CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 18 mars 2021, n° 20/03835
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Compagnie de Participations Commerciales Industrielles et Financières-Pacifico (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Picard
Conseillers :
Mme Rohart-Messager, Mme Coricon
La société M. & Prom (ci-après M&P) est un opérateur pétrolier spécialisé dans l'exploitation et la production d'hydrocarbure en Afrique, elle est cotée sur le compartiment B de l'Euronext à Paris.
La société MPI a été constituée en 2009 pour porter les actifs de M&P au Nigéria, elle est devenue indépendante en 2011 par distribution de ses actions aux actionnaires de M&P.
La société Pacifico est un fonds de placement détenu par le groupe H.. Elle était le principal actionnaire de M&P.
Ces trois sociétés étaient présidées par monsieur H..
En 2015 la fusion par absorption de MPI par M&P est proposée.
Par décision du 13 novembre 2015 l'AMF approuvait l'opération et disait n'y avoir obligation pour M&P de lancer une offre publique de retrait. La contestation de cette décision par les consorts G. et R. a été rejetée par la cour d'appel.
Les assemblées générales de M&P et de MPI avaient lieu le 17 décembre 2015 et la fusion absorption de MPI par M&P était votée. La fusion était réalisée le 23 décembre 2015 et la société MPI était radiée du RCS le 5 février 2016.
Monsieur Robert R., Madame Colette P. épouse R., Monsieur Pascal R., Madame Sylvie R., Monsieur Daniel R. et Madame Cécile B. épouse R. (ci-après les consorts R., et Monsieur Wilfrid G., Mademoiselle Clémentine G. et Mademoiselle Blanche G. (ci-après les consorts G.) étaient actionnaires minoritaires de MPI et de M&P.
Le 24 août 2016 Pacifico cédait l'ensemble des titres qu'elle détenait dans M&P, soit 24,53% du capital, à la compagnie d'Etat indonésienne Pertamina.
Estimant que Pacifico détenant plus de 30% des droits de vote de MPI aurait dû déclencher une OPA et que la parité de fusion retenue leur avait causé un préjudice, les consorts G. et Roland et le club d'investissement Vintage ont assigné les sociétés Pacifico, M&P et MPI devant le tribunal de commerce de Paris par acte du 7 mars 2016.
Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a dit nulle l'assignation à l'encontre de la Sa MPI, dit nulle la demande formée au nom du club d'investissement Vintage, dit irrecevable car prescrite la demande relative à l'abus de majorité, débouté les consorts G. et R. de l'ensemble de leurs demandes et les a condamné in solidum à payer la somme de 20.000 euros à la Sa Pacifico et 30.000 euro à la Sa M&P sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts G. et R. ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 février 2020. Ils ont également interjeté appel à l'encontre de M&P le 3 mars 2020 et par ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er juillet 2020 les instances ont été jointes.
Par ordonnance du 3 septembre 2020 le conseiller de la mise en état a constaté l'extinction et le dessaisissement de la cour au regard de l'appel de la société M&P qui s'est désistée.
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Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 4 janvier 2021, les consorts G. demandent à la cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 décembre 2019 par le Tribunal de commerce de Paris ;
Et statuant à nouveau :
1. Sur la demande de production forcée de pièces :
- Enjoindre Pacifico à transmettre aux appelants toutes les pièces qui justifieraient les transferts d'actions M. & Prom, entre 2009 et 2015, qu'elle détenait du nominatif au porteur ;
2. A titre principal, sur la nullité de la fusion de MPI par M. & Prom:
- Constater que la résolution 2A votée à l'assemblée générale de MPI le 17 décembre 2015 n'a pas obtenue la majorité des deux tiers des actionnaires présents ou représentés ;
- Constater qu'au cours de cette assemblée générale, les dirigeants de M. & Prom, MPI et Pacifico se sont livrés à un abus de majorité au bénéfice exclusif de Pacifico et contraire à l'intérêt social de MPI ;
Par conséquent :
- Prononcer la nullité de la résolution 2A ;
Par conséquent :
- Prononcer la nullité des opérations des fusion validée par l'assemblée générale de MPI le 17 décembre 2015 ;
En conséquence :
- Condamner in solidum les intimées à leur payer la somme de 348.606€ en réparation de leur préjudice financier augmentée des intérêts légaux capitalisés à compter du 7 mars 2016 ;
