Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 20-10.659
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Jollec
Avocat général :
M. Girard
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Richard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 13 novembre 2019), M. D... a assigné, sur le fondement de l'article 138 du code de procédure civile, Mme L..., notaire, devant un tribunal de grande instance, à fin de communication des actes de vente le concernant, susceptibles d'avoir été dressés par M. X... A... G... D..., notaire, en 1943 ou ultérieurement.
2. Mme L... a demandé, à titre reconventionnel, la condamnation de M. D... à des dommages-intérêts pour procédure abusive.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. D... fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à voir enjoindre à Mme L... de produire le minutier de l'année 1943 qu'elle détient dans son étude ou, subsidiairement, de se voir autorisé à se rendre à l'étude notariale en présence d'un huissier de justice, afin de pouvoir consulter les minutes de l'année 1943, alors :
« 1°/ que si, dans le cours d'une instance, une partie entend faire état d'un acte authentique, elle peut demander au juge saisi de l'affaire d'ordonner la délivrance d'une expédition ou la production de l'acte ; qu'en affirmant néanmoins, pour décider que M. D... ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 138 du code de procédure civile, que la demande de production forcée n'avait pas été réalisée au cours d'une instance au sens de ce texte, bien que M. D... ait sollicité la production d'un acte authentique de vente établi à son profit en 1943, ainsi que la consultation du minutier du notaire de la même année, ce qui constituait l'instance en cours au sens dudit texte, la cour d'appel a violé les articles 138 et 142 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge peut ordonner la production d'un ou plusieurs actes détenus par une partie ou un tiers, dès lors que ces actes sont suffisamment identifiés ou identifiables ; qu'en affirmant néanmoins, pour débouter M. D... de sa demande de production d'un acte, que cette demande ne visait aucun acte déterminé, après avoir pourtant constaté que M. D... demandait à voir ordonner la production d'un acte authentique de vente dont il était bénéficiaire, figurant dans le minutier de l'année 1943 de M. A... G... D..., notaire à [...], et désormais détenu par Mme L..., de sorte que l'acte était identifié, ou à tout le moins identifiable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 138 et 142 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge ne peut exiger de celui qui sollicite la production forcée d'une pièce qu'il rapporte préalablement la preuve que sa demande a précisément pour objet de fournir ; qu'en affirmant néanmoins, pour débouter M. D... de sa demande tendant à voir ordonner la production d'un acte de vente établi à son profit en 1943, que celui-ci n'apportait aucun élément de preuve permettant de soutenir qu'il aurait été bénéficiaire d'une telle vente, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles 138 et 142 du code de procédure civile ;
4°/ que lorsqu'un acte a été conclu au profit du demandeur mais est exclusivement détenu par une partie, le demandeur peut exiger la production forcée dudit acte en justice ; qu'en décidant néanmoins que M. D... ne pouvait solliciter la production forcée en justice d'un acte auquel il avait été partie, bien que n'étant pas en possession d'une copie de cet acte, il ait pu en solliciter la production en justice, la cour d'appel a violé les articles 138 et 142 du code de procédure civile ;
5°/ que le secret professionnel ne constitue pas un empêchement légitime, lorsque la demande de production forcée est dirigée contre un notaire, non en sa qualité de tiers, mais comme partie au procès intenté à son encontre ; qu'en décidant néanmoins que la demande de M. D... de l'année 1943, se heurtait au secret professionnel du notaire, bien que cette dernière ait été partie à l'instance, ce dont il résultait qu'elle ne pouvait se prévaloir du secret professionnel pour s'opposer à la demande de production forcée d'un acte formée par M. D..., la cour d'appel a violé les articles 138, 141, et 142 du code de procédure civile ;
6°/ que, subsidiairement, le secret professionnel ne fait pas obstacle, en lui-même, à une demande de production forcée d'un acte par une partie ou un tiers, lorsque cette production est indispensable à l'exercice du droit à la preuve du demandeur ; qu'en affirmant néanmoins, pour débouter M. D... de sa demande de production d'un acte, que la demande se heurtait au secret professionnel du notaire, dès lors que s'il était fait droit à cette demande, M. D... pourrait être amené à consulter des actes notariés qui ne le concernaient pas, sans rechercher si la demande de M. D... tendant à enjoindre Mme L... de produire le minutier de l'année 1943, ainsi que de sa demande tendant à se voir autorisé à se rendre à l'étude notariale de Mme L... en présence d'un huissier de justice, afin de pouvoir consulter les minutes de l'année 1943, n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts en présence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 du code civil, ensemble les articles 138, 141 et 142 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. C'est dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire que la cour d'appel, saisie sur le fondement de l'article 138 du code de procédure civile, d'une demande de communication de pièces détenues par une partie et non par un tiers, a refusé de faire droit à cette demande.
5. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. M. D... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme L... la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre 8 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, alors :
1°/ « que l'exercice d'une action en justice ne présente pas, en elle-même, un caractère fautif ; que seule constitue une faute, l'action faisant dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice ; qu'en se bornant, pour décider que M. D... avait abusé de son droit d'agir en justice, à relever que l'action qu'il avait exercée s'était révélée triplement infondée et qu'elle n'était étayée par aucun élément probant, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une faute de M. D... de nature à faire dégénérer en abus son droit d'agir en justice, a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 32-1 du code de procédure civile, ensemble l'article 1240 du code civil ;
2°/ que l'exercice d'une action en justice ne présente pas, en elle-même, un caractère fautif ; que seule constitue une faute, l'action faisant dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que M. D... avait abusé de son droit d'agir en justice, qu'il avait introduit une action en justice, bien qu'ayant été informé par Mme L..., préalablement à l'introduction de l'instance, que celle-ci n'était détentrice d'aucune des pièces revendiquées et qu'il ne disposait d'aucun élément de preuve permettant de contredire cette affirmation, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Mme L... n'avait jamais répondu aux lettres de M. D... des 4 janvier et 10 mars 2014, par lesquelles il interrogeait le notaire sur l'existence d'un ou plusieurs actes de vente conclus à son profit durant l'année 1943, qui auraient été dressés par M. X... A... G... D..., ce dont il résultait que M. D... avait été contraint, en raison du silence du notaire sur ce point, d'introduire une action en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 32-1 code de procédure civile, ensemble l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
7. L'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'ester en justice, qui suppose la démonstration d'une faute.
8. Pour condamner M. D... à des dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt retient, d'une part, que M. D... a introduit une action en justice qui s'est révélée triplement infondée, et qui n'était étayée par aucun élément probant, puisque sur les quatre pièces produites, trois pièces étaient des lettres émanant du demandeur lui-même, la quatrième pièce étant une lettre purement informative de la direction des interventions départementales aux archives départementales et, d'autre part, que, M. D..., en introduisant et poursuivant cette action en justice, alors même que Mme L... avait indiqué ne pas être détentrice de la ou des pièces revendiquées, et qu'il ne disposait d'aucun élément permettant de contredire cette énonciation, a fait preuve d'un comportement abusif qui a nécessairement causé des tracas et désagréments à la défenderesse.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si M. D... n'avait pas été contraint, en raison du silence du notaire à ses courriers, d'introduire une action en justice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne M. D... à payer à Mme L... la somme de 3 000 euros pour procédure abusive, les dépens et la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 13 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia.