Livv
Décisions

CA Paris, 3e ch. A, 4 décembre 2007, n° 06/12554

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mongoual (SA), Montaigne 1 BV (Sté), Axa France Vie (SA), Ugipar (SAS)

Défendeur :

Montaigne Jean Goujon (SAS), Ufipar (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chagny

Conseillers :

M. Le Dauphin, Mme Moracchini

Avoués :

SCP Duboscq - Pellerin, SCP Fisselier - Chiloux - Boulay, SCP Gaultier - Kistner

Avocats :

Me Brochier, Me Bonan, Me Talbourdet, Me Grandjean, Me Terrier

T. com. Paris, du 20 juin 2006, n° 04/09…

20 juin 2006

Vu le jugement en date du 20 juin 2006 par lequel le tribunal de commerce de Paris a :

- dit que le droit de préemption prévu au protocole d'accord du 6 juin 1997 s'appliquait à la cession des actions de la société Montaigne Jean Goujon,

- condamné la société Axa France Vie (ci-après la société Axa) à payer à la société Montaigne 1 BV la somme de deux millions d'euros au titre de la rupture abusive des pourparlers et celle de 30.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes autres demandes ;

Vu l'appel formé par les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual à l'encontre de cette décision ;

Vu les conclusions en date du 21 septembre 2007 par lesquelles les appelantes demandent à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que les cessions en date du 26 juillet 2004 entre les sociétés Axa, Ugipar et Ufipar entrent dans le champ d'application du droit de préemption stipulé au pacte d'actionnaires du 6 juin 1997 et en ce qu'il a condamné Axa pour rupture abusive de pourparlers,

- de l'infirmer pour le surplus et,

+ à titre principal :

. de prononcer la nullité de la cession en date du 26 juillet 2004 entre la société Axa (cédante) et la société Ufipar (cessionnaire) portant sur 319 actions du capital de la société par actions simplifiée Montaigne Jean Goujon,

. de prononcer la nullité de la cession en date du 26 juillet 2004 entre la société Ugipar (cédante) et la société Ufipar (cessionnaire) portant sur une action du capital de la société Montaigne Jean Goujon,

. d'ordonner la substitution par le transfert par Ufipar de 320 actions du capital de la société Montaigne Jean Goujon aux conditions des cessions du 26 juillet 2004, soit 39.976,755 euros ou, à défaut, par le transfert par Montaigne Jean Goujon à Montaigne 1 BV de 101.384 actions aux conditions de prix des cessions du 26 juillet 2004,

+ à titre subsidiaire :

. de dire qu'Axa, Ugipar, Montaigne Jean Goujon et Ufipar se sont rendues coupables d'une fraude au droit de préemption stipulé dans la convention du 6 juin 1997,

. de dire qu'Axa, Ugipar, Montaigne Jean Goujon et Ufipar se sont rendues coupables d'une fraude à la clause d'agrément figurant à l'article 11 des statuts de Mongoual,

. en conséquence, de prononcer la nullité de la cession en date du 26 juillet 2004 entre la société Axa (cédante) et la société Ufipar (cessionnaire) portant sur 319 actions du capital de la société par actions simplifiée Montaigne Jean Goujon,

. de prononcer la nullité de la cession en date du 26 juillet 2004 entre la société Ugipar (cédante) et la société Ufipar (cessionnaire) portant sur une action du capital de la société Montaigne Jean Goujon,

. et d'ordonner le transfert par Ufipar de 320 actions du capital de la société Montaigne Jean Goujon aux conditions des cessions du 26 juillet 2004, soit 39.976,755 euros ou, à défaut, par le transfert par Montaigne Jean Goujon à Montaigne 1 BV de 101.384 actions aux conditions de prix des cessions du 26 juillet 2004,

+ en tout état de cause :

. de condamner solidairement Axa, Ugipar, Montaigne Jean Goujon et Ufipar à payer à Montaigne 1 BV la somme de 35,72 millions d'euros pour rupture des pourparlers,

. de condamner solidairement Axa, Ugipar, Montaigne Jean Goujon et Ufipar à payer à Mongoual la somme de 4 millions d'euros pour rupture des pourparlers,

