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Décisions

Cass. com., 29 novembre 1994, n° 92-14.617

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Nicot

Rapporteur :

M. Poullain

Avocat général :

M. Curti

Avocats :

SCP Ghestin, Me Choucroy, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Vier et Barthélemy, SCP Defrénois et Levis, SCP Piwnica et Molinié, SCP Guiguet, Bachellier et Potier de la Varde

Cass. com. n° 92-14.617

29 novembre 1994

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 1992), qu'en novembre 1991, Le Groupe familial Z..., composé de la société de droit suisse Maus frères, de la Société alsacienne de magasins (la société Samag) et des consorts Z..., ainsi que de la société ..., était propriétaire de 42,27 % du capital de la société Au Printemps, lui assurant, à raison de droits de vote double, 56,44 % des droits de vote aux assemblées ; que, par lettre du 21 novembre 1991, la société Pinault a offert à la société Maus frères d'acheter les actions composant le capital de la société Samag, sous condition que cette société détienne 2 788 744 actions, toutes au porteur, et 404 279 bons de souscription de la société Au Printemps ; que, le lendemain, après cession des titres de la société Maus frères à la société Samag et inscription au porteur des actions antérieurement détenues par la société Samag, les consorts Z... et la société Maus frères ont vendu la totalité du capital de la société Samag à la société Pinault pour le prix qui avait été offert ; que, le 27 novembre, la banque de la société Pinault, a présenté à la Société des bourses françaises un projet d'offre publique d'achat d'actions et de bons de souscription, au prix payé au groupe Z..., permettant à la société Pinault de détenir, à l'issue de l'opération, les deux tiers du capital de la société Au Printemps en cas de réalisation de la totalité des bons de souscription en circulation ; que ce projet a été déclaré recevable par le Conseil des bourses de valeurs dans sa séance du 4 décembre 1991 ; que MM. X..., Y..., Morand, Renard et Zagel, actionnaires de la société Au Printemps, ont saisi la cour d'appel de Paris d'un recours en annulation de la décision du Conseil des bourses de valeurs ; que la société Pinault, la société Samag, la société Maus frères, les consorts Z... et diverses banques sont intervenus en défense ;

Sur le premier moyen :

Attendu que MM. X..., Y..., Morand, Renard et Zagel reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté leur recours contre la décision du Conseil des bourses de valeurs du 4 décembre 1991, publiée le 5 décembre 1991, alors, selon le pourvoi, que toute décision, même de nature administrative, doit faire la preuve de sa régularité ; que la mention des membres du Conseil des bourses de valeurs, composé de professionnels de la bourse, doit figurer sur la décision prise sur la recevabilité d'offre publique d'achat afin que puissent être contrôlées l'indépendance et l'impartialité de ces membres ; qu'en énonçant que la décision critiquée n'était pas entachée d'un vice de forme tiré de l'absence de l'indication des membres qui avaient délibéré, la cour d'appel a violé l'article 5 de la loi du 22 janvier 1988 ;

Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que l'autorisation donnée par le Conseil des bourses de valeurs dans l'exercice de ses pouvoirs de régulation des marchés est une autorisation administrative et non juridictionnelle, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé qu'en l'absence d'une disposition spéciale qui l'aurait exigé, la mention du nom des personnes ayant participé à la délibération n'avait pas à figurer sur cette décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que MM. X..., Y..., Morand, Renard et Zagel reprochent en outre à l'arrêt d'avoir rejeté leur recours contre la décision du Conseil des bourses de valeurs du 4 décembre 1991, publiée le 5 décembre 1991, alors que l'acquéreur d'un bloc de titres susceptible de lui conférer le contrôle majoritaire en droits de vote d'une société est tenu de garantir les cours sur tous les titres qui lui sont présentés, pendant quinze séances de bourse au moins ; d'où il suit que cette obligation s'impose à l'acquéreur dès lors que le bloc de titres qu'il se propose d'acheter est de nature à lui conférer le contrôle majoritaire de la société sans qu'il soit besoin qu'il acquière la majorité absolue en droits de vote au sein de la société ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 5-4-1 et 5-4-2 du règlement général du Conseil des bourses de valeurs, homologué par arrêté du 28 septembre 1989 ;