- Condamner in solidum les intimées à leur payer la somme de 290.000€ au titre des dommages-intérêts supplémentaires augmentée des intérêts légaux capitalisés à compter du 7 mars 2016 au vu de l'exceptionnelle gravité des faits commis ;
3. A titre subsidiaire, sur le refus de déposer un projet d'offre publique d'achat par Pacifico sur les titres M. & Prom
- Constater que Pacifico a franchi le seuil de 30% des droits de vote de MPI le 14 décembre 2015;
- Dire et Juger que Pacifico devait déposer à cette date un projet d'offre publique obligatoire sur les titres MPI ;
- Constater que Pacifico a franchi en hausse le seuil de 30% des droits de vote de M. & Prom le 23 décembre 2015 ;
- Dire et juger que Pacifico devait déposer à cette date un projet d'offre publique obligatoire sur les titres M. & Prom ;
- Constater que Pacifico a franchi le seuil de 30% des droits de vote de M. & Prom depuis la fin de l'année 2013 ;
- Dire et juger que Pacifico devait déposer dès la fin de l'année 2013 un projet d'offre publique obligatoire sur les titres M. & Prom ;
En conséquence :
- Condamner in solidum les intimées à leur payer la somme de 127.902€ à parfaire en réparation de leur préjudice financier augmentée des intérêts légaux capitalisés à compter du 7 mars 2016 ;
- Condamner in solidum les intimées à leur payer la somme de 290.000€ au titre des dommages-intérêts supplémentaires augmentée des intérêts légaux capitalisés à compter du 7 mars 2016, au vu de l'exceptionnelle gravité des faits commis ;
4. En tout état de cause :
Condamner les intimées à réparer les préjudices financiers subis par les appelants ;
Et, vu les articles 695 et suivants du Code de procédure civile ;
- Dire et juger qu'il serait manifestement inéquitable de laisser aux appelants la charge des frais qu'ils ont été contraints d'engager dans le cadre de la présente instance pour défendre leurs intérêts légitimes ;
En conséquence :
- Condamner les intimées in solidum aux entiers dépens ;
- Condamner les intimées In Solidum à verser aux appelants une somme de 150.000 euros au titre de leurs frais irrépétibles.
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Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 5 janvier 2021, les consorts R. demandent à la cour de :
- Réformer le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit nulle l'assignation de la société MPI et nulles la demande formée au nom du club d'investissement,
Statuant à nouveau,
- Annuler (i) la délibération amendée 2-A de l'Assemblée Générale Mixte du 17 décembre 2015 de la société MPI et (ii) la délibération 1A de l'Assemblée Générale Mixte du 17 décembre 2015 de la société M. et Prom, ainsi que, par voie de conséquence, l'opération de fusion-absorption en résultant, définitivement réalisée le 23 décembre 2015;
- Condamner la société Pacifico à leur payer, à titre de dommages-intérêts, la somme totale de 5.770.241,71 euros (4.348.750,71 € + 1.421.491 €) ;
- Condamner la société M. et Prom à leur payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 1.000.000 euros ;
- Assortir chacune de ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2016, date de l'exploit introductif d'instance ;
- Débouter les sociétés Pacifico et M. et Prom de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- Condamner, solidairement, les sociétés Pacifico et M. et Prom à leur payer la somme de 150.000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
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Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 7 janvier 2021, la société Pacifico demande à la cour de :
In limine litis :
- Dire et juger que la demande de nullité de l'assemblée générale de MPI formée par les Consorts G. et R. au titre d'un prétendu abus de majorité est prescrite ;
- Dire et juger que la demande de nullité de l'assemblée générale de MPI formée par les consorts G. et R. au titre de prétendues irrégularités dans la comptabilisation des votes par correspondance est prescrite ;
Et au fond,
- Confirmer en tout point la décision rendue le 20 décembre 2019 par le tribunal de commerce de Paris ;
- Constater que les conditions de l'abus de majorité soulevé par les appelants ne sont pas réunies;
- Constater que Pacifico ne peut se voir reprocher aucun franchissement de seuil pour aucune assemblée générale, et notamment les assemblées générales dont l'annulation est demandée (assemblées générales de MPI et de M. et Prom en date du 17 décembre 2015, et de M. et Prom en date des 12 juin 2013, 13 octobre 2014 et 18 juin 2015) ;
