TUE, 1re ch. élargie, 1 mars 2023, n° T-480/20
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE, Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE
Défendeur :
Commission européenne, Tech-Fab Europe eV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kanninen
Juges :
M. Jaeger, Mme Półtorak, Mme Porchia, M. Stancu (rapporteure)
Avocats :
Me Servais, Me Crochet, Me Ruessmann, Me Beck
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE (ci-après « Hengshi ») et Jushi Egypt for Fiberglass Industry SAE (ci-après « Jushi »), demandent l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2020/776 de la Commission, du 12 juin 2020, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de certains tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues originaires de la République populaire de Chine et d’Égypte et modifiant le règlement d’exécution (UE) 2020/492 de la Commission instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains tissus en fibres de verre tissées et/ou cousues originaires de la République populaire de Chine et d’Égypte (JO 2020, L 189, p. 1) (ci-après le « règlement d’exécution attaqué »), dans la mesure où il les concerne.
I. Antécédents du litige
2 Les requérantes sont deux sociétés constituées conformément à la législation de la République arabe d’Égypte, dont les actionnaires sont des entités chinoises. Elles appartiennent toutes deux au groupe China National Building Material (CNBM) (ci-après le « groupe CNBM »). L’activité des requérantes consiste en la production et l’exportation de certains tissus en fibres de verre tissées ou cousues (ci-après les « TFV ») et de stratifils en fibres de verre (ci-après les « SFV »). Ces derniers constituent la matière première principale utilisée pour produire des TFV. Ces produits sont vendus notamment au sein de l’Union européenne.
A. Sur la zone de coopération économique et commerciale sino-égyptienne de Suez
3 Les requérantes sont toutes deux établies dans la zone de coopération économique et commerciale sino-égyptienne de Suez (Égypte) (ci-après la « zone CECS »). La zone CECS a été créée conjointement par la République arabe d’Égypte et la République populaire de Chine. Ses origines remontent aux années 1990. En 1997, les Premiers ministres chinois et égyptien ont signé un protocole d’accord, dans lequel les deux pays convenaient de « coopérer en vue du développement de la zone économique libre dans le nord du golfe de Suez ».
4 En 2002, une zone géographique plus vaste de 20 km2, qui comprenait la zone CECS, a été classée comme zone économique spéciale par les pouvoirs publics égyptiens, rendant ainsi applicable à la zone CECS la loi égyptienne no 83/2002 sur les zones économiques spéciales (ci-après la « loi no 83/2002 »).
5 Ensuite, des entités publiques chinoises et égyptiennes ont créé l’entreprise Egypt TEDA Investment Co. (ci-après « Egypt TEDA »), dont 80 % de parts sont détenues par les pouvoirs publics chinois et les 20 % restants par les pouvoirs publics égyptiens.
6 En 2012, lors d’une visite du président égyptien en Chine, ce dernier a qualifié la zone CECS de projet clé pour la coopération bilatérale entre les deux pays. Il a également exprimé le souhait que de plus en plus d’entreprises chinoises investissent dans la zone CECS et participent ainsi au programme de redressement de l’Égypte.
7 En 2013, la zone CECS a été étendue de 6 km2, en vertu d’un contrat entre Egypt TEDA et les autorités égyptiennes. À partir de la même année, la zone CECS a été développée dans le cadre de l’initiative chinoise « une ceinture, une route ». Cette initiative, selon les avis d’orientation du Conseil chinois des affaires de l’État sur la promotion de la coopération internationale en matière de capacités de production et de fabrication d’équipements du 13 mai 2015, comprend la possibilité pour les entreprises « qui partent à l’étranger », de bénéficier de politiques fiscales favorables et d’une aide fiscale, de prêts assortis de conditions libérales, d’un soutien financier accordé par le biais de prêts syndiqués, de crédits à l’exportation et au financement de projets, d’investissements en fonds propres et d’assurance-crédit à l’exportation.
8 En 2015, la zone économique spéciale mentionnée au point 4 ci-dessus, dont la zone CECS faisait partie, a été officiellement intégrée dans la zone économique du canal de Suez (ci-après la « ZCS »), une zone plus vaste, englobant la région proche du canal de Suez et régie par la loi no 83/2002, dans le contexte du « plan de développement du corridor du canal de Suez » lancé par l’Égypte.
9 En 2016, les présidents chinois et égyptien ont officiellement inauguré le projet d’extension de 6 km2 de la zone CECS et ont signé, le 21 janvier 2016, un accord entre les pouvoirs publics chinois et les pouvoirs publics égyptiens (ci-après l’« accord de coopération de 2016 »), qui a précisé l’envergure et le statut juridique de la zone CECS.
10 Conformément à l’accord de coopération de 2016, les pouvoirs publics des deux pays développent conjointement la zone CECS. Ils le font conformément à leurs stratégies nationales respectives, à savoir l’initiative « Une ceinture, une route » pour la Chine, d’une part, et le plan de développement du corridor du canal de Suez pour l’Égypte, d’autre part. À cette fin, les pouvoirs publics égyptiens fournissent les terrains, la main-d’œuvre et certaines exonérations fiscales, alors que les entreprises chinoises actives dans la zone gèrent l’installation de production avec leurs moyens et leurs dirigeants. Compensant un manque de fonds égyptiens, les pouvoirs publics chinois soutiennent également ce projet en mettant les moyens financiers nécessaires à la disposition de Egypt TEDA et des entreprises chinoises actives dans la zone CECS.
B. Sur la procédure ayant mené à l’adoption du règlement d’exécution attaqué
11 À la suite d’une plainte déposée le 1er avril 2019, au titre de l’article 10 du règlement (UE) 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 55, ci-après le « règlement antisubventions de base »), par l’intervenante, Tech-Fab Europe eV, au nom de producteurs représentant plus de 25 % de la production totale de TFV de l’Union, la Commission a ouvert, sur la base de cet article, une enquête antisubventions concernant les importations dans l’Union de TFV originaires de Chine et d’Égypte. Le 16 mai 2019, la Commission a publié un avis d’ouverture au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019, C 167, p. 11).
12 Plus précisément, ainsi qu’il ressort du considérant 127 du règlement d’exécution attaqué, les produits faisant l’objet de l’enquête sont les tissus faits de stratifils (rovings) ou de fils en fibres de verre à filament continu, tissés ou cousus, avec ou sans autres éléments, à l’exclusion des produits imprégnés ou préimprégnés et des tissus à maille ouverte dont les cellules mesurent plus de 1,8 mm tant en longueur qu’en largeur et dont le poids est supérieur à 35 g/m² relevant actuellement des codes NC ex 7019 39 00, ex 7019 40 00, ex 7019 59 00 et ex 7019 90 00 (codes TARIC 7019 39 00 80, 7019 40 00 80, 7019 59 00 80 et 7019 90 00 80).
