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Décisions

CE, 6e et 5e ch. réunies, 17 juin 2019, n° 400192

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Annulation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schwartz

Rapporteur :

M. Ribes

Rapporteur public :

M. Dutheillet de Lamothe

Avocats :

SCP Hemery, Thomas-Raquin, Le Guerer, SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Piwnica, Molinie, SCP Nicolay, De Lanouvelle, Hannotin

CE n° 400192

16 juin 2019

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 400192, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mai 2016 et 5 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et l'Association des conseils en propriété industrielle demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016 relative aux sociétés constituées pour l'exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou règlementaire ou dont le titre est protégé ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 400208, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mai et 11 août 2016 et 3 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la même ordonnance.

3° Sous le n° 400267, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mai 2016 et 16 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Conseil supérieur du notariat demande au Conseil d'État :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir la même ordonnance ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, les dispositions de l'article 3 de l'ordonnance en tant qu'elles insèrent les articles 31-4, 31-5, 31-6, 31-8, 31-9, 31-10, 31-11 et 31-12 dans la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou règlementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières des professions libérales, d'autre part, les dispositions de l'article 4 de la même ordonnance, et, enfin, les dispositions de l'article 9 de cette même ordonnance ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

4° Sous le n° 400290, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 mai et 22 juillet 2016 et le 29 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la même ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

5° Sous le n° 400332, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juin et 1er septembre 2016 et le 19 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la chambre interdépartementale des notaires de Paris demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la même ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 ;

- la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 ;

- le code de commerce ;

- le code de la propriété intellectuelle ;

- la loi du 20 avril 1810 ;

- l'ordonnance royale du 10 septembre 1817 ;

- l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 ;

- l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 ;

- l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ;

- l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;

- l'ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 ;

- la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et autre, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et autre, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la chambre interdépartementale des notaires de Paris.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 mai 2019, présentée par le ministre de l'économie et des finances sous les nos 400192, 400208, 400267, 400290 et 400332.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 mai 2019, présentée par le Conseil supérieur du notariat sous le n° 400267.

Considérant ce qui suit :

1. Le 2° de l'article 65 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance, conformément à l'article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine de la loi pour " faciliter la création de sociétés ayant pour objet l'exercice en commun de plusieurs des professions d'avocat, d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d'huissier de justice, de notaire, d'administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d'expert-comptable : / a) Dans lesquelles la totalité du capital et des droits de vote est détenue, directement ou indirectement, par des personnes exerçant l'une des professions exercées en commun au sein de ladite société ou par des personnes légalement établies dans un État membre de l'Union européenne, dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse qui exercent en qualité de professionnel libéral, dans l'un de ces États, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d'une qualification nationale ou internationale reconnue et exerçant une ou plusieurs des professions constituant l'objet social de la société ; / b) Qui ne peuvent exercer une profession que si l'un de leurs associés remplit les conditions requises pour exercer ladite profession ; / c) En préservant les principes déontologiques applicables à chaque profession ; / d) En prenant en considération les incompatibilités et les risques de conflits d'intérêts propres à chaque profession ; / e) En préservant l'intégrité des missions des professionnels liées au statut d'officier public et ministériel dans l'accomplissement de leurs fonctions ; / f) En assurant la représentation d'au moins un membre, en exercice au sein de la société, de chaque profession exercée par la société au sein du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société ". Sur le fondement de ces dispositions, le Gouvernement a pris l'ordonnance du 31 mars 2016 relative aux sociétés constituées pour l'exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et dénommées sociétés pluri-professionnelles d'exercice. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre cette ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention au soutien des conclusions de la requête n° 400208 :

2. La Conférence des bâtonniers justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée. Ainsi, son intervention au soutien de la requête de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation est recevable.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'ordonnance attaquée :

En ce qui concerne la légalité externe de l'ordonnance :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 422-9 du code de la propriété intellectuelle : " Il est institué une compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, organisme doté de la personnalité morale, placé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle aux fins de représenter les conseils en propriété industrielle auprès des pouvoirs publics, de promouvoir l'accès à leurs prestations sur l'ensemble du territoire, de défendre leurs intérêts professionnels et de veiller au respect des règles de déontologie ".

4. Il ne résulte ni de l'article L. 422-9 du code de la propriété intellectuelle, ni d'aucune autre disposition que la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle devait être consultée préalablement à l'adoption de l'ordonnance attaquée. Ainsi, le moyen tiré du vice dont serait entachée la procédure d'adoption de cette ordonnance en raison du défaut de consultation préalable de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle doit être écarté.

5. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la chambre interdépartementale des notaires de Paris, aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République ni aucun principe général du droit n'impose de consulter les ordres professionnels des officiers publics et ministériels sur les textes relatifs à l'exercice de leurs missions. Aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait non plus que le Conseil supérieur du notariat, la Chambre nationale des commissaires-priseurs et la Chambre nationale des huissiers de justice soient consultés sur le projet d'ordonnance. Par suite, le moyen tiré du défaut de consultation de ces organismes ne peut qu'être écarté.

6. En troisième lieu, il ressort de la copie de la minute de la commission permanente du Conseil d'État, telle qu'elle a été versée au dossier par le ministre de l'économie et des finances, que le texte publié ne contient pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'État. Le Conseil supérieur du notariat n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée aurait, pour ce motif, été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.

7. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil d'État n'aurait pas été en mesure de remplir sa mission consultative. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas disposé d'un délai suffisant pour rendre son avis doit être écarté.

8. En dernier lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 13, 19 et 38 de la Constitution, les ordonnances visées par ce dernier article, qui doivent dans tous les cas être délibérées en Conseil des ministres, sont signées par le Président de la République et contresignées par le Premier ministre et, le cas échéant, par " les ministres responsables ". Les ministres responsables sont ceux auxquels incombent, à titre principal, la préparation et l'application des ordonnances dont s'agit.

