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Décisions

ARCEP, 18 mars 2010, n° 2010-0323

ARCEP

se prononçant sur un différend opposant les sociétés INFOSAT et SFR

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jean-Ludovic Silicani

Membre :

Mme Toledano, M. Bridoux, M. Courtois, M. Curien, M. Rapone, M. Raude

ARCEP n° 2010-0323

17 mars 2010

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement Européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à  un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») ;

Vu la directive 2002/19/CE du Parlement Européen et du Conseil en date du 7 mars 2002 relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès ») ;

Vu le code des postes et des communications électroniques, notamment ses articles L. 34-8, L. 36-8, et R. 11-1 ;

Vu le règlement intérieur de l’Autorité, modifié par la décision n° 2009-0527 de l’Autorité en date du 11 juin 2009 ;

Vu la demande de règlement d’un différend enregistrée à l’Autorité le 30 novembre 2009, présentée par la société INFOSAT ICPS SA, 132 rue Kennedy, 76140 Petit Quevilly, RCS Rouen 402 156 616, représentée par M. Hedin François, PDG ;

La société INFOSAT demande à l’Autorité :

- d’imposer à la société SFR d’établir « un tarif d’accès au POP SFR non discriminatoire et transparent» ;

- d’imposer à la société SFR d’établir « une offre TRANSIT IP et/ou LAN to LAN entre les POP SFR (lien fibre ou FH GSM) non discriminatoire et transparente » ;

- d’imposer à la société SFR d’établir « un tarif d’accès aux pylônes de SFR non discriminatoire et transparent » ;

- d’imposer à la société SFR d’établir « une offre de transit  DATA  sur  les  pylônes  ouverts » ;

- d’imposer à la société SFR « la définition d’une offre de gros » ;

- et, « si des éléments comme l’accès aux pylônes de SFR ne pouvaient être établis par cette procédure, d’interdire à NOMOTECH l’utilisation des pylônes et du « backhaul GSM » dans le marché du Conseil Général des Ardennes, NOMOTECH devant trouver une solution de substitution » ;

La société INFOSAT soutient :

- que la société SFR devient un acteur dominant sur le marché des points de présence opérateurs (ci-après POP) et du backhaul ;

- qu’au jour de la demande de règlement de différend, elle ne peut obtenir « aucun prix, aucun délai, aucune information sur les POP de SFR ouverts aux autres opérateurs » ; qu’elle a demandé d’une part, une prestation d’hébergement au POP SFR de Vannes par courrier électronique en date du 16 novembre 2009 et, d’autre, part qu’elle n’obtient « aucun prix, aucun délai, aucun interlocuteur » pour un hébergement au POP SFR de Rouen ;

- que « toute installation d’antenne WIFI est impossible avec les 3 opérateurs GSM » alors que la société NOMOTECH, dont la société SFR détiendrait 49%, utilise un « backhaul GSM » de SFR et peut installer ses équipements sur les pylônes GSM de SFR pour le réseau du Conseil général des Ardennes ;

- que la société SFR effectue un traitement discriminatoire au bénéfice de la société NOMOTECH au détriment de la société INFOSAT ;

Vu le courrier du directeur des affaires juridiques de l’ARCEP, en date du 7 décembre 2009 adressé aux parties leur transmettant le calendrier de dépôt des mémoires et portant désignation des rapporteurs ;

Vu le courrier du directeur des affaires juridiques en date du 14 décembre 2009 portant communication d’un questionnaire à la société INFOSAT ;

Vu  la  réponse  de  la  société  INFOSAT  au  questionnaire  précité,  enregistrée  le      23 décembre 2009, par laquelle la société INFOSAT maintient les conclusions de sa demande de règlement de différend ;

La société INFOSAT soutient :

- que, depuis octobre 2009, il ne lui est pas possible d’obtenir de proposition chiffrée d’accueil dans les POP de SFR ;

- qu’elle a une proposition de la division opérateur de la société SFR concernant le POP de Rouen ;

- qu’il n’existe pas d’offre LAN to LAN au sein de la société SFR afin d’assurer la collecte des DSP de LDCollectivités et, que, depuis octobre 2009, il ne lui est pas possible de disposer d’un tarif de LAN to LAN entre les POP de SFR/LDCollectivités ;

- qu’elle a demandé, dix-huit mois auparavant, aux trois opérateurs GSM la possibilité de disposer de la liste des pylônes disponibles pour des activités de backhauling IP et que les trois opérateurs ont répondu que l’accès à leurs pylônes n’était pas possible ;