- Constater que les assemblées générales de M. & Prom et de MPI sont parfaitement régulières, et qu'en tout état de cause les demandes de nullité ne se fondent sur aucun texte ;
- Constater que les préjudices allégués par les consorts G. et R. ne sont pas démontrés;
En conséquence,
- Débouter purement et simplement les consorts G. et R. de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- Condamner les consorts G. et R. au paiement chacun de la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
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Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 13 janvier 2021, la société M. & Prom demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 20 décembre 2019, RG n°2016046220 ;
- Juger irrecevables les demandes formées au titre d'une prétendue violation des dispositions régissant les droits de vote par les consorts Wilfrid G., Clémentine G., Blanche G., Robert R., Pascal R., Sylvie R., Denis R., Daniel R., Cécile B. épouse R., la prescription étant acquise ;
- Juger irrecevable la demande fondée sur l'abus de majorité formulée par les consorts Wilfrid G., Clémentine G., Blanche G., Robert R., Pascal R., Sylvie R., Denis R., Daniel R., Cécile B. épouse R., la prescription étant acquise ;
- Débouter les consorts Wilfrid G., Clémentine G., Blanche G., Robert R., Pascal R., Sylvie R., Denis R., Daniel R., Cécile B. épouse R. de toutes leurs demandes, fins ou prétentions ;
- Condamner in solidum les consorts Wilfrid G., Clémentine G., Blanche G., Robert R., Pascal R., Sylvie R., Denis R., Daniel R., Cécile B. épouse R. au paiement de la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE
Sur la demande de production forcée de pièces
La cour constate que cette demande n'est plus soutenue.
Sur la nullité de l'assignation de MPI et sur la nullité de la demande formée au nom du club d'investissement
La cour relève que cette demande figure dans le dispositif des conclusions des consorts R. mais qu'aucun développement ne figure dans les conclusions sur ces deux points.
En vertu des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile 'la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion'.
Ils ne seront donc pas examinés par la cour.
Sur la nullité de la fusion absorption
La cour relève que les consorts G. et R. ne sollicitent plus la nullité des assemblées générales ayant statué sur la fusion absorption mais uniquement la nullité des résolutions 2A de l'assemblée générale de MPI et 1A de l'assemblée générale de M&P et par voie de conséquence la nullité de l'opération de fusion absorption.
1- Sur la nullité de la résolution 2A et 1A des assemblées générales du 17 décembre 2015 des sociétés MPI et M&P
Pour violation des dispositions régissant les droits de vote attachés aux actions
Les consorts G. et R. soulèvent la nullité des résolutions adoptées lors de l'assemblée générale du 17 décembre 2015de MPI pour plusieurs motifs. Ils soutiennent en premier lieu que les votes ont été mal comptabilisés et notamment que n'ont pas été comptabilisés comme votes 'contre' les votes par correspondance où le votant n'a pas donné de consigne de vote en cas de résolution modifiée dont il n'aurait pu avoir connaissance.
Les consorts R. soutiennent également que les dispositions de l'article R. 225-95 du code de commerce dans sa version applicable au présent litige n'ont pas été respectées dès lors qu'une partie des cartes d'actionnaires n'était pas signée, que certains des mandats des signataires de cartes n'ont pas été fournis, que certains mandats des signataires des formulaires de vote par correspondance n'ont pas été fournis, qu'un formulaire de vote par correspondance est parvenu tardivement et qu'un autre a été signé alors même que la date de l'assemblée générale n'était pas fixée. Ils en déduisent qu'ils ont été comptabilisés à tort en tant que vote favorable à la fusion.
La société Pacifico souligne à titre liminaire qu'en qualité d'actionnaire de MPI, aucune faute ne peut être retenue sur ce fondement à son encontre. Elle soutient néanmoins que l'action serait prescrite, le grief lié à l'irrégularité du calcul des votes par correspondance n'ayant été formulé que par conclusions du 11 octobre 2018 postérieurement au délai de 6 mois prévu à l'article L. 235-9 du code de commerce.