9. L'ordonnance attaquée, prise sur le fondement du 2° de l'article 65 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, a pour objet de préciser les règles relatives aux sociétés ayant pour objet l'exercice en commun de plusieurs des professions d'avocat, d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d'huissier de justice, de notaire, d'administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d'expert-comptable. Si une disposition de l'ordonnance prévoit que les statuts de ces sociétés doivent garantir l'indépendance de l'exercice professionnel des salariés, cette circonstance ne saurait faire regarder le ministre chargé du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle comme ministre responsable au sens des dispositions des articles 13 et 19 de la Constitution. Dès lors, le moyen tiré du défaut de contreseing du ministre chargé du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de l'ordonnance :

Quant à la légalité de l'article 3 de l'ordonnance attaquée :

S'agissant de la forme sociale des sociétés pluri-professionnelles d'exercice :

10. Aux termes de l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance attaquée : " La société peut revêtir toute forme sociale, à l'exception de celles qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant. Elle est régie par les règles particulières à la forme sociale choisie et par les dispositions du présent titre. / Quelle que soit la forme sociale choisie par la société pluri-professionnelle d'exercice, et y compris lorsqu'elle n'a pas été constituée sous forme de société d'exercice libéral, les dispositions suivantes du titre Ier lui sont applicables : / 1° Le troisième alinéa de l'article 1er ; / 2° L'article 3, à l'exception de son troisième alinéa ; / 3° L'article 7, pour lequel la référence aux articles 5 et 6 est remplacée par la référence à l'article 31-6 ; / 4° Le premier alinéa de l'article 8 ; / 5° L'article 16 ".

11. En premier lieu, si le f) du 2° de l'article 65 de la loi du 6 août 2015 cité au point 1 fixe une condition relative à la composition du conseil d'administration ou du conseil de surveillance des sociétés pluri-professionnelles d'exercice dotées de telles structures, il n'en résulte pas que ces sociétés ne pourraient être constituées que sous une forme sociale disposant d'un conseil d'administration ou d'un conseil de surveillance. Par suite, le Conseil supérieur du notariat n'est pas fondé à soutenir qu'en permettant que les sociétés pluri-professionnelles d'exercice revêtent toute forme sociale à l'exception de celles qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant, l'auteur de l'ordonnance aurait méconnu la loi d'habilitation.

12. En deuxième lieu, les articles 6 et 8 de l'ordonnance attaquée introduisent des dispositions prévoyant respectivement qu'au moins un membre de la profession de conseil en propriété industrielle et au moins un membre de la profession d'expert-comptable sont membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société. Les articles 5, 7, 9, 10, 11 et 12 de la même ordonnance rendent applicables aux sociétés pluri-professionnelles les dispositions, propres aux professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire, d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, de notaire, d'huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et d'avocat, qui prévoient déjà la représentation d'au moins un membre de la profession concernée au sein des organes de la société. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par la chambre interdépartementale des notaires de Paris, l'ordonnance attaquée ne méconnaît pas le f) du 2° de l'article 65 de la loi du 6 août 2015 qui impose que soit assurée la représentation d'au moins un membre, en exercice au sein de la société, de chaque profession exercée par la société au sein du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de la société.

13. En troisième lieu, l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée ne rend pas applicable aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice le deuxième alinéa de l'article 8 de la même loi en vertu duquel aucun droit de vote double ne peut être attribué aux actions des sociétés d'exercice libéral à forme anonyme, par actions simplifiée ou en commandite par actions, détenues par des actionnaires autres que des professionnels en exercice au sein de la société. D'une part, l'article 65 de la loi du 6 août 2015 n'impose pas de rendre applicable cette règle aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice qui ne sont pas soumises aux mêmes règles de composition et de détention majoritaire du capital que celles applicables aux sociétés d'exercice libéral. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la possibilité que soient accordées des actions à droit de vote double à des associés qui n'exercent pas dans la société serait de nature à porter atteinte aux principes déontologiques applicables à chaque profession ou à l'intégrité des missions des professionnels liées au statut d'officier public et ministériel. Dès lors, le Conseil supérieur du notariat n'est pas fondé à soutenir que, faute d'interdire une telle attribution, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait l'habilitation définie par l'article 65 de la loi du 6 août 2015.

14. En dernier lieu, le Conseil supérieur du notariat soutient que faute de prévoir que les actes d'une profession déterminée ne peuvent être accomplis que par l'intermédiaire d'un membre de la société ayant la qualité pour exercer la profession, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait la loi d'habilitation. Il est vrai, comme le relève en défense le ministre de l'économie et des finances, que l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée vise de manière erronée le troisième alinéa de l'article 1er de la même loi, lequel précise que les sociétés pluri-professionnelles d'exercice sont régies par les dispositions du titre IV bis de cette loi. Il ne fait pas de doute que l'auteur de l'ordonnance a entendu viser dans cette disposition le quatrième alinéa du même article 1er qui précise que les sociétés " ne peuvent accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de leurs membres ayant qualité pour exercer cette profession ". En l'absence de doute sur la portée de l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée, il y a lieu pour le Conseil d'État, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d'annuler les dispositions erronées de cet article, mais de leur conférer leur exacte portée et de prévoir que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité appropriées, en rectifiant l'erreur matérielle commise et en prévoyant la publication au Journal officiel d'un extrait de sa décision.

S'agissant du contrôle des ordres professionnels :

15. L'article 3 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales dispose que " La société ne peut exercer la ou les professions constituant son objet social qu'après son agrément par l'autorité ou les autorités compétentes ou son inscription sur la liste ou les listes ou au tableau de l'ordre ou des ordres professionnels. / En ce qui concerne les offices publics ou ministériels, la société doit être agréée ou titularisée dans l'office selon des conditions fixées par décret en Conseil d'État. / L'immatriculation de la société ne peut intervenir qu'après l'agrément de celle-ci par l'autorité compétente ou son inscription sur la liste ou au tableau de l'ordre professionnel. / Une fois par an, la société adresse à l'ordre professionnel dont elle relève un état de la composition de son capital social ". Le 2° de l'article 31-4 de la même loi, dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance attaquée, rend applicable aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice l'article 3 à l'exception de son troisième alinéa. Son article 31-12, également issu de l'ordonnance contestée, renvoie à un décret en Conseil d'État " la détermination de l'autorité administrative ou de l'autorité professionnelle compétente pour exercer le contrôle sur la société, les modalités de ce contrôle et notamment les conditions dans lesquelles le secret professionnel est opposable ".

