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Décisions

Cass. crim., 27 avril 2000, n° 99-81.415

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Pibouleau

Avocat général :

M. Géronimi

Avocats :

Me Balat, Me Foussard

Paris, du 2 févr. 1999

2 février 1999

REJET du pourvoi formé par :

- Y... Albert,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 9e chambre, en date du 2 février 1999, qui l'a condamné pour complicité de fraude fiscale, fausse attestation et usage à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende, a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile, et ordonné l'affichage et la publication de la décision.

LA COUR,

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, qu'Albert Y... a été poursuivi pour fausse attestation et usage ainsi que pour s'être rendu complice de Louis X... lequel s'est vu reprocher d'avoir dissimulé en 1992 et 1993 des revenus révélés par l'existence sur ses comptes bancaires de trois chèques pour un montant de 1 500 000 francs et d'un versement en espèces de 250 000 francs, d'un crédit bancaire de 2 500 000 francs correspondant à la somme versée par Albert Y... à la banque Majorel le 18 février 1993 et destinée à apurer le compte courant débiteur de Louis X... auprès de cette banque ;

Que, pour déclarer les intéressés coupables de chefs visés à la prévention, la cour d'appel a retenu, que, contrairement à ce qui avait été allégué, les remises de chèques et d'espèces ne correspondaient pas à des paiements de salaires ou de prétendus remboursement par Albert Y... de dettes de jeu, et que la cession de créance considérée comme fictive ne pouvait être prise en compte ;

En cet état :

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 7, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, L. 228 et L. 230 du Livre des procédures fiscales, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription invoquée par le prévenu en ce qui concerne l'omission de déclaration des revenus de l'année 1992 ;

" aux motifs que la mise en mouvement de l'action publique n'est intervenue qu'à la date des convocations délivrées les 23 mai et 11 juillet 1997, par application de l'article 390-1 du Code de procédure pénale, donc postérieurement à la plainte ; que par convocation du 16 mai 1997, le procureur de la République a demandé à Louis X... de se présenter à son cabinet le 23 mai 1997 pour y être entendu sur la plainte pour fraude fiscale concernant l'IRPP des années 1992-1993 ; que cet acte de police judiciaire est un acte de poursuite au sens des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale et qu'il a valablement interrompu la prescription dont le terme était fixé au 20 mai 1997 ;

" alors, d'une part, que seul un acte régulier d'instruction ou de poursuite interrompt la prescription de l'action publique ; que s'agissant d'une convocation adressée à un témoin, seule la date de l'expédition par le ministère public figurant sur l'action de convocation est à prendre en compte, la date de la signature de l'acte n'ayant pas d'effet interruptif de la prescription de l'action publique ; qu'en l'espèce, la convocation adressée à Louis X..., datée du 16 mai 1997, porte comme date d'envoi celle du 21 mai 1997 ; qu'en conséquence la prescription de l'action publique s'achevant le 20 mai 1997, la prescription était acquise au jour de l'expédition de la convocation de sorte que la cour d'appel, qui n'a pas constaté l'extinction des poursuites, a violé les textes susvisés ;

" alors, d'autre part, qu'en tout état de cause pour rejeter l'exception de prescription de l'action publique, la cour d'appel, après avoir énoncé que la prescription avait été régulièrement interrompue le 16 mai 1997, n'a pu, sans se contredire, énoncer que la mise en mouvement de l'action publique n'était intervenue qu'à la date des convocations délivrées les 23 mai et 11 juillet 1997, par application de l'article 390-1 du Code de procédure pénale, donc postérieurement à la plainte datée du 15 mai 1997 ; qu'en se prononçant ainsi, elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le procureur de la République a, par une lettre datée du 16 mai 1997, convoqué Louis X... pour être entendu le 23 mai suivant sur une plainte pour fraude fiscale concernant l'impôt sur le revenu des personnes physiques des années 1992-1993 ; qu'après avoir comparu et fourni ses explications à la date indiquée, l'intéressé s'est vu notifier en application de l'article 390-1 du Code de procédure pénale une convocation en justice du chef de fraude fiscale pour l'audience du tribunal correctionnel du 15 septembre 1997 ;