Vu les observations en défense enregistrées le 4 janvier 2010 présentées par la société SFR, immatriculée au RCS de Paris  n°  403  106  537,  dont  le  siège  social  est  situé 42, avenue de Friedland - 75008 Paris, représentée par Monsieur Arnaud Lucaussy ;

La société SFR conclut au rejet de la demande de règlement de différend de la société INFOSAT et demande à l’Autorité :

- à titre principal, de déclarer la demande de la société INFOSAT irrecevable et abusive à défaut d’échec des négociations ;

- et, à titre subsidiaire, de constater que la société SFR n’a pas traité de manière discriminatoire la société INFOSAT, que la société SFR a fait droit à l’ensemble des demandes de la société INFOSAT et de constater en conséquence qu’il n’y a pas lieu à statuer ;

La société SFR soutient :

- qu’elle n’a jamais refusé un quelconque accès à la société INFOSAT, qu’elle a systématiquement cherché une solution propre à satisfaire la société INFOSAT et qu’elle n’a jamais rompu des négociations qui ont été aussitôt engagées et sont toujours en cours ;

- qu’aucune des pièces communiquées par la société INFOSAT ne permet de constater un quelconque échec des négociations avec la société SFR ;

- que la société SFR n’est soumise à aucune régulation ex ante tant sur le marché de gros des prestations de capacité que sur celui de l’accès aux pylônes ;

- qu’elle n’a jamais conclu de contrat de « backhaul 11 GHz » avec NOMOTECH dans le cadre de l’appel d’offres du Conseil Général des Ardennes, que s’agissant de l’accès aux pylônes de la société SFR pour l’installation de bornes WIFI, la société NOMOTECH a formulé ses demandes au Guichet unique patrimoine de la société SFR selon la même procédure que celle expliquée à la société INFOSAT ;

- que, dès qu’elle a eu connaissance de la volonté de la société INFOSAT par la demande de règlement de différend d’accéder à ses pylônes pour installer des bornes WIFI, elle a informé cette dernière sur la procédure de demande à son guichet unique dédié à l’étude des demandes d’accès aux pylônes par un courrier en date du 8 décembre 2009 et lors d’une réunion téléphonique tenue le 11 décembre 2009 ; qu’à la suite de ces échanges, elle a reçu une demande de la part de la société INFOSAT formulée de manière non circonscrite à des sites identifiés que la société SFR lui a demandé de préciser par courrier en date du 22 décembre 2009 ;

- qu’elle a proposé à la société INFOSAT d’effectuer une étude en interne sur la faisabilité d’une offre sur mesure concernant des prestations d’hébergement et de transit IP sur le POP de Vannes, que la société INFOSAT a demandé à la société SFR d’annuler le 11 décembre 2009 ;

- que la société SFR a engagé une étude interne de faisabilité d’une prestation d’hébergement sur le POP de Rouen qui a été suivie d’une proposition commerciale acceptée par la société INFOSAT le 21 décembre 2009 ;

Vu les observations en réplique enregistrées le 12 janvier 2010 présentées par la société INFOSAT par lesquelles elle maintient ses conclusions ;

La société INFOSAT soutient :

- que l’accès aux POP semble se résoudre et qu’une offre existe ;

- que l’offre de gros publique d’interconnexion dont elle demande à l’Autorité l’instauration doit être une offre de service LAN to LAN, non un service de Transit IP ;

- qu’elle a reçu un modèle de contrat d’accès aux pylônes de la société SFR, mais déplore que le site web de l’ANFR « carto-radio », conseillé par la société SFR, ne permette pas d’identifier les propriétaires des points hauts ;

Vu les nouvelles observations en défense enregistrées le 28 janvier 2010 présentées par la société SFR par lesquelles elle maintient ses conclusions ;

La société SFR soutient :

- que les observations en réplique de la société INFOSAT n’apportent aucune preuve d’un quelconque échec des négociations avec la société SFR, et que la société INFOSAT utilise le règlement de différend comme la tribune de ses négociations commerciales en cours ;

- qu’elle fait ses meilleurs efforts pour répondre à la société INFOSAT et précise n’avoir opposé aucun refus à la société INFOSAT au jour de la procédure ;

- qu’elle a fourni les coordonnées de son guichet unique à la société INFOSAT, qu’elle lui a expliqué la méthode de détermination des propriétaires des points hauts par identification des allocataires de fréquences et qu’à la réception des précisions de la société INFOSAT, elle procédera aux études techniques et juridiques afin de pouvoir proposer le cas échéant la signature d’une convention de mise à disposition d’emplacements ;