16. En premier lieu, en écartant l'application du 3ème alinéa de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1990, son article 31-4 se borne à ne pas conditionner l'existence légale des sociétés pluri-professionnelles d'exercice à l'agrément préalable ou à l'inscription préalable sur la liste ou au tableau de l'ordre professionnel pour l'ensemble des professions exercées en leur sein. Ainsi, contrairement à ce que soutient l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, il résulte des termes mêmes du premier alinéa de l'article 3 de la même loi, applicable aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice, que celles-ci doivent, pour pouvoir exercer une des professions, être agréées ou inscrites sur la liste ou au tableau. Doit, par suite, être écarté le moyen tiré de ce qu'en faisant obstacle à ce que les autorités professionnelles compétentes exercent un contrôle sur les sociétés pluri-professionnelles d'exercice, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait l'habilitation donnée par la loi du 6 août 2015, l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et, en tout état de cause, les principes fondamentaux régissant les professions réglementées.

17. En deuxième lieu, il résulte de la combinaison des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1990 rendues applicables aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice et des textes régissant les différentes professions pouvant être exercées en commun au sein de ces sociétés que l'exercice de chacune des professions par la société et le membre de celle-ci ayant qualité pour l'exercer est placé sous le contrôle de son ordre professionnel. Ce contrôle s'exerce sans préjudice de la faculté pour le pouvoir réglementaire, en application de l'article 31-12, de définir des modalités spécifiques de contrôle répondant au caractère interprofessionnel de la société et de son activité. Par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce qu'en privant les autorités professionnelles de leurs prérogatives de contrôle, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait la loi d'habilitation, l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et, en tout état de cause, les principes fondamentaux régissant les professions réglementées concernées.

18. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers que les inspections susceptibles d'être réalisées par certains ordres professionnels sur la pratique des membres d'une société pluri-professionnelle d'exercice placés sous leur contrôle serait susceptible d'avoir une incidence sur l'indépendance de l'avocat exerçant au sein d'une telle société. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense et de la garantie des droits protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'en tout état de cause, du principe d'indépendance des avocats doit être écarté.

19. En dernier lieu, l'article 45 de la loi du 20 avril 1810 relative à l'organisation de l'ordre judiciaire et l'administration de la justice dispose que " Les procureurs généraux () auront la surveillance de tous les officiers de police judiciaire et officiers ministériels du ressort ". Contrairement à ce que soutient le Conseil supérieur du notariat, les dispositions de l'article 31-12 citées au point 15 n'ont ni pour objet, ni pour effet de remettre en cause la mission spécifique de surveillance de l'activité des officiers publics et ministériels confiée au parquet par le législateur. Le moyen tiré de ce que la suppression d'une telle surveillance pour les seules sociétés pluri-professionnelles exerçant la profession de notaire méconnaîtrait le respect du principe d'égalité de traitement entre les notaires ne peut, par voie de conséquence, qu'être écarté.

S'agissant de l'exercice d'activités commerciales à titre accessoire :

20. L'article 31-5 de la loi du 31 décembre 1990, dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance attaquée, prévoit que " la société peut exercer, à titre accessoire, toute activité commerciale dont la loi ou le décret n'interdit pas l'exercice à l'une au moins des professions qui constituent son objet social ".

21. Il résulte de cette disposition que la société ne peut exercer à titre accessoire aucune activité commerciale dès lors qu'une telle activité est interdite aux membres de l'une des professions constituant son objet social et alors même que cette activité serait autorisée pour les autres professions comprises dans son objet social. Par suite, l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation n'est pas fondé à soutenir qu'en permettant qu'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation soit associé à une activité commerciale, alors qu'une telle activité serait interdite aux membres de cette profession, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait la loi d'habilitation et, en tout état de cause, les principes régissant le statut d'officier public. De même, le Conseil supérieur du notariat n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que la même disposition, eu égard à l'article 13 du décret du 19 décembre 1945 pour l'application du statut du notariat interdisant aux notaires de se livrer à toute opération de commerce, méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et le principe de continuité du service public de la justice.

22. Les dispositions de l'article 31-5 de la loi du 31 décembre 1990 définissent de façon claire et sans ambiguïté les conditions auxquelles une société pluri-professionnelle d'exercice peut exercer une activité commerciale. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de clarté de la loi et de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité du droit doit en conséquence être écarté.

23. Contrairement à ce que soutiennent le Conseil supérieur du notariat et la chambre interdépartementale des notaires de Paris, les textes régissant les différentes professions pouvant être exercées au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice ne rendent pas impossible l'exercice à titre accessoire d'une activité commerciale. L'exercice d'une telle activité par une société pluri-professionnelle d'exercice, dans les conditions précisées au point 21, n'est, dès lors, pas impossible. Les moyens tirés de ce que l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait, pour ce motif, la loi d'habilitation ainsi que le principe de clarté de la loi et l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ne peuvent qu'être écartés. Le Conseil supérieur du notariat n'est pas davantage fondé à soutenir que la disposition critiquée créerait une " discrimination positive " au profit des experts-comptables dès lors qu'ils seraient la seule profession autorisée à exercer une activité commerciale à titre accessoire.

S'agissant du capital social et des droits de vote :

24. Aux termes de l'article 31-6 de la loi du 31 décembre 1990 dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance attaquée : " La totalité du capital et des droits de vote est détenue par les personnes suivantes : / 1° Toute personne physique exerçant, au sein de la société ou en dehors, l'une des professions mentionnées à l'article 31-3 et exercées en commun au sein de la société ; / 2° Toute personne morale dont la totalité du capital et des droits de vote est détenue directement ou indirectement par une ou des personnes mentionnées au 1° ; / 3° Toute personne physique ou morale, légalement établie dans un autre État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse, qui exerce effectivement, dans l'un de ces États, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d'une qualification nationale ou internationale reconnue, dont l'exercice relève en France de l'une des professions mentionnées à l'article 31-3 et qui est exercée en commun au sein de la société ; pour les personnes morales, la totalité du capital et des droits de vote est détenue dans les conditions prévues aux 1° ou 2°. / La société pluri-professionnelle d'exercice doit comprendre, parmi ses associés, au moins un membre de chacune des professions qu'elle exerce ".

25. En premier lieu, il ne résulte d'aucune disposition de la loi d'habilitation qu'il appartenait à l'ordonnance attaquée de fixer une règle de détention minimale du capital par les professionnels en exercice. Le moyen tiré de ce que, faute d'avoir fixé une telle règle, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait la loi d'habilitation et serait entaché d'incompétence négative ne peut qu'être écarté.

