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Décisions

CA Pau, 1re ch., 28 décembre 2011, n° 09/04062

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

LOPEZ

Défendeur :

GARCIA YGLESIAS DE OLIVEIRA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme PONS

Conseillers :

M. AUGEY, Mme BENEIX

Avoués :

SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, SCP LONGIN / LONGIN-DUPEYRON / MARIOL

Avocats :

Me FAURIE, Me BONNEMASON-CARRERE

TGI Pau, du 21 oct. 2009

21 octobre 2009

M. Lopez est titulaire d'un certain nombre de brevets d'invention constituant un patrimoine reconnu par le code de la propriété industrielle, et ce type de patrimoine peut faire l'objet de cession de droits totale ou partielle en faveur de toute personne souhaitant exploiter les titres, conformément à l'article L. 613 -8 du code de la propriété intellectuelle.

Suivant une convention du 4 février 2004, M. Lopez a conclu avec M. Garcia Yglesias un accord ainsi dénommé : « accord de cession pour l'achat /vente d'une participation d'un montant de 10 % dans un patrimoine constitué par un portefeuille de brevets ».

Il était stipulé que cette acquisition se ferait moyennant le paiement d'une somme de 100 000 € payable en plusieurs fois.

M. Garcia Yglesias a effectué trois versements d'un montant respectif de 50 000 €, 10 000 € et 7 500 €, les 17 février 2004, 1er mai et 2 novembre 2005, soit un montant total de 67 500 €.

Il estime qu'il n'a reçu aucune contrepartie réelle au versement de ces sommes, et que M. Lopez n'a pas respecté son obligation d'information édictée par l'article 6 de l'accord de cession, portant sur toutes les décisions à prendre engageant l'évolution de situation du patrimoine de brevets, et il a soutenu par ailleurs que les objectifs initialement prévus dans cet accord de cession portant sur la valorisation dans des opérations financières de cession partielle ou totale des droits ainsi que la réalisation de la meilleure forme de cession dans une ou plusieurs sociétés n'ont pas été remplies.

Estimant que son cocontractant n'a pas respecté ses obligations, il l'a donc mis en demeure de lui restituer la somme de 67 500 € par lettre recommandée du 28 juin 2006, puis engagé une procédure à cette fin devant le tribunal de grande instance de Pau par acte d'huissier du 23 décembre 2008.

Par jugement du 21 octobre 2009, cette juridiction a prononcé la résolution de la convention du 4 février 2004, et condamné M. Lopez à régler à M. Garcia Yglesias la somme de 67 500 €, ainsi que 2 000 € à titre de dommages intérêts et une indemnité de 1 500 € au titre des frais irrépétibles.

Par déclaration au greffe du 19 novembre 2009, M. Lopez a relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières écritures déposées le 5 mai 2011, il a conclu à la réformation du jugement ainsi qu'à la condamnation de M. Garcia Yglesias au paiement des sommes suivantes :

- 32 500 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 2006 correspondant au solde de la somme prévue au contrat ;

- 15 000 € à titre de dommages-intérêts ;

- une indemnité de 8 000 € pour frais irrépétibles.

Il fait valoir que la convention est parfaitement valable, que son objet ainsi que sa cause sont parfaitement déterminés et identifiables, et qu'aucune manoeuvre n'a précédé la signature de ce document.

Il rappelle qu'il est titulaire de plusieurs brevets constituant un patrimoine reconnu et parfaitement identifiable.

Il s'appuie sur les stipulations de l'article 4 du contrat pour soutenir que l'acheteur ne deviendra définitivement propriétaire des droits conférés, que lorsque la totalité de la somme de 100 000 € aura été réglée, et qu'ainsi l'intimé qui n'a effectué que des règlements partiels n'a pas respecté son obligation.

Il ajoute qu'il a rempli son obligation d'information, et que notamment l'intimé a été associé à la constitution d'une société en Italie.

Il estime donc en définitive que malgré les stipulations de l'article 5 du contrat qui est une clause établie dans le seul intérêt du vendeur relative au non-respect du délai de paiement, M. Garcia Yglesias était tenu d'exécuter ses obligations, alors que de son côté il n'était pas obligé d'officialiser le contrat en le faisant inscrire sur les registres des brevets, dans la mesure où le transfert de propriété des droits cédés devait intervenir seulement au jour du paiement de la totalité du prix.

Dans ses dernières écritures du 27 juin 2011, l'intimé a conclu à la confirmation du jugement.