13 L’enquête relative aux subventions et au préjudice a porté sur la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2018. L’examen des tendances utiles pour l’évaluation du préjudice et du lien de causalité a porté sur la période comprise entre le 1er janvier 2015 et la fin de la période d’enquête.
14 Pendant la période d’enquête, Jushi a produit à la fois des TFV et des SFV. Jushi a utilisé ses SFV autoproduits pour fabriquer des TFV, mais elle a également vendu des SFV à des clients indépendants, tant en Égypte qu’à l’étranger, ainsi qu’à Hengshi. Cette dernière a fabriqué des TFV à partir de SFV achetés auprès de Jushi ainsi qu’auprès d’une autre société liée et d’une société indépendante, toutes deux établies en Chine.
15 Jushi a vendu des TFV directement à des clients indépendants en Égypte et dans l’Union. Elle a également exporté des TFV auprès de trois clients liés dans l’Union, à savoir Jushi Spain SA, Jushi France SAS et Jushi ltalia Srl. Jushi a en outre vendu des TFV dans l’Union par l’intermédiaire d’une société liée établie hors de l’Union, Jushi Group (HK) Sinosia Composite Materials Co. Ltd. Les ventes de TFV effectuées par Jushi au sein de l’Union représentaient environ [confidentiel] (2) % des ventes totales de ce produit réalisées par les requérantes pendant la période d’enquête.
16 Hengshi, qui ne produit que des TFV, n’en a pas vendu sur le marché égyptien, mais en a vendu dans l’Union, directement à des clients indépendants ainsi que par l’intermédiaire d’une société liée établie hors de l’Union, Huajin Capital Ltd. Les ventes de TFV effectuées par Hengshi dans l’Union représentaient environ [confidentiel] % des ventes totales de ce produit réalisées par les requérantes pendant la période d’enquête.
17 Le 21 février 2019, la Commission a ouvert une enquête antidumping distincte concernant les importations dans l’Union de TFV originaires de Chine et d’Égypte (ci-après l’« enquête antidumping parallèle »). Le 7 juin 2019, elle a également ouvert une enquête antisubventions concernant les importations de SFV originaires d’Égypte (ci-après l’« enquête antisubventions parallèle sur les SFV »).
18 Le 14 juin 2019, les requérantes ont formulé des observations sur les subventions, le préjudice et l’intérêt de l’Union. Elles ont déposé leur réponse au questionnaire antisubventions le 1er juillet 2019. Le 27 septembre 2019, les requérantes ont transmis leur réponse à la demande de complément d’information de la Commission. Cette dernière a effectué des visites de vérification dans les locaux des requérantes ainsi que dans les locaux des sociétés liées aux requérantes.
19 Le 26 juillet 2019, les pouvoirs publics égyptiens ont déposé leur réponse au questionnaire antisubventions. Le 15 octobre 2019, ils ont transmis leur réponse à la demande de complément d’information de la Commission. Le 23 décembre 2019, cette dernière a informé les pouvoirs publics égyptiens de son intention d’appliquer l’article 28 du règlement antisubventions de base, eu égard à certaines informations relatives au cadre juridique et institutionnel et à l’existence d’accords intergouvernementaux entre la République populaire de Chine et la République arabe d’Égypte concernant la zone CECS. Le 3 janvier 2020, les pouvoirs publics égyptiens ont répondu à la Commission et lui ont transmis les informations souhaitées.
20 Le 27 février 2020, la Commission a communiqué l’information finale aux requérantes, sur laquelle elles ont présenté leurs observations le 20 mars 2020. Une audition a eu lieu avec la Commission sur cette information.
21 Le 17 avril 2020, la Commission a adopté une information finale additionnelle, sur laquelle les requérantes ont présenté leurs observations le 22 avril 2020. Une audition a eu lieu avec la Commission au sujet de cette information.
22 Le 12 juin 2020, la Commission a adopté le règlement d’exécution attaqué. Ce règlement d’exécution a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 15 juin 2020 et est entré en vigueur le lendemain de sa publication.
23 Ledit règlement institue un droit compensateur définitif de 10,9 % sur les importations des TFV des requérantes à destination de l’Union.
II. Conclusions des parties
24 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler le règlement d’exécution attaqué dans la mesure où il les concerne ;
– condamner la Commission aux dépens ;
– condamner l’intervenante à supporter ses propres dépens.
25 La Commission et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme étant non fondé ;
– condamner les requérantes aux dépens.
III. En droit
26 Les requérantes soulèvent six moyens au soutien de leur recours. Ces moyens sont tirés, le premier, du fait que la méthode de la Commission pour calculer le montant des subventions viole l’article 1er, paragraphe 1, l’article 5, première phrase, l’article 6, l’article 12, paragraphe 1, sous c), et l’article 24, paragraphe 1, du règlement antisubventions de base, le deuxième, du fait que la décision de la Commission de compenser les contributions financières accordées par des organismes publics chinois viole l’article 2, sous a) et b), l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement antisubventions de base, le troisième, du fait que la décision de la Commission concernant la fourniture de terrains a' Jushi viole les droits de la défense des requérantes et l’article 30 du règlement antisubventions de base, ainsi que l’article 3, paragraphe 2, l’article 5 et l’article 6, sous d), du règlement antisubventions de base, le quatrième, du fait que la décision de la Commission de compenser le système de ristourne de droits a' l’importation pour les intrants utilisés par Jushi pour produire les SFV viole l’article 3, paragraphe 1, sous a), ii), l’article 3, paragraphe 2, et l’article 5 du règlement antisubventions de base, le cinquième, du fait que la décision de la Commission de compenser le traitement fiscal des pertes de change viole l’article 3, paragraphe 2, et l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement antisubventions de base et, le sixième, du fait que la méthode de la Commission pour déterminer la marge de sous-cotation de prix en ce qui concerne les requérantes viole l’article 1er, paragraphe 1, l’article 2, sous d), et l’article 8, paragraphes 1, 2 et 5, du règlement antisubventions de base.
A. Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 5, première phrase, de l’article 6, de l’article 12, paragraphe 1, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, du règlement antisubventions de base
27 Ce moyen est divisé en deux branches.
1. Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 5, première phrase, de l’article 6 et de l’article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement antisubventions de base
28 Les requérantes soutiennent que, en additionnant les montants des subventions reçues individuellement par Jushi et par Hengshi au titre de chaque régime de subvention et en divisant le total ainsi obtenu par le chiffre d’affaires total cumulé des requérantes tous produits confondus, la Commission aurait attribué à Hengshi les montants des subventions reçues par Jushi et, de ce fait, n’aurait pas calculé le montant des subventions passibles de mesures compensatoires en termes d’avantage conféré à chaque bénéficiaire.
29 Selon les requérantes, la Commission aurait dû, comme dans toutes les enquêtes antidumping concernant au moins deux producteurs-exportateurs, tout d’abord calculer les montants des subventions individuelles de Jushi et de Hengshi sur la base de leurs exportations respectives du produit considéré vers l’Union au cours de la période d’enquête et, ensuite, calculer le montant unique des subventions passibles de mesures compensatoires pour Jushi et pour Hengshi en appliquant une moyenne pondérée de leurs montants individuels des subventions conformément à la formule suivante :
(Montant des subventions de Jushi × quantité de TFV exportés vers l’Union par Jushi) + (montant des subventions de Hengshi × quantité de TFV exportés vers l’Union par Hengshi)/quantité totale combinée de TFV exportés vers l’Union par Jushi et par Hengshi
30 Le résultat de ce calcul serait un montant unique des subventions passibles de mesures compensatoires de 4,6 % au lieu du montant retenu par la Commission qui s’élève à 10,9 %.
31 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
32 À titre liminaire, il convient de constater que, même si, dans l’intitulé de la présente branche, les requérantes ne mentionnent que l’article 1er, paragraphe 1, l’article 5, première phrase, l’article 6 et l’article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement antisubventions de base, il ressort de leur argumentation que, en substance, elles soulèvent également une violation de l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement antisubventions de base. En effet, elles contestent l’utilisation de leur chiffre d’affaires total cumulé, tous produits confondus, en tant que dénominateur approprié pour le calcul du montant des subventions passibles des mesures compensatoires. Par conséquent, puisque, selon une jurisprudence constante, il convient d’interpréter les moyens d’une partie requérante par leur substance plutôt que par leur qualification formelle, il y a lieu d’examiner également si la Commission a violé ledit article 7, paragraphes 1 et 2 (voir, par analogie, arrêt du 11 septembre 2014, Gold East Paper et Gold Huasheng Paper/Conseil, T 444/11, EU:T:2014:773, point 39 et jurisprudence citée).
33 Premièrement, concernant le calcul de l’avantage conféré au bénéficiaire, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que l’avantage doit être établi et calculé pour chaque bénéficiaire en fonction de la situation de celui-ci et qu’un avantage existe si, concrètement, le bénéficiaire a reçu une contribution financière à des conditions plus favorables que celles auxquelles il a accès sur le marché. En outre, il ressort d’une lecture combinée des dispositions des articles 5 et 6 du règlement antisubventions de base qu’il ne peut y avoir un avantage pour le bénéficiaire que si, grâce à la contribution financière des pouvoirs publics, celui-ci est mieux loti qu’en l’absence de contribution. Dès lors, dans la mesure du possible, la méthode utilisée par la Commission pour calculer l’avantage doit permettre de refléter l’avantage effectivement conféré au bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission, T 300/16, EU:T:2019:235, points 207, 208 et 210).
34 Deuxièmement, l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement antisubventions de base dispose que :
« 1. Le montant de la subvention passible de mesures compensatoires est calculé par unité du produit subventionné exporté vers l’Union […]
2. Lorsque la subvention n’est pas accordée par référence aux quantités fabriquées produites, exportées ou transportées, le montant de la subvention passible de mesures compensatoires est déterminé en répartissant, de façon adéquate, la valeur de la subvention totale sur le niveau de production, de vente ou d’exportation du produit en question au cours de la période d’enquête. »
35 À cet égard, il y a lieu de relever que, par sa communication relative au calcul du montant des subventions dans le cadre des enquêtes antisubventions (JO 1998, C 394, p. 6), la Commission a défini des lignes directrices relatives à un tel calcul (ci-après les « lignes directrices »). Le point F de ces lignes directrices, intitulé « Période d’enquête pour le calcul de la subvention : imputation contre répartition », comporte un point b), intitulé « Dénominateur utilisé aux fins de la répartition du montant de la subvention », qui dispose notamment :
« iii) Si l’avantage d’une subvention est limité à un produit donné, les ventes de ce seul produit doivent être utilisées comme dénominateur. Si tel n’est pas le cas, il faut utiliser les ventes totales du bénéficiaire ».
36 Troisièmement, dans le domaine des mesures de défense commerciale, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner. L’exercice de ce pouvoir n’est toutefois pas soustrait au contrôle juridictionnel. En effet, conformément à une jurisprudence constante, le juge de l’Union, dans le cadre de ce contrôle, vérifie le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou l’absence de détournement de pouvoir (voir arrêt du 11 septembre 2014, Gold East Paper et Gold Huasheng Paper/Conseil, T 444/11, EU:T:2014:773, points 71 et 73 et jurisprudence citée).
37 En ce qui concerne plus particulièrement la contestation du choix d’un dénominateur non adéquat, une partie requérante doit rapporter des éléments suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenues dans le règlement en cause concernant ledit dénominateur. En effet, une telle preuve est requise afin d’établir qu’une institution de l’Union a commis une erreur manifeste d’appréciation de nature à justifier l’annulation d’un acte (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, Gold East Paper et Gold Huasheng Paper/Conseil, T 444/11, EU:T:2014:773, point 62 et jurisprudence citée).
38 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de vérifier si la Commission a adopté une méthode appropriée pour calculer le montant unique des subventions passibles de mesures compensatoires des requérantes.
39 D’emblée, il convient de rappeler la méthode de calcul utilisée par la Commission pour définir, en l’espèce, le montant unique des subventions passibles de mesures compensatoires.