- qu’elle commercialise des offres de gros de liaisons louées de manière non discriminatoires et objectives sur toute demande circonstanciée et précise d’un opérateur tiers, sous réserve de disponibilité sur le trajet demandé et qu’elle a demandé à la société INFOSAT, le 20 janvier 2010, de préciser les points entre lesquels l’opérateur souhaitait se voir proposer une offre LAN to LAN ;

- que la société INFOSAT a fait part d’une demande de lien 100Mbits/sec entre les POP SFR de Creil et de Rouen au cours d’un entretien téléphonique le 20 janvier 2010 et que la société SFR lui a communiqué une estimation budgétaire concernant cette prestation le   22 janvier 2010 ;

Après avoir entendu le 9 mars 2010, lors de l'audience devant le collège (composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, de Mme Joëlle Toledano, de MM. Edouard Bridoux, Daniel-Georges Courtois, Nicolas Curien, Denis Rapone, Patrick Raude, membres)

- le rapport de Mme Julie Chabroux, rapporteur présentant les conclusions et les moyens des parties ;

- les observations de M. François Hedin, pour la société INFOSAT ;

- les observations de M. Arnaud Lucaussy et de Maître Alexandre Espenel, pour la société SFR.

En présence de :

- M. Christophe Lucas, société INFOSAT

- MM. Stéphane Boudoul et Didier Podvin pour la société SFR

- M. Philippe Distler, directeur général, M. François Lions, directeur général adjoint, MM. Stéphane Hoynck, Joël Mau, Laurent Perrin, Guillaume Méheut, Fabien Fontaine et Mmes Patricia Lewin, Pascale Terral, Clémentine Maudoux, agents de l'Autorité ;

Sur la publicité de l'Audience

L'article 15 du règlement intérieur susvisé dispose que « l'audience est publique, sauf demande conjointe de toutes les parties. Si cette demande n'est pas conjointe le collège de l'Autorité en délibère ». Les sociétés SFR et INFOSAT ont indiqué respectivement par courriers enregistrés le 5 mars 2010 et le 8 mars 2010 qu'elles souhaitaient que l'audience soit publique. Par conséquent, l'audience a été publique.

Le collège, composé de M. Jean-Ludovic Silicani, président, de Mme Joëlle Toledano, de MM. Edouard Bridoux, Daniel-Georges Courtois, Nicolas Curien, Denis Rapone, Patrick Raude, membres, en ayant délibéré le 18 mars 2010, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité ;

Adopte la présente décision fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après :

Sur la compétence de l’Autorité

1. L’accès par la société INFOSAT à des offres de la société SFR

La société INFOSAT demande à l’Autorité que la société SFR lui fournisse :

- une prestation de transit entre les « points de présence opérateur » (POP) de la société SFR ;

- « un tarif d’accès au POP SFR non discriminatoire et transparent » ;

- « un tarif d’accès aux pylônes de SFR non discriminatoire et transparent » ;

- et une prestation de transit depuis les pylônes SFR (ci-après « backhaul GSM »).

Aux termes des dispositions du I de l’article L. 36-8 du code des postes et des communications électroniques (CPCE), « En cas de refus d’accès ou d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès au réseau de communications électroniques, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut être saisie du différend par l’une ou l’autre des parties (…) ».

L’article 2 de la directive « accès » 2002/19/CE du 7 mars 2002 définit l’accès comme : « la mise à la disposition d'une autre entreprise, dans des conditions bien définies et de manière exclusive ou non exclusive, de ressources et/ou de services en vue de la fourniture de services de communications électroniques. Cela couvre notamment : l'accès à des éléments de réseaux et à des ressources associées et éventuellement la connexion des équipements par des moyens fixes ou non (cela inclut en particulier l'accès à la boucle locale ainsi qu'aux ressources et services nécessaires à la fourniture de services via la boucle locale) ; l'accès à l'infrastructure physique, y compris les bâtiments, gaines et pylônes ; (…) l'accès aux réseaux fixes et mobiles (…) ».

En vertu du 8° de l’article L. 32 du CPCE : « on entend par accès toute mise à disposition de moyens, matériels ou logiciels, ou de services, en vue de permettre au bénéficiaire de fournir des services de communications électroniques. Ne sont pas visés par le présent code les systèmes d’accès sous condition et les systèmes techniques permettant la réception de services de communication audiovisuelle, définis et réglementés par la loi n° 86-1087 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ».