Il a soutenu que l'accord de cession de 4 février 2004 est dépourvu d'objet et de cause, et que son consentement a été vicié par le comportement dolosif de M. Lopez, entachant ainsi cet accord de nullité.

Il déclare qu'il n'est pas possible de déterminer avec exactitude l'objet du contrat pas plus que l'étendue précise des brevets concernés, et que, par ailleurs, il n'a reçu aucune contrepartie réelle au versement de la somme de 67 500 €.

Il fait observer que cette convention a été rédigée de manière unilatérale par M. Lopez, dans des termes imprécis, non juridiques et confus.

À titre subsidiaire, il a conclu à la résolution de cette convention en raison de l'inexécution par M. Lopez de ses engagements contractuels.

Il fait valoir que l'appelant a manqué à son obligation d'information édictée par l'article 6 de l'accord, et que les objectifs prévus n'ont pas été réalisés, à savoir « la valorisation dans des opérations financières de cession partielle ou d'apport à des sociétés, et la réalisation de la meilleure forme de cession ou d'intégration du patrimoine de brevets dans une ou plusieurs sociétés devant conduire à procurer dans les meilleurs délais une activité salariée au vendeur et à l'acheteur ».

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2011.

Le 29 septembre 2011, la SCP de Ginestet - Dualé - Ligney, avoués de M. Lopez, a adressé un courrier à la Cour pour indiquer qu'elle avait conclu en temps utile le 5 mai 2011, et que lors de l'audience de mise en état du 10 mai suivant, le conseiller de la mise en état avait indiqué que la clôture de l'instruction serait fixée au 28 juin suivant, et l'audience de plaidoirie au 26 septembre.

Il soutient que lors de cette audience de mise en état, ce dossier n'a pas été appelé et qu'il a été décidé de fixer la clôture au 20 septembre suivant, mais sans que l'étude n'en ait été avisée.

Il a donc sollicité le report de la date de clôture à l'audience des plaidoiries de manière à pouvoir prendre en compte les conclusions qu'il a déposées le 23 septembre.

Par conclusions du 23 septembre 2011, M. Lopez a confirmé ses conclusions antérieures et demandé à la Cour de révoquer l'ordonnance de clôture du 28 juin 2011, et de la fixer au jour de l'audience des plaidoiries.

Par courrier du 4 octobre 2011, l'avoué de M. Garcia Yglesias s'est opposé à cette demande au motif que ces pièces et conclusions ont été déposées après l'ordonnance de clôture.

SUR CE

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

Il ne résulte pas du dossier de la Cour la preuve formelle que l'ordonnance de clôture du 20 septembre 2011 ait été portée à la connaissance des parties, ce qui constitue une cause grave justifiant sa révocation

En conséquence, il convient de révoquer l'ordonnance de clôture du 20 septembre 2011, de prononcer la clôture de l'instruction à la date d'audience des plaidoiries, et de dire que les conclusions déposées le 23 septembre 2011 par M. Émile Lopez sont recevables.

SUR LE FOND

A) sur la nullité de l'accord de cession du 4 février 2004

M. Garcia Yglesias de Oliveira soutient trois moyens à l'appui de cette demande :

1) l'absence d'objet

Il résulte de l'article 1108 du code civil que la validité d'une convention est soumise notamment à une condition tenant à l'existence d'un objet certain qui forme la matière de l'engagement.

Il ressort de l'examen des termes de l'accord conclu entre les parties qu'il a pour objet la vente à l'intimé d'une participation avec les droits associés portant sur des brevets appartenant M. Lopez, et que ce patrimoine a fait l'objet d'une définition et d'une évaluation par le cabinet de propriété industrielle Aquinov/Valuatis.

En effet, M. Lopez a versé aux débats des documents qui démontrent qu'il est titulaire d'un certain nombre de brevets constituant un patrimoine reconnu par le code de la propriété intellectuelle, et qu'il a fait l'objet d'une description et d'une évaluation par le cabinet Valuatis.

Il en ressort que M. Lopez est titulaire des titres de propriété industrielle suivants :

- brevet espagnol numéro 2 122 908 déposé le 22 août 1996 ;

- brevet européen numéro 98 925 705 déposé le 4 mai 1998, ayant pour titre « procédé de fabrication en continu de bitumes modifiés » ;

- brevet américain numéro 09 424 662 déposé le 14 mai 1998, délivré le 30 avril 2002 ;

- brevet brésilien numéro 9 809 513 déposé le 14 mai 1998, et brevet canadien numéro 2190 678 déposé le 14 mai 1998, actuellement en cours d'examen.

