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Décisions

CJUE, 5e ch., 22 décembre 2022, n° C-383/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sambre & Biesme SCRL, Commune de Farciennes

Défendeur :

Société wallonne du logement (SWL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. E. Regan

Juges :

M. D. Gratsias, M.M. Ilešič, M. I. Jarukaitis, M. Z. Csehi

Avocat général :

M. M. Campos Sánchez-Bordona

Avocats :

Me J. Laurent, Me C. Servais, Me J. Bourtembourg, Me N. Fortemps

CJUE n° C-383/21

21 décembre 2022

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, Sambre & Biesme SCRL, société de logement de service public (SLSP) (ci-après la « SLSP Sambre & Biesme ») (affaire C‑383/21) et, d’autre part, la commune de Farciennes (Belgique) (affaire C‑384/21) à la Société wallone du logement (SWL) au sujet de l’annulation par cette dernière des décisions du conseil d’administration de la SLSP Sambre & Biesme par lesquelles celui-ci a, d’une part, approuvé la convention-cadre de marchés conjoints passée avec la commune de Farciennes et, d’autre part, prévu de ne pas mettre en concurrence un marché de services d’inventaire relatif à l’amiante en raison d’une relation in house unissant la SLSP Sambre & Biesme à l’Intercommunale pour la gestion et la réalisation d’études techniques et économiques (Igretec).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3 La directive 2014/24 énonce, à ses considérants 5, 31 et 33 :

« (5) Il convient de rappeler que rien dans la présente directive ne fait obligation aux États membres de confier à des tiers ou d’externaliser la fourniture de services qu’ils souhaitent fournir eux-mêmes ou organiser autrement que par la passation d’un marché public au sens de la présente directive. La prestation de services fondés sur la législation, la réglementation ou des contrats d’emploi ne devrait pas être concernée. Dans certains États membres, cela pourrait par exemple être le cas pour certains services administratifs et publics, tels que les services exécutifs et législatifs, ou la fourniture de certains services à la population, tels que des services en matière d’affaires étrangères ou de justice ou des services de sécurité sociale obligatoire.

[...]

(31) Il existe une importante insécurité juridique quant à la question de savoir dans quelle mesure les règles sur la passation des marchés publics devraient s’appliquer aux marchés conclus entre entités appartenant au secteur public. La jurisprudence applicable de la Cour de justice de l’Union européenne fait l’objet d’interprétations divergentes entre États membres et même entre pouvoirs adjudicateurs. Il est dès lors nécessaire de préciser dans quels cas les marchés conclus au sein du secteur public ne sont pas soumis à l’application des règles relatives à la passation des marchés publics.

Ces précisions devraient s’appuyer sur les principes énoncés dans la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne. La seule circonstance que les deux parties à un accord sont elles-mêmes des pouvoirs publics n’exclut pas en soi l’application des règles relatives à la passation des marchés publics. L’application de ces règles ne devrait toutefois pas interférer avec la liberté des pouvoirs publics d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées en utilisant leurs propres ressources, ce qui inclut la possibilité de coopérer avec d’autres pouvoirs publics.

Il convient de veiller à ce qu’aucune coopération public-public ainsi exclue n’entraîne de distorsion de concurrence à l’égard des opérateurs économiques privés dans la mesure où cela place un prestataire de services privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.

[...]

(33) Les pouvoirs adjudicateurs devraient pouvoir choisir de fournir conjointement leurs services publics par la voie de la coopération, sans être contraints de recourir à une forme juridique particulière. Cette coopération pourrait porter sur tous les types d’activités liées à l’exécution de services et à l’exercice de responsabilités confiées aux pouvoirs adjudicateurs participants ou assumées par eux, telles que des missions obligatoires ou volontaires relevant d’autorités locales ou régionales ou des services confiés à des organismes particuliers par le droit public. Les services fournis par les différents pouvoirs adjudicateurs participants ne doivent pas nécessairement être identiques ; ils pourraient également être complémentaires.

Les marchés concernant la fourniture conjointe de services publics ne devraient pas être soumis à l’application des règles établies dans la présente directive, à condition qu’ils soient conclus exclusivement entre pouvoirs adjudicateurs, que la mise en œuvre de cette coopération n’obéisse qu’à des considérations d’intérêt public et qu’aucun prestataire privé de services ne soit placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.

Pour que ces conditions soient remplies, il convient que la coopération soit fondée sur le concept de coopération. Cette coopération n’exige pas que tous les pouvoirs participants se chargent de l’exécution des principales obligations contractuelles, tant que l’engagement a été pris de coopérer à l’exécution du service public en question. En outre, la mise en œuvre de la coopération, y compris tout transfert financier entre les pouvoirs adjudicateurs participants, ne devrait obéir qu’à des considérations d’intérêt public. »

4 Sous le titre I de cette directive, intitulé « Champ d’application, définition, et principes généraux », figure un chapitre I, intitulé « Champ d’application et définitions », dont la section 3, elle-même intitulée « Exclusions », comprend les articles 7 à 12.

5 L’article 12 de ladite directive, intitulé « Marchés publics passés entre entités appartenant au secteur public », dispose :

« 1. Un marché public attribué par un pouvoir adjudicateur à une personne morale régie par le droit privé ou le droit public ne relève pas du champ d’application de la présente directive lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) le pouvoir adjudicateur exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ;

b) plus de 80 % des activités de cette personne morale contrôlée sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur qui la contrôle ou par d’autres personnes morales qu’il contrôle ; et

c) la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

Un pouvoir adjudicateur est réputé exercer sur une personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, au sens du premier alinéa, point a), s’il exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée. Ce contrôle peut également être exercé par une autre personne morale, qui est elle-même contrôlée de la même manière par le pouvoir adjudicateur.