40 En premier lieu, la Commission a calculé le montant des subventions reçues par Jushi et Hengshi individuellement pour tous les produits et pas seulement pour les TFV. En deuxième lieu, elle a additionné les montants des subventions individuellement reçues par les requérantes pour obtenir le montant total des subventions, exprimé en pourcentage de leur chiffre d’affaires total cumulé, tous les produits confondus. En troisième lieu, ce taux a été appliqué au chiffre d’affaires total cumulé de Jushi et de Hengshi généré par les TFV exportés vers l’Union au cours de la période d’enquête, pour obtenir le montant total des subventions accordées aux TFV exportés vers l’Union par Jushi et Hengshi considérées ensemble. En quatrième lieu, la Commission a calculé le montant des subventions par tonne de TFV exportée vers l’Union, en divisant le montant total des subventions accordées aux TFV exportés vers l’Union par Jushi et Hengshi considérées ensemble par les quantités combinées de TFV que celles-ci ont exportées vers l’Union au cours de la période d’enquête. Enfin, le montant des subventions par tonne de TFV exportée ainsi trouvé a été exprimé en pourcentage du prix coût, assurance, fret (CAF) unitaire par tonne, pour obtenir le montant unique des subventions passibles de mesures compensatoires, à savoir 10,96 %.
41 Si les requérantes ne reprochent pas à la Commission d’avoir calculé un montant unique des subventions passibles de mesures compensatoires pour les deux sociétés, elles font valoir que ce montant unique aurait dû être calculé sur la base d’une moyenne pondérée de leurs montants individuels des subventions.
42 La méthode de calcul proposée par les requérantes procède de la prémisse que les montants des subventions individuelles de Jushi et de Hengshi devaient être exprimés en pourcentage de leurs exportations respectives de TFV vers l’Union et non pas de leur chiffre d’affaires total cumulé, tous les produits confondus.
43 Cette prémisse est toutefois erronée.
44 En effet, les subventions accordées en l’espèce ont bénéficié à toute la production des requérantes, incluant tant les SFV que les TFV, et pas seulement aux TFV. La Commission a relevé dans ses écritures devant le Tribunal et sans être contredite à cet égard par les requérantes que celles-ci n’ont ni démontré ni même expliqué dans quelle mesure exactement les subventions en question étaient spécifiquement liées à la production des SFV ou des TFV.
45 Dès lors que les subventions accordées en l’espèce bénéficiaient à toute la production des requérantes et pas seulement au produit considéré, à savoir les TFV, c’est à bon droit que la Commission a appliqué l’article 7, paragraphe 2, du règlement antisubventions de base.
46 À cet égard, il y a lieu de relever que cette disposition ne prévoit pas expressément de méthode de calcul pour répartir les montants des subventions totales sur le niveau de production. La Commission disposait en conséquence d’un large pouvoir d’appréciation, pour autant que ladite répartition fût adéquate en termes d’avantage conféré au bénéficiaire.
47 En ce qui concerne plus précisément la notion de « bénéficiaire », ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 33 ci-dessus, le juge de l’Union n’a pas exclu que ce terme puisse comprendre également un « groupe de personnes ». À cet égard, il convient également de rappeler que l’organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a considéré, au point 108 de son rapport dans l’affaire « États-Unis – Mesures compensatoires concernant certains produits en provenance des Communautés européennes » (WT/DS 212/AB/R), que le terme « bénéficiaire » pouvait être interprété comme désignant un « groupe de personnes », qui pouvait être composé de « personnes physiques », de « personnes physiques et morales » ou exclusivement de « personnes morales ».
48 Il en résulte que la méthode de calcul pour répartir de façon adéquate les montants des subventions totales sur le niveau de production peut tenir compte de la circonstance que le bénéficiaire est un groupe de sociétés qui a bénéficié de ces subventions pour toute sa production.
49 En l’espèce, la Commission a expliqué, aux considérants 625, 931 et 932 du règlement d’exécution attaqué, que, dans le calcul pour répartir les montants des subventions totales reçues par Jushi et Hengshi sur le niveau de production, elle a tenu compte du fait que les requérantes étaient des sociétés liées appartenant au même groupe et que, en outre, Jushi produisait aussi la matière première principale utilisée dans le TFV par Hengshi. Elle en a déduit que, en raison de leurs liens, ces sociétés étaient en mesure d’utiliser ces avantages au profit du produit concerné indistinctement et, partant, quel que soit le producteur-exportateur.
50 Les requérantes ne contestent pas avoir reçu les subventions en question, dès lors qu’elles appartiennent au groupe CNBM.
51 En conséquence, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 48 ci-dessus, la Commission pouvait tenir compte de la circonstance que les requérantes appartenaient au même groupe et, de ce fait, pouvait calculer le montant des subventions passible de mesures compensatoires par rapport à leur chiffre d’affaires total, tous les produits confondus, il convient de conclure que la méthode de calcul résumée au point 40 ci-dessus n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation.
52 Cette méthode est d’ailleurs également conforme à sa pratique, telle qu’elle est codifiée par les lignes directrices.
53 En effet, il ressort de l’extrait des lignes directrices cité au point 35 ci-dessus que, dans le cadre du choix du dénominateur utilisé aux fins de la répartition du montant de la subvention, si l’avantage d’une subvention n’est pas limité à un produit donné, il faut utiliser les ventes totales du bénéficiaire. Ainsi, l’approche adoptée par la Commission consistant à diviser les montants des subventions totales reçues par Jushi et Hengshi par leur chiffre d’affaires total cumulé, tous les produits confondus, est, contrairement à ce que les requérantes soutiennent, conforme à sa pratique en matière d’enquêtes antisubventions.
54 En outre, interrogées lors de l’audience sur l’application desdites lignes directrices en l’espèce, les requérantes se sont bornées à affirmer que, malgré l’existence de celles-ci, en tout état de cause, la pratique de la Commission adoptée dans la présente affaire s’écarterait de celle qu’elle suit dans le cadre des enquêtes antidumping. Or, cet argument est dénué de toute pertinence. En effet, premièrement, le règlement (UE) 2016/1036 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2016, relatif a' la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de l’Union européenne (JO 2016, L 176, p. 21, ci-après le « règlement antidumping de base »), et le règlement antisubventions de base traitent de deux matières différentes. Deuxièmement, les règles de calcul de la marge de dumping, d’une part, et du montant des subventions passibles de mesures compensatoires, d’autre part, ne sont pas les mêmes.
55 Par ailleurs, s’agissant de l’argument soulevé dans la réplique, selon lequel la Commission n’aurait pas été cohérente avec la méthodologie adoptée avec les entreprises chinoises du groupe CNBM dans le cadre de la présente enquête antisubventions, ni avec celle adoptée dans l’enquête antisubventions parallèle sur les SFV, il convient de relever que l’adoption d’une approche différente par la Commission se justifie en raison de la diversité des situations en cause. En ce qui concerne notamment les entreprises chinoises du groupe CNBM, celles-ci ne vendaient pas toutes le produit considéré, contrairement aux requérantes. Concernant l’enquête antisubventions parallèle sur les SFV, il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’il n’y avait qu’une seule société, à savoir Jushi, qui produisait le produit considéré (en l’occurrence les SFV), de sorte que le calcul d’un montant unique des subventions pour le groupe ne s’avérait pas nécessaire.
