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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 26 octobre 2022, n° 20/03387

NÎMES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Perrier TP (SAS)

Défendeur :

Bouquet TP et Transports (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Ougier, Mme Vareilles

Avocats :

Me Chabaud, Me Marty, Me Vajou, Me Jourdan

T. com. Nîmes, du 11 déc. 2020, n° 2018J…

11 décembre 2020

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 18 décembre 2020 par la SAS Perrier TP à l'encontre du jugement rendu le 11 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Nîmes, dans l'instance n°2018J00167,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 12 septembre 2022 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 14 septembre 2022 par la SARL Bouquet TP et transports, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu l'ordonnance en date du 24 mars 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 29 septembre 2022,

La SAS Perrier TP a été membre d'un groupement momentané d'entreprises conjointes, lequel s'est vu confier par la société anonyme Aventis Agriculture des travaux de réhabilitation des sols de l'ancien situe agrochimique de [Localité 2] (30).

A la demande de la SAS Perrier TP, la SARL Bouquet TP a établi le 25 juillet 2016:

-un devis 'estimatif' n°2016/07/479 pour la fourniture de limon de remblai, conforme guide des travaux routiers (GTR), pour une quantité de 15000 à 17000 m3 au prix de 4,80 euros TTC/m3

-un devis 'estimatif' n°2016/07/480 pour le transport de remblai au prix de 45 euros l'unité, par semi benne acier deux essieux, 24 tonnes charge utile.

Le devis 'estimatif' n°2016/07/479 prévoyait le versement d'un acompte de 30% à sa signature, soit de la somme de 21 600 euros TTC. Il précisait qu'un relevé topographique serait fait, avant chargement et après chargement, pour vérification et exactitude des m3 exploités et livrés.

Il était indiqué sur le devis 'estimatif' n°2016/07/480 que l'enlèvement du remblai serait effectué au [Adresse 4] et que la livraison aurait lieu sur le chantier ancien site Procida, [Adresse 6].

Le 3 août 2016, la SARL Bouquet TP a émis une facture n°2016/08/766 d'un montant de 21 600 euros correspondant à l'acompte de 30% prévu dans le devis n°2016/07/479.

Cette facture d'acompte sur la fourniture de remblai limon 'après analyse de votre part' a été réglée le 20 septembre 2016 par la SAS Perrier TP.

Le 31 Août 2016, la SARL Bouquet TP a émis les factures suivantes :

-facture n°2016/08/771 d'un montant de 4 050 euros TTC correspondant à 75 opérations de transport par semi benne acier, deux essieux, de 24 tonnes utile

-facture n°2016/08/772 d'un montant de 5 284,80 euros TTC correspondant à la fourniture de 1101 m3 de limon de remblai.

Ces factures ont été réglées par la SAS Perrier TP au moyen de traites.

Le 31 mars 2017, la SARL Bouquet TP a émis une facture n°2017/03/829 d'un montant de 744 euros pour la location d'une pelle 18 tonnes avec opérateur et GNR pour la journée du 29 mars 2017.

Cette facture a été réglée par la SAS Perrier TP au moyen d'une traite.

Invoquant la fin du chantier, la SAS Perrier TP a sollicité le remboursement de l'acompte versé, par courrier recommandé daté du 29 août 2017.

Par courrier recommandé daté du 7 septembre 2017, la SARL Bouquet TP a demandé à la SAS Perrier TP de lui confirmer que le chantier était réellement terminé pour cette dernière et lui a rappelé, qu'afin de respecter les engagements de son devis, elle avait investi dans l'acquisition d'une pelle mécanique de 20 tonnes et d'un véhicule 8x4 supplémentaire pour les besoins du chantier.

Par courrier recommandé daté du 10 octobre 2017, la SAS Perrier TP a confirmé à la SARL Bouquet TP que le marché de travaux de dépollution avait été résilié et a réitéré sa demande de remboursement d'acompte.

Par courrier recommandé daté du 17 novembre 2017, la SAS Perrier TP a mis en demeure la SARL Bouquet TP de procéder, sous huitaine, au remboursement intégral de la somme de 21 600 euros.

A la requête de la SAS Perrier TP, le président du tribunal de commerce de Nîmes a rendu le 14 mars 2018 une ordonnance faisant injonction à la SARL Bouquet TP de payer la somme de 21 600 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2017, et la somme de 37,07 euros pour frais de requête.