. de débouter les sociétés Axa, Ugipar, Montaigne Jean Goujon et Ufipar de toutes leurs demandes,

. de les condamner solidairement à leur payer la somme de 70.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 24 septembre 2007 par lesquelles les sociétés Axa et Ugipar, intimées et appelantes incidemment, demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual de toutes leurs demandes et de les condamner, chacune, à leur payer la somme de 70.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 19 octobre 2007 par lesquelles les sociétés Ufipar et Montaigne Jean Goujon, intimées et appelantes incidemment, demandent à la cour :

- d'annuler le jugement déféré pour violation du principe de la contradiction,

- de le confirmer en ce qu'il a jugé que le droit d'agrément contenu dans les statuts de la société Mongoual ne s'appliquait pas à la cession des actions de la société Montaigne Jean Goujon et en ce qu'il a dit que les sociétés Ufipar et Montaigne Jean Goujon ne pouvaient voir leur responsabilité engagée au titre de la rupture des pourparlers engagés entre Axa et Montaigne 1 BV,

- de l'infirmer en ce qu'il a déclaré le droit de préemption du pacte d'actionnaires applicable à la cession des actions Montaigne Jean Goujon intervenue le 26 juillet 2004,

- en tout état de cause, de débouter les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual de l'intégralité de leurs demandes,

- de les condamner in solidum à payer à chacune d'elles la somme de 75.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur ce :

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'annuler le jugement déféré en l'état des conclusions, sur ce point ambiguës, des sociétés Ufipar et Montaigne Jean Goujon, qui sollicitent tout à la fois l'annulation du jugement, sa confirmation quant à certains chefs et son infirmation quant à certains autres ; qu'au demeurant, cette demande est dépourvue d'intérêt dès lors qu'en cas d'annulation du jugement en raison de la violation alléguée du principe de la contradiction, la cour serait tenue de statuer sur le fond du litige, dans les termes qui suivent ;

Considérant que la société anonyme Mongoual, constituée en 1980, a pour objet - et unique activité - la gestion par voie de location de l'immeuble qui lui appartient, situé à [...], d'une superficie d'environ 18.000 m2 se développant autour d'une cour carrée, immeuble entièrement occupé depuis 1999 par la société LVMH qui y a installé son siège social après y avoir effectué d'importants travaux ;

Considérant que les actions représentant le capital de la société Mongoual sont, depuis l'origine, détenues à hauteur de 60% par la société de droit néerlandais Montaigne 1 BV, ayant son siège à Amsterdam, et, à hauteur de 40%, par la société par actions simplifiée Montaigne Jean Goujon, initialement constituée sous forme de société civile immobilière ;

Considérant que le 6 juin 1997, la société Mongoual, alors contrôlée par la société Euro Montaigne NV, filiale indirecte de la Caisse des dépôts et consignations (la CDC), et la société Montaigne Jean Goujon, alors filiale à 100% de l'UAP, ont signé un 'protocole d'accord', applicable pour toute la durée pendant laquelle l'une ou l'autre des signataires ou leur(s) cessionnaire(s) ayant adhéré au pacte détiendra des titres de Mongoual et visant principalement, selon son préambule, à fixer 'les règles qu'elles ont entendu rendre applicables en cas de mouvement sur le capital social de Mongoual, les modalités de gestion de Mongoual, leurs engagements respectifs en ce qui concerne les modalités de financement des travaux et investissements que Mongoual devra réaliser dans le cadre de la restructuration de l'immeuble' ;

Considérant qu'aux termes de cette convention (article 1er), la société Montaigne Jean Goujon s'interdit, pendant toute la durée du protocole d'accord, 'd'aliéner tout ou partie des titres de Mongoual qui lui appartiennent ou lui appartiendront', au profit d'un actionnaire de Mongoual ou de tiers étrangers à cette dernière, avant de les avoir préalablement offerts à Montaigne 1 BV qui disposera d'un droit de préemption pour les acquérir, selon les modalités précisées par cette stipulation ; que l'article 2 de ladite convention prévoit un droit de préemption au profit de la société Montaigne Jean Goujon en cas de cession des titres de Mongoual appartenant à la société Montaigne 1 BV, selon des modalités identiques ;