La société M&P expose que les consorts G. et R. n'ont soulevé la violation des règles régissant le droit de vote attaché aux actions que par conclusions du 11 octobre 2018 au-delà du délai de 6 mois prévu à l'article L. 235-9 du code de commerce et qu'ils sont donc forclos. Elle souligne que l'action initiale fondée sur la violation des règles relatives aux franchissements de seuil par Pacifico n'a pas le même objet et ne vise pas la même personne que l'action en violation par MPI des règles concernant le calcul des quorum et la comptabilisation des votes et ne peut donc avoir bénéficié d'une interruption de prescription. Elle précise que l'action initiale ne pouvait avoir pour conséquence la nullité de l'assemblée générale faute de viser une disposition impérative du code de commerce.
L'article L. 235-8 du code de commerce dispose que 'La nullité d'une opération de fusion ou de scission ne peut résulter que de la nullité de la délibération de l'une des assemblées qui ont décidé l'opération ou du défaut de dépôt de la déclaration de conformité mentionnée au troisième alinéa de l'article L 236-6 .'
L'article L235-9 du code de commerce ajoute que 'Les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue, sous réserve de la forclusion prévue à l'article L. 235-6.
Toutefois, l'action en nullité d'une fusion ou d'une scission de sociétés se prescrit par six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération. (...)' .
Les résolutions 2 A et 1A dont il est demandé l'annulation sont relatives à l''examen et approbation du projet de fusion-absorption de la société par la société Etablissements M. & Prom, de la dissolution sans liquidation de la société en résultant et des modalités de rémunération des actionnaires de la société, sous réserve de la réalisation des conditions suspensives prévues dans le projet de traité de fusion (parité d'échange de 1 action M&P pour 1,5 action de la société.
Elles ont été adoptées lors des assemblées générales du 17 décembre 2015. Les mentions ont été publiées au Registre du commerce en février 2016 selon les extraits Kbis produits.
Dans leur assignation du 7 mars 2016 les consorts G. et R. avaient demandé la nullité des assemblées générales du 17 décembre 2015 pour absence de dépôt préalable par Pacifico d'une offre publique du fait du franchissement de seuil alors qu'elle détenait plus de 30% des droits de vote et du fait de l'absence de confirmation par l'AMF que la fusion n'entraînerait pas d'offre de retrait compte tenu de la modification des conditions par rapport au projet de fusion présenté et enfin du fait que l'absence d'OPA rendait la tenue de l'assemblée irrégulière.
Ce n'est que dans leurs conclusions régularisées à l'audience du 11 octobre 2018 qu'ils ont soulevé les violations des règles régissant les droits de vote et sollicité la nullité des résolutions des assemblées générales ainsi que des assemblées générales elles-mêmes.
La cour rappelle que l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre sauf si les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
En l'espèce l'objet de l'action figurant dans l'assignation du 7 mars 2016 était exclusivement destinée à voir annuler les assemblées générales pour défaut de déclaration de franchissement de seuil et absence d'offre publique alors que les demandes formulées dans les conclusions du 11 octobre 2018 avaient au surplus pour objet et pour la première fois l'annulation des résolutions approuvant la fusion absorption pour violation des règles régissant les droits de vote.
Les demandes, outre le fait qu'elles n'impliquent pas les mêmes parties, n'ont pas le même but puisque s'agissant du défaut de déclaration de franchissement de seuil l'article L. 233-14 du code de commerce dispose que l'actionnaire en défaut est privé des droits de vote attachées aux actions excédant la fraction non déclarée et non la nullité des assemblées générales auxquelles l'actionnaire a voté en violation de son obligation ou la nullité des résolutions votées. Quant à l'absence de dépôt d'un projet d'OPA en cas de franchissement de seuil, elle n'est pas non plus sanctionnée par l'annulation des assemblées générales ou des résolutions qui y sont adoptées.
La cour considère en conséquence que l'action en nullité des résolutions 2A et 1A des assemblées générales du 17 décembre 2015 pour irrégularités des comptabilisations des votes est prescrite.
Pour abus de majorité
Les consorts G. et R. demandent la nullité de la résolution 2A pour abus de majorité par Pacifico et précisent qu'une telle action relève de la prescription triennale de l'article L235-9 du code de commerce.
La société Pacifico fait valoir que cette demande est prescrite, ayant été soulevée pour la première fois en février 2019.
La cour relève que cet abus de majorité aurait été commis à l'occasion du vote de la résolution 2A de l'assemblée générale de la société MPI approuvant la fusion.