2. Le paragraphe 1 s’applique également lorsqu’une personne morale contrôlée qui est un pouvoir adjudicateur attribue un marché au pouvoir adjudicateur qui la contrôle, ou à une autre personne morale contrôlée par le même pouvoir adjudicateur, à condition que la personne morale à laquelle est attribué le marché public ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

3. Un pouvoir adjudicateur qui n’exerce pas de contrôle sur une personne morale régie par le droit privé ou le droit public au sens du paragraphe 1 peut néanmoins attribuer un marché public à cette personne morale sans appliquer la présente directive, lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) le pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale concernée, analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services ;

b) plus de 80 % des activités de cette personne morale sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par les pouvoirs adjudicateurs qui la contrôlent ou par d’autres personnes morales contrôlées par les mêmes pouvoirs adjudicateurs ; et

c) la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

Aux fins du premier alinéa, point a), les pouvoirs adjudicateurs exercent un contrôle conjoint sur une personne morale lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

i) les organes décisionnels de la personne morale contrôlée sont composés de représentants de tous les pouvoirs adjudicateurs participants, une même personne pouvant représenter plusieurs pouvoirs adjudicateurs participants ou l’ensemble d’entre eux ;

ii) ces pouvoirs adjudicateurs sont en mesure d’exercer conjointement une influence décisive sur les objectifs stratégiques et les décisions importantes de la personne morale contrôlée ; et

iii) la personne morale contrôlée ne poursuit pas d’intérêts contraires à ceux des pouvoirs adjudicateurs qui la contrôlent ;

4. Un marché conclu exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus ne relève pas du champ d’application de la présente directive, lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) le marché établit ou met en œuvre une coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun ;

b) la mise en œuvre de cette coopération n’obéit qu’à des considérations d’intérêt public ; et

c) les pouvoirs adjudicateurs participants réalisent sur le marché concurrentiel moins de 20 % des activités concernées par la coopération ;

[...] »

6 L’article 90 de la même directive, intitulé « Transposition et dispositions transitoires », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 avril 2016. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. »

 Le droit belge

7 La directive 2014/24 a été transposée dans le droit belge par la loi relative aux marchés publics, du 17 juin 2016 (Moniteur belge du 14 juillet 2016, p. 44219), laquelle est entrée en vigueur le 30 juin 2017, après la date d’expiration du délai de transposition de cette directive prévu à l’article 90 de celle-ci.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

8 La SLSP Sambre & Biesme est une société coopérative à responsabilité limitée dont les actionnaires principaux sont les communes de Farciennes et d’Aiseau-Presles (Belgique). En tant que société de logement de service public, elle a pour autorité de tutelle la SWL, laquelle agit pour le compte du gouvernement wallon.

9 Au cours de l’année 2015, la SLSP Sambre & Biesme et la commune de Farciennes ont décidé d’unir leurs moyens pour créer un écoquartier à Farciennes regroupant environ 150 logements. À cette fin, les parties ont souhaité faire appel aux services de l’Igretec pour suivre la mise en œuvre de leur projet.

10 L’Igretec est une société coopérative à responsabilité limitée qui exerce des missions de service public et qui est, à ce titre, une personne morale de droit public. Son activité se déploie dans plusieurs domaines. Ainsi qu’il est décrit dans ses statuts, son objet social comprend, notamment, des activités de bureau d’études et de gestion.

11 Les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’Igretec dépendent du code de la démocratie locale et de la décentralisation ainsi que de ses statuts. À ce titre, pour ce qui est de sa composition, elle comprend exclusivement des personnes morales de droit public. À l’époque des faits au principal, l’Igretec comptait parmi ses associés plus de 70 communes, dont la commune de Farciennes, et plus de 50 autres pouvoirs publics. En particulier, au sein du capital social de l’Igretec, réparti en parts de cinq catégories, le nombre de parts de catégorie A attribuées aux communes s’élevaient à 5 054 351 et celui des parts de catégorie C attribuées aux « autres affiliés de droit public » étaient au nombre de 17 126.

12 S’agissant du fonctionnement de l’Igretec, les communes disposent toujours de la majorité des voix ainsi que de la présidence des différents organes de gestion et les décisions des organes de l’Igretec ne sont acquises que si elles recueillent, outre la majorité des voix des administrateurs présents ou représentés, la majorité des voix des administrateurs issus des communes associées.

13 Le 29 octobre 2015, la SLSP Sambre & Biesme a décidé d’acheter une part sociale de catégorie C dans l’Igretec afin de pouvoir bénéficier de ses services en tant qu’associée.

14 Le 23 mars 2016, la commune de Farciennes a conclu avec l’Igretec un contrat d’assistance à maître d’ouvrage et d’assistance juridique ainsi qu’un contrat de faisabilité en architecture, stabilité, technique spéciale, voirie, environnement et urbanisme. Dans le cadre de ces missions, l’Igretec a proposé trois variantes d’aménagements qui intégraient le projet de la SLSP Sambre & Biesme et a suggéré de conclure une convention de marché conjoint entre la SLSP Sambre & Biesme et la commune de Farciennes.

15 Le 19 janvier 2017, le conseil d’administration de la SLSP Sambre & Biesme a marqué son accord, d’une part, sur le projet de convention‑cadre de marchés conjoints avec la commune de Farciennes et, d’autre part, sur le cahier spécial des charges concernant la désignation d’un bureau d’expert pour réaliser l’inventaire et le programme de gestion dans la problématique de l’amiante. Ce cahier des charges établi par l’Igretec était décrit comme étant la première étape de mise en œuvre du projet d’écoquartier à Farciennes.

16 Le 26 janvier 2017, le conseil communal de la commune de Farciennes a décidé d’approuver cette convention-cadre avec la SLSP Sambre & Biesme.

17 Ladite convention-cadre stipule à son article 1er, intitulé « Objet », que, notamment, la commune de Farciennes et la SLSP Sambre & Biesme déterminent, par la même convention-cadre, leurs droits et leurs obligations respectifs dans la conception et la réalisation des travaux de création de l’écoquartier de Farciennes et qu’elles décident de passer des marchés publics conjoints de services, de travaux et de promotion de travaux.

18 À cet égard, elles désignent la commune de Farciennes pour agir en qualité de pouvoir adjudicateur en leur nom collectif et de prendre seule toute décision relative à la passation et à l’attribution des marchés, étant entendu que, avant toute décision prise en exécution de la convention‑cadre et conformément à l’article 2 de celle-ci, les parties se concertent au sein d’un comité de pilotage composé de représentants de chacune d’entre elles.

19 L’article 5 de ladite convention-cadre, intitulé « Choix de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour la mise en œuvre de marchés de services, de travaux et de promotion de travaux et pour la réalisation du dossier de revitalisation urbaine », dispose que « les parties conviennent que la commune de Farciennes conclut avec [l’Igretec] [...] une convention d’assistance à maîtrise d’ouvrage, de prestations juridiques et d’environnement, et ce dans le cadre de la relation in house qui unit chacune des parties à ladite intercommunale ».

20 Le 9 février 2017, le conseil d’administration de la SLSP Sambre & Biesme a décidé, d’une part, d’approuver la conclusion de la convention-cadre de marchés conjoints avec la commune de Farciennes et, d’autre part, de ne pas mettre en concurrence le marché public de services d’inventaire relatif à l’amiante dont il avait précédemment approuvé le cahier spécial des charges en raison de la relation in house existant entre la SLSP Sambre & Biesme et l’Igretec.