Cette ordonnance a été signifiée le 27 mars 2018 à la SARL Bouquet TP qui a formé opposition, par courrier reçu au greffe le 25 avril 2018.

Par jugement avant dire droit du 13 décembre 2019, le tribunal de commerce de Nîmes a enjoint à la SAS Perrier TP de communiquer le protocole transactionnel de résiliation par anticipation du marché signé le 28 juillet 2017.

Par jugement du 11 décembre 2020, le tribunal de commerce de Nîmes a :

-condamné la SAS Perrier TP à payer à la SARL Bouquet TP et Transport la somme de 72 000 euros de laquelle il convient de déduire l'acompte perçu de 21 600 euros, soit un solde de 50 400 euros,

-condamné la SAS Perrier TP à payer à la SARL Bouquet TP et Transport la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,

-condamné la SAS Perrier TP aux dépens de l'instance, liquidés et taxés à la somme de 171,34 euros en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, le coût de la signification de la décision, ainsi que tous autres frais et accessoires.

Le 18 décembre 2020, la SAS Perrier TP a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.

Par ordonnance du 24 mars 2022, la clôture a été prononcée avec effet au 29 septembre 2022.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2022, la société appelante demande à la cour de :

-Recevoir l'appel interjeté à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Nîmes le 11 décembre 2020,

-Le dire juste en la forme et bien fondé,

-Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Nîmes et statuant à nouveau,

-Condamner l'intimée, en application des dispositions des articles 1103 et 1104 du code civil, à payer la somme de 21 600 euros assortie des intérêts au taux légal calculés à compter du 20 Novembre 2017,

-Condamner l'intimée, en application des dispositions de l'article 1231-1 du même code, à payer la somme de 1 000 euros,

-Débouter l'intimée de toutes ses demandes fins et conclusions basées sur les dispositions des articles 1353, 1103, 1794 du code civil, L. 2193-2 du code de la commande publique, 212 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics, 22-1-32 de la norme NF P03-001, des dispositions de la Loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, de l'article 700 du code de procédure civile, tous textes inapplicables à son bénéfice, tant au titre de la confirmation du jugement rendu le 11 Décembre 2020 par le tribunal de commerce de Nîmes, qu'au titre de sa demande reconventionnelle sur appel incident

A titre subsidiaire,

Si par impossible la cour devait retenir une perte de chance,

-Déclarer que cette perte de chance ne peut excéder la somme de 1 490 euros et ordonner la compensation, en application des dispositions de l'article 1348 du code civil,

En tout état de cause,

-Condamner l'intimée à payer à l'appelante la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-Condamner l'intimée aux dépens de la procédure en ceux compris ceux exposés au titre de la procédure d'injonction de payer et ses opérations subséquentes, ainsi que le coût du droit proportionnel de recouvrement ou d'encaissement mis à la charge des créanciers en vertu de l'article A444-32 du code de commerce.

Au soutien de ses prétentions, la société appelante fait valoir :

-que les parties étaient liées par un devis estimatif de fourniture de limon prévoyant qu'un relevé topographique serait établi, avant chargement et après chargement, pour vérification et exactitude des m3 exploités et livrés,

-que les parties étaient liées suivant devis estimatif de transport de remblai prévoyant un prix unitaire au transport,

-que le devis estimatif n'a, en aucune manière, pour objet la fourniture d'un produit individualisé, façonné à la demande, non substituable et ayant nécessité l'intervention du prestataire sur le chantier en vue de la pose avec une mise en oeuvre spécifique

-qu'il ne peut être re-qualifié en contrat de sous-traitance

-que l'intimée a fourni un limon brut, sans la moindre transformation, ni travail spécifique sur ce matériau

-que les analyses effectuées pour s'assurer de la qualité et des caractéristiques du limon ne peuvent servir d'argument utile pour requalifier la vente en sous-traitance

-que l'intimée ne peut prétendre au statut de sous-traitant, à défaut d'avoir établi ses devis et factures en auto-liquidation de TVA, conformément aux dispositions de l'article 283 du code général des impôts en sa version applicable au 1er janvier 2016

-que l'obligation de procéder à l'acquisition d'une pelle mécanique n'est pas entrée dans le champ contractuel

-que l'intimée a été en pleine capacité de rentabiliser l'acquisition de cette pelle dont l'utilité correspond parfaitement à son objet social

-qu'aucune preuve n'est apportée de ce que la parcelle prétendument acquise en juin 2017 comporte effectivement du limon et que celui-ci était destiné au chantier considéré à [Localité 2]

-que cette acquisition n'est en aucune manière entrée dans le champ contractuel

-que l'intimée a pu la valoriser

-que si par impossible, la cour décidait d'indemniser l'intimée au titre d'une perte de chance, il conviendrait d'arrêter celle-ci à 1 490 euros, à partir du seul bénéfice que la société aurait pu retirer de l'exécution du contrat et non du chiffre d'affaires qui n'est pas une donnée comptable pertinente pour mesurer un manque à gagner

-que le devis expressément qualifié 'd'estimatif' n'est donc, de la volonté même des parties, pas un devis définitif

-qu'il s'agit d'un devis au métré dans le cadre duquel seules les prestations accomplies doivent être réglées

-que la fourniture et la livraison de limon ne sont jamais intervenues

-qu'en sollicitant la confirmation du jugement ayant condamné l'appelante à payer notamment la somme de 50 400 euros et en réclamant en sus la condamnation de l'appelante à payer la somme de 81 000 euros, l'intimée sollicite deux fois règlement de la somme de 50 400 euros.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 septembre 2022, la société intimée demande à la cour, au visa des articles 1353, 1103,1794 du code civil, de l'article L. 2193-2 du code de la commande publique, de l'article 212 du CCAG de marché public, de l'article 22-1' 32 de la norme P03-001 et de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, de :

Statuant sur l'appel formé par la SAS Perrier TP à l'encontre du jugement rendu le 11 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Nîmes,

-Confirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Nîmes en ce qu'il a:

«Condamné la SAS Perrier TP à payer à la SARL Bouquet TP ET TRANSPORT la somme de 72 000 euros de laquelle il convient de déduire l'acompte perçu de 21 600 euros, soit un solde de 50 400 euros Condamné la SAS Perrier TP à payer à la SARL Bouquet TP ET TRANSPORT la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en première instance

Condamné la SAS Perrier TP aux dépens de l'instance que le Tribunal liquide et taxe à la somme de 171,34 euros en ce non compris le coût de la citation introductive d'instance, le coût de la signification de la présente décision, ainsi que tous autres frais et accessoires' »

Déclarant recevable et bien fondé l'appel incident du concluant,

-Réformer ledit jugement en ce qu'il a :

« Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires »

ET STATUANT A NOUVEAU :

Par voie de conséquence :

-Condamner l'appelante à payer à l'intimée la somme de 81 000 euros TTC au titre de la perte de chance de fourniture et transport de limons, causée par l'arrêt inopiné du chantier de l'ancien site PROCIDA à [Localité 2],

-Condamner l'appelante à payer à l'intimée la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel

-Débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

-Condamner l'intimée aux entiers dépens de la procédure, frais de signification et d'exécution.

La société intimée soutient :

-qu'elle n'a pas à subir les dommages relatifs aux turpides de l'appelante qui n'a pas été terminé son contrat avec Aventis

-que l'acompte de 21 600 euros a été versé après le commencement des travaux

-que le devis établi entre les parties est précis, clair et détaillé de sorte qu'il s'agit d'un devis estimatif et non pas descriptif

-que le devis définitif n'existe pas et ne peut être qu'une facture

-que versant l'acompte de 21 600 euros, l'appelant a expressément accepté les conditions du devis et lui a donné force exécutoire et plein effet

-que l'intimée a bien effectué une prestation de travail pour l'appelante

-que l'appelante a utilisé la pelle mécanique de l'intimée en mars 2017

-que l'intimée a effectué une tâche bien précise prévue dans le marché initial contre une rémunération forfaitaire, en l'espèce, une livraison de limon ainsi que le transport

-qu'elle a fourni des éléments spécifiques au chantier

-que les parties ont procédé ensemble à de nombreux sondages qui ont duré deux mois, avec les engins de l'intimée,

-que chaque sondage a fait l'objet d'analyses spécifiques par l'appelante avec notamment la livraison à titre d'essai de 1 101 m3 de limon correspondant à la facture n°2016/08/772

-que le fait d'analyser le limon avant de le transporter sur le chantier démontre à lui seul qu'il s'agit d'un élément spécifique

-qu'un cahier des charges très strict a été imposé à l'appelante par le contrat de réhabilitation des sols de l'ancien site agrochimique de [Localité 2]