26. En deuxième lieu, l'article 7 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable prévoit que les personnes qui exercent légalement la profession d'expert-comptable doivent détenir, directement ou indirectement par une société inscrite à l'ordre, plus de deux tiers des droits de vote au sein des sociétés d'expertise comptable inscrites au tableau de l'ordre. L'article 7 sexies de la même ordonnance, issu de l'article 8 de l'ordonnance attaquée, dispose que l'expert-comptable peut également exercer sa profession dans le cadre d'une société pluri-professionnelle d'exercice et que cette société, si elle est inscrite au tableau, n'est pas membre de l'ordre des experts-comptables. La même disposition précise que la société comprend, parmi ses associés, une personne physique qui remplit les conditions requises pour exercer la profession. Il résulte de ces dispositions que les sociétés pluri-professionnelles d'exercice au sein desquelles exercent des experts-comptables sont soumises à des conditions propres, distinctes de celles applicables aux sociétés d'expertise comptable. Le Conseil supérieur du notariat n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'en ne prévoyant pas de dérogation expresse à l'application de la règle de majorité énoncée par l'article 7 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, l'article 31-6 de la loi du 31 décembre 1990 méconnaîtrait la loi d'habilitation et créerait une discrimination à l'égard des autres professions pouvant être exercées au sein d'une société pluri-professionnelle.

27. En dernier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions en vigueur régissant les différentes professions concernées et des dispositions de l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 citées au point 14 que les ordres professionnels s'assurent, au moment de la délivrance, à la société pluri-professionnelle d'exercice, de son agrément ou de son inscription sur la liste ou au tableau de l'ordre, que la composition de son capital social est conforme aux dispositions de l'article 31-6. L'obligation, prévue à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1990, pour chaque société pluri-professionnelle d'exercice de transmettre chaque année aux ordres professionnels dont elle relève un état de la composition de son capital social permet à ces derniers de contrôler régulièrement le respect par la société des conditions posées à l'exercice des différentes professions concernées et de tirer, le cas échéant, les conséquences nécessaires du non respect de ces conditions. Dès lors, la chambre interdépartementale des notaires de Paris n'est pas fondée à soutenir qu'en ne prévoyant aucun mécanisme permettant de contrôler le respect des règles de composition du capital social et, le cas échéant, de sanctionner une méconnaissance de ces règles, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait la loi d'habilitation et serait entaché d'incompétence négative.

S'agissant du respect des principes déontologiques, de la prévention et du traitement des conflits d'intérêts et des incompatibilités :

28. Aux termes de l'article 31-8 de la loi du 31 décembre 1990 dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance attaquée : " Les statuts de la société comportent des stipulations propres à garantir, d'une part, l'indépendance de l'exercice professionnel des associés et des salariés et, d'autre part, le respect des dispositions réglementaires encadrant l'exercice de chacune des professions qui constituent son objet social, notamment celles relatives à la déontologie. / Chaque professionnel qui exerce au sein de la société informe celle-ci et les autres professionnels, dès qu'il en a connaissance, de l'existence de tout conflit d'intérêt susceptible de naître, d'une part, entre sa qualité de professionnel et toute autre activité professionnelle qu'il exerce ou tout intérêt qu'il détient en dehors de la société, d'autre part, entre l'exercice de son activité professionnelle et l'exercice par les autres professionnels de leur activité ".

29. En premier lieu, en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et, sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets délibérés en Conseil des ministres par l'article 13 de la Constitution, " exerce le pouvoir réglementaire ". Pour l'application des dispositions législatives régissant les professions d'avocat, d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d'huissier de justice, de notaire, d'administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d'expert-comptable, il appartient au Premier ministre de faire usage du pouvoir réglementaire que lui confère l'article 21 de la Constitution pour fixer les règles de déontologie propres à ces différentes professions. Contrairement à ce que soutient le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, ces règles n'affectent pas, en principe, les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales dont la détermination relève du seul législateur en vertu de l'article 34 de la Constitution. Il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en ne précisant pas elle-même les règles permettant d'assurer la gestion des conflits d'intérêts au sein des sociétés pluri-professionnelles d'exercice et en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer ces règles, l'ordonnance serait entachée d'incompétence négative.

30. En deuxième lieu, l'article 65 de la loi du 6 août 2015 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour faciliter la création des sociétés pluri-professionnelles d'exercice " en prenant en considération les incompatibilités et les risques de conflits d'intérêts propres à chaque profession " et en " préservant les principes déontologiques applicables à chaque profession ". Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier ou de remettre en cause les règles déontologiques en vigueur propres à chacune des différentes professions susceptibles d'entrer dans l'objet social d'une société pluri-professionnelle d'exercice. Contrairement à ce que soutiennent le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires et la chambre interdépartementale des notaires de Paris, elles n'imposent au Gouvernement ni de prévoir dans l'ordonnance des règles déontologiques spécifiques à l'exercice de différentes professions par la même société, ni de créer une autorité interprofessionnelle, ni même d'imposer au pouvoir réglementaire le soin d'édicter de telles règles. Il demeure loisible au pouvoir réglementaire d'adopter de telles dispositions s'il estime qu'elles sont de nature à renforcer l'efficacité du traitement des difficultés déontologiques et des conflits d'intérêts.

31. Il résulte des termes mêmes de l'article 31-8 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée que chaque professionnel doit respecter, dans son exercice professionnel au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice, les dispositions réglementaires encadrant l'exercice de sa profession, notamment celles relatives à la déontologie, à la prévention et à la gestion des conflits d'intérêts. L'obligation d'information mutuelle des associés et des salariés prévue à l'article 31-8 est destinée à permettre à chaque professionnel d'assurer la gestion d'un conflit d'intérêts identifié au regard des prescriptions déontologiques propres à sa profession. Les dispositions en vigueur applicables en cas de méconnaissance des obligations professionnelles et déontologiques ont vocation à s'appliquer en cas de non-respect de cette obligation. Les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que, faute d'avoir précisé les règles déontologiques et celles relatives à la gestion des conflits d'intérêts au sein des sociétés pluri-professionnelles d'exercice, l'article 3 de l'ordonnance attaquée méconnaîtrait la loi d'habilitation et, en tout état de cause, le principe constitutionnel de continuité du service public de la justice.

32. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que doit être écarté le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement communautaire du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité et de l'article 25 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur en ce qu'ils imposent aux États de soumettre les professions concernées, dans leurs champs d'application respectifs, à des règles déontologiques, de prévention et de traitement des conflits d'intérêts.