Considérant que l'article 3 aménage un droit de sortie conjointe des deux actionnaires de Mongoual au cas où l'un d'eux désirerait céder à un tiers l'intégralité de sa participation dans le capital de Mongoual ;

Considérant que l'article 5 de l'acte du 6 juin 1997, intitulé 'Champ d'application du droit de préemption et du droit de sortie conjointe', est ainsi rédigé :

'Le présent protocole s'applique à toutes les actions composant le capital social de Mongoual et à tous titres tels qu'obligations (qu'elles soient simples, convertibles ou échangeables), OBSA, BSA ou toutes autres valeurs mobilières qui viendraient à être émises par Mongoual et, en cas de transformation de cette dernière en société d'une autre forme, à tous les titres qui seront émis en représentation du capital social, que détiennent ou détiendront les soussignées ou qui pourraient leur être attribuées pour quelque cause que ce soit, ainsi qu'à tous les droits de souscription attachés auxdits titres.

'Le droit de préemption s'appliquera à toutes les aliénations par quelque mode que ce soit, par transfert direct ou indirect, cession, apport, donation, échange, fusion, prêt de consommation, nantissement, transfert universel de patrimoine, ou autrement, sous réserve des exceptions stipulées à l'article 3 ci-dessus' ;

Considérant qu'il est encore stipulé (article 4) que le droit de préemption et le droit de sortie conjointe ne s'appliqueront pas aux aliénations réalisées par la société Montaigne 1 BV ou la société Montaigne Jean Goujon au profit de toute société qu'elles contrôlent, directement ou indirectement, à plus de 51% et à la condition que ce contrôle ne soit pas modifié pendant une durée de trois ans ;

Considérant qu'en décembre 2002, la CDC a cédé aux sociétés Daves[...] et Daves[...], appartenant au groupe familial de promotion immobilière dirigé par M. Claude Dray, le contrôle de la société Montaigne 1 BV ;

Considérant que le 26 juillet 2004, la société Montaigne Jean Goujon a, lors de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Mongoual appelée à se prononcer sur le projet de fusion absorption de la société Mongoual par la société Montaigne Jean Goujon, émis un vote défavorable à cette opération ;

Considérant que le même jour, les sociétés Axa et Ugipar, respectivement titulaires de 319 et une actions de Montaigne Jean Goujon, cédaient ces titres, représentant l'intégralité du capital social de Montaigne Jean Goujon, à la société Ufipar, filiale de la société LVMH, laquelle leur avait transmis le 19 juillet 2004 une offre d'acquisition desdits titres ; que le transfert de propriété intervenait à la même date, moyennant le prix de 39.976.755 euros, le cessionnaire s'étant en outre obligé à procéder, au jour de la délivrance des actions, au rachat ou au remboursement du compte courant détenu par Axa dans les livres de la société Montaigne Jean Goujon lequel s'élevait à environ 51 millions d'euros ;

Considérant que, soutenant que le droit de préemption contenu dans la convention du 6 juin 1997 et la clause d'agrément insérée dans les statuts de la société Mongoual étaient applicables aux cessions d'actions du 26 juillet 2004, les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual ont assigné les sociétés Axa, Ugipar, Ufipar et Montaigne Jean Goujon afin de voir prononcer l'annulation desdites cessions et ordonner le transfert par Montaigne Jean Goujon à Montaigne 1 BV de 101.384 actions Mongoual pour le prix de 80.693.200 euros ; qu'elles demandaient en outre la condamnation des défenderesses à leur payer, respectivement, six et quatre millions d'euros en réparation du préjudice qui leur aurait été causé par leur comportement déloyal lors du rejet du projet de fusion des sociétés Montaigne Jean Goujon et Mongoual ;