Le document dénommé « évaluation des brevets et du savoir-faire de M. Lopez » décrit également les conditions dans lesquelles ces brevets ont été déposés et pour certains obtenus, ainsi qu'une évaluation des perspectives industrielles ouvertes par l'exploitation de ces brevets.

Par ailleurs, M. Lopez a versé aux débats un extrait K. bis du registre du commerce et des sociétés de la société Aquinov qui exerce l'activité de conseil en propriété industrielle, celui de la SARL Valuatis, ainsi que l'évaluation des brevets et du savoir-faire de M. Lopez effectuée par le gérant de la société Aquinov.

L'intimé n'a versé aux débats aucun élément de nature à remettre en cause l'authenticité et le contenu de ces documents.

L'objet de la convention est donc précis, puisqu'il s'agit de la cession partielle d'un portefeuille de brevets, et le montant des droits cédés a également été déterminé, à savoir une somme de 100 000 € représentant 10 % de la valeur de ce portefeuille de brevets dénommé patrimoine dans l'accord de cession.

L'intimé a fait observer que la valeur globale de ce portefeuille de brevets n'était pas déterminée avec précision, puisque l'accord de cession mentionne qu'elle était estimée « entre 13 et 21 millions d'euros ».

Or, la valeur d'un brevet lors de son acquisition dépend des profits que l'acquéreur peut escompter de son exploitation, et elle ne peut donc être déterminée d'emblée avec précision.

Cependant, une évaluation de ces brevets et des perspectives industrielles ouvertes par leur exploitation a été effectuée par le cabinet Valuatis, et annexée à l'accord de cession du 4 février 2004.

Il est d'autre part précisé dans le préambule de cet accord que le patrimoine, c'est-à-dire la part de portefeuilles de brevets cédée à M. Garcia Yglesias de Oliveira, doit servir à « sa valorisation dans des opérations financières de cession partielle ou totale à des tiers, ou de participation dans le capital d'apport pour la création de sociétés en charge du développement industriel du domaine de protection de ces brevets ».

En conséquence, ce premier moyen de nullité sera rejeté.

2) l'absence de cause

M. Garcia Yglesias de Oliveira s'appuie sur les dispositions de l'article 1131 du code civil dont il résulte que l'obligation sans cause ne peut avoir aucun effet.

Dans le contrat synallagmatique, l'obligation de chacun des contractants trouve sa cause dans l'obligation envisagée par lui comme devant être effectivement exécutée, de l'autre contractant.

Il s'ensuit que cette cause fait défaut lorsque la promesse de l'une des parties n'est pas exécutée.

L'intimé soutient qu'il n'a reçu aucune contrepartie à la somme de 67 500 € versée entre le 17 février et 2004 et le 2 novembre 2005, et que M. Lopez n'a pas respecté les dispositions de l'accord de cession à savoir :

- l'article 6 qui stipule que « l'acheteur sera systématiquement informé et consulté par le vendeur sur toutes les décisions à prendre engageant l'évolution de situation du patrimoine, et que son accord sera toujours recherché et souhaité » ;

- l'article 10 ainsi libellé : « la vente par le vendeur de 10 % de son patrimoine confère à l'acheteur des pouvoirs traduits par des droits de vote dans la représentation future dans les instances de gestion et de management ».

Il prétend donc que M. Lopez a manqué à son obligation d'information, et qu'aucun des objectifs fixés par la convention n'a été atteint, à savoir la valorisation dans des opérations financières de cession partielle ou totale à des tiers, et la réalisation de la meilleure forme de cession du patrimoine de brevets dans une société devant conduire à procurer une activité salariée au vendeur et à l'acheteur.

De son côté, M. Lopez soutient que l'inexécution de la convention est exclusivement imputable à M. Garcia Yglesias de Oliveira, au motif qu'il n'a pas réglé le solde du prix de cession de ce portefeuille de brevets.

L'article 3 de l'accord de cession stipule que le paiement de la somme de 100 000 € « pourra faire l'objet d'un fractionnement en deux parties égales et d'un délai accordé entre les deux parties pour le règlement. Mais le premier montant devra être réglé à la signature de cet accord et le solde au plus tard le 31 janvier 2005 ».