Attendu que, pour rejeter l'exception de prescription soulevée par le prévenu, la cour d'appel énonce que la convocation incriminée, qui est un acte de police judiciaire répondant aux conditions de l'article 78 du Code de procédure pénale, constitue un acte de poursuite au sens des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale dont l'effet interruptif de prescription s'étend aux auteurs et complices de la fraude fiscale comme aux délits connexes ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, nonobstant tous autres surabondants, la cour d'appel, qui s'est assurée du caractère effectif de l'envoi de la convocation dans les conditions rapportées, a justifié sa décision au regard des textes invoqués ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 75 à 78, 390-1, 463, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6.3b de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité issue d'un détournement de procédure lié aux investigations opérées par le ministère public, postérieurement à la saisine du tribunal effectuée par convocation en justice selon l'article 390-1 du Code de procédure pénale ;

" aux motifs qu'en sa qualité d'autorité de poursuite, le procureur de la République apprécie souverainement la suite à donner à l'enquête et peut faire citer les prévenus en usant de la formalité prévue par l'article 390-1 du Code de procédure pénale qui vaut citation à personne ; qu'après la saisine du tribunal ainsi réalisée, le procureur de la République devient une partie comme les autres ; qu'aucun texte ne lui interdit, pas plus qu'aux conseils des autres parties, de recueillir et produire des documents qui sont acquis aux débats dès lors qu'ils ont pu être contradictoirement et loyalement discutés devant le juge pénal ; que les dépêches par lesquelles le procureur a sollicité d'une banque et d'un officier ministériel la communication de pièces ne peuvent être assimilées à des actes de police judiciaire ; que tant par leur forme que leur contenu, elles n'ont pas valeur de réquisitions ; que le ministère public, très respectueux du principe de "l'égalité des armes", a permis aux conseils des prévenus de prendre connaissance, bien avant l'audience, des réquisitions écrites qu'il a cru convenable de prendre par application de l'article 458, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;

" alors que la saisine du tribunal par le procureur de la République réalisée par voie de convocation clôt l'enquête préliminaire et prohibe toute investigation supplémentaire de la part du ministère public ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt et du dossier de la procédure que la première convocation devant le tribunal correctionnel a été délivrée le 23 mai 1997 et que les 11 et 16 juillet 1997, le procureur de la République a réclamé à un établissement bancaire et à un huissier de justice, copies de documents couverts par le secret bancaire et le secret professionnel, copies que ces destinataires n'auraient pas communiquées s'il ne s'était agi d'une demande formulée par un officier de police judiciaire ; que le recours à ces investigations pourtant prohibées constitue un procédé déloyal et un détournement de procédure violant les droits de la défense ; que, dès lors, en estimant que le ministère public avait agi comme une partie ordinaire soucieuse de produire des documents favorables à sa thèse, la cour d'appel a violé les principes susvisés " ;

Attendu qu'après avoir remis à Albert Y... le 11 juillet 1997 une convocation à comparaître pour l'audience du 15 septembre 1997 des chefs de complicité de fraude fiscale, fausse attestation et usage, le procureur de la République, a demandé les 11 et 16 juillet suivants au directeur du CIC et à un huissier de justice communication en copie d'une liste de chèques et effets tirés sur le compte de Louis X... au CIC ainsi que toutes pièces se rapportant à la signification à Louis X... de la cession de créance de la banque du CIC à la société Starmaker United ;

Qu'en cet état, et dès lors que les renseignements obtenus avant l'ouverture des débats par le procureur de la République qui se bornaient à compléter les éléments de l'enquête à l'issue de laquelle le ministère public avait saisi la juridiction répressive, avaient été communiqués aux parties et soumis au débat contradictoire, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 et 1743 du Code général des impôts, 121-6 et 121-7 du Code pénal, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Albert Y... coupable de complicité du délit de fraude fiscale pour dissimulation de sommes assujetties à l'impôt et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs, d'une part, que s'il appartient à l'Administration et au ministère public, selon l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, de rapporter la preuve des faits et de leur caractère intentionnel, ils peuvent le faire par tous moyens, par application de l'article 427 du Code de procédure pénale, dont le rapport dressé après l'examen contradictoire d'ensemble de la situation fiscale personnelle de Louis X... qui vaut à titre de simple renseignement ; que l'impôt sur le revenu est assis sur l'ensemble des revenus annuels, sans qu'importent leurs sources ; que le redevable doit donc établir, par tous moyens, que les sommes qu'il a encaissées notamment par crédits de ses comptes bancaires, ne sont pas des revenus taxables ;