56 Enfin, quant à l’argument concernant la transmission de l’avantage de Jushi à Hengshi par le biais de la vente des SFV, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, ainsi qu’il ressort du point 146 du rapport de l’organe d’appel de l’OMC dans l’affaire « États-Unis – Détermination finale en matière de droits compensateurs concernant certains bois d’œuvre résineux en provenance du Canada » (WT/DS 257/AB/R), l’autorité chargée de l’enquête doit établir que l’avantage conféré par une contribution financière directement aux producteurs de la matière première est transmis, au moins en partie, aux producteurs du produit transformé visé par l’enquête, lorsque les producteurs de la matière première et les transformateurs en aval exercent leurs activités dans des conditions de pleine concurrence.
57 Or, ainsi qu’il ressort de l’arrêt de ce jour, Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics et Jushi Egypt for Fiberglass Industry/Commission (T 301/20), notamment de l’analyse de la première branche du premier moyen, le prix des SFV vendus par Jushi à Hengshi n’était pas fixé dans des conditions de pleine concurrence.
58 Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure, compte tenu de la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus, que, les requérantes restant en défaut d’apporter des éléments suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenues dans le règlement d’exécution attaqué concernant la méthode adoptée par la Commission pour calculer le montant unique des subventions passibles de mesures compensatoires des requérantes, la première branche du premier moyen doit être rejetée.
2. Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de la violation de l’article 1er, paragraphe 1, ainsi que de l’article 24, paragraphe 1, du règlement antisubventions de base
59 Les requérantes font valoir que c’est à tort que la Commission a soumis les exportations de TFV de Hengshi vers l’Union à des droits compensateurs ainsi qu’à des droits antidumping, dès lors que l’article 24, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement antisubventions de base empêche cette institution d’appliquer simultanément ces deux droits à un même produit considéré en vue de remédier à la même situation.
60 Or, la Commission ayant, dans le cadre de l’enquête antidumping parallèle, calculé la valeur normale des TFV de Hengshi sur la base de l’article 2, paragraphe 5, du règlement antidumping de base, dès lors qu’elle avait estimé que le prix des SFV vendus par Jushi à Hengshi n’avait pas été fixé dans des conditions de pleine concurrence, il s’ensuivrait que le droit antidumping imposé à cette dernière neutralise déjà les subventions qui lui ont été transmises par l’intermédiaire des ventes de SFV de Jushi.
61 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
62 D’emblée, il convient de rappeler que l’article 24, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement antisubventions de base prévoit qu’« aucun produit ne peut être soumis à la fois à des droits antidumping et à des droits compensateurs en vue de remédier à une même situation résultant d’un dumping ou de l’octroi d’une subvention à l’exportation ».
63 Le règlement antisubventions de base dresse une liste de douze exemples de ces subventions à son annexe I.
64 En l’espèce, la Commission a expliqué, aux considérants 1119 et 1142 du règlement d’exécution attaqué, avoir examiné si certains régimes de subvention étaient en réalité des régimes de subventions subordonnées aux résultats à l’exportation, qui ont pour effet de réduire les prix à l’exportation et d’augmenter d’autant les marges de dumping, afin de décider s’il était nécessaire de les déduire de la marge de dumping calculée dans le cadre de l’enquête antidumping parallèle conformément à l’article 24, paragraphe 1, du règlement antisubventions de base. Elle a ajouté être parvenue à la conclusion que, aucun régime de subventions subordonnées aux résultats à l’exportation en Égypte n’étant constaté, cette disposition n’était pas applicable en l’espèce.
65 Or, les requérantes ne contestent pas qu’aucun des régimes de subvention constatés en l’espèce ne constituait un régime de subventions subordonnées aux résultats à l’exportation.
66 Quant à l’argument selon lequel la question de l’existence d’une double mesure se pose également lorsque la valeur normale pour le calcul de la marge antidumping ne repose pas sur les prix intérieurs, mais sur le recours à des valeurs de substitution, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 543 du rapport de l’organe d’appel de l’OMC du 11 mars 2011 dans l’affaire « États-Unis – Droits antidumping et droits compensateurs définitifs visant certains produits en provenance de Chine » (WT/DS 379/AB/R), qui opère un renvoi à la note en bas de page no 972 du rapport du groupe spécial dans cette même affaire, les constats sur les doubles mesures correctives dans le contexte de subventions internes accordées dans des pays à économie de marché sont faits à titre surabondant et de façon hypothétique, dès lors que ces deux instances n’ont pas été saisies d’une telle question. En effet, cette jurisprudence concerne, en substance, la compatibilité de l’imposition de droits compensateurs avec l’imposition des droits antidumping calculés selon une méthode « économie autre que de marché » (ci-après la « méthode NME ») sur les mêmes produits. C’est d’ailleurs dans ce contexte que l’organe d’appel de l’OMC a conclu, au point 583 de son rapport, que « l’imposition de doubles mesures correctives, c’est-à-dire le fait de neutraliser deux fois le même subventionnement par l’imposition simultanée de droits antidumping calculés sur la base d’une méthode NME et de droits compensateurs, [était] incompatible avec l’article 19.3 de l’[a]ccord SMC ».
67 Or, dans le cadre de l’enquête antidumping parallèle, notamment en ce qui concerne le cas de l’Égypte, la Commission n’a pas utilisé la méthode NME pour calculer la valeur normale des requérantes. Le rapport cité au point 66 ci-dessus n’est donc pas pertinent en l’espèce.
68 En tout état de cause, comme le relève la Commission au considérant 1142 du règlement d’exécution attaqué, l’ajustement effectué conformément à l’article 2, paragraphe 5, du règlement antidumping de base, dans le cadre de l’enquête antidumping parallèle, tenait à la circonstance que le prix auquel Jushi vendait les SFV à Hengshi n’était pas fixé dans des conditions de pleine concurrence, au motif qu’il ne reflétait pas le prix courant des SFV pratiqué par Jushi aux acheteurs indépendants sur le marché égyptien. Ainsi, la Commission n’a pas ajusté le prix des SFV payé par Hengshi auprès de Jushi, parce que celui-ci était affecté par une distorsion en raison des subventions reçues par Jushi.
69 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter la seconde branche du premier moyen et, dès lors, celui-ci dans son intégralité.
B. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 2, sous a) et b), de l’article 3, point 1, sous a), ainsi que de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement antisubventions de base
70 Ce moyen se divise en deux branches.
1. Sur la première branche du deuxième moyen, tirée de la violation de l’article 2, sous a) et b), ainsi que de l’article 3, point 1, sous a), du règlement antisubventions de base
71 Les requérantes invoquent trois griefs principaux au soutien de cette branche. Premièrement, selon elles, l’interprétation par la Commission de l’article 3, point 1), sous a), du règlement antisubventions de base n’est pas justifiée au regard du droit de l’Union. Deuxièmement, l’invocation par la Commission du droit de l’OMC pour interpréter l’article 3, point 1), sous a), de ce règlement serait dépourvue de fondement. Troisièmement, l’interprétation par la Commission de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), 1), de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires (ci-après l’« accord SMC ») ne respecterait pas la jurisprudence de l’OMC et le droit international public.
72 À l’appui du premier grief, les requérantes soutiennent qu’il ressort de l’interprétation littérale de l’article 3, point 1, sous a), du règlement antisubventions de base, dont le libellé serait clair et précis et sans qu’il soit besoin d’ailleurs de l’interpréter à la lumière de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (ci-après la « convention de Vienne ») et du projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, tel qu’il a été adopté en 2001 par la Commission du droit international des Nations unies (ci-après les « articles de la CDI »), que, non seulement les pouvoirs publics octroyant la contribution financière, mais aussi la contribution financière elle-même, doivent être du ressort territorial du pays d’origine ou d’exportation. Cette interprétation serait confortée par le contexte global du règlement antisubventions de base, notamment l’article 10, paragraphe 7, et l’article 13, paragraphe 1, de ce dernier.
73 À l’appui du deuxième grief, les requérantes font valoir que c’est à tort que la Commission a interprété l’article 3, point 1, sous a), du règlement antisubventions de base à la lumière du droit de l’OMC. Elles indiquent que si, selon la jurisprudence, le juge de l’Union peut contrôler la légalité d’un acte de l’Union à la lumière des règles de l’OMC lorsque l’Union entend donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, toutefois, en l’espèce, une interprétation à la lumière du droit de l’OMC ne peut être invoquée à l’égard des dispositions du règlement antisubventions de base qui diffèrent de celles de l’accord SMC. Or, selon les requérantes, les termes de l’accord SMC diffèrent manifestement de ceux utilisés par ce règlement en ce qui concerne la définition de la notion de « subvention ».
74 À l’appui du troisième grief, les requérantes arguent que, à supposer qu’il doive être tenu compte du droit de l’OMC pour interpréter l’expression « pouvoirs publics » dans le règlement antisubventions de base, l’interprétation par la Commission de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), 1), de l’accord SMC demeure erronée, dans la mesure où elle méconnaît l’article 31, paragraphes 1 et 3, de la convention de Vienne. En effet, il ressortirait clairement de cet article de l’accord SMC que les actes des pouvoirs publics de pays tiers ne peuvent être attribués aux pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation. Cette interprétation serait confirmée par d’autres dispositions de cet accord, telles que l’article 13, paragraphes 1, 2 et 4, et l’article 18, paragraphe 1, sous a).
75 En outre, l’article 11 des articles de la CDI ne serait pas une règle « pertinente » de droit international au sens de l’article 31, paragraphe 3, sous c), de la convention de Vienne pour interpréter l’expression « pouvoirs publics » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), 1), de l’accord SMC. L’organe d’appel de l’OMC n’en aurait pas jugé autrement dans l’affaire « États-Unis – Droits antidumping et droits compensateurs définitifs visant certains produits en provenance de Chine » (WT/DS 379/AB/R). Dans la réplique, les requérantes ajoutent que, si le droit applicable dans cette enquête avait été l’accord SMC au lieu du règlement antisubventions de base, la Commission aurait pu qualifier de subventions, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de l’accord SMC, les contributions financières accordées par des entités chinoises aux requérantes, et ce sans avoir à « attribuer » ces contributions financières aux pouvoirs publics égyptiens sur la base de l’article 11 des articles de la CDI. L’article 11 des articles de la CDI ne serait en tout état de cause pas applicable en l’espèce, dès lors qu’il a vocation à régir le comportement d’un État incorporé à un autre État à la suite de l’acquisition d’un territoire, qui est attribuable à l’État succédant, ou encore l’adoption ultérieure par un État d’un comportement répréhensible privé qui a été commis ou est en train de l’être. En effet, ce seraient les articles 16 à 18 des articles de la CDI qui régissent la responsabilité de l’État en raison du fait d’un autre État, et non l’article 11 de ces articles.
76 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
77 Ainsi qu’il ressort du point 72 ci-dessus, selon les requérantes, l’interprétation par la Commission de l’article 3, point 1), sous a), du règlement antisubventions de base, notamment de la notion de « pouvoirs publics » du pays d’origine ou d’exportation, n’est pas justifiée au regard du droit de l’Union.
78 Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, chaque disposition de droit de l’Union doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement, C 379/15, EU:C:2016:603, point 49 et jurisprudence citée).
79 À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que l’article 3 du règlement antisubventions de base dispose qu’une subvention est réputée exister si les conditions énoncées à ses points 1 et 2 sont remplies, à savoir s’il y a une « contribution financière » des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation et si un « avantage » est ainsi conféré.
80 L’article 2, sous b), dudit règlement définit la notion de « pouvoirs publics » comme tout organisme public du ressort territorial du pays d’origine ou d’exportation.
81 Or, la définition de « pouvoirs publics » figurant à cet article se limite à interpréter la notion de « pouvoirs publics » comme incluant les organismes publics du pays d’origine ou d’exportation. Toutefois, cette disposition n’exclut pas que la contribution financière puisse être imputée aux pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation du produit concerné, en vertu des éléments de preuve spécifiques disponibles.
82 Deuxièmement, il convient de relever que le considérant 5 de ce règlement dispose qu’« [i]l est nécessaire, en déterminant l’existence d’une subvention, de démontrer l’octroi d’une contribution financière par les pouvoirs publics ou tout organisme public, sur le territoire d’un pays, ou l’existence d’une forme de protection des revenus ou de soutien des prix au sens de l’article XVI du GATT 1994, et qu’un avantage a bénéficié à une entreprise ».
83 Or, les termes « sur le territoire d’un pays » employés dans ce considérant n’impliquent pas que la contribution financière doive provenir directement des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation. Au contraire, l’utilisation de ces termes, ainsi que le relève la Commission, n’exclut pas la possibilité de conclure que les contributions financières peuvent être imputées aux pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation du produit considéré.