21 Par décision du 25 février 2017, la SWL a, en tant qu’autorité de tutelle, annulé ces deux décisions du conseil d’administration de la SLSP Sambre & Biesme, au motif que les conditions de l’exception in house n’étaient pas remplies entre la SLSP Sambre & Biesme et l’Igretec.

22 La SLSP Sambre & Biesme (affaire C‑383/21) et la commune de Farciennes (affaire C‑384/21) ont chacune introduit, respectivement les 28 avril et 2 mai 2017, un recours en annulation contre cette décision de la SWL devant le Conseil d’État (Belgique). Elles soutiennent que les conditions relatives à une telle exception, prévues à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/24, étaient remplies dans les circonstances visées de telle sorte qu’il était loisible d’opérer une attribution directe des marchés publics en cause. En outre, la commune de Farciennes (affaire C‑384/21) prétend qu’une attribution sans mise en concurrence est également justifiée sur le fondement de l’article 12, paragraphe 4, de cette directive, dès lors qu’existerait une situation de coopération entre les pouvoirs adjudicateurs, au sens de cette dernière disposition.

23 Étant donné que la loi de transposition de ladite directive n’était pas encore entrée en vigueur au moment des faits en cause au principal alors que le délai prévu à l’article 90 de la directive 2014/24 aux fins d’une telle transposition était déjà expiré, la juridiction de renvoi se demande, tout d’abord, si, à la lumière de l’arrêt du 3 octobre 2019, Irgita (C‑285/18, EU:C:2019:829), c’est sur le fondement de l’article 12, paragraphes 3 et 4, de cette directive qu’il y a lieu de trancher les litiges pendants devant elle, alors que les parties aux litiges au principal s’opposent, notamment, sur la question de savoir si celles-ci ont seulement pour objet de prévoir une faculté pour les États membres d’exclure du champ d’application de ladite directive l’attribution de certains marchés publics passés entre des entités appartenant au secteur public.

24 Ensuite, pour ce qui est des conditions devant être remplies pour qu’un pouvoir adjudicateur exerçant, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale concernée puisse procéder à une attribution in house, elle s’interroge sur la manière dont ce pouvoir adjudicateur doit participer aux organes de l’entité contrôlée et contribuer effectivement à son contrôle, en particulier en vertu de l’exigence visée à l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la même directive. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que les associés de catégorie C, dont fait partie la SLSP Sambre & Biesme, se trouvaient en situation très minoritaire, laquelle ne leur permettait pas de contribuer effectivement au contrôle de l’Igretec.

25 De plus, relevant la prépondérance des communes en tant qu’associés de catégorie A dans les organes décisionnels, cette juridiction de renvoi précise que la position très minoritaire des associés de catégorie C ne leur permettait pas, de facto, de disposer d’un administrateur pour les représenter au sein du conseil d’administration de l’Igretec tandis que les statuts de l’Igretec, dans leur version applicable aux litiges au principal, ne garantissaient nullement la présence d’un administrateur désigné par ces associés pour les représenter. La juridiction de renvoi, constatant que lesdits associés ne disposaient effectivement d’aucun représentant au sein du conseil d’administration ou de la « commission permanente du bureau d’études et de gestion », en a déduit que les associés de catégorie C ne participaient en aucune manière à l’exercice d’un contrôle conjoint sur l’Igretec.

26 Cependant, la juridiction de renvoi indique que les requérantes dans les litiges au principal font valoir que siégeait au conseil d’administration de l’Igretec un conseiller communal de la commune de Farciennes qui était, en même temps, administrateur de la SLSP Sambre & Biesme, la commune de Farciennes étant actionnaire à la fois de l’Igretec et de la SLSP Sambre & Biesme.

27 La juridiction de renvoi précise, toutefois, qu’il n’est pas démontré qu’une telle circonstance était prévue et garantie en droit. Par ailleurs, cette personne siégeait au conseil d’administration de l’Igretec en sa qualité de conseiller communal à Farciennes, sans qu’il soit possible de considérer qu’elle était, à ce titre, également réputée représenter les intérêts de la SLSP Sambre & Biesme.

28 Cela étant, eu égard à l’appréciation in concreto alléguée par les requérantes au principal devant la juridiction de renvoi afin de déterminer si un pouvoir adjudicateur exerce sur l’entité attributaire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, la juridiction de renvoi se demande si une situation telle que celle exposée aux points 26 et 27 du présent arrêt permet de conclure, comme le soutiennent les requérantes au principal, que la SLSP Sambre & Biesme participait aux organes décisionnels de l’Igretec et exerçait donc sur cette intercommunale un tel contrôle, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, par l’intermédiaire de la commune de Farciennes.

29 La juridiction de renvoi précise, d’une part, que, si les requérantes au principal font valoir que la commune de Farciennes est actionnaire tant de la SLSP Sambre & Biesme que de l’Igretec et exerce sur ces deux entités un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services, elles n’entendent pas faire valoir la possibilité d’une attribution directe d’un marché public entre deux entités contrôlées par le même pouvoir adjudicateur. D’autre part, la juridiction de renvoi émet des doutes sur le fait que, en toute hypothèse, les conditions encadrant l’exclusion de telles attributions du champ d’application des règles du droit de l’Union en matière de marché public soient satisfaites, la commune de Farciennes exerçant son contrôle conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs.

30 Enfin, la juridiction de renvoi s’interroge également sur la possibilité d’attribuer le marché public sans procédure d’appel d’offres, en vertu de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24, dès lors que la commune de Farciennes se prévaut, à titre subsidiaire, de l’existence d’une situation de coopération entre les pouvoirs adjudicateurs, au sens de cette disposition.

31 À cet égard, la juridiction de renvoi nourrit des doutes sur le fait que la notion de « coopération », visée à ladite disposition, puisse couvrir des circonstances telles que celles au principal au seul motif que les missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage, de prestations juridiques et d’environnement confiées à l’Igretec s’inscrivent dans le cadre de la coopération entre la SLSP Sambre & Biesme et la commune de Farciennes en vue de la réalisation d’un projet commun de création d’un écoquartier à Farciennes, qu’une relation in house unit, en tout état de cause, cette commune et l’Igretec, et que ladite commune et la SLSP Sambre & Biesme sont membres de l’Igretec dans le secteur d’activités de son objet social qui est précisément concerné par les missions qu’elles souhaitent lui confier.