Il est constant que l'intimé a versé la somme totale de 67 500 € en trois versements des 17 février 2004, 1er mai et 2 novembre 2005 d'un montant respectif de 50 000 €, 10 000 €, et 7 500 €.

Il en résulte de manière indiscutable que M. Garcia Yglesias de Oliveira n'a pas respecté son engagement de paiement dans le délai contractuel imparti, et dès lors il ne peut se prévaloir d'une absence de cause à la convention.

Ce moyen sera donc également rejeté.

3) le dol

Il résulte de l'article 1116 du code civil que le dol constitue une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Le dol ne se présume pas et doit être prouvé.

M. Garcia Yglesias de Oliveira a déclaré que les promesses de M. Lopez étaient fausses, et qu'elles avaient pour seul but d'obtenir frauduleusement le versement sans contrepartie réelle d'une somme de 100 000 €.

Force est de constater que l'intimé n'a pas produit le moindre commencement de preuve des mensonges ainsi que des manoeuvres frauduleuses qui auraient été accomplies par M. Lopez pour le contraindre à souscrire cette convention.

En définitive, M. Garcia Yglesias de Oliveira sera débouté des fins de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de l'accord de cession du 4 février 2004.

B) sur la résolution de l'accord de cession du 4 février 2004

L'intimé a développé ce moyen à titre subsidiaire, en s'appuyant sur les dispositions de l'article 1184 du code civil, et en reprenant les moyens développés à l'appui de sa demande en nullité de la convention pour absence de cause, à savoir :

- l'absence de toute contrepartie ;

- le manquement de M. Lopez à son obligation d'information et de consultation édictée par l'article 6 de l'accord ;

- la non réalisation des deux objectifs contractuellement fixés ainsi que l'absence de mise en oeuvre de tout moyen aux fins d'y parvenir (paragraphe 4 du préambule et article 9 alinéa 1 de l'accord).

La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans le contrat synallagmatique, mais celui qui l'invoque doit cependant établir que son cocontractant n'a pas satisfait à ses obligations.

Or, les obligations mises à la charge de M. Lopez par l'accord de cession du 4 février 2004

n'avaient vocation à s'appliquer qu'à compter du complet paiement par M. Garcia Yglesias de Oliveira de la part de portefeuille de brevets cédés, d'autant que l'article 4 dudit accord stipule que l'acheteur ne deviendra propriétaire définitif de ces pouvoirs, c'est-à-dire du portefeuille de brevets, que lorsque la totalité de la somme aura été réglée au vendeur.

En conséquence, en l'absence de paiement complet de la somme de 100 000 € dans le délai contractuel, l'intimé ne peut solliciter la résolution de la convention.

Le jugement du 21 octobre 2009 sera donc réformé en toutes ses dispositions.

M. Lopez est en droit de solliciter l'exécution forcée de la convention, en vertu du principe de la force obligatoire des contrats, et M. Garcia Yglesias de Oliveira sera condamné à lui payer la somme de 32 500 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2006, date de la mise en demeure recommandée avec accusé de réception qui lui a été adressée par le conseil de M. Lopez.

Par contre sa demande en dommages-intérêts n'est pas justifiée, faute par lui de rapporter la preuve d'un lien de causalité entre les intérêts des emprunts qu'il a contractés pour assurer le règlement des frais de maintien de ces brevets, et la carence de M. Garcia Yglesias de Oliveira.

Il sera donc débouté de cette demande.

Il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu'il a dû engager à l'occasion de cette procédure ; M. Garcia Yglesias de Oliveira sera condamné à lui payer à ce titre une indemnité de 3 000 €.

. Par ces motifs

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort.

Révoque l'ordonnance de clôture rendue le 20 septembre 2011.

Déclare recevables les conclusions déposées le 23 septembre 2011 par M. Emile Lopez

Clôture l'instruction de l'affaire à la date de l'audience de plaidoiries.

Réforme le jugement du 21 octobre 2009 du tribunal de grande instance de Pau et statuant à nouveau,

Déboute M. Luis Pedro Garcia Yglesias de Oliveira de l'ensemble de ses demandes.

Le condamne à payer à M. Émile Lopez :

- la somme de 32 500 € (trente deux mille cinq cents euros) augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2006 ;

- une indemnité de 3 000 € (trois mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Condamne M. Garcia Yglesias de Oliveira aux dépens, et autorise la SCP de Ginestet - Duale - Ligney à recouvrer directement ceux d'appel, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.