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Décisions

CA Paris, 2e ch. B, 30 juin 1995, n° 93.024540

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mandras

Défendeur :

Rougeaux, Tricaud, Violas (Epoux), Paire, Prospective et Speculation (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Germain

Conseillers :

Mme Kamara, Mme Schoendoerffer

Avoués :

Me Nut, SCP Baufume, Me Moreau

Avocats :

Me Bonaldi, Me Dessaix, Me Perez

T. com. Paris, 2e ch., du 26 oct. 1993

26 octobre 1993

Le capital de la SARL Prospective et Spéculation constituée en 1986 se répartissait entre M. ROUGEAUX (60 parts), Mme MANDRAS épouse ROUGEAUX (40 parts), Violas (60 parts) et Mme ROUXEL épouse VIOLAS (40 parts).

Deux actes de cession de parts de ladite SARL sont intervenus, à savoir :

1/ Acte daté du 30 JUILLET 1987, enregistré le 12 août 1987, par lequel Mme MANDRAS et M. ROUGEAUX cèdent à M. TRICAUD, la première les 40 parts lui appartenant, numérotées 121 à 160, le second 10 parts lui appartenant, numérotées 1 à 10, Mme ROUXEL et M. VIOLAS intervenant à l’acte pour donner leur accord à la cession et agréer le nouvel associé -

2/ Acte dont la date est litigieuse (un exemplaire portant la date du 31 JUILLLET 1987, les autres celles du 10 JUILLET 987) enregistré le 7 AOUT 1987, par lequel M. VIOLAS cède à M. PAIRE 50 parts lui appartenant numérotées 61 à 110 - Mme ROUXEL, M. TRICAUD et M. ROUGEAUX intervenant à l’acte pour donner leur accord à la cession et agréer le nouvel associé.

Seul l’acte de cession du 30 JUILLET 1987 a été contesté en première instance.

Soutenant n'y avoir elle-même jamais consenti et le disant entaché d'abus de blanc seing et de faux imputés à M. ROUGEAUX, Mme MANDRAS a formé une demande tendant à l’annulation de cet acte et de désignation d’un administrateur provisoire de la SARL Prospective et Spéculation devant le Tribunal de Commerce de PARIS, lequel a, par le jugement déféré, rejeté une exception d’incompétence en raison de la matière soulevée par M. ROUGEAUX, dit Mme MANDRAS irrecevable en sa demande dirigée contre M. TRICAUD du fait de prescription quinquennale de l’article 1304 du Code Civil, rejeté la demande de sursis à statuer formée par Mme MANDRAS eu égard à la plainte avec constitution de partie civile par elle déposée pour faux, dit Mme MANDRAS mal fondée en sa demande de nomination d’un administrateur provisoire.

Le Tribunal, estimant abusive l’action de Mme MANDRAS, l’a condamné en outre à payer à titre de dommages-intérêts 15.000 FRS à M. TRICAUD et 1 Franc à M. ROUGEAUX, allouant en outre 5.000 FRS à chacun d’eux en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Mme MANDRAS a interjeté appel de cette décision à l’encontre de M. ROUGEAUX, M. TRICAUD, M. VIOLAS, Mme ROUXEL épouse VIOLAS, M. PAIRE et la SARL Prospective et Spéculation.

Sollicitant la réformation du jugement en toutes ses dispositions, elle a dans un premier temps conclu au principal au sursis à statuer dans l’attente de l’issue réservée au pénal à sa plainte, à titre subsidiaire, à l’annulation des deux actes de cession de parts intervenus depuis la création de la SARL, au rétablissement de sa personne dans ses droits sociaux, à la dissolution de la société pour mésentente grave entre les associés, à la nomination d’un administrateur provisoire, à la condamnation solidaire de Mme VIOLAS, MM. VIOLAS, ROUGEAUX, TRICAUD et PAIRE au paiement de 20.000 FRS en vertu de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par conclusions ultérieures, Mme MANDRAS a déclaré renoncer à sa demande de sursis à statuer et repris à titre principal sa demande au fond.