32 Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

Dans l’affaire C‑383/21 :

« 1) L’article [12, paragraphe 3,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens qu’il produit un effet direct ?

2) En cas de réponse affirmative à cette première question, l’article [12, paragraphe 3,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que la condition pour un pouvoir adjudicateur, en l’occurrence une société de logement de service public, d’être représenté au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée, en l’occurrence une société coopérative intercommunale, est remplie au seul motif qu’une personne siégeant au sein du conseil d’administration de cette société coopérative intercommunale en sa qualité de conseiller communal d’un autre pouvoir adjudicateur participant, en l’occurrence une commune, se trouve, en raison de circonstances exclusivement factuelles et sans garantie juridique de représentation, être également administrateur au sein de la société de logement de service public tandis que la commune est actionnaire (non exclusif) tant de l’entité contrôlée (société coopérative intercommunale) que de la société de logement de service public ?

3) En cas de réponse négative à la première question posée, faut-il considérer qu’un pouvoir adjudicateur, en l’occurrence une société de logement de service public, “participe” aux organes décisionnels de la personne morale contrôlée, en l’occurrence une société coopérative intercommunale, au seul motif qu’une personne siégeant au sein du conseil d’administration de cette société coopérative intercommunale en sa qualité de conseiller communal d’un autre pouvoir adjudicateur participant, en l’occurrence une commune, se trouve, en raison de circonstances exclusivement factuelles et sans garantie juridique de représentation, être également administrateur au sein de la société de logement de service public tandis que la commune est actionnaire (non exclusif) tant de l’entité contrôlée (société coopérative intercommunale) que de la société de logement de service public ? »

Dans l’affaire C‑384/21 :

« 1) L’article [12, paragraphe 3,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens qu’il produit un effet direct ?

2) En cas de réponse affirmative à cette première question, l’article [12, paragraphe 3,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que la condition pour un pouvoir adjudicateur, en l’occurrence une société de logement de service public, d’être représenté au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée, en l’occurrence une société coopérative intercommunale, est remplie au seul motif qu’une personne siégeant au sein du conseil d’administration de cette société coopérative intercommunale en sa qualité de conseiller communal d’un autre pouvoir adjudicateur participant, en l’occurrence une commune, se trouve, en raison de circonstances exclusivement factuelles et sans garantie juridique de représentation, être également administrateur au sein de la société de logement de service public tandis que la commune est actionnaire (non exclusif) tant de l’entité contrôlée (société coopérative intercommunale) que de la société de logement de service public ?

3) En cas de réponse négative à la première question posée, faut-il considérer qu’un pouvoir adjudicateur, en l’occurrence une société de logement de service public, “participe” aux organes décisionnels de la personne morale contrôlée, en l’occurrence une société coopérative intercommunale, au seul motif qu’une personne siégeant au sein du conseil d’administration de cette société coopérative intercommunale en sa qualité de conseiller communal d’un autre pouvoir adjudicateur participant, en l’occurrence une commune, se trouve, en raison de circonstances exclusivement factuelles et sans garantie juridique de représentation, être également administrateur au sein de la société de logement de service public tandis que la commune est actionnaire (non exclusif) tant de l’entité contrôlée (société coopérative intercommunale) que de la société de logement de service public ?

4) L’article [12, paragraphe 4,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens qu’il produit un effet direct ?

5) En cas de réponse affirmative à [la quatrième] question, l’article [12, paragraphe 4,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens qu’il permettrait de confier, sans mise en concurrence préalable, des missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage, de prestations juridiques et d’environnement à un pouvoir adjudicateur, en l’occurrence une société coopérative intercommunale, dès lors que ces missions s’inscrivent dans le cadre d’une coopération entre deux autres pouvoirs adjudicateurs, en l’occurrence une commune et une société de logement de service public, qu’il n’est pas contesté que la commune exerce un contrôle “in house conjoint” sur la société coopérative intercommunale et que la commune et la société de logement de service public sont membres de la société coopérative intercommunale dans le secteur d’activités “bureau d’études et de gestion et centrale d’achat” de son objet social qui est précisément concerné par les missions qu’elles souhaitent lui confier, lesquelles missions correspondent à des activités effectuées sur le marché par des bureaux d’études et de gestion spécialisés en conception, réalisation et mise en œuvre de projets ? »

33 Par décision du président de la Cour du 27 août 2021, les affaires C‑383/21 et C‑384/21 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question dans l’affaire C‑383/21 ainsi que sur les première et quatrième questions dans l’affaire C‑384/21

34 Par sa première question dans l’affaire C‑383/21 ainsi que par ses première et quatrième questions dans l’affaire C‑384/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il produit des effets directs dans le cadre de litiges opposant des personnes morales de droit public au sujet de l’attribution directe de marchés publics, alors que l’État membre concerné s’est abstenu de transposer cette directive dans l’ordre juridique national dans les délais impartis.

35 Il ressort d’une jurisprudence constante que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, il est possible de les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État membre concerné, soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive dans le droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (arrêt du 14 janvier 2021, RTS infra et Aannemingsbedrijf Norré-Behaegel, C‑387/19, EU:C:2021:13, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

36 En vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, le caractère contraignant d’une directive sur lequel est fondée la possibilité d’invoquer celle-ci n’existe qu’à l’égard de « tout État membre destinataire ». Il s’ensuit, selon une jurisprudence constante, qu’une directive ne peut par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne devant une juridiction nationale (arrêt du 12 décembre 2013, Portgás, C‑425/12, EU:C:2013:829, point 22 et jurisprudence citée).

37 Toutefois, il convient de rappeler que, lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d’une directive à l’encontre non pas d’un particulier, mais d’un État membre, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier. Il convient, en effet, d’éviter que l’État membre puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2016, Ambisig, C‑46/15, EU:C:2016:530, point 21 et jurisprudence citée).

38 Ainsi, les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive peuvent être invoquées par les justiciables non seulement à l’encontre d’un État membre et de l’ensemble des organes de son administration, mais également à l’encontre d’organismes ou d’entités, fussent-ils de droit privé, qui soit sont soumis à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique, soit se sont vu confier par un État membre l’accomplissement d’une mission d’intérêt public et détiennent à cet effet des pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (arrêt du 30 avril 2020, Blue Air – Airline Management Solutions, C‑584/18, EU:C:2020:324, point 72 et jurisprudence citée).