Or l'article L. 235-9 alinéa 2 du code de commerce qui prévoit une prescription de six mois de l'action en nullité est une disposition spéciale qui s'applique aux contestations des opérations de fusion quelles qu'elles soient et qui exclut dès lors l'application de la prescription générale de l'alinéa 1er du même article.
Cette contestation n'ayant pas été soulevée dans l'assignation ayant saisi le tribunal de commerce mais pour la première fois dans des conclusions du 28 février 2019 l'action en nullité fondée sur ce fondement est irrecevable comme prescrite.
Sur la violation de l'obligation de déclaration de franchissement de seuil
L'article 236-6 du Règlement général de l'AMF (RGAMF) prévoit qu'elle doit être informée des conséquences d'une opération de fusion au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital ou des détenteurs de droits de vote de la société et qu'elle apprécie s'il y a lieu à mise en oeuvre d'une offre publique de retrait.
Aux termes des dispositions de l'article L. 433-3 I, alinéa 1er du code monétaire et financier lorsqu'un actionnaire d'une société dont le siège social est en France détient directement ou indirectement plus de 30% du capital ou des droits de vote il doit en informer l'AMF et déposer une offre public d'achat en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société. A défaut d'avoir procédé à ce dépôt les titres détenus au-delà du seuil de 30% sont privés du droit de vote.
L'article 234-2 du RGAMF dispose que lorsqu'un actionnaire détient plus de 30% du capital ou des droits de vote il en informe immédiatement l'AMF et doit déposer une offre publique visant la totalité du capital.
L'article 234-4 du RGAMF dispose que l'AMF peut autoriser le franchissement temporaire de seuil si le dépassement résulte d'une opération n'ayant pas pour finalité l'obtention ou l'accroissement du contrôle de la société et si sa durée n'excède pas six mois.
L'article 234-9 du RGAMF énumère les cas pour lesquels une dérogation peut être obtenue dont notamment les opérations de fusion.
L'article L. 233-7 II du code de commerce dispose que lorsqu'un actionnaire détient plus de 30% du capital ou des droits de vote il doit informer l'AMF.
L'article L. 233-14 du code de commerce prévoit que lorsque l'actionnaire n'a pas procédé aux déclarations auxquelles il était tenu il est privé des ' droits de vote attachés aux actions excédant la fraction qui n'a pas été régulièrement déclarée' et les dispositions combinées des articles L. 247-2I et V et L. 233-7 II prévoient des amendes dans un tel cas.
En l'espèce, en vertu de l'article L. 225-123 du code de commerce et de l'article 11.7 des statuts de la société MPI, toutes les actions détenues par le même actionnaire au nominatif pendant 4 ans sans interruption acquéraient des droits de vote double s. Des actions de MPI avaient été distribuées le 12 décembre 2011 aux actionnaires de M&P de sorte que tous les actionnaires qui avaient conservé sans interruption ces actions détenaient des droits de vote double s sur ces actions à compter du 12 décembre 2015.
Pour des raisons procédurales, respect du délai d'un mois entre la publication du document 'E' de l'AMF et l'assemblée générale, les assemblées générales des actionnaires ont eu lieu le 17 décembre et non le 7 décembre comme il était prévu. C'est ainsi que Pacifico, qui détenait désormais depuis le 12 décembre des droits de vote double s lui faisant passer la barre de 30%, a pris l'engagement auprès de l'AMF de neutraliser ces droits de vote double s au sein de MPI. Dans sa décision du 13 novembre 2015 l'AMF a pris acte de cet engagement et a considéré qu'il n'y avait pas lieu à offre publique de retrait.
En revanche il n'est pas contestable que Pacifico n'a pas déclaré le franchissement de seuil de 30% ni déposé de projet d'OPA auprès de l'AMF.
1 - Pour ce qui concerne MPI
Les consorts R. soutiennent que la fraude commise par Pacifico en ne procédant pas à la déclaration de franchissement de seuil comme elle y était tenue entraîne la nullité de la délibération par application de l'adage fraus omnia corrumpit.
Ils exposent que l'obligation de déclarer le franchissement de seuil des 30% et l'obligation corrélative d'émettre une OPA est subordonnée par l'article L. 233-7 du code de commerce à la seule détention du nombre d'action ou de droits de vote et non à leur exercice effectif.