Dans ses dernières écritures signifiées la veille de l’ordonnance de clôture, elle renouvelle à titre "infiniment subsidiaire” sa demande de sursis à statuer et, ajoutant à ses précédentes demandes, requiert la condamnation solidaire des intimés à lui verser 50.000 FRS et de dommages-intérêts et 50.000 FRS au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant la Cour.

M. ROUGEAUX conclut banalement à la confirmation du jugement entrepris et à l’allocation de 15.000 FRS en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

M. TRICAUD et la SARL Prospective et Spéculation dont le gérant actuel est M. TRICAUD soulève l’irrecevabilité de Mme MANDRAS en ses demandes nouvelles formées en cause d'appel tendant à la nullité des actes de cession de parts intervenus depuis la création de la SARL et à la dissolution de celle-ci. Pour le surplus, ils sollicitent la confirmation de la décision entreprise en invoquant l’irrecevabilité de la demande de nullité de la cession de parts intervenue le 30 JUILLET 1987 du fait de l’acquisition d'une part de la prescription quinquennale de l’article 1304 du Code Civil, d'autre part de la prescription triennale de l’article 367 de la loi du 24 JUILLET 1966.

En outre, M. TRICAUD réclame la condamnation de Mme MANDRAS à lui verser 50.000 FRS de dommages-intérêts pour procédure abusive et une indemnité complémentaire de 10.000 FRS en vertu de l’article 700.

La SARL Prospective et Spéculation réclame 10.000 FRS de dommages-intérêts pour procédure abusive et 5.000 FRS au titre de l’article 700.

M. PAIRE et les époux VIOLAS régulièrement assignés et réassignés ne comparaissent pas.

SUR QUOI, LA COUR,

Qui, pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure antérieure, s’en réfère expressément à la décision attaquée,

Sur les cessions de parts sociales

Considérant qu’ayant sollicité du Tribunal de Commerce l’annulation de l’acte de cession du 30 juillet 1987 intervenu apparemment entre elle-même et M. TRICAUD et le rétablissement de ses droits sociaux, Mme MANDRAS étend sa demande devant la Cour à l’annulation de l’acte de cession du 10 au 31 juillet 1987 ;

Que l’éventuelle annulation de l’acte du 30 juillet 1987 entraînera la modification de la liste des associés de sorte que, en admettant qu’il soit du 31 juillet 1987, l’autre acte litigieux serait vicié du fait de l’agrément de la cession qu’il constate par des associés au rang desquels ne figurerait plus Mme MANDRAS ;

Que l’annulation de l’autre acte n’est donc que la conséquence ou le complément des prétentions initiales ;

Que la fin de non-recevoir tirée de l’article 564 du Nouveau Code de Procédure Civile opposée en ce qui la concerne par M. TRICAUD doit dès lors être rejetée ;

Considérant que Mme MANDRAS invoque à l’encontre des deux actes de cession, à titre principal, le non-respect des formalités imposées par l’article 45 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et par l’article 29 du décret du 23 mars 1967, à savoir l’absence de notification du projet de cession à la société et à chacun des associés et l’absence d'assemblée générale devant agréer le nouvel associé ;

Que M. TRICAUD oppose la prescription de l’article 367 de la loi précitée, à quoi Mme MANDRAS réplique que l’acte de cession de parts étant de nature civile les règles de prescription applicables relèvent de l’article 1304 du Code Civil ;

Considérant que si la cession de droits sociaux est en principe un acte civil, il en va autrement lorsque l’opération a pour but d’apporter une modification substantielle au contrôle de la société comme il est advenu en l’espèce, ainsi que l’ont justement estimé les premiers juges pour retenir leur compétence ; qu'en effet par les deux actes litigieux la moitié du capital de la société Prospective et Spéculation a changé de propriétaire, l’un des nouveaux associés en étant ensuite devenu le gérant ;

