apport entre octobre 2014 et février 2018 correspondant à des clients entrés en relation de l'agence par son intermédiaire et que les mandats signés par elle (11 au total) l'ont été avec des personnes, dont elle avait obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations de même genre au sens de l'article 7 du contrat d'agence, lui ouvrant droit en ce cas à la perception de commissions sur la base de 20 % des honoraires TTC de l'agence.

C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que Mme [T] pouvait prétendre au paiement d'une indemnité de rupture, après avoir retenu que si la cessation du contrat résultait de son initiative, elle était justifiée par des circonstances dues à son âge et à sa maladie ne permettant pas raisonnablement la poursuite du contrat ; l'instauration d'une mesure d'expertise, telle que sollicitée à titre subsidiaire par la société Agence Py, n'apparaît pas à cet égard nécessaire.

L'article R. 134-3 énonce que : « Le mandant remet à l'agent commercial un relevé des commissions dues, au plus tard le dernier jour du mois suivant le trimestre au cours duquel elles sont acquises. Ce relevé mentionne tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé. L'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues ».

En l'espèce, c'est à bon escient que le premier juge a condamné la société Agence Py à communiquer sous astreinte à Mme [T] l'ensemble des documents comptables détaillant les ventes intervenues entre le 1er juillet 2014 et le 29 avril 2018, alors que l'agence immobilière s'était bornée à communiquer un relevé des commissions et les bilans des exercices 2014 à 2018 ne permettant pas de vérifier le montant des commissions effectivement dues et que Mme [T] n'avait plus accès, depuis février 2017, au logiciel « Hektor » de gestion des clients de l'agence ; elle justifiait ainsi, hors toute atteinte à la confidentialité de son activité transactions, d'un motif légitime à obtenir la communication de ces documents comptables, sachant que contractuellement des commissions lui sont dues pour les opérations conclues avec les tiers dont elle avait obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre et, après la cessation du contrat, pour les opérations conclues dans le délai de six mois suivant la date de cessation définitive et qui sont la suite du travail de prospection effectué par elle pendant l'exécution du contrat.

D'ailleurs, les factures des ventes, de juillet 2014 à avril 2018, ont été communiquées postérieurement au prononcé du jugement, le 5 mars 2021.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé dans toutes ses dispositions.

Succombant sur son appel, la société agence Py doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à Mme [T] la somme de 3000 euros en remboursement des frais non taxables qu'elle a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Rejette le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel,

Au fond, confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 2 février 2021,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Agence Py aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à Mme [T] la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,