84 Ainsi, le règlement antisubventions de base n’exclut pas que, même si la contribution financière ne provient pas directement des pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, cette contribution puisse leur être imputée.
85 La conclusion qui précède est d’autant plus pertinente dans le contexte spécifique de la zone CECS, sur laquelle sont implantées les requérantes.
86 En premier lieu, la Commission a pris en considération, au considérant 690 du règlement d’exécution attaqué, deux déclarations de deux présidents égyptiens relatives à la zone CECS. Une première, datant de 2012, qualifiait cette zone de projet clé pour la coopération bilatérale entre l’Égypte et la Chine. Une deuxième, datant de 2014, était relative à l’initiative « Une ceinture, une route » et précisait notamment que cette initiative était une opportunité importante pour le redressement égyptien et que les autorités égyptiennes étaient prêtes à participer activement et à apporter leur soutien. Les autorités égyptiennes souhaitaient coopérer avec la Chine pour développer, notamment, les projets du corridor du canal de Suez et de la zone CECS et inciter les entreprises chinoises à investir en Égypte.
87 À cet égard, le considérant 691 du règlement d’exécution attaqué indique que les caractéristiques de l’initiative chinoise « Une ceinture, une route » sont connues et que, selon les avis d’orientation du conseil des affaires de l’État sur la promotion de la coopération internationale en matière de capacités de production et de fabrication d’équipements chinois du 13 mai 2015, les mesures que les entreprises qui « s’installent à l’étranger » peuvent recevoir comprennent notamment les politiques fiscales et d’aide fiscale, les prêts assortis de conditions libérales, le soutien financier accordé par le biais de prêts syndiqués, les crédits à l’exportation et le financement de projets, les investissements en fonds propres et enfin, l’assurance-crédit à l’exportation.
88 En deuxième lieu, la Commission a pris en considération, au considérant 693 du règlement d’exécution attaqué, le fait que la zone CECS a fait l’objet de l’accord de coopération de 2016 entre les pouvoirs publics chinois et égyptiens. Or, cet accord prévoit notamment, selon son article 1er, de laisser la possibilité à la République populaire de Chine d’appliquer certaines de ses lois au sein de la zone CECS. L’article 4, paragraphe 1, dudit accord prévoit que « [l]e gouvernement chinois considère la zone [CECS] comme la zone de coopération économique et commerciale de la Chine à l’étranger » et que « [l]a zone de coopération, pendant la construction, l’attraction des exploitants et l’exploitation, a droit au soutien politique et à la facilitation fournis par le gouvernement chinois pour les zones de coopération économique et commerciale d’outre-mer ». L’article 5, paragraphe 1, de cet accord dispose également que les pouvoirs publics chinois soutiennent la zone de coopération en « [e]ncourageant les établissements financiers concernés à offrir une facilité financière en faveur […] des projets d’investissement situés dans la zone de coopération, pour autant que les conditions de prêt et les exigences d’utilisation des prêts soient respectées ».
89 En troisième lieu, le considérant 660 du règlement d’exécution attaqué indique que, pour assurer la mise en œuvre de l’accord de coopération de 2016, les pouvoirs publics chinois et égyptiens ont mis en place un mécanisme de consultation à trois niveaux, notamment un accord de coopération pour la création d’une commission administrative chargée de la zone CECS, un comité de direction de la zone, puis un signalement des problèmes et des difficultés par la société Egypt TEDA et les homologues égyptiens. Il ressort d’ailleurs du considérant 652 du même règlement qu’Egypt TEDA est détenue à 80 % par les pouvoirs publics chinois et à 20 % par les pouvoirs publics égyptiens et vise à favoriser le développement de la zone CECS en Égypte.
90 Enfin, il ressort des considérants 726 et 745 du règlement d’exécution attaqué que le soutien financier accordé aux sociétés chinoises établies en Égypte était particulièrement significatif.
91 Les pouvoirs publics chinois et égyptiens ont donc, en étroite collaboration, mis en place la zone CECS comme une zone présentant des particularités juridiques et économiques qui permettaient aux autorités publiques chinoises d’accorder directement toutes les facilités inhérentes à l’initiative chinoise « Une ceinture, une route » aux entreprises chinoises établies dans cette zone.
92 Dans ces conditions, il ne saurait être admis qu’une construction économique et juridique d’une ampleur telle que celle de la zone CECS, conçue en étroite collaboration entre les pouvoirs publics chinois et égyptiens au plus haut niveau, soit soustraite au règlement antisubventions de base, sans que cela porte atteinte à son effet utile ou à sa finalité et à ses objectifs.
93 Troisièmement, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, l’interprétation de la Commission de l’article 3, point 1, sous a), du règlement antisubventions de base n’est contraire ni à l’article 10, paragraphe 7, ni à l’article 13, paragraphe 1, de ce même règlement. En effet, s’agissant de l’article 10, paragraphe 7, le règlement antisubventions de base n’exclut nullement que les pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation puissent être consultés sur les contributions financières qui leur sont imputables. En l’espèce, il ressort d’ailleurs du dossier que la Commission a bien invité les pouvoirs publics égyptiens à engager des consultations sur des questions telles que les prêts préférentiels accordés par des entités chinoises.
94 S’agissant de l’article 13, paragraphe 1, dudit règlement, qui permet notamment au pays d’origine ou d’exportation d’éliminer la subvention, de la limiter ou de prendre d’autres mesures relatives à ses effets, une telle possibilité reste valable dans les cas où la contribution financière peut être imputée aux pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation. En effet, en l’espèce, les pouvoirs publics égyptiens avaient la possibilité de mettre fin à la coopération étroite avec les pouvoirs publics chinois en ce qui concerne les contributions financières ou de proposer des mesures visant à limiter les effets des subventions en cause.
95 Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que ni l’article 3, point 1, sous a), du règlement antisubventions de base, ni l’économie générale de celui-ci n’excluent qu’une contribution financière accordée par les pouvoirs publics d’un pays tiers puisse être imputée aux pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation dans un cas tel que celui en cause en l’espèce, au vu des éléments de preuve spécifiques disponibles, tels qu’ils sont exposés aux points 86 à 91 ci-dessus.