Que du reste Mme MANDRAS avait elle-même admis le caractère commercial de l’opération puisque elle avait saisi la juridiction commerciale ;

Considérant que la prescription triennale de l’article 367 est acquise en l’occurence, Mme MANDRAS n'avant introduit l’instance que le 26 novembre 1992 à l’encontre d'actes remontant à 19 ;

Que la demande fondée sur l’irrégularité des cessions de part ne peut donc prospérer ;

Considérant que Mme MANDRAS invoque en second lieu l’inexistence de l’acte du 30 JUILLET 1987 et dès lors sa nullité absolue, en raison de l’absence totale de manifestation de volonté de sa part ; qu'elle fait valoir que pour pouvoir vendre ses parts à M. TRICAUD, M. ROUGEAUX a utilisé des blancs-seings qu'elle lui avait remis à sa demande sous le prétexte de procurations à donner en vue de liquider la société ; qu'il a en outre commis des faux en écritures ;

Considérant qu'il est constant qu'une information est en cours sur constitution de partie civile de Mme MANDRAS à raison des mêmes faits ;

Considérant que la décision a intervenir sur l’action publique est susceptible d'influer sur celle qui doit être rendue par la juridiction civile ;

Considérant que conformément à l’article 4 du Code de Procédure Pénale le sursis à statuer s'impose donc nonobstant les tergiversations de Mme MANDRAS sur ce point ;

Sur les demandes concernant la société Prospective et Spéculation

Considérant que Mme MANDRAS saisit pour la première fois la Cour d’une demande de dissolution de la société en invoquant la mésentente grave qui existerait entre les associés ; qu’elle réitère en outre la demande de désignation d’un administrateur provisoire qu’elle avait formée devant les premiers juges compte tenu de cette même mésentente, étant observé que la mission de ce mandataire de justice qu’elle propose est non de gérer et administrer comme il se devrait ; mais essentiellement de déterminer les bénéfices à distribuer ;

Considérant que la demande de dissolution ne peut être tenue pour virtuellement comprise dans demande précédente d'administration provisoire ; qu'il ne peut non plus être admis qu'elle est l’accessoire, la conséquence ou le complément de celle-ci, encore que dans l’une ou l’autre demande la mésentente des associés soit également alléguée ;

Qu'à juste titre donc M. TRICAUD oppose l’irrecevabilité de la demande de dissolution ;

Considérant qu’en l’état, sur la demande de mise sous administration provisoire, Mme MANDRAS n’a pas qualité à agir, n’étant plus associée de la société ;

Qu'au surplus, elle n'apporte aucune preuve de la mésentente grave des associés dont elle fait état et qui justifierait une telle mesure dans la situation présente ;

Sur les autres demandes

Considérant que l’examen des demandes de dommages-intérêts et d’application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile est différé jusqu’à disparition de la cause de sursis ; que les dépens doivent être également réservés ;

PAR CES MOTIFS,

Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir opposée par M. TRICAUD en ce qui concerne la cession de parts du 10 ou 31 JUILLET 1987,

Dit Mme MANDRAS irrecevable en sa demande fondée sur l’article 45 de la loi du 24 JUILLET 1966,

Sursoit à statuer sur la demande fondée sur l’inexistence des actes jusqu'à ce qu'une décision définitive intervienne dans l’instance pénale actuellement en cours à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de Mme MANDRAS pour faux, usage de faux, abus de blanc-seing,

Dit Mme MANDRAS irrecevable en sa demande de dissolution de la SARL Prospection et Spéculation,

La dit, en l'état, irrecevable, en tout cas mal fondée en sa demande de désignation d'un administrateur provisoire de ladite société,

Reserve l’examen des demandes de dommages-intérêts et d'application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Reserve les dépens,

Ordonne le retrait de la présente affaire du rôle de la Cour et dit qu'elle sera rétablie par la partie la plus diligente dès que la cause de sursis aura pris fin.