Considérant que c'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement déféré ; que le premier juge, après avoir dit que les cessions des actions représentant le capital de la société Montaigne Jean Goujon, si elles échappaient au droit d'agrément figurant à l'article 11 des statuts de la société Mongoual, entraient en revanche dans le champ d'application du droit de préemption, a retenu que l'annulation de ces cessions ne pouvait être prononcée en l'absence de preuve de manoeuvres

frauduleuses, l'inobservation du droit de préemption contractuel ne pouvant être sanctionnée que par l'allocation de dommages-intérêts, ce qui n'était pas demandé ; que tout en relevant par ailleurs que les sociétés Axa et Ugipar étaient libres de changer d'avis tant que les assemblées générales devant délibérer sur le projet de fusion n'étaient pas tenues et qu'il était logique que Montaigne Jean Goujon vote le 26 juillet 2004 contre le projet de fusion puisque M. Dray avait accordé jusqu'au 31 juillet 2004 à Axa pour se prononcer sur l'offre de LVMH, le premier juge, selon qui la société Axa devait supporter les conséquences de sa décision de vendre les actions de Montaigne Jean Goujon en violation du droit de préemption, l'a condamnée à payer à la société Montaigne 1 BV une indemnité de deux millions d'euros 'pour la rupture des pourparlers' relatifs à l'opération de fusion ;

Considérant que les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual, concluant sur ce point à la confirmation du jugement, font valoir, en premier lieu, que les cessions par Axa et Ugipar de leurs titres Montaigne Jean Goujon à LVMH (Ufipar), en date du 26 juillet 2004, devaient être soumises au droit de préemption contractuel dont bénéficiait la société Montaigne 1 BV en vertu du pacte d'actionnaires du 6 juin 1997 ; qu'en effet, en soumettant au droit de préemption, aux termes de l'article 5, alinéa 2, dudit pacte, 'le transfert direct ou indirect' des titres Mongoual, les parties ont, selon les appelantes, exprimé leur volonté de l'étendre à toute opération opérant mutation des actions composant le capital d'une société détentrice d'une participation dans la société Mongoual ; qu'elles en déduisent que dès lors qu'Ufipar, acquéreur des titres cédés par Axa et Ugipar, avait connaissance avant son acquisition de l'existence du droit de préemption de Montaigne 1 BV et de l'intention de celle-ci de s'en prévaloir, les cessions en cause, conclues en méconnaissance du droit de préférence, doivent être annulées et que Montaigne 1 BV doit être substituée à Ufipar, aux conditions desdites cessions ;

Mais considérant, d'abord, qu'il résulte des termes mêmes du pacte d'actionnaires du 6 juin 1997, et spécialement de ceux ci-dessus reproduits de l'article 5 relatif au champ d'application de cette prérogative contractuelle, que le droit de préemption qu'il organise a pour seul objet les opérations emportant, de quelque manière que ce soit, transfert de la propriété des titres émis par la société Mongoual en représentation du capital social ; qu'il est, à cet égard, vainement soutenu par les appelantes qu'en soumettant au droit de préemption le transfert indirect des titres Mongoual, l'alinéa 2 de l'article 5 permet d'appréhender la cession des actions représentant le capital d'une société détentrice d'une participation dans Mongoual ; qu'en effet, après avoir dit que le droit de préemption concernait les titres émis par la société Mongoual et eux seuls (article 5, alinéa 1er), les parties ont entendu marquer leur volonté de l'appliquer à tous les actes juridiques ayant pour effet d'opérer transfert de la propriété de ces titres (article 5, alinéa 2), et ont donné des exemples d'opérations produisant, à leurs yeux, un tel effet translatif de propriété, directement ou indirectement ;

Considérant, ensuite, que le préambule du protocole d'accord du 6 juin 1997, loin de manifester la volonté des signataires de montrer que ledit protocole concerne l'actionnariat direct et indirect de la société Mongoual, comme l'a dit à tort le premier juge, vient corroborer la lettre claire du contrat puisqu'après avoir rappelé la structure de détention directe et indirecte du capital de la société Mongoual, il précise que les deux parties signataires de l'acte, à savoir les sociétés Montaigne Jean Goujon et Montaigne 1 BV, respectivement détentrices de 40% et 60% dudit capital, ont souhaité fixer les règles qu'elles ont entendu 'rendre applicables en cas de mouvement sur le capital social de Mongoual', ce qui exclut les opérations affectant le capital social d'autres personnes morales ;