" alors qu'aux termes de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ; qu'il n'appartient pas au contribuable d'établir que les sommes déposées sur ses comptes ne sont pas des revenus taxables mais au ministère public de caractériser l'origine imposable de ces sommes ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et n'a pas légalement justifié sa décision ;

" et aux motifs, d'autre part, que la cession de créance détenue par la banque Majorel sur Louis X... au profit de la société Starmaker procède de la même complaisance de Albert Y..., peu important la bonne foi présumée du cédant ; que les actes de cession ne mentionnent pas l'identité et la qualité du représentant légal de la société Starmaker cessionnaire, pas plus que de la délibération l'autorisant à accepter la cession ; que l'acte de cession, convention bilatérale et synallagmatique, ne comporte qu'une seule signature ; que sa date du 15 mars 1993 n'est pas certaine ; qu'elle est postérieure au crédit de la somme de 2 500 000 francs portée en compte dès le 18 février 1993 et que le solde débiteur du compte n'a été annulé que le 29 juin 1993 ; qu'un tel engagement ne saurait justifier le crédit allégué par les prévenus ;

" alors que les défauts constatés sur l'acte de cession concernant la signature de l'une des parties, l'identité et la qualité du représentant légal de la société cessionnaire de même que l'absence de délibération de l'assemblée générale de la société cessionnaire au sujet de l'approbation de cette cession, ainsi que la non-concordance temporelle entre le versement de la somme litigieuse au crédit du compte et au déblocage du solde débiteur par contre-passation, étaient des circonstances insuffisantes pour établir le caractère fictif de l'acte de rachat ; que l'arrêt attaqué n'est donc pas légalement justifié " ;

Attendu qu'après avoir rappelé qu'il appartient au redevable d'établir par tous moyens que les sommes qu'il a encaissées, notamment par crédits de ses comptes bancaires, ne sont pas des revenus taxables, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve, déduit que faute d'en justifier l'origine, ces fonds doivent être regardés comme des revenus que l'intéressé ne pouvait s'abstenir de déclarer ;

D'où il suit que le moyen, qui dans sa deuxième branche discute l'appréciation souveraine par les juges du fond du caractère fictif de la cession de créance, ne peut être admis ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal, 1791 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de complicité de fraude fiscale commise par Louis X... et l'a condamné de ce chef ;

" aux motifs que Albert Y... a sciemment aidé et a assisté Louis X... dans la fraude fiscale qu'il a commise en attestant faussement du règlement pour son compte de dettes de jeux pour un montant de 1 800 000 francs ;

" alors que la complicité par aide et assistance n'est punissable que si l'aide ou l'assistance sont antérieures ou concomitantes à la consommation du délit principal ; qu'en l'espèce Louis X... a été déclaré coupable d'avoir frauduleusement soustrait des sommes au paiement de l'impôt, en les dissimulant au cours notamment des années 1992 et 1993 ; que l'attestation établie par Albert Y... le 16 février 1997 aux termes de laquelle Louis X... avait réglé en son nom une dette de jeu d'un montant de 1 800 000 francs est postérieure aux dissimulations reprochées et ne peut, faute d'accord préalable dûment constaté, caractériser un acte de complicité pénalement répréhensible " ;

Attendu que, prévenu de complicité de fraude fiscale, Albert Y... s'est vu reprocher non seulement d'avoir attesté faussement du règlement pour le compte de Louis X... de dettes de jeu s'élevant à 1 800 000 francs mais également d'avoir acquis fictivement par l'intermédiaire de la société Starmaker une créance de la banque Majorel devenue CIC sur Louis X... de 4 628 751 francs à un prix de 2 500 000 francs sans garanties réelles ou personnelles ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de ces chefs, les juges énoncent qu'il a servi de prête-nom à Louis X... pour lui permettre de soustraire ses gains à l'assiette de l'impôt sur le revenu, ses interventions lors de l'établissement de la cession de créance et de l'attestation procédant de sa part de la même complaisance à son égard ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations d'où il se déduit que les agissements du prévenu relèvent d'une entente préalable avec l'auteur principal de la fraude fiscale, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.