39 Par conséquent, dès lors que l’obligation pour un État membre de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive est une obligation contraignante, imposée par l’article 288, troisième alinéa, TFUE ainsi que par cette directive elle‑même, et dont le respect incombe à toutes les entités visées au point précédent, les litiges opposant ces entités sont des litiges impliquant des parties tenues de faire application de la directive concernée et auxquelles, par voie de conséquence, les dispositions inconditionnelles et suffisamment précises de cette directive sont opposables. Il en découle que ces dispositions de ladite directive sont susceptibles d’être invoquées dans le cadre de tels litiges, qu’il s’agisse, pour lesdites entités, de faire respecter les obligations qu’elles imposent ou de faire valoir les droits qu’elles leur octroient (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Portgás, C‑425/12, EU:C:2013:829, points 34, 35 et 38).

40 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle, les parties aux litiges au principal sont des personnes morales de droit public tenues au respect de la directive 2014/24. Il s’ensuit que, dans le cadre de ces litiges, alors que cette directive n’a pas été transposée dans l’ordre juridique national dans les délais impartis, des pouvoirs adjudicateurs, tels que la SLSP Sambre & Biesme et la commune de Farciennes, sont en mesure de se prévaloir des dispositions de ladite directive, pour autant que ces dernières soient inconditionnelles et suffisamment précises.

41 À ces égards, la Cour a précisé qu’une disposition du droit de l’Union est, d’une part, inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union européenne, soit des États membres et, d’autre part, suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge lorsqu’elle énonce une obligation dans des termes non équivoques (arrêt du 14 janvier 2021, RTS infra et Aannemingsbedrijf Norré-Behaegel, C‑387/19, EU:C:2021:13, point 46 ainsi que jurisprudence citée). Or, tel est le cas de l’article 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24.

42 En effet, s’agissant, en premier lieu, du caractère inconditionnel de ces dispositions, il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que, ainsi qu’il a été exposé au point 23 du présent arrêt, la juridiction de renvoi s’interroge, à la lumière de l’arrêt du 3 octobre 2019, Irgita (C‑285/18, EU:C:2019:829), sur la portée desdites dispositions, alors que les parties au principal s’opposent, notamment, sur la question de savoir si ces mêmes dispositions ont seulement pour objet de prévoir une faculté pour les États membres d’exclure l’attribution de certains marchés publics passés entre des entités appartenant au secteur public du champ d’application de cette directive. En effet, le cas échéant, les pouvoirs adjudicateurs ne pourraient pas se prévaloir de telles exclusions lorsque, faute de transposition de ladite directive, l’exercice d’une telle faculté par l’État membre concerné fait défaut.

43 À cet égard, il convient de relever que l’article 12 de la directive 2014/24, conformément à l’intitulé de la section dans laquelle il s’insère, prévoit, en substance, que les marchés publics passés entre des entités appartenant au secteur public remplissant les critères qui y sont visés sont exclus du champ d’application de cette directive, critères qu’un pouvoir adjudicateur doit donc respecter lorsqu’il souhaite procéder à l’attribution directe d’un tel marché public. En particulier, les paragraphes 3 et 4 dudit article 12 ont trait, d’une part, aux marchés publics attribués par un pouvoir adjudicateur à une personne morale sur laquelle celui-ci exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et, d’autre part, aux marchés publics conclus exclusivement entre des pouvoirs adjudicateurs afin d’établir ou de mettre en œuvre une coopération entre eux dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun.

44 Ainsi, la directive 2014/24 a, à son article 12, codifié et précisé la jurisprudence développée par la Cour en matière d’attribution directe, ce qui met en évidence que le législateur de l’Union a entendu que ce régime d’attribution directe soit rattaché à cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Rhenus Veniro, C‑253/18, EU:C:2019:386, point 27 et jurisprudence citée).

45 Ce faisant, comme la Cour l’a constaté, l’article 12 de ladite directive n’a pas, par conséquent, privé les États membres de la liberté de privilégier un mode de prestation de services, d’exécution de travaux ou d’approvisionnement en fournitures au détriment des autres. En effet, une telle liberté implique un choix qui s’effectue à un stade antérieur à celui de la passation d’un marché et qui, dès lors, ne relève pas du champ d’application de la directive 2014/24 (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Irgita, C‑285/18, EU:C:2019:829, point 44 ; ordonnances du 6 février 2020, Pia Opera Croce Verde Padova, C‑11/19, EU:C:2020:88, points 41 et 47, ainsi que du 6 février 2020, Rieco, C‑89/19 à C‑91/19, EU:C:2020:87, points 33, 39 et 40).

46 En outre, le considérant 5 et le considérant 31, deuxième alinéa, de la directive 2014/24 reflètent la volonté du législateur de l’Union de reconnaître la liberté des États membres quant au choix du mode de prestation de services par lequel les pouvoirs adjudicateurs peuvent pourvoir à leurs besoins (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Irgita, C‑285/18, EU:C:2019:829, point 45 ; ordonnances du 6 février 2020, Pia Opera Croce Verde Padova, C‑11/19, EU:C:2020:88, points 42 et 47, ainsi que du 6 février 2020, Rieco, C‑89/19 à C‑91/19, EU:C:2020:87, points 34, 39 et 40).

47 En effet, d’une part, le considérant 5 de cette directive énonce que rien dans celle-ci ne fait obligation aux États membres de confier à des tiers ou d’externaliser la fourniture de services qu’ils souhaitent fournir eux‑mêmes ou organiser autrement que par la passation d’un marché public, au sens de ladite directive. D’autre part, son considérant 31, deuxième alinéa, indique que, si la seule circonstance que les deux parties à un accord sont elles-mêmes des pouvoirs publics n’exclut pas en soi l’application des règles relatives à la passation des marchés publics, l’application de ces règles ne devrait pas interférer avec la liberté des pouvoirs publics d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées en utilisant leurs propres ressources, ce qui inclut la possibilité de coopérer avec d’autres pouvoirs publics.

48 Ainsi, la Cour en a déduit que, de même que la directive 2014/24 n’oblige pas les États membres à exiger des pouvoirs adjudicateurs de recourir à une procédure de passation de marché public, elle ne saurait les contraindre à recourir aux opérations visées à l’article 12 de cette directive lorsque les conditions prévues à cet article sont remplies (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, Irgita, C‑285/18, EU:C:2019:829, point 46 ; ordonnances du 6 février 2020, Pia Opera Croce Verde Padova, C‑11/19, EU:C:2020:88, points 43 et 47, ainsi que du 6 février 2020, Rieco, C‑89/19 à C‑91/19, EU:C:2020:87, points 35, 39 et 40).