-que les travaux concernant la location d'engins et de matériels de chantiers ou de livraison de matériaux sur site sont exclus des factures en autoliquidation de TVA

-que l'appelante s'est abstenue de déclarer son sous-traitant au maître d'ouvrage de sorte que ce dernier a confié le marché à une autre entreprise

-que si le maître d'ouvrage avait été au courant de la prestation de l'intimée, il l'aurait peut-être contactée pour continuer le chantier en sa qualité de fournisseur de limon et de sous-traitant

-que la rupture anticipée du contrat a causé à l'intimée une énorme perte de chance

-qu'elle n'a été prévenue de la rupture du marché entre le groupement d'entreprises et Aventis Agriculture qu'en août 2017

-qu'elle a supporté pendant un an les investissements de ce marché

-qu'elle a perdu d'août 2016 à août 2017 un chiffre d'affaires qu'elle aurait du percevoir

-qu'elle s'est retrouvée en août 2017 avec une rupture immédiate alors que ce chiffre d'affaires devait être reconduit l'année suivante

-qu'elle a du prendre des affaires de moindre rentabilité pour absorber sa perte de chiffre d'affaires

-qu'elle a fait l'acquisition d'un terrain pour fournir du remblai et une pelle

MOTIFS

1) sur la qualification du contrat liant les parties

Aux termes de l'article 1134 ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 1er de la loi du 31 décembre 1975, modifié par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 (L. n° 2001-1168, 11 déc. 2001, art. 6), dispose que :

'Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne, appelée 'sous-traitant', l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage.'

La sous-traitance implique une succession de contrats d'entreprise ayant le même objet pour le moins en partie, le second contrat constituant le moyen de réalisation de tout ou partie de l'objet du premier.

En l'espèce, les parties s'accordent pour reconnaître que la facture n°2017/03/829 datée du 31 mars 2017, d'un montant de 744 euros, émise par la SARL Bouquet TP, pour la location d'une pelle 18 tonnes avec opérateur et GNR pour la journée du 29 mars 2017, est sans lien avec le présent litige qui porte sur les prestations ayant donné lieu aux devis n°n°2016/07/479 et n°2016/07/480.

Les devis concernés avaient pour objet la fourniture de limon de remblai, conforme GTR, pour une quantité de 15000 à 17000 m3 au prix de 4,80 euros TTC/m3 et le transport de remblai au prix de 45 euros l'unité, par semi benne acier deux essieux, 24 tonnes charge utile.

En l'occurrence, l'intimée devait fournir du limon de remblai qu'elle devait enlever au lieudit fer à cheval à [Localité 2], soit sur un site distinct de celui du chantier de dépollution confié à l'appelante. Il n'est pas établi qu'il entrait dans la mission de l'intimée de procéder à un quelconque travail de terrassement ou de mise en oeuvre du matériau sur le dit chantier de dépollution, sa prestation consistant en une simple livraison.

Le limon devait répondre à un cahier des charges très strict imposé à la SAS Perrier TP par le maître d'ouvrage dans le cadre de la réhabilitation du site de [Localité 2]. Ainsi, les matériaux d'apport tels que fournis par l'intimée devaient présenter des caractéristiques chimiques et géotechniques et notamment une perméabilité proche des formations en place.

Afin de vérifier si le produit correspondait bien aux besoins du chantier en terme de perméabilité, s'il répondait à la norme résultant de la classification des matériaux figurant dans le guide des travaux routiers et s'il ne présentait pas des substances polluantes supérieures au seuil admissible, il était convenu dans le contrat conclu entre le maître d'ouvrage et le groupement d'entreprises que des essais en laboratoire de caractérisation soient réalisés.

Il ressort des stipulations mêmes du devis de fourniture de remblai limon que c'est l'entrepreneur principal, membre du groupement, et non pas le fournisseur qui devait procéder à une analyse du matériau pour contrôler sa conformité à la commande. C'est donc sous la direction de l'entrepreneur principal qu'il a été procédé aux sondages nécessaires aux prélèvements de limon en vue de son analyse. Il résulte du courrier électronique du 7 juillet 2016 que c'est également l'entrepreneur principal, membre du groupement, qui a mandaté un géomètre-topographe, avant d'accepter le devis, pour s'assurer que l'intimée pourrait fournir une quantité suffisante de limon et donc étudier la faisabilité de l'opération.