33. En quatrième lieu, l'article 31-8 issu de l'ordonnance attaquée vise tout conflit d'intérêts entre l'exercice de son activité par un professionnel exerçant au sein de la société pluri-professionnelle d'exercice et l'exercice par les autres professionnels de leur activité. Contrairement à ce qui est soutenu par la chambre interdépartementale des notaires de Paris, le champ des conflits d'intérêts n'est ainsi pas limité aux seuls conflits de clientèle. Doit en conséquence être écarté le moyen tiré de ce qu'en ne prenant pas en compte les différents types de conflits d'intérêts susceptibles de naître de l'activité de différents professionnels au sein d'une telle société, l'article 3 de l'ordonnance méconnaîtrait la loi d'habilitation et serait entaché d'incompétence négative. L'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation et la Conférence des bâtonniers ne sont pas davantage fondés à soutenir que l'article 31-8 ne prendrait pas en compte les conflits entre les intérêts de différents clients d'une société pluri-professionnelle d'exercice. Les moyens tirés de la méconnaissance des droits de la défense, de l'objectif de bonne administration de la justice et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent, dès lors et en tout état de cause, être écartés.

34. En cinquième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 31-4 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée que celui-ci ne comporte pas de définition du conflit d'intérêts et que l'existence d'un tel conflit doit être appréciée par chaque professionnel au regard des conditions d'exercice et des exigences déontologiques propres à sa profession. La chambre interdépartementale des notaires de Paris n'est ainsi pas fondée à soutenir que la " conception " du conflit d'intérêts retenue par l'ordonnance, qui serait fondée sur la défense de l'intérêt d'un client identifié, méconnaîtrait la liberté d'entreprendre et les exigences de respect de la déontologie et de l'intégrité des missions des notaires, des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

35. En sixième lieu, il ne résulte ni de la Constitution, ni de la loi d'habilitation que l'ordonnance aurait dû déterminer la convention collective applicable aux salariés des sociétés pluri-professionnelles d'exercice. Par suite, le Conseil supérieur du notariat n'est pas fondé à soutenir que, faute de préciser quelle est la convention collective applicable à ces salariés, l'ordonnance attaquée serait entachée d'incompétence négative.

36. En septième lieu, l'article 31-8 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée n'a ni pour objet, ni pour effet de renvoyer aux statuts des sociétés pluri-professionnelles d'exercice la détermination de règles déontologiques qui relève, ainsi qu'il a été dit, du pouvoir réglementaire du Premier ministre, ni de leur permettre de déroger aux dispositions réglementaires en vigueur relatives à la déontologie des différentes professions. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 de la Constitution n'est ainsi pas fondé. Le Conseil supérieur du notariat n'est pas davantage fondé à soutenir qu'il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité de traitement des membres d'une même profession exerçant au sein des sociétés pluri-professionnelles d'exercice.

37. En huitième lieu, la chambre interdépartementale des notaires de Paris reproche à l'ordonnance de ne pas avoir pris en compte les incompatibilités avec des fonctions civiles, publiques ou politiques et celles applicables entre les professions juridiques réglementées. Toutefois, d'une part, la création d'une société pluri-professionnelle d'exercice est sans incidence sur le respect par les professionnels exerçant au sein d'une telle société des incompatibilités avec des fonctions civiles, publiques ou politiques. D'autre, part, ainsi qu'il a été dit au point 14, la société ne peut accomplir les actes d'une profession déterminée que par l'intermédiaire d'un de ses membres ayant qualité pour exercer cette profession. Les dispositions de l'ordonnance garantissent ainsi le respect des dispositions interdisant l'exercice par une même personne physique de plusieurs professions réglementées. Les moyens tirés de ce que l'auteur de l'ordonnance aurait méconnu l'étendue de sa compétence et la loi d'habilitation ne peut, dès lors, qu'être écarté.

38. En neuvième lieu, l'article 65 de la loi du 6 août 2015 impose de " préserver l'intégrité des missions des professionnels liées au statut d'officier public et ministériel ". D'une part, aucune norme, ni aucun principe n'impose, contrairement à ce que soutient la chambre interdépartementale des notaires de Paris, que l'ordonnance contienne une analyse des spécificités de chacune des professions exercées sous le statut d'officier public et ministériel. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents, que l'exercice indépendant de leur profession par les membres de la société ayant le statut d'officier public et ministériel est garanti par les dispositions de l'ordonnance attaquée. Les moyens tirés de ce qu'en ne comportant aucune règle destinée à préserver l'intégrité des missions des officiers publics et ministériels, l'ordonnance aurait méconnu la loi d'habilitation et serait entachée d'incompétence négative ne sont pas fondés.

39. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 56 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts comptables et des comptables agréés et réglementant les titres et professions d'expert comptable et comptable agréé : " La tutelle des pouvoirs publics sur l'ordre des experts comptables est exercée par le ministre chargé de l'économie qui, à cet effet, est représenté par un commissaire du Gouvernement auprès du conseil supérieur de l'ordre, et par un commissaire régional du Gouvernement auprès de chaque conseil régional de l'ordre ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que la présence d'un commissaire du Gouvernement au sein des instances disciplinaires de l'ordre des experts-comptables pourrait avoir une incidence quelconque sur l'exercice de la profession d'avocat au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice. Dès lors, le moyen tiré, à raison de cette présence, de la méconnaissance des droits de la défense et de la garantie des droits protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'en tout état de cause, du principe d'indépendance des avocats doit être écarté.

S'agissant du secret professionnel :

40. Aux termes de l'article 31-10 de la loi du 31 décembre 1990 dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance attaquée : " Le professionnel exerçant au sein de la société une des professions qui en constituent l'objet social est tenu aux obligations de loyauté, de confidentialité ou de secret professionnel conformément aux dispositions encadrant l'exercice de sa profession. / Toutefois, les obligations de confidentialité ou de secret professionnel ne font pas obstacle à ce qu'il communique à d'autres professionnels toute information nécessaire à l'accomplissement des actes professionnels et à l'organisation du travail au sein de la société dans l'intérêt du client et à condition que ce dernier ait été préalablement informé de cette faculté de communication et y ait donné son accord. Cet accord mentionne, le cas échéant, la ou les professions constituant l'objet social de la société auxquelles le client s'adresse et entend limiter la communication des informations le concernant. / Lorsque le professionnel est un administrateur judiciaire ou un mandataire judiciaire, il peut communiquer à d'autres professionnels toute information nécessaire à l'accomplissement des actes professionnels et à l'organisation du travail au sein de la société dans les limites de ce que lui permet le mandat de justice pour lequel il a été désigné ".