Considérant, en outre, que les intimés font pertinemment valoir que la thèse des appelantes, si elle était accueillie, aurait pour conséquence d'étendre à des tiers, en violation des dispositions de l'article 1165 du code civil, l'effet obligatoire de la convention du 6 juin 1997 ; qu'en effet cette analyse ferait nécessairement naître des obligations dans le chef des sociétés détentrices du capital des actionnaires de la société Mongoual, qui seraient tenues de se soumettre en cas de cession de tout ou partie de leur participation aux exigences du pacte d'actionnaires du 6 juin 1997 alors qu'elles n'y ont pas consenti  ;

Considérant que les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual font valoir, en deuxième lieu, que s'il devait être jugé, ce qui est le cas, que les cessions du 26 juillet 2004 n'entraient pas dans le champ d'application du droit de préemption stipulé dans le pacte d'actionnaires, la cour ne pourrait que constater que ces cessions, portant non sur les actions Mongoual détenues par Montaigne Jean Goujon, ce qui était la solution naturelle eu égard à l'objectif poursuivi et par la société LVMH 'désireuse de devenir propriétaire de son siège social', comme elle le rappelait aux termes de ses offres des 16 juillet et 19 juillet 2004, mais sur l'intégralité du capital social de la société Montaigne Jean Goujon, avaient pour seul objectif de contourner l'application de cette clause comme celle de la clause d'agrément contenue dans les statuts de la société Mongoual et que les éléments constitutifs de la fraude, à savoir l'existence d'une règle obligatoire, laquelle peut être contractuelle, la volonté d'en éluder l'application et l'utilisation de moyens appropriés pour y parvenir, sont réunis en l'espèce ;

Mais considérant que l'application de la théorie de la fraude, invoquée par les appelantes, implique ainsi qu'elles le relèvent que soit caractérisée l'intention frauduleuse des intéressés, c'est-à-dire leur volonté d'éluder une règle obligatoire, même contractuelle, par l'emploi d'un moyen efficace dont les conditions d'application sont artificiellement créées, et qu'une telle preuve ne résulte, en l'espèce, ni du caractère asymétrique des offres du groupe LVMH, portant l'une sur les actions de la société Montaigne Jean Goujon détenues par Axa, l'autre sur celles de la société Mongoual détenues par Montaigne 1 BV, ni des dates d'envoi distinctes (la première offre ayant été adressée le vendredi 16 juillet 2004, la seconde le lundi 19 juillet 2004), ni de la teneur de ces offres, laquelle n'établit pas que celle destinée à Axa a fait l'objet de plusieurs versions, ni d'aucune autre des circonstances ayant entouré l'émission de ces offres et l'acception des sociétés Axa et Ufipar ;

Considérant que la preuve de la volonté des sociétés Axa, Ufipar et LVMH (Ugipar) d'éluder l'application du pacte d'actionnaire du 6 juin 1997 et celle de la clause d'agrément insérée dans les statuts de la société Mongoual est d'autant moins rapportée que l'opération litigieuse répondait, pour toutes ces parties, à un motif légitime exclusif de la fraude alléguée ;