Si le limon de remblai devait répondre à des critères de sélection exigeants, il s'agit d'un matériau provenant d'un phénomène naturel d'érosion, vendu à l'état brut, que l'on peut trouver sur différents sites dans la région, et que l'intimée n'a pas été amenée à façonner ou transformer pour répondre à des besoins spécifiques du maître d'ouvrage.

Le contrat conclu entre l'intimée et l'appelante n'est donc pas un contrat d'entreprise mais un contrat de vente et de transport. Par conséquent, l'intimée ne saurait être considérée comme un sous-traitant de l'appelante.

2) Sur le préjudice de l'intimée

L'appelante n'a pas respecté l'obligation d'achat d'une quantité minimum de 15 000 M3 de limon de remblai à laquelle elle s'était engagée. Elle est donc tenue de réparer le préjudice subi par l'intimée du fait de la rupture unilatérale du contrat.

En application de l'article 1353 du code civil, il incombe au vendeur de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice dont il sollicite la réparation.

En l'occurrence, l'intimée invoque une perte subie de 102 600 euros du fait de :

-l'achat d'un terrain au prix de 9 000 euros

-l'achat d'une pelle à chenilles Komatsu d'un montant de 108 000 euros dont il faut retenir un investissement de 20%, soit la somme de 21 600 euros

-la fourniture de remblai au prix de 72 000 euros.

Après déduction de l'acompte perçu de 21 600 euros, elle forme une demande d'indemnisation d'un montant de 81 000 euros, tout en sollicitant la confirmation du jugement du 11 décembre 2020 qui a fixé son préjudice au montant du devis de fourniture de remblai de 72 000 euros, déjà inclus dans la somme réclamée de 81 000 euros.

L'appelante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir informé le maître d'ouvrage de l'existence d'un contrat de sous-traitance dont la qualification n'a pas été retenue. Elle ne peut donc invoquer utilement la privation de la possibilité de contracter avec le maître d'ouvrage pour continuer le chantier et de participer à la négociation de sortie de marché qui lui aurait permis de se faire indemniser par le maître d'ouvrage de ses préjudices.

En revanche, l'intimée est en droit d'obtenir la réparation par l'appelante du gain manqué et des pertes subies du fait de la rupture unilatérale du contrat par cette dernière.

Le gain manqué

L'intimée précise dans ses écritures, qu'elle ne tient pas compte, dans son calcul de la perte de chance, de la somme de 50 640,24 euros liée au transport du limon, somme qu'elle ne peut réclamer puisque la prestation n'a pas été effectuée. Il convient d'en déduire qu'elle ne forme aucune demande d'indemnisation au titre du manque à gagner résultant du non-respect du contrat de transport formé par l'acceptation du devis n°2016/07/480.

Le devis n°2016/07/479 prévoyait la livraison d'une quantité minimum de 15 000 M3 de limon de remblai au prix unitaire de 4 euros, représentant un prix total de 60 000 euros hors taxes.

L'intimée, dans son courrier daté du 7 septembre 2017, admet que la fourniture de 1 101 M3 de limon de remblai, ayant donné lieu à l'émission en date du 31 août 2016 de la facture n°2016/08/772, entre bien dans le champ du devis. Il convient donc de soustraire la somme de 4 404 euros hors taxes de celle de 60 000 euros que l'intimée pouvait espérer percevoir si le contrat avait été exécuté en totalité. Ainsi, la perte de chiffre d'affaires s'élève à 55 596 euros.

Le chiffre d'affaires que l'intimée aurait pu réaliser, si le contrat avait été exécuté en totalité, ne constitue pas un gain manqué du fait des charges qu'elle aurait supportées, pas plus que la taxe sur la valeur ajoutée de 20% qu'elle aurait collectée puis reversée à l'Etat.

Le jugement déféré sera, par conséquent, infirmé en ce qu'il a condamné l'appelante à payer à l'intimée la somme de 50 400 euros en réparation de son préjudice qu'il a fixé à 72 000 euros et dont il a déduit l'acompte perçu de 21 600 euros.

Les informations recueillies par l'appelante sur le site internet infolegale établissent que l'intimée avait réalisé, au cours des exercices 2012, 2014 et 2016, une marge nette moyenne de 5,51 %, les marges de -17,85 % et de 14,70% des exercices 2013 et 2015 devant être écartées comme présentant un caractère exceptionnel, non représentatif de l'activité habituelle de l'entrepreneur et hors de proportion avec la marge moyenne du secteur de 3,42 %.