41. En premier lieu, l'article 31-10 de la loi du 31 décembre 1990 concourt à l'exercice effectif de plusieurs professions au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice et, par suite, à l'objectif d'intérêt général poursuivi par le législateur par la création d'une telle structure sociale. Il résulte également de l'article 31-10 que tout partage d'informations est soumis à la double condition d'être nécessaire à l'accomplissement des actes professionnels et à l'organisation du travail au sein de la société et d'être justifié par l'intérêt du client. Il s'ensuit que les professionnels ne sont autorisés à partager des informations à caractère secret que dans la stricte mesure nécessaire à l'accomplissement de leurs missions respectives au service de leur client commun. Par ailleurs, dès lors que le client, n'étant pas lui-même tenu au secret professionnel, peut décider de le lever sans y être contraint, l'article 31-10 a pu soumettre la communication, entre les différents professionnels de la société pluri-professionnelle d'exercice, d'informations concernant leur client à un accord exprès de ce dernier. Un tel accord est précédé d'une information par les professionnels concernés sur sa portée et définit l'étendue du partage d'informations envisagé. Contrairement à ce que soutient le Conseil supérieur du notariat, il résulte des termes mêmes de l'article 31-10 que cet accord doit être préalable au partage d'informations. La dérogation au secret professionnel autorisée par l'article 3 de l'ordonnance attaquée est ainsi assortie des limitations et précautions de nature à éviter une atteinte excessive au droit au respect du secret professionnel garanti notamment par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les moyens tirés de la méconnaissance des droits de la défense, de la garantie des droits et, en tout état de cause, du principe d'indépendance des avocats doivent, pour les mêmes motifs, être écartés.

42. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes du troisième alinéa de l'article 31-10 que la communication d'informations par le mandataire judiciaire ou l'administrateur judiciaire aux autres professionnels exerçant au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice doit être autorisée par le mandat de justice qui précise leur mission. Par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que, faute d'avoir précisé les conditions d'une telle communication d'informations, l'auteur de l'ordonnance n'aurait pas épuisé sa compétence.

43. En troisième lieu, la création des sociétés pluri-professionnelles n'emporte pas, par elle-même, la nécessité de modifier les dispositions régissant les perquisitions, les visites et les saisies. Dès lors, la chambre interdépartementale des notaires de Paris n'est pas fondée à soutenir que faute d'avoir modifié ces dispositions, l'ordonnance attaquée serait entachée d'incompétence négative.

44. En dernier lieu, les clients qui ont recours à une société pluri-professionnelle d'exercice pour réaliser plusieurs prestations relevant de professions différentes ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui chargent différents professionnels de réaliser ces prestations. La différence de traitement résultant de l'article 31-10 est ainsi fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de cette disposition et n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient. Le Conseil supérieur du notariat n'est, par suite, pas fondé à soutenir que l'échange d'informations autorisé par l'article 31-10 créerait une rupture d'égalité entre les clients des différentes professions concernées.

S'agissant de l'assurance de la société au titre de sa responsabilité civile professionnelle :

45. Aux termes de l'article 31-11 de la loi du 31 décembre 1990 dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance attaquée, la société pluri-professionnelle d'exercice " souscrit une assurance couvrant les risques relatifs à sa responsabilité civile professionnelle ". L'article 6-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat dispose que " La responsabilité civile professionnelle des notaires est garantie par un contrat d'assurance souscrit par le Conseil supérieur du notariat ".

46. En premier lieu, l'article 31-11 de la loi du 31 décembre 1990, qui précise le destinataire et la portée de l'obligation d'assurance qu'il prévoit, ne méconnaît pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité du droit.

47. En second lieu, d'une part, contrairement à ce que soutient le Conseil supérieur du notariat, l'article 31-11 se borne à affirmer une obligation d'assurance pour la société pluri-professionnelle d'exercice sans pour autant imposer la souscription d'un contrat unique. Il en résulte qu'une société pluri-professionnelle d'exercice exerçant la profession de notaire n'est pas tenue de disposer d'un contrat d'assurance unique pour l'ensemble des activités exercées en son sein et du contrat souscrit par le Conseil supérieur du notariat, conformément à l'article 6-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. D'autre part, l'article 31-11 n'a ni pour objet, ni pour effet de permettre que les dommages survenus dans l'exercice d'une profession au sein de la société puissent être couverts par le mécanisme de garantie collective d'une autre profession également exercée au sein de la société. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance par l'article 31-11 de la loi d'habilitation, du principe d'égalité entre les clients ou entre les professionnels et, en tout état de cause, de l'objectif de bonne administration de la justice ne sont pas fondés.

S'agissant des modalités d'exercice de la profession au sein de la société :

48. L'article 31-12 de la loi du 31 décembre 1990 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de fixer " les modalités selon lesquelles les personnes physiques associées et les salariés exercent leur profession au sein de la société ", " les effets de l'interdiction ou de l'incapacité, temporaire ou définitive, d'exercer la profession dont la société ou une personne physique ou morale associée serait frappée " ainsi que " les cas où une personne physique ou morale associée peut être exclue de la société, en précisant les garanties morales, procédurales et patrimoniales qui lui sont accordées dans ces cas ".

49. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles () concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ". Selon son article 37, " les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ". Au nombre des libertés publiques, dont les garanties fondamentales doivent, en vertu de la Constitution, être déterminées par le législateur, figure le libre accès à l'exercice d'une activité professionnelle n'ayant fait l'objet d'aucune limitation légale. Toutefois, les professions d'avocat, d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d'huissier de justice, de notaire, d'administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d'expert-comptable ont le caractère de professions réglementées. Le législateur a prévu que ces professions pourraient être exercées au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice et a fixé les conditions essentielles tenant à un tel exercice de ces professions. Dès lors, l'autorité investie du pouvoir réglementaire est compétente pour fixer, en vertu des pouvoirs qu'elle tient de l'article 37 de la Constitution, des prescriptions complémentaires de celles fixées par le législateur. Ainsi, l'ordonnance attaquée a pu, sans méconnaître l'article 34 de la Constitution, renvoyer à un décret en Conseil d'État le soin de définir les règles énoncées au point précédent.