Les prestations d’hébergement dans des POP et sur les pylônes, de transit entre les POP et de « backhaul GSM » sont des prestations relatives à l’accès et relèvent à ce titre de la notion d’accès, telle qu’elle est définie à l’article 2 a) de la directive « accès » 2002/19/CE du 7 mars 2002 et au 8° de l’article L. 32 du CPCE.

Il s’ensuit que le présent différend entre dans les compétences de l’Autorité en tant qu’il est relatif à l’accès par la société INFOSAT aux équipements de réseau de la société SFR (les prestations d’hébergement dans les POP et sur les pylônes) et aux prestations de transit de la société SFR (prestation de transit entre les POP SFR et prestation de backhaul GSM depuis les pylônes SFR).

2. L’accès par des opérateurs tiers à la procédure à des offres de la société SFR

Le I de l’article L. 36-8 du CPCE prévoit que la procédure de règlement de différend concerne les différends relatifs à une convention d’accès ou d’interconnexion entre « l’une ou l’autre des parties ». La décision de l’Autorité pourra seulement porter sur les « conditions équitables, d’ordre technique et financier, dans lesquelles l’interconnexion ou l’accès doivent être assurés ».

Ainsi, dans le cadre d’une procédure de règlement de différend régie par le I de l’article L. 36-8 du CPCE, la décision prise par l’Autorité s’applique uniquement au différend entre les parties à la procédure.

Deux conclusions de la société INFOSAT à l’Autorité sont relatives à l’accès par des opérateurs tiers à la procédure de règlement de différend aux offres de la société SFR :

- imposer à la société SFR la fourniture d’une offre de gros publique ;

- interdire à un opérateur extérieur à la procédure de règlement, la société NOMOTECH, d’utiliser des infrastructures mises à disposition par la société SFR.

Or, en l’espèce, l’Autorité est seulement compétente pour connaître de l’accès de la société INFOSAT aux offres de la société SFR.

En conséquence, l’Autorité n’est pas compétente pour imposer à la société SFR sur le fondement du I de l’article L. 36-8 du CPCE la fourniture à tous les opérateurs d’une offre de gros ni pour imposer les conditions d’accès aux infrastructures de la société SFR par une société extérieure à la procédure.

Sur la recevabilité de la demande de règlement de différend formée par la société INFOSAT

Selon les dispositions du I de l’article L. 36-8 du CPCE, une des conditions de recevabilité d’une demande de règlement de différend est la matérialisation d’un « refus d’accès ou d’interconnexion, d’échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l’exécution d’une convention d’interconnexion ou d’accès au réseau de communications électroniques ».

Il appartient dès lors au demandeur d’établir par tout moyen que chacune des conclusions qui font l’objet d’une saisine de l’Autorité au titre de son pouvoir de règlement de différend a fait l’objet d’un refus de la part du défendeur ou que des négociations ont abouti à un échec ou un désaccord avant cette saisine. A cet égard, la seule circonstance que des négociations ont été engagées mais n’ont pas encore abouti ne suffit pas à caractériser un échec au sens de l’article L. 36-8.

En l’espèce, la société INFOSAT a produit un document établissant qu’elle a effectué une demande d’accès préalablement à sa demande de règlement de différend. Ce document, constitué d’un échange de courriers électroniques entre la société INFOSAT et la société SFR en date des 16 et 17 novembre 2009, concerne une demande d’hébergement et de transit pour un POP situé à Vannes. Cependant, la lecture de ce document ne permet pas la qualification d’un refus d’accès par la société SFR ou d’un échec des négociations, mais constitue seulement une réponse d’attente de cet opérateur, invitant la société INFOSAT à prendre contact avec un responsable commercial de la société SFR.

En conséquence, il ne résulte pas de l’instruction qu'à la date de la demande de règlement de différend par la société INFOSAT, un refus ait été opposé par la société SFR à sa demande concernant le POP de Vannes, ni que des demandes aient été effectuées par la société INFOSAT concernant des offres d’hébergement sur des pylônes et d’autres POP ou de transit entre POP et depuis les pylônes SFR.

Il suit de là que la demande de la société INFOSAT, qui méconnaît les conditions de recevabilité susmentionnées de l'article L. 36-8, est irrecevable.

Décide :

Article 1 : La demande de la société INFOSAT relative à un règlement de différend l'opposant à la société SFR est rejetée ;

Article 2 : Le directeur des affaires juridiques de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés INFOSAT et SFR la présente décision, qui sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.