Il font valoir qu'au 17 décembre 2015, date de l'assemblée générale, les 16.666.116 actions détenues au nominatif par Pacifico dans le capital de MPI étaient assorties d'un droit de vote double, qu'elle détenait ainsi 45.415.735 droits de vote sur un total de 134.321.396 soit 33,81% des droits de vote.
Ils soulignent que Pacifico était consciente de cet état de fait puisqu'elle s'engageait auprès de l'AMF à ne pas exercer ses droits de vote double s sans respecter les obligations mises à sa charge par l'article L. 233-7 II du code de commerce dans le seul but de procéder à la fusion en fraude des droits des actionnaires minoritaires.
Les consorts G. exposent que l'acquisition de droits de vote double s a fait franchir le seuil de 30% au-delà duquel la société est tenue de déposer un projet d'offre publique, qu'il importe peu qu'elle ait neutralisé ses droits de vote double s, leur seule détention justifiant l'application de l'article 236-6 du RGAMF. Ils soulignent que l'accord de l'AMF s'agissant la neutralisation des droits de vote ne concernait que la question de la mise en œuvre d'une offre publique de retrait, que l'AMF n'a pas été informée du dépassement de seuil et que l'absence de dépôt d'un projet d'offre publique obligatoire est sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts.
La société M&P rappelle que le défaut de déclaration de franchissement de seuil et le défaut de dépôt d'un offre publique obligatoire est sanctionnée par la privation des droits de vote excédant le seuil franchi et non par la nullité de l'assemblée générale. Elle expose que l'acquisition de droits de vote double s n'a pu avoir aucune incidence sur le sens du vote, les droits de vote exercés par Pacifico étant restés en deçà du seuil de 30% et même en deçà du seuil de 25%.
La société Pacifico soutient que la sanction du non respect de l'article 234-2 du RGAMF ne peut donner lieu qu'à une sanction par la commission de l'AMF et que la violation de l'article L. 233-7 du code de commerce est prévue à l'article L. 233-14 du même code et ne prévoit qu'une privation des droits de vote attachés aux actions excédant la fraction qui n'a pas été régulièrement déclarée et une éventuelle suspension totale ou partielle des droits de vote de l'actionnaire mais ni nullité de l'assemblée générale ni indemnisation. Elle ajoute qu'il en est de même pour la violation de l'article L. 433-3 du code monétaire et financier. Elle estime que l'argument fondé sur l'adage fraus omnia corrumpit n'est pas de nature à modifier la sanction et ne peut donc donner lieu à la nullité de la fusion.
Elle précise que l'excédent de voix dont elle a été détentrice est uniquement lié au hasard du calendrier et au délai de remise du document E validé par l'AMF ayant entraîné le report de la date de l'assemblée générale. Elle fait valoir qu'ayant procédé d'elle-même à la neutralisation des votes doubles elle a ainsi neutralisé plus de voix que le nombre de voix que les consorts G. entendent retirer du vote de la résolution 2A au motif qu'elles excéderaient le seuil de 25%.
Elle ajoute que l'AMF l'a dispensée de présenter une offre publique de retrait, que cette décision était une condition suspensive de l'opération de fusion et que sa responsabilité ne peut donc être engagée pour n'avoir pas déposé une offre dont elle a été exonérée. Elle rappelle de surcroît les dispositions de l'article R. 233-1 du code de commerce qui précisent que pour l'application de l'article L. 233-7 du même code l'information de franchissement de seuil doit être donnée au plus tard avant la clôture des négociations du quatrième jour de bourse suivant le jour du franchissement, ce qui lui donnait un délai courant jusqu'au 21 décembre 2015 pour y procéder et qu'aucun manquement à son obligation de déclaration ne peut donc lui être reprochée.
Elle conteste la référence à l'actif net comptable pour la valorisation de la participation, soutient que le cours de bourse est un indicateur plus pertinent et que l'action MPI, au jour du franchissement de seuil allégué, était de 1,91 euros. Elle précise que la seule référence aux actifs nets comptables de MPI et M&P aurait dû conduire à une parité de 1,7 action MPI pour une action M&P, moins avantageuse que la parité contestée.
Il n'est pas contesté que la société Pacifico ne détient pas plus de 30% du capital de la société MPI. Ainsi, l'obligation de déclarer le franchissement de seuil et de procéder alors à la mise en oeuvre d'une offre publique d'achat ne pourrait que découler du franchissement du seuil de 30% des droits de vote.