S'agissant des règles comptables :

50. Aux termes de l'article 31-12 de la loi du 31 décembre 1990 issu de l'ordonnance attaquée, il revient également à un décret en Conseil d'État de fixer " les règles concernant la tenue des comptabilités et la présentation des documents comptables ". La loi d'habilitation et l'ordonnance attaquée ayant rappelé les principes régissant l'exercice des professions pouvant être exercées au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice, il appartient au pouvoir réglementaire d'en tirer les conséquences nécessaires dans la détermination des règles comptables applicables aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice. Dès lors, le Conseil supérieur du notariat n'est pas fondé à soutenir que l'auteur de l'ordonnance aurait méconnu la loi d'habilitation faute d'avoir expressément prévu que les règles comptables fixées par le pouvoir réglementaire doivent garantir le respect de principes régissant l'exercice de la profession de notaire au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice.

51. Le Conseil supérieur du notariat ne saurait utilement soutenir que les dispositions de l'article 31-12, qui se bornent à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de fixer des règles comptables, méconnaîtrait le principe d'égalité en traitant différemment les notaires exerçant au sein des sociétés pluri-professionnelles d'exercice et les autres notaires.

Quant à la légalité de l'article 4 de l'ordonnance attaquée :

52. L'article 4 de l'ordonnance attaquée rétablit dans la loi du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles un article 4 ainsi rédigé : " Par dérogation aux dispositions de l'article 1836 et du quatrième alinéa de l'article 1844-4 du code civil, un décret en Conseil d'État peut, pour chaque profession, fixer la majorité qui, à défaut de clause contraire des statuts, sera requise pour transformer une société civile professionnelle en une société pluri-professionnelle d'exercice régie par le titre IV bis de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales ou pour participer, par voie de fusion, à la constitution d'une telle société, existante ou nouvelle. / Lorsqu'un associé a exprimé son refus d'approuver une des opérations mentionnées à l'alinéa précédent, la société est tenue soit de faire acquérir ses parts par d'autres associés ou des tiers, soit de les acquérir elle-même à l'issue d'un délai de six mois à compter de la date d'expression du refus. Dans le second cas, la société est tenue de réduire son capital du montant de la valeur nominale de ces parts. Dans les deux cas, la valeur des parts est déterminée dans les conditions prévues à l'article 19 ".

53. En premier lieu, les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance attaquée n'ont pas, par elles-mêmes, pour effet de faire obstacle à l'exercice de sa profession par l'officier public et ministériel tenu de céder ses parts de la société civile professionnelle au sein de laquelle il exerce. En outre, le deuxième alinéa de l'article 18 de la loi du 29 novembre 1966 dispose que " L'officier public ou ministériel qui se retire d'une société en raison d'une mésentente entre associés peut solliciter sa nomination à un office créé à cet effet à la même résidence dans des conditions prévues par le décret particulier à chaque profession, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de sa nomination en qualité d'officier public ou ministériel associé au sein de cette société. ". Comme le soutient le ministre de l'économie et des finances, le désaccord des associés sur la transformation d'une société civile professionnelle en une société pluri-professionnelle d'exercice ou sur sa participation, par voie de fusion, à la constitution d'une telle société doit être assimilé à la mésentente entre associés visée par cette disposition. Dans ce cas, l'application de l'article 18 de la loi du 29 novembre 1966 implique, dès lors que l'associé est tenu de céder ses parts en vertu de son article 4 issu de l'ordonnance attaquée, que le garde des sceaux, concomitamment à la cession des parts, crée à son bénéfice un office à la même résidence sauf si un motif d'intérêt général s'y oppose. Par suite, le moyen tiré de ce que l'auteur de l'ordonnance aurait méconnu l'étendue de sa compétence en ne prenant pas en compte les conséquences particulières pour les officiers publics et ministériels résultant de l'obligation pour l'associé minoritaire de céder ses parts dans la société doit être écarté.

54. En deuxième lieu, l'article 4 de l'ordonnance attaquée tend à éviter le risque qu'un associé minoritaire souhaitant demeurer dans la structure existante, s'oppose à la création d'une société pluri-professionnelle d'exercice. Il répond à l'objectif d'intérêt général poursuivi par le législateur de favoriser le développement des sociétés pluri-professionnelles d'exercice. De telles structures sont en effet destinées à couvrir l'ensemble des besoins des clientèles des entreprises comme des particuliers, à mutualiser les moyens et à faire face à la concurrence internationale. Les dispositions relatives à la détermination de la valeur des parts permettent de préserver les intérêts patrimoniaux de l'associé minoritaire lors de la cession forcée de ses parts. Les dispositions citées au point précédent sont de nature à permettre aux officiers publics et ministériels concernés de continuer à exercer leur activité professionnelle. Il en résulte que l'article 4 ne porte pas à la liberté contractuelle, à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

55. En troisième lieu, l'article 4 de l'ordonnance attaquée substitue la règle de la majorité à celle de l'unanimité pour transformer une société civile professionnelle en une société pluri-professionnelle d'exercice ou pour participer, par voie de fusion, à la constitution d'une telle société. En renvoyant à un décret en Conseil d'État le soin de fixer la majorité requise pour chaque profession, l'auteur de l'ordonnance n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence. Contrairement à ce que soutient le Conseil supérieur du notariat, un tel renvoi n'est, en tout état de cause, pas de nature à porter, par lui-même, atteinte au principe d'égalité entre les membres des différentes professions.

56 En dernier lieu, les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance définissent de façon claire et sans ambiguïté, d'une part, les conditions de vote requises pour transformer une société civile professionnelle en une société pluri-professionnelle d'exercice ou pour participer, par voie de fusion, à la constitution d'une telle société et, d'autre part, les conditions de cession des parts de l'actionnaire minoritaire. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de clarté de la loi et de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité du droit doit en conséquence être écarté.

Quant à la légalité de l'article 6 de l'ordonnance attaquée :

57. L'article 6 de l'ordonnance attaquée insère dans le code de la propriété intellectuelle un article L. 722-7-1 précisant les conditions auxquelles la profession de conseil en propriété industrielle peut être exercée au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice. Il modifie également à son 2° l'article L. 722-7 du même code pour supprimer la condition posée à l'exercice de la même profession au sein de toute société constituée sous une autre forme qu'une société civile professionnelle ou une société d'exercice libérale et tenant à la détention de la majorité du capital social et des droits de vote par des personnes exerçant la profession de conseil en propriété industrielle. Cette dernière disposition n'est ainsi pas applicable aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice exerçant la profession de conseil en propriété industrielle.