49 Il résulte de ce qui précède que, certes, les États membres demeurent libres de fixer, dans la législation nationale, des conditions pour le recours, par les entités appartenant au secteur public, à des marchés publics tels que ceux visés à l’article 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24. Cependant, il n’en demeure pas moins que, lorsque, en vertu du droit national, il est loisible aux pouvoirs adjudicateurs de se prévaloir de l’une des exclusions au champ d’application de cette directive prévues à ces dispositions, les marchés publics réunissant les conditions qui y sont mentionnées peuvent faire l’objet d’une attribution directe, sans que cela soit subordonné à l’exercice, par l’État membre concerné, d’une faculté à cet effet. Par conséquent, en ce que les dispositions dudit article énoncent, à l’égard de ces pouvoirs adjudicateurs, des exigences pour l’exclusion de l’application des règles énoncées par ladite directive qui ne sont subordonnées, dans leur exécution ou dans leur effet, à l’intervention d’aucun acte, elles présentent un caractère inconditionnel, au sens de la jurisprudence rappelée au point 41 du présent arrêt.

50 Pour ce qui est, en second lieu, du caractère suffisamment précis desdites dispositions, il suffit de relever que, ainsi qu’il a été rappelé au point 44 du présent arrêt, l’article 12 de la directive 2014/24 codifie et précise la jurisprudence développée par la Cour en matière d’attribution directe en énonçant en des termes non équivoques, notamment, à ses paragraphes 3 et 4, les exigences auxquelles la mise en œuvre de ce régime d’attribution directe par les pouvoirs adjudicateurs doit répondre, afin, ainsi qu’il ressort du considérant 31 de cette directive, de remédier aux interprétations divergentes dont cette jurisprudence faisait l’objet.

51 Il y a donc lieu de conclure que l’article 12, paragraphes 3 et 4, de ladite directive présente le caractère inconditionnel et suffisamment précis qui est requis afin de produire des effets directs dans le cadre de litiges qui, tels que ceux au principal, opposent des personnes morales de droit public.

52 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question dans l’affaire C‑383/21 ainsi qu’aux première et quatrième questions dans l’affaire C‑384/21 que l’article 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il produit des effets directs dans le cadre de litiges opposant des personnes morales de droit public au sujet de l’attribution directe de marchés publics, alors que l’État membre concerné s’est abstenu de transposer cette directive dans l’ordre juridique national dans les délais impartis.

 Sur la deuxième question dans les affaires C‑383/21 et C‑384/21

53 Par sa deuxième question dans les affaires C‑383/21 et C‑384/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que, afin d’établir qu’un pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale adjudicataire analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services, l’exigence visée à cette disposition, tenant à ce qu’un pouvoir adjudicateur soit représenté dans les organes décisionnels de la personne morale contrôlée, est satisfaite au seul motif que siège au conseil d’administration de cette personne morale le représentant d’un autre pouvoir adjudicateur qui fait également partie du conseil d’administration du premier pouvoir adjudicateur.

54 Conformément à une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation (arrêt du 9 juin 2022, IMPERIAL TOBACCO BULGARIA, C‑55/21, EU:C:2022:459, point 44 et jurisprudence citée).

55 En premier lieu, s’agissant du libellé de l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la directive 2014/24, il convient d’observer que cette disposition vise l’un des critères devant être satisfait afin d’établir, en vertu de l’article 12, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de cette directive, qu’un pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale concernée, analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services.

56 En l’occurrence, l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de ladite directive énonce que les organes décisionnels de la personne morale contrôlée doivent être composés de représentants de tous les pouvoirs adjudicateurs participants, une même personne pouvant représenter plusieurs pouvoirs adjudicateurs participants ou l’ensemble d’entre eux.

57 Il résulte ainsi des termes de cette disposition que celle-ci requiert qu’un pouvoir adjudicateur exerçant un contrôle conjoint sur une personne morale dispose d’un membre agissant en qualité de représentant de ce pouvoir adjudicateur dans les organes décisionnels de cette personne morale, ce membre pouvant, le cas échéant, représenter également d’autres pouvoirs adjudicateurs.

58 Cette interprétation est corroborée, en deuxième lieu, par le contexte dans lequel s’insère ladite disposition.

59 En effet, premièrement, il convient d’observer que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24, relatif à l’hypothèse où un pouvoir adjudicateur unique exercerait sur la personne morale à laquelle un marché public est attribué un contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services, prévoit, à son second alinéa, que ce contrôle peut également être exercé par une autre personne morale, qui est elle-même contrôlée de la même manière par le pouvoir adjudicateur.

60 Par ailleurs, le paragraphe 2 de cet article 12 dispose, notamment, que le paragraphe 1 de celui-ci est également susceptible de s’appliquer lorsqu’une personne morale contrôlée, qui est elle-même un pouvoir adjudicateur, attribue un marché au pouvoir adjudicateur qui la contrôle, ou à une autre personne morale contrôlée par le même pouvoir adjudicateur.

61 En revanche, pour ce qui est de l’article 12, paragraphe 3, de cette directive, cette disposition prévoit qu’un pouvoir adjudicateur qui n’exerce pas de contrôle sur une personne morale, au sens du paragraphe 1 de cet article 12, peut, néanmoins, attribuer un marché public à cette personne morale sans appliquer ladite directive lorsque ce pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale concernée. Toutefois, il importe de souligner que, à la différence des paragraphes 1 et 2 dudit article, ladite disposition ne prévoit pas que les conditions relatives au contrôle du pouvoir adjudicateur sur la personne morale adjudicataire puissent être satisfaites de manière indirecte.

62 En particulier, l’exigence de représentation visée à l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la directive 2014/24 requiert que la participation d’un pouvoir adjudicateur au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs s’effectue par l’intermédiaire d’un représentant de ce pouvoir adjudicateur lui-même. Cette exigence ne peut donc pas être satisfaite par l’intermédiaire d’un membre de ces organes y siégeant seulement en qualité de représentant d’un autre pouvoir adjudicateur.

63 Deuxièmement, l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous ii), de cette directive prévoit, au titre des conditions devant être réunies pour que soit établi que les pouvoirs adjudicateurs exercent un contrôle conjoint sur une personne morale, au sens de l’article 12, paragraphe 3, premier alinéa, sous a), de ladite directive, que ces pouvoirs adjudicateurs doivent être en mesure d’exercer conjointement une influence décisive sur les objectifs stratégiques poursuivis par la personne morale contrôlée et sur les décisions importantes que celle-ci est susceptible de prendre.