Selon l'article L. 433-3 I, alinéa 1er du code monétaire et financier précité lorsqu'un actionnaire d'une société dont le siège social est en France détient directement ou indirectement plus de 30% du capital ou des droits de vote il doit en informer l'AMF et déposer une offre public d'achat.
La cour constate que la société Pacifico a saisi l'AMF afin d'éviter la mise en oeuvre d'une offre publique de retrait puisqu'elle pouvait entrer dans les prévisions de l'article L233-3 I,3° du code de commerce au titre du contrôle de fait. Elle a également informé à cette occasion l'AMF qu'elle disposerait de droits de vote double s lors de l'assemblée générale du 17 décembre et elle s'engageait à ne pas exercer ces droits. Elle n'a cependant pas informé l'AMF que les droits de vote double s lui feraient franchir le seuil de 30% des droits de vote.
Dans se décision l'AMF a acté que Pacifico s'était engagée à neutraliser ses votes doubles mais elle ne s'est pas prononcée sur le franchissement de seuil de 30% qui ne lui était pas soumis et notamment sur la nécessité de déposer une offre publique d'acquisition..
Il ressort de ces éléments que la société Pacifico a méconnu ses obligations en ne déclarant pas le franchissement du seuil de 30% des droits de vote. Peu importe à cet égard qu'elle ait neutralisé les votes doubles et qu'ainsi ses votes n'ont pas dépassé de fait le seuil des 30% puisque comme le relèvent à juste titre les appelants c'est la détention des droits de vote qui importent pour le calcul du franchissement de seuil et non leur utilisation.
Cependant le défaut d'information de l'AMF n'est pas sanctionné par la nullité de la délibération prise en violation de cette disposition mais par la privation ou la suspension des droits de vote de l'actionnaire excédant le seuil franchi.
Or la cour constate que la société Pacifico n'a pas utilisé les droits de vote double s, alors que les autres actionnaires ont pu le faire, et que dès lors l'absence de déclaration de franchissement de seuil n'a eu aucun effet sur la régularité de l'assemblée générale et de la résolution relative à la fusion. Il n'en est résulté aucun préjudice à l'égard des actionnaires minoritaires.
Au demeurant il ressort du dossier que le franchissement de seuil est principalement dû au retard dans la tenue des assemblées générales et que si celles-ci avaient eu lieu à la date prévue du 7 décembre il n'y aurait eu aucune franchissement de seuil. Enfin, selon les pièces produites le franchissement de seuil a été très bref puisque Pacifico a donné l'ordre immédiat de procéder au transfert des titres au porteur de sorte que par la suite elle ne disposait plus des droits de vote double s et qu'en tout état de cause la fusion avait déjà eu lieu immédiatement.
Pour ce qui concerne l'obligation de déposer un projet d'offre publique, cette obligation est tempérée par plusieurs exceptions et dérogations et il appartient à l'AMF de déterminer si l'actionnaire qui dépasse les 30% du capital ou des droits de vote est tenue ou non de procéder à une offre publique.
La violation de cette obligation n'a eu aucun effet sur l'assemblée générale et sur les résolutions qui y ont été adoptées et dès que la fusion a été votée le 17 décembre le franchissement de seuil de 30% des droits de vote de MPI est devenu sans objet.
La cour confirmera en conséquence par substitution de motifs le jugement du tribunal de commerce de Paris sur ce point.
2 - Pour ce qui concerne M&P
Les consorts R. soulèvent également la fraude et ils font valoir que les transferts d'action du nominatif au porteur et inversement par Pacifico dans le but de ne pas franchir le seuil ne sont pas établis par le registre des mouvements de titres au sein de M&P. Ils soutiennent qu'après le transfert de titres au nominatif en 2009, la répartition des actions est demeurée inchangée, qu'ainsi au 31 décembre 2013, les actions détenues au nominatif ont nécessairement acquis un droit de vote double et qu'en conséquence Pacifico détenait à cette date 33,02% des droits de vote ce qui l'obligeait à déposer une OPA sur les titres M&P.
Ils soutiennent que postérieurement à la fusion, compte tenu de la parité retenue et des droits de vote attachés aux actions nouvellement créées, Pacifico détenait 31,26% des droits de vote de M&P ce qui aurait dû la conduire à déposer une OPA.