Considérant, en effet, d'une part, que la société Axa, qui a reçu le 19 juillet 2004 une offre, qu'elle n'a pas suscitée ni préparée, portant sur la cession du contrôle de la société Montaigne Jean Goujon - sans qu'aucune offre d'acquisition de ses titres Mongoual ne soit faite à la société Montaigne Jean Goujon - et qui en a informé M. Dray, le jour même, en indiquant que cette offre était faite 'sur la base d'une valeur de l'immeuble Montaigne substantiellement supérieure à celle retenue dans le projet de fusion' et qu'en raison de la situation nouvelle ainsi créée, il lui apparaissait que le processus de fusion initié devait être suspendu - n'a fait qu'user de son droit de donner aux éléments d'actifs en cause l'affectation qui lui paraissait la plus conforme à ses intérêts patrimoniaux comme à ceux de ses assurés ; que, d'autre part, les considérations économiques exposées par le groupe LVMH, sans être utilement contredit, et spécialement l'avantage qu'il trouvait sur le plan fiscal à acquérir des actions de la société Montaigne Jean Goujon plutôt que les actions Mongoual détenues par la société Montaigne Jean Goujon, comme la difficulté dans laquelle il se trouvait d'obtenir des informations d'ordre financier et comptable sur la situation de la société Montaigne 1 BV, justifiaient que LVMH situe au niveau des actions émises par la société Montaigne Jean Goujon l'offre faite à la société Axa et à celui des actions émise par la société Mongoual l'offre faite au groupe Dray ; qu'il sera toutefois, et surabondamment, relevé que M. Dray ayant décliné le 19 juillet 2004 l'offre relative aux titres Mongoual, LVMH lui a fait savoir, le lendemain, que, le cas échéant, s'il y avait convenance, LVMH serait disposée à envisager l'acquisition de la société Montaigne 1 BV dans la mesure où sa participation dans la société Mongoual serait son seul actif et sous réserve des conclusions d'un audit juridique, comptable et fiscal, cette proposition alternative étant pareillement refusée par M. Dray, le 20 juillet, ainsi que le rappelait le représentant de la société LVMH dans la lettre adressée le 21 juillet 2004 à la société Montaigne 1 BV (pièce n° 35 des appelantes) ;

Considérant que les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual font encore valoir qu'il y a lieu, en tout état de cause, de condamner solidairement les sociétés Axa, Ugipar, Montaigne Jean Goujon et Ufipar à lui payer la somme de 37,5 millions d'euros à titre de dommages-intérêts 'pour ruptureabusive des pourparlers' ; qu'elles exposent à cette fin qu'après des mois de négociation, le processus de fusion absorption de la société Mongoual par la société Montaigne Jean Goujon se trouvait à la phase ultime de la procédure légale après son approbation par les conseils d'administration des sociétés Mongoual et Montaigne Jean Goujon et le dépôt au greffe du tribunal de commerce du rapport du commissaire à la fusion et aux apports ; qu'alors qu'il ne restait plus qu'à le faire voter par ceux-là mêmes (actionnaires et personnes physiques représentant les actionnaires) qui avaient négocié et signé le projet de fusion, Montaigne 1 BV a découvert, avec la plus grande surprise, le jour de l'assemblée générale de Mongoual, qu'Axa avait brutalement et unilatéralement, et alors que les conditions économiques n'avaient pas changé, décidé de faire échouer cette opération et ce sans dire qu'elle se préparait à céder les titres de sa filiale juste après l'assemblée convoquée dans la matinée du 26 juillet 2004, Montaigne 1 BV n'ayant été informée de cette cession que le 5 août à l'occasion de la procédure de référé vainement introduite par celle-ci et les sociétés Daves aux fins de mise sous séquestre des actions Montaigne Jean Goujon ; que les appelantes précisent que ce comportement déloyal est imputable tant aux sociétés Axa et Ugipar qu'à la société Montaigne Jean Goujon, car c'est cette dernière qui a voté contre le projet de fusion au cours de l'assemblée générale de Mongoual, et à la société Ufipar, qui s'est rendue complice par des manoeuvres frauduleuses de la rupture fautive du processus de fusion ;

Mais considérant, d'abord, s'agissant des sociétés Axa et Ufipar, que l'objet des négociations engagées entre Axa et le groupe Dray - qui n'ont réellement commencé qu'en janvier 2004 - était la mise au point d'un dispositif permettant à Axa de se désengager de la structure de détention du capital de la société Mongoual et au groupe Dray d'en détenir la totalité, ainsi que cela résulte de la télécopie du 5 mars 2004 émanant d'Axa et signée par M. Dray, laquelle n'avait d'autre objet que 'd'acter le stade d'avancement de (leurs) discussions portant sur le projet de cession à terme de l'intérêt économique' d'Axa dans l'immeuble de l'[...], sans créer d'obligations pour les parties ; que ce dispositif devait comporter deux étapes, la première étant l'absorption au cours de l'été 2004 de la société Mongoual par la société Montaigne Jean Goujon, ce qui devait ramener à 23% la participation d'Axa dans le capital de Montaigne Jean Goujon, la seconde étant la cession au groupe Dray, au cours de l'année 2006, des actions dont Axa serait demeurée titulaire dans Montaigne Jean Goujon après remboursement de son compte courant ;