La perte de bénéfice escompté est donc de 3 063,34 euros.

L'appelante sera, par conséquent, condamnée à payer cette somme à l'intimée.

La perte subie

La date d'achat de la parcelle de terrain prévue au 1er juin 2017 n'est postérieure que de quelques mois à l'acceptation des devis du 25 juillet 2016 et au versement par l'appelante de l'acompte de 21 600 euros au 20 septembre 2016. Lors de cet investissement immobilier, l'intimée n'avait pas encore connaissance de la rupture du contrat de vente par l'appelante.

Le compte-rendu de relevé topographique du 7 juillet 2016 du géomètre-topographe mandaté par l'appelante faisait état de ses craintes d'un manque d'un peu de surface et d'une solution envisagée d'aller un peu plus bas qu'un mètre quatre vingt sur certaines mailles, sans certitude sur le résultat qui allait être obtenu.

Il existe donc des présomptions graves, précises et concordantes que l'investissement immobilier ait été effectué en vue de permettre l'approvisionnement suffisant de l'appelante en limon de remblai. Toutefois, seuls les frais liés à la vente d'un montant de 1 750 euros, exposés en pure perte par l'intimée, constituent un préjudice indemnisable.

L'appelante sera, par conséquent, condamnée à payer la somme de 1 750 euros à l'intimée, au titre de la perte subie du fait de l'achat d'un terrain.

L'appelante qui a versé un acompte d'un montant de 21 600 euros est en droit d'en obtenir le remboursement avec intérêts au taux légal à compter de l'accusé réception du 20 novembre 2017 de la lettre de mise en demeure du 17 novembre 2017.

Il convient d'ordonner la compensation entre les créances réciproques des parties.

Il est établi que la location avec option d'achat de la pelle à chenilles, dont les échéances ont commencé à courir le 1er juillet 2016, a été effectuée pour les besoins de la commande passée par l'appelante. Il importe dès lors peu que cet achat n'ait pas été prévu et régi par le contrat de vente entre les parties.

Bien que l'investissement réalisé en matériel soit conforme à l'objet social de l'intimée, il n'est pas démontré qu'elle en ait l'utilité et puisse le réutiliser pour un autre chantier.

L'intimée se contente de produire la première page d'un relevé d'échéances, sans verser au débat la facture d'achat de la pelle, le contrat de crédit-bail et l'intégralité des pages du relevé d'échéances. Elle fait état d'un investissement de 20%, sans préciser sur quelles bases elle effectue son calcul et sans indiquer si le matériel est toujours en sa possession ou si elle a pu le revendre.

La cour n'étant pas en mesure de déterminer la perte éventuellement subie par l'intimée, il convient de l'inviter à produire des pièces justificatives complémentaires. Les débats seront rouverts, sans rabat de l'ordonnance de clôture maintenue au 29 septembre 2022, pour que les parties puissent présenter des observations sur les dites pièces et sur les modalités de calcul du préjudice résultant de l'achat de la pelle.

Il sera, par conséquent, sursis à statuer sur la demande de dommages-intérêts au titre de l'achat de la pelle à chenilles.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour

Statuant à nouveau,

Condamne la SARL Bouquet TP et transports à rembourser à la SAS Perrier TP la somme de 21 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2017

Condamne la SAS Perrier TP à verser à la SARL Bouquet TP et transports la somme de 4 813,34 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du gain manqué et de la perte résultant de l'achat d'un terrain

Ordonne la compensation entre les créances réciproques des parties

Invite à la SARL Bouquet TP et transports à produire la facture d'achat de la pelle, le contrat de crédit-bail et l'intégralité des pages de l'échéancier ainsi que toute pièce justificative complémentaire permettant à la cour de déterminer la perte éventuellement subie

Dit que la SARL Bouquet TP et transports devra communiquer ses pièces justificatives et observations sur le calcul de son préjudice avant le 10 novembre 2022

Dit que la SAS Perrier TP pourra faire valoir des observations en réponse avant le 24 novembre 2022

Ordonne la réouverture des débats à l'audience du 8 décembre 2022 à 14 heures 30, sans rabat de l'ordonnance de clôture maintenue au 29 septembre 2022,

Sursoit à statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par la SARL Bouquet TP et transports au titre de l'achat de la pelle à chenilles

Sursoit à statuer sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.