Ils ajoutent qu'au 31 décembre des années 2008, 2009, 2010 et 2011 Pacifico avait franchi les seuils statutaires prévus à l'article 10.1 sans respecter les obligations de déclaration.
Ils en déduisent la nullité de la fusion litigieuse.
Les consorts G. soutiennent qu'à l'issue de la fusion la société Pacifico détenait 31,12% des droits de vote dans M&P, qu'en s'abstenant de déposer un projet d'offre publique elle a engagé sa responsabilité justifiant l'allocation de dommages-intérêts.
Ils ajoutent que Pacifico avait préalablement dépassé le seuil de 30% de droits de vote entre les années 2013 et 2015 puisque les actions transférées au nominatif entre 2008 et 2009 se sont automatiquement vues attribué un droit de vote double en application de l'article 11.7 des statuts après 4 ans de détention continue. Ils contestent les affirmations de Pacifico soutenant qu'elle a procédé à des transferts d'actions du nominatif au porteur durant la période afin d'éviter le franchissement de seuil et font valoir que la stabilité du nombre total de droits de vote de Pacifico dans M&P démontre que ces transferts n'ont pas eu lieu.
La société Pacifico fait valoir que les chiffres des registres et documents de référence établissent sans conteste qu'elle n'a jamais franchi les seuils allégués et que sa carte d'actionnaire à l'assemblée générale du 17 décembre faisait état de 28,8% de droits de vote. Elle conteste également tout franchissement de seuil post-fusion, les documents de référence M&P publiés au 31 décembre 2015 font état d'une détention de droits de vote de 29,13%, pourcentage qui a également été retenu par les commissaires à la fusion.
Comme l'a fait justement observer le tribunal de commerce il est légal et de pratique courante pour un actionnaire d'effectuer des mouvements de titres du nominatif au porteur afin d'éviter d'acquérir les droits de vote double attachés aux actions nominatives afin de ne pas franchir certains seuils de droits de vote.
En l'espèce il est produit aux débats les documents de référence de M&P sur la structure de son actionnariat dans lesquels il apparaît que la société Pacifico n'a jamais détenu plus de 30% des droits de vote avant la fusion. L'affirmation des appelants selon laquelle il n'y aurait pas eu de transferts d'actions nominatives au porteur puisque les registres de mouvement de titres ne sont pas produits ne reposent que sur une déduction et sont insuffisantes à établir que Pacifico aurait dissimulé le nombre d'actions nominatives qu'elle détenait.
Enfin le document de référence de M&P sur la structure de l'actionnariat au 31/01/2016 montre que Pacifico détient 24,53 % des actions et non plus de 31%..
La cour confirmera en conséquence le jugement du tribunal de commerce sur ce point également.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés Pacifico et M&P les fras qu'elles ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il leur sera alloué à chacune la somme de 20.000 euros.
PAR CES MOTIFS,
Constate que la demande de production de pièces n'est plus soutenue,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 20 décembre 2019 en ce qu'il a dit prescrite l'action fondée sur l'abus de majorité,
Dit irrecevables comme prescrites les actions en nullité des résolutions 2A et 1A des assemblées générales mixtes des sociétés M&P et MPI fondées sur la comptabilisation des votes,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté les consorts G. et R. de leurs demandes en nullité des délibérations des assemblées générales et des opérations de fusion absorption fondées sur le franchissement de seuil,
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté les consorts G. et R. de leurs demandes de dommages et intérêts;
Y ajoutant,
Condamne in solidum Monsieur Robert R., Madame Colette P. épouse R., Monsieur Pascal R., Madame Sylvie R., Monsieur Daniel R. et Madame Cécile B. épouse R., Monsieur Wilfrid G., Mademoiselle Clémentine G. et Mademoiselle Blanche G. à payer à la société Pacifico la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne in solidum Monsieur Robert R., Madame Colette P. épouse R., Monsieur Pascal R., Madame Sylvie R., Monsieur Daniel R. et Madame Cécile B. épouse R., Monsieur Wilfrid G., Mademoiselle Clémentine G. et Mademoiselle Blanche G. à payer à la société M. & Prom la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Monsieur Robert R., Madame Colette P. épouse R., Monsieur Pascal R., Madame Sylvie R., Monsieur Daniel R. et Madame Cécile B. épouse R., Monsieur Wilfrid G., Mademoiselle Clémentine G. et Mademoiselle Blanche G. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.