64 Eu égard à la portée de la condition énoncée à l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous ii), de la directive 2014/24, laquelle a trait à la détermination du contenu de ces objectifs et de ces décisions, il convient donc de comprendre le critère figurant à l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de cette directive comme visant à poser une exigence distincte portant sur les conditions formelles de la participation de ces pouvoirs adjudicateurs dans les organes décisionnels de la personne morale concernée.

65 Ces constatations sont confirmées par la genèse de l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, de ladite directive.

66 Ainsi qu’il ressort du considérant 31 de la même directive, tout en relevant l’existence d’une importante insécurité juridique quant à la question de savoir dans quelle mesure les règles sur la passation des marchés publics devraient s’appliquer aux marchés conclus entre des entités appartenant au secteur public et, partant, la nécessité d’apporter des précisions à cet égard, le législateur de l’Union a considéré que ces précisions devraient s’appuyer sur les principes énoncés dans la jurisprudence pertinente de la Cour et, partant, n’a pas entendu remettre en cause cette jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2020, Informatikgesellschaft für Software-Entwicklung, C‑796/18, EU:C:2020:395, point 66).

67 À cet égard, il ressort de ladite jurisprudence que la question de savoir si un pouvoir adjudicateur exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services s’apprécie au regard de l’ensemble des dispositions législatives et des circonstances pertinentes. Dès lors, les éléments dont il y a lieu de tenir compte ne recouvrent pas seulement des circonstances factuelles, mais incluent également la législation applicable ainsi que, notamment, les mécanismes de contrôle prévus par les statuts de cette personne morale (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Sea, C‑573/07, EU:C:2009:532, points 65 et 66 ainsi que jurisprudence citée).

68 Au titre des précisions apportées à la jurisprudence de la Cour s’agissant des conditions dans lesquelles les marchés conclus entre des entités appartenant au secteur public ne relèvent pas des règles sur la passation des marchés publics, le législateur de l’Union a entendu renforcer l’exigence tenant à cette condition de représentation.

69 En effet, il y a lieu d’observer que, antérieurement à l’adoption de la directive 2014/24, le fait que les organes décisionnels de la personne morale concernée soient composés de représentants des pouvoirs adjudicateurs exerçant sur celle-ci un contrôle conjoint était un des éléments dont il était tenu compte afin d’établir, dans le chef du pouvoir adjudicateur concerné, la possibilité d’une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette personne (voir, notamment, arrêts du 13 novembre 2008, Coditel Brabant, C‑324/07, EU:C:2008:621, points 28, 29, 33 et 34 ainsi que jurisprudence citée, et du 10 septembre 2009, Sea, C‑573/07, EU:C:2009:532, points 65, 66 et 86 ainsi que jurisprudence citée).

70 Or, en les visant à des dispositions distinctes, à savoir à l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i) et ii), de cette directive, le législateur de l’Union a entendu faire des conditions de représentation des pouvoirs adjudicateurs exerçant un contrôle conjoint sur la personne morale adjudicataire une exigence autonome par rapport à celle tenant à la possibilité d’exercer une telle influence décisive.

71 En troisième lieu, l’interprétation selon laquelle cette disposition exige que la participation d’un pouvoir adjudicateur exerçant un tel contrôle conjoint au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée s’effectue par l’intermédiaire d’un membre agissant en qualité de représentant de ce pouvoir adjudicateur lui-même, ce membre pouvant, le cas échéant, représenter également d’autres pouvoirs adjudicateurs, est confortée par l’objectif poursuivi par les dispositions de l’article 12, paragraphe 3, de ladite directive.

72 En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 46 et 48 du présent arrêt, l’exclusion du champ d’application de la directive 2014/24 des marchés publics satisfaisant les critères visés, notamment, à son article 12, paragraphe 3, résulte de la reconnaissance, ainsi qu’il ressort du considérant 5 et du considérant 31, deuxième alinéa, de cette directive, de la liberté des État membres de prévoir que les pouvoirs publics puissent fournir certains services par eux-mêmes et exercer les missions de service public qui leur sont confiées en utilisant leurs propres ressources.

73 Or, il ne saurait être considéré qu’un pouvoir adjudicateur utilise ses propres ressources et agit par lui-même lorsqu’il n’est pas en mesure d’intervenir dans les organes décisionnels de la personne morale à qui le marché public est attribué par la voie d’un représentant qui agit au nom de ce pouvoir adjudicateur lui-même ainsi que, le cas échéant, au nom d’autres pouvoirs adjudicateurs, et que, par conséquent, l’expression de ses intérêts au sein de ces organes décisionnels est subordonnée au fait que lesdits intérêts soient communs avec ceux que les autres pouvoirs adjudicateurs y font valoir par l’intermédiaire de leurs propres représentants au sein de ces organes.

74 En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il ressort des éléments fournis à la Cour que l’exigence visée à l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de ladite directive, tenant à ce que la participation d’un pouvoir adjudicateur exerçant un contrôle conjoint sur une personne morale au sein des organes décisionnels de celle-ci s’effectue par l’intermédiaire d’un membre agissant en qualité de représentant de ce pouvoir adjudicateur lui-même, ce membre pouvant, le cas échéant, représenter également d’autres pouvoirs adjudicateurs, n’apparaît pas être satisfaite dans les circonstances en cause au principal. En effet, d’une part, les associés de catégorie C, dont fait partie la SLSP Sambre & Biesme, ne disposaient, notamment, d’aucun représentant au sein du conseil d’administration de l’Igretec et, d’autre part, bien que siégeant également au conseil d’administration de la SLSP Sambre & Biesme, ce n’est qu’en qualité de représentant de la commune de Farciennes, associée de catégorie A, que le conseiller communal siégeait au conseil d’administration de l’Igretec.

75 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question dans les affaires C‑383/21 et C‑384/21 que l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que, afin d’établir qu’un pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale adjudicataire analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services, l’exigence visée à cette disposition, tenant à ce qu’un pouvoir adjudicateur soit représenté dans les organes décisionnels de la personne morale contrôlée, n’est pas satisfaite au seul motif que siège au conseil d’administration de cette personne morale le représentant d’un autre pouvoir adjudicateur qui fait également partie du conseil d’administration du premier pouvoir adjudicateur.

 Sur la troisième question dans les affaires C‑383/21 et C‑384/21

76 Compte tenu de la réponse apportée à la première question dans les affaires C‑383/21 et C‑384/21, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question dans ces affaires.