Considérant qu'alors que le processus devant conduire à la réalisation de la première étape de cette opération - rendue publique par le dépôt du projet de traité de fusion au greffe du tribunal de commerce de Nanterre le 24 juin 2004 - était proche de son terme, est survenu un élément nouveau, qui modifiait sensiblement les données économiques de ladite opération et au vu duquel la société Axa a pu légitimement reconsidérer celle-ci ; qu'en effet, ladite offre donnait à la société Axa (et à Ugipar) la possibilité de se désengager totalement et sans délai de la société Montaigne Jean Goujon et ce à des conditions financières plus favorables que celles qu'aurait emportées la mise en oeuvre du projet discuté avec la société Montaigne 1 BV, laquelle s'exprimait par la voix de M. Dray ;

Qu'au demeurant, ce dernier, immédiatement informé par Axa de la réception de cette offre - dont il connaissait déjà l'existence puisqu'elle était mentionnée dans la lettre que LVMH lui avait adressée le 16 juillet 2004 - loin de contester qu'Axa puisse y trouver un motif légitime de réorientation de la stratégie envisagée pour sa sortie, a répondu, par une télécopie du 22 juillet 2004 au message reçu d'Axa le 19 juillet, lequel contenait en outre une demande de suspension du processus de fusion, qu'il prenait acte de cette 'décision de suspension de (leurs) assemblées générales', tout en attirant l'attention d'Axa sur la nécessité de fixer une date limite à cette suspension, soit selon lui le 31 juillet 2004, afin de ne pas perdre le bénéfice d'un crédit bancaire promis à la société devant résulter de la fusion, ajoutant qu'Axa disposerait ainsi 'du temps nécessaire à l'examen de l'offre reçue et à la mise en oeuvre du droit de préemption régissant les relations d'associés de nos deux Groupes si vous décidiez de donner une suite favorable à cette offre en dépit de l'aboutissement de nos négociations' ; que la société Axa lui a répondu, le 23 juillet 2004, que le droit de préemption invoqué lui apparaissait juridiquement inapplicable au niveau des actionnaires des structures de détention de la société Mongoual et lui a demandé s'il pouvait faire en sorte que le représentant légal de cette dernière - Mme Vanessa Dray Mouyal - confirme ou infirme à Montaigne Jean Goujon que l'assemblée générale des actionnaires de Mongoual convoquée pour le 26 juillet 2004 était effectivement suspendue ;

Considérant qu'il résulte de ces constatations qu'aucun manquement à leur obligation de bonne foi ne peut être utilement reproché aux sociétés Axa et Ugipar à raison de la cession par Axa et Ugipar à Ufipar de l'intégralité de leurs participations dans Montaigne Jean Goujon et de l'abandon des pourparlers en cours avec la société Montaigne 1 BV et le groupe Dray, lesquels ne peuvent sérieusement soutenir avoir découvert 'avec la plus grande surprise' (concl. p. 43), le jour de l'assemblée générale de Mongoual, maintenue au 26 juillet 2004, que Montaigne Jean Goujon avait pris la décision de voter contre le projet de fusion des sociétés Mongoual et Montaigne Jean Goujon ; qu'il sera, au surplus, relevé, d'une part, que l'accord d'Axa et d'Ugipar au projet de fusion impliquait que les parties se soient entendues à la date du 26 juillet 2004 sur toutes les modalités contractuelles appelées à régir la seconde étape du désengagement d'Axa et qu'il ne résulte pas des éléments soumis à l'appréciation de la cour que tel était le cas, et, d'autre part, que le projet de traité de fusion comportait (p. 18) une clause prévoyant qu'il serait nul et non avenu et qu'aucune indemnité ne serait due de part et d'autre à défaut de son approbation dans les mêmes termes par les assemblées générales extraordinaires des sociétés Mongoual et Montaigne Jean Goujon, au plus tard le 30 septembre 2004 ;