Mais attendu que les dispositions légales et réglementaires applicables en la cause n'obligent l'acquéreur d'un bloc de titres d'une société française dont les titres sont inscrits à la cote officielle ou à la cote du second marché ou négociés sur le marché hors cote, à en garantir le cours que si cette acquisition lui confère la majorité des droits de vote ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que MM. X..., Y..., Morand, Renard et Zagel font encore grief à la cour d'appel d'avoir rejeté leur recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'un acte en apparence licite peut être entaché de fraude dès lors qu'il a pour objet de permettre à ses auteurs d'échapper à une réglementation impérative ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le groupe Pinault a soumis son acquisition des actions de la société Samag, détenant la majorité des droits de vote dans la société Au Printemps, à la conversion au porteur des titres de cette société alors nominatifs, de sorte que ces titres devaient perdre leurs droits de vote double ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si cette conversion n'avait pas pour objet d'éluder la réglementation boursière, au motif que cette convention n'était pas irrégulière en elle-même, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, 5-4-1 et 5-4-2 du règlement général du Conseil des bourses de valeurs et, ensemble, de l'adage " fraus omnia corrumpit " ; alors, d'autre part, que la fraude suppose seulement l'intention d'éluder une règle et non la volonté des parties de créer une situation dont elles n'entendent pas assumer les conséquences essentielles ; que la cour d'appel a énoncé que la mise au porteur des actions Au Printemps détenues par la société Samag n'était ni une opération fictive ni une manoeuvre irrégulière, dès lors qu'elle a effectivement produit l'effet légal, à savoir la perte des droits de vote double qui leur étaient attachés ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, sans rechercher si l'opération n'avait pas pour effet d'éluder la réglementation boursière, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'adage " fraus omnia corrumpit " ; alors, en outre, que la volonté des parties de commettre une fraude lors de la conclusion d'une convention peut être établie par des éléments postérieurs à cette convention ; qu'en refusant de rechercher, comme elle y était invitée, si l'entrée de la société Samag, le 27 novembre 1991, au conseil d'administration de la société Au Printemps ne l'obligeait pas à détenir nominativement les actions de cette société, ce qui était de nature à établir la mise au porteur de ces titres pour les besoins de la convention de cession de contrôle, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'adage " fraus omnia corrumpit " ; alors, au surplus, qu'en s'abstenant de rechercher si le fractionnement du bloc de contrôle détenu par les consorts Z..., qui avaient déclaré vouloir céder immédiatement après la convention de cession de contrôle, les actions représentant 3,02 % des droits de vote leur restant, n'avait pas pour unique objet de permettre au groupe Pinault d'éluder son obligation légale d'acquérir 100 % des titres de la société Au Printemps, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, 5-4-1 et 5-4-2 du règlement général du Conseil des bourses de valeurs, ensemble de l'adage " fraus omnia corrumpit " ; alors, enfin, que le franchissement du seuil de 50 % des droits de vote résultant des actions acquises doit être apprécié au regard des personnes agissant de concert ; que les actions de la société Au Printemps détenues par la société Samag, achetées par le groupe Pinault, auraient dû lui conférer 48,70 % des droits de vote dans la société Au Printemps, qui, ajoutés aux droits de vote de plus

de 3 % détenus par la société Clinvest, entraînaient le dépassement du seuil de 50 % ; qu'en déclarant qu'il était sans objet de rechercher si la société Clinvest avait agi de concert avec le groupe Pinault, voire avec les consorts Z..., la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 5-4-1 et 5-4-2 du règlement général du Conseil des bourses de valeurs et 6 bis de la loi du 22 janvier 1988, dans sa rédaction issue de l'article 15 de la loi n° 89-531 du 2 août 1989 ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que les modalités choisies par les parties pour opérer la cession des titres de la société Au Printemps s'expliquent par la convergence de leurs volontés en fonction de leurs objectifs propres, à savoir, pour le groupe Z..., éviter les charges fiscales cumulées d'une vente directe des actions détenues par la société Samag, puis de la liquidation de cette société pour libérer les fonds et, pour la société Pinault, ne pas acquérir plus de droits de vote que ne lui en aurait transmis la vente directe des titres, l'arrêt constate que la conversion des titres, en elle-même régulière, a effectivement produit la perte des droits de vote que la loi lui attache, et retient que la convention n'était ni artificielle ni fictive ; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la rechercher prétendument omise et relative à l'objectif allégué d'éluder la réglementation boursière, a pu écarter le grief de fraude ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant constaté le caractère régulier et réel des opérations ayant abouti à la cession critiquée, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche inopérante qui lui était demandée, relative à la nomination de la société Samag au conseil d'administration de la société Au Printemps, dont les titres qu'elle détenait avaient perdu leur droit de vote double ;

Attendu, enfin, que, selon les constatations de l'arrêt, les actions acquises par la société Pinault lui ont donné 37,31 % des droits de vote aux assemblées d'actionnaires de la société Au Printemps, et non 48,70 % de ces droits comme mentionne le pourvoi ; que la cour d'appel a relevé qu'en ajoutant à ces droits de vote, à la fois, ceux demeurés en possession de personnes du groupe Z... (3,02 %) et ceux détenus par la société Clinvest (4,29 %), le seuil de déclenchement de la procédure de garantie des cours n'aurait pas été atteint ; que, par ce seul motif, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des griefs des deux dernières branches du moyen ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.