 Sur la cinquième question dans l’affaire C‑384/21

77 Par sa cinquième question dans l’affaire C‑384/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’est exclu du champ d’application de cette directive un marché public par lequel sont confiées à un pouvoir adjudicateur des missions de service public qui s’inscrivent dans le cadre d’une relation de coopération entre d’autres pouvoirs adjudicateurs.

78 À titre liminaire, il convient d’observer que les paragraphes 1 à 4 de l’article 12 de ladite directive vise des cas distincts d’exclusion des règles de passation des marchés publics, chacun de ces cas étant soumis à des conditions qui lui sont propres.

79 Aux termes du paragraphe 4, sous a), de cet article 12, un marché public conclu exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus ne relève pas du champ d’application de la directive 2014/24 lorsque ce marché établit ou met en œuvre une coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun. Par ailleurs, aux termes des points b) et c) de ce paragraphe, il est requis que la mise en œuvre de cette coopération n’obéisse qu’à des considérations d’intérêt public et que les pouvoirs adjudicateurs participants réalisent sur le marché concurrentiel moins de 20 % des activités concernées par la coopération.

80 Il en découle que des circonstances telles que le fait qu’il existe une relation in house entre certains des pouvoirs adjudicateurs ou que les pouvoirs adjudicateurs attribuant le marché public concerné soient des associés du pouvoir adjudicateur auquel est confié, au moyen du marché public concerné, la réalisation de certaines missions ne sauraient, en elles-mêmes, être prises en compte afin d’apprécier si l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 couvre une situation dans laquelle l’exercice de ses missions par un pouvoir adjudicateur s’inscrit dans le cadre d’une relation de coopération entre d’autres pouvoirs adjudicateurs.

81 En revanche, il y a lieu de relever que le libellé de cette disposition confère à la notion de « coopération » un rôle déterminant dans le dispositif d’exclusion qu’elle prévoit. À cet égard, l’exigence d’une coopération effective ressort également de la précision, énoncée au considérant 33, troisième alinéa, de cette directive, selon laquelle la coopération doit être « fondée sur le concept de coopération ». Une telle formulation, en apparence tautologique, doit être interprétée comme renvoyant à l’exigence d’effectivité de la coopération ainsi établie ou mise en œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, Remondis, C‑429/19, EU:C:2020:436, points 26 et 28).

82 Dès lors, le marché public concerné doit apparaître comme l’aboutissement d’une démarche de coopération entre les pouvoirs adjudicateurs parties à celui-ci. L’élaboration d’une coopération entre des entités appartenant au secteur public présente, en effet, une dimension intrinsèquement collaborative, qui fait défaut dans une procédure de passation d’un marché public relevant des règles prévues par ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, Remondis, C‑429/19, EU:C:2020:436, point 32).

83 Comme l’a souligné M. l’avocat général, au point 60 de ses conclusions, une telle dimension collaborative exige que, pour relever de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24, la coopération en cause doit aboutir à la réalisation d’objectifs communs à l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs.

84 Or, un tel objectif commun à l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs fait défaut, lorsque, par l’accomplissement de ses missions, au titre du marché public concerné, un des pouvoirs adjudicateurs ne cherche pas à atteindre des objectifs qu’il partagerait avec les autres pouvoirs adjudicateurs, mais se limite à contribuer à la réalisation d’objectifs que seuls ces autres pouvoirs adjudicateurs ont en commun.

85 Dans de telles circonstances, le marché public concerné a uniquement pour objet l’acquisition d’une prestation moyennant le versement d’une rémunération, de sorte qu’il ne serait pas visé par l’exclusion prévue à l’article 12, paragraphe 4, de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, Remondis, C‑429/19, EU:C:2020:436, points 36 à 38).

86 Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il ressort des éléments fournis à la Cour que, dans les circonstances en cause au principal, la participation de l’Igretec à un marché public visant à la mise en œuvre du projet d’écoquartier à Farciennes ne saurait relever de cette exclusion. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a observé, aux points 69 et 71 de ses conclusions, même si l’exercice de ses missions par l’Igretec s’inscrit dans le cadre de la coopération entre la SLSP Sambre & Biesme et la commune de Farciennes en vue de les assister dans la réalisation de leur projet commun de création d’un écoquartier à Farciennes, il n’en demeure pas moins qu’une telle réalisation ne constitue pas en elle-même un objectif poursuivi par l’Igretec.

87 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question dans l’affaire C‑384/21 que l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que n’est pas exclu du champ d’application de cette directive un marché public par lequel sont confiées à un pouvoir adjudicateur des missions de service public qui s’inscrivent dans le cadre d’une relation de coopération entre d’autres pouvoirs adjudicateurs, lorsque, par l’accomplissement de telles missions, le pouvoir adjudicateur à qui ces missions ont été confiées ne cherche pas à atteindre des objectifs qu’il partagerait avec les autres pouvoirs adjudicateurs, mais se limite à contribuer à la réalisation d’objectifs que seuls ces autres pouvoirs adjudicateurs ont en commun.

 Sur les dépens

88 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

1) L’article 12, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE,

doit être interprété en ce sens que :

il produit des effets directs dans le cadre de litiges opposant des personnes morales de droit public au sujet de l’attribution directe de marchés publics, alors que l’État membre concerné s’est abstenu de transposer cette directive dans l’ordre juridique national dans les délais impartis.

2) L’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la directive 2014/24

doit être interprété en ce sens que :

afin d’établir qu’un pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale adjudicataire analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services, l’exigence visée à cette disposition, tenant à ce qu’un pouvoir adjudicateur soit représenté dans les organes décisionnels de la personne morale contrôlée, n’est pas satisfaite au seul motif que siège au conseil d’administration de cette personne morale le représentant d’un autre pouvoir adjudicateur qui fait également partie du conseil d’administration du premier pouvoir adjudicateur.

3) L’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24

doit être interprété en ce sens que :

n’est pas exclu du champ d’application de cette directive un marché public par lequel sont confiées à un pouvoir adjudicateur des missions de service public qui s’inscrivent dans le cadre d’une relation de coopération entre d’autres pouvoirs adjudicateurs, lorsque, par l’accomplissement de telles missions, le pouvoir adjudicateur à qui ces missions ont été confiées ne cherche pas à atteindre des objectifs qu’il partagerait avec les autres pouvoirs adjudicateurs, mais se limite à contribuer à la réalisation d’objectifs que seuls ces autres pouvoirs adjudicateurs ont en commun.