Considérant, ensuite, s'agissant de la société Ufipar, que le fait de contracter en connaissance de cause avec une personne ayant noué des pourparlers avec un tiers ne constitue pas en lui-même une faute de nature à engager la responsabilité de l'intéressé, sauf s'il est dicté par l'intention de nuire ou s'accompagne de manoeuvres frauduleuses ; qu'aucune manoeuvre ni aucun procédé déloyal ne sont caractérisés à la charge de la société Ufipar, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, étant ici rappelé que cette dernière, étrangère aux négociations conduites entre les sociétés Axa, Montaigne 1 BV et Mongoual, a simultanément formulé deux offres et que M. Dray ayant refusé le 19 juillet 2004 celle portant sur la totalité des actions de la société Mongoual détenues par la société Montaigne 1 BV - sur la base d'une valorisation de la société Mongoual identique à celle retenue pour l'offre adressée à la société Axa, ce dont Montaigne 1 BV était informée - Ufipar a, le même jour, fait savoir à M. Dray qu'elle était disposée à envisager l'acquisition du contrôle de la société Montaigne 1 BV ;

Et considérant que la société Montaigne Jean Goujon, qui ne saurait se voir imputer à faute l'échec du projet visant au désengagement de la société Axa, discuté entre celle-ci, détentrice de 319 des 320 actions composant son capital social, et le groupe Dray, n'a pas davantage engagé sa responsabilité quasi-délictuelle envers les appelantes en votant contre le projet de fusion-absorption de la société Mongoual par elle-même, soumis à l'assemblée des associés de Mongoual ;

Considérant, en effet, sur ce dernier point, que les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual ne sont pas mieux fondées à soutenir qu'en émettant un tel vote dans l'unique dessein de favoriser les intérêts d'Axa au détriment de ceux de Montaigne 1 BV et de l'intérêt social de Mongoual, la société Montaigne Jean Goujon s'est rendue coupable d'un abus de minorité devant être sanctionné par l'allocation de dommages-intérêts ;

Qu'il suffit de constater, à cet égard, que l'opération à laquelle ce vote a fait obstacle - et qui aurait en toute hypothèse requis l'accord, hors de portée dans le contexte créé par les offres du groupe LVMH, de l'assemblée des associés de la société Montaigne Jean Goujon - n'était pas essentielle pour la société Mongoual ; qu'elle l'était d'autant moins que ladite opération, qui visait selon le projet de traité de fusion à contribuer au développement de l'activité exercée par la société absorbante en améliorant sa capacité d'endettement aurait, si elle avait été accomplie, entraîné la disparition de la société Mongoual en tant que personne morale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'infirmer le jugement déféré, sauf en ses dispositions ayant rejeté une partie des prétentions des sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual et de débouter ces dernières de l'intégralité de leurs demandes ;

Considérant qu'il convient d'accueillir partiellement les demandes présentées par les intimées au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que celles formées par les appelantes ne peuvent qu'être rejetées ;

Par ces motifs :

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté une partie des prétentions des sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual ;

Le confirme de ces chefs et statuant à nouveau pour le surplus :

Déboute les sociétés Montaigne 1 BV et Mongoual de l'intégralité de leurs demandes ;

Les condamne solidairement à payer, en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

- à la société Montaigne Jean Goujon, la somme de 40.000 euros,

- à la société Ufipar la somme de 40.000 euros,

- à la société Axa France Vie la somme de 40.000 euros,

- à la société Ugipar la somme de 20.000 euros ;

Les condamne solidairement au paiement des dépens de première instance et des dépens d'appel, lesquels pourront être recouvrés dans les conditions prévues à l'article 699 du même code ;

Rejette toute autre demande.