58. La modification de l'article L. 722-7 du code de la propriété intellectuelle n'a pas pour objet de faciliter la création de sociétés pluri-professionnelles d'exercice. Par suite, ainsi que le soutiennent la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et l'Association des conseils en propriété industrielle, cette modification n'entrait pas dans le champ de l'habilitation du Gouvernement défini par l'article 65 de la loi du 6 août 2015 cité au point 1. Le ministre de l'économie et des finances soutient en défense qu'une telle modification était nécessaire pour respecter le principe d'égalité entre les différentes catégories de société exerçant la profession de conseil en propriété industrielle. Toutefois, les sociétés mono-professionnelles de conseils en propriété industrielle et les sociétés pluri-professionnelles d'exercice ayant dans leur objet social le conseil en propriété industrielle se trouvent dans une situation différente concernant la composition de leur capital social. En effet, pour les premières, le capital est ouvert à des personnes n'exerçant pas la profession alors que pour les secondes, le capital est fermé à toute personne étrangère aux professions exercées au sein de la société. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que, méconnaissant le champ de l'habilitation, le 2° de l'article 6 de l'ordonnance attaquée est illégal.

Quant à la légalité de l'article 7 de l'ordonnance attaquée :

59. Aux termes de l'article 3-3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe irrévocablement, le nombre des titulaires, et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l'Ordre, dans sa rédaction issue de l'article 7 de l'ordonnance attaquée : " L'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation peut également exercer sa profession dans le cadre d'une société pluri-professionnelle d'exercice, prévue au titre IV bis de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, ayant pour objet l'exercice en commun de la profession d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et d'une ou plusieurs autres professions prévues à ce titre. / Les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 3-2 sont applicables à une telle société. / Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État, notamment : / 1° Les conditions de la nomination de la société dans un office d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, de son interdiction temporaire et de sa destitution ainsi que les règles applicables en cas d'empêchement, de retrait ou de décès d'un associé exerçant la profession ; / 2° Les modalités d'application des règles de discipline ".

60. Si une société pluri-professionnelle d'exercice peut être titulaire d'un office d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, cette profession ne peut être exercée au sein d'une telle société que par une personne remplissant les conditions pour l'exercer et agréée par le garde des sceaux, ministre de la justice dans des conditions, précisées à l'article 31-8 de la loi du 31 décembre 1990, garantissant son indépendance. Par suite, l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation n'est pas fondé à soutenir qu'en permettant à une société pluri-professionnelle d'exercice d'être elle-même nommée dans un office d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, l'article 7 de l'ordonnance attaquée porterait atteinte à la condition de respect de l'intégrité des missions de l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation posée par la loi d'habilitation et, en tout état de cause, au principe d'indépendance de la justice et à l'objectif de bonne administration de la justice.

Quant à la légalité de l'article 9 de l'ordonnance attaquée :

61. Aux termes de l'article 1er bis A de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, dans sa rédaction issue de l'article 9 de l'ordonnance attaquée : " Le notaire peut également exercer sa profession dans le cadre d'une société pluri-professionnelle d'exercice, prévue au titre IV bis de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, ayant pour objet l'exercice en commun de la profession de notaire et d'une ou plusieurs autres professions prévues à ce titre. / Les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 1er bis sont applicables à une telle société. / Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État, notamment : / 1° Les conditions de la nomination de la société dans un ou plusieurs offices de notaire, de son interdiction temporaire et de sa destitution, ainsi que les règles applicables en cas d'empêchement, de retrait ou de décès d'un associé exerçant la profession ; / () ".

62. Contrairement à ce que soutient le Conseil supérieur du notariat, l'article 9 de l'ordonnance attaquée n'a ni pour objet ni pour effet de permettre une libre commercialisation des offices. Il renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les conditions de nomination d'une société pluri-professionnelle d'exercice dans un office de notaire ainsi que celles de retrait d'un associé. Un tel renvoi tend à encadrer et à placer sous le contrôle du garde des sceaux, ministre de la justice, la cession de parts des sociétés pluri-professionnelles d'exercice titulaires d'un office de notaire. Ainsi, le moyen tiré de ce que l'article 9 méconnaîtrait le principe selon lequel les offices de notaires sont hors commerce doit, en tout état de cause, être écarté.

Quant à la légalité de l'ordonnance attaquée dans son entier :

63. Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil supérieur du notariat n'est pas fondé à soutenir que le cumul de l'ensemble des dispositions critiquées de l'ordonnance porterait atteinte au statut d'officier public et ministériel des notaires et, par voie de conséquence à l'objectif de bonne administration de la justice et au principe de continuité du service public de la justice. Pour les mêmes motifs, les moyens soulevés par la chambre interdépartementale des notaires de Paris et tirés de ce que les dispositions de l'ordonnance définissant le régime juridique de la société pluri-professionnelle d'exercice méconnaîtraient le droit de propriété, la garantie des droits et, en tout état de cause, les principes d'indépendance et d'impartialité des notaires doivent être écartés.

64. Le moyen soulevé par la chambre interdépartementale des notaires et tiré de ce que l'ordonnance attaquée porterait atteinte à l'image, au crédit et à la dignité des notaires et, par suite, méconnaîtrait la loi d'habilitation n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

65. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander l'annulation que du 2° de l'article 6 de l'ordonnance qu'ils attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

66. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et à l'Association des conseils en propriété industrielle, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par les autres requérants et non compris dans leurs dépens.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la Conférence des bâtonniers est admise.

Article 2 : Le 2° de l'article 6 de l'ordonnance du 31 mars 2016 est annulé.

Article 3 : L'article 31-4 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 31 mars 2016, s'entend comme visant le quatrième alinéa de l'article 1er de la même loi et non son troisième alinéa.

Article 4 : Un extrait de la présente décision, comprenant l'article 3 de son dispositif et les motifs qui en sont le support, sera publié au Journal officiel dans un délai d'un mois à compter de la réception par le Premier ministre de la notification de cette décision.

Article 5 : L'État versera la somme de 2 000 euros à la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et à l'Association des conseils en propriété industrielle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus de la requête de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle et de l'Association des conseils en propriété industrielle et les requêtes de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, du Conseil supérieur du notariat, du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires et de la chambre interdépartementale des notaires de Paris sont rejetés.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle, à l'Association des conseils en propriété industrielle, à l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, au Conseil supérieur du notariat, au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, à la chambre interdépartementale des notaires de Paris, au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances et à la Conférence des bâtonniers.