96 En outre, contrairement à ce que les requérantes allèguent, cette conclusion est confortée par les dispositions de l’article 1er de l’accord SMC, à la lumière duquel il faut interpréter le règlement antisubventions de base. À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’hypothèse où l’Union aurait entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, ou dans l’hypothèse où l’acte de l’Union renverrait expressément à des dispositions précises des accords de l’OMC, il appartient au juge de l’Union de contrôler la légalité de l’acte de l’Union en cause au regard des règles de l’OMC (voir, par analogie, arrêt du 14 juillet 2021, Interpipe Niko Tube et Interpipe Nizhnedneprovsky Tube Rolling Plant/Commission, T 716/19, EU:T:2021:457, point 95).
97 Or, il ressort du considérant 3 du règlement antisubventions de base que ce dernier a notamment pour objet de « transposer » en droit de l’Union, « dans la mesure du possible », les règles de l’accord SMC.
98 Par ailleurs, il a déjà été établi par la jurisprudence que l’article 3 du règlement antisubventions de base, intitulé « Définition d’une subvention », et l’article 1er de l’accord SMC étaient en très grande partie identiques quant à leur libellé et entièrement identiques quant à leur substance (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission, T 300/16, EU:T:2019:235, point 99).
99 En outre, aucune volonté du législateur de s’écarter de la substance de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), 1), de l’accord SMC ne ressort des considérants du règlement antisubventions de base. Au contraire, ainsi qu’il ressort du considérant 3 de ce règlement cité au point 97 ci-dessus, le législateur a bien voulu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’accord SMC au sens de la jurisprudence citée au point 96 ci-dessus.
100 Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les dispositions du règlement antisubventions de base doivent être interprétées, dans la mesure du possible, à la lumière des dispositions correspondantes de l’accord SMC (arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission, T 300/16, EU:T:2019:235, point 101). Il en va de même de l’article 3 de ce règlement, qui vise à mettre en œuvre le contenu de l’article 1er de l’accord SMC (arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission, T 300/16, EU:T:2019:235, point 102).
101 S’agissant de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), 1), de l’accord SMC, il convient de relever, en premier lieu, que ce dernier définit la subvention comme étant une contribution financière des pouvoirs publics ou de tout organisme public du ressort territorial d’« un » membre de l’OMC. Cette formulation n’exclut donc pas la possibilité qu’une contribution financière octroyée par un pays tiers puisse être imputée aux pouvoirs publics du pays d’origine ou d’exportation, dès lors qu’il suffit que la contribution financière des pouvoirs publics ou de tout organisme public soit du ressort territorial d’« un » membre de l’OMC.
102 En deuxième lieu, les articles 13 et 18 de l’accord SMC, qui portent respectivement sur les consultations et les engagements, ne remettent pas en cause les considérations qui précèdent. En effet, le libellé et l’objet de ces dispositions n’excluent pas les situations dans lesquelles la contribution financière est imputée à un membre de l’OMC, dès lors que, d’une part, les membres dont les produits pourront faire l’objet d’une enquête peuvent être consultés sur des contributions financières qui leur sont imputables et, d’autre part, les membres dont les produits pourront faire l’objet d’une enquête peuvent imposer des limitations aux subventions qui leur sont imputables.
103 Eu égard à ce qui précède, il convient de relever que, dès lors que la Commission a correctement interprété le règlement antisubventions de base à la lumière de l’accord SMC, la circonstance qu’elle a ou non pris en compte l’article 11 des articles de la CDI est inopérante. Partant, il convient de rejeter également le troisième grief de la présente branche et, par voie de conséquence, celle-ci dans son intégralité.
2. Sur la seconde branche du deuxième moyen, tirée de la violation de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement antisubventions de base
104 Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a méconnu l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement antisubventions de base en ce qu’elle a compensé des contributions en faveur de Jushi qui ne relève pas du ressort territorial de l’autorité qui a accordé les subventions. En effet, selon elles, il ressort de ces dispositions qu’une subvention doit, pour être considérée comme étant spécifique au sens du règlement antisubventions de base, être mise à la disposition d’entreprises « relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde la subvention » et que l’autorité sous la juridiction de laquelle les entreprises recevant les subventions doivent être placées est celle qui accorde les subventions et non celle qui aurait reconnu ou adopté ces subventions. Une telle interprétation serait également confirmée par la pratique de la Commission ainsi que par la jurisprudence de l’OMC, notamment dans l’affaire « États-Unis – Droits antidumping et droits compensateurs définitifs visant certains produits en provenance de Chine » (WT/DS 379/AB/R). Or, dans la mesure où, en l’espèce, l’autorité accordant les subventions responsable des actions des organismes publics, tels que les banques d’État, la commission de supervision et d’administration des actifs publics du conseil des affaires de l’État (SASAC) et le fonds de la route de la soie, était la République populaire de Chine et non les pouvoirs publics égyptiens, les requérantes en concluent que les entreprises situées en Égypte ne relèvent pas de la juridiction de l’autorité qui accorde les subventions et que, dès lors, les contributions financières accordées à Jushi par ces organismes ne peuvent pas être considérées comme spécifiques au sens de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement antisubventions de base. Cette conclusion serait renforcée par le fait que ces subventions n’ont pas été accordées directement à Jushi par lesdits organismes, mais ont été octroyées aux sociétés mères de Jushi en Chine.
105 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
106 À cet égard, l’article 4 du règlement antisubventions de base prévoit à son paragraphe 3 qu’une subvention qui est limitée à certaines entreprises situées à l’intérieur d’une région géographique déterminée relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde la subvention est spécifique.
107 Il ressort de l’analyse de la première branche du deuxième moyen que le soutien préférentiel octroyé par les pouvoirs publics chinois peut être imputé aux pouvoirs publics égyptiens. En effet, comme le soutient la Commission, l’imputabilité aux pouvoirs publics égyptiens des mesures préférentielles accordées par les pouvoirs publics chinois dont ont bénéficié les sociétés chinoises établies dans la zone CECS implique que les pouvoirs publics égyptiens ont la qualité d’autorités ayant accordé les financements préférentiels. Par ailleurs, cette considération est valable tant pour les prêts accordés directement à Jushi que pour les prêts accordés aux sociétés mères de Jushi en Chine, dont Jushi a bénéficié.
108 Il s’ensuit que la Commission n’a pas méconnu l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement antisubventions de base.
109 Partant, il convient de rejeter la seconde branche et le deuxième moyen dans son ensemble.
C. Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 30, de l’article 3, point 2, de l’article 5 ainsi que de l’article 6, sous d), du règlement antisubventions de base
110 Ce moyen se compose de deux branches.
1. Sur la première branche du troisième moyen, tirée de la violation de l’article 30 du règlement antisubventions de base ainsi que des droits de la défense
111 Les requérantes soutiennent que la Commission a méconnu leurs droits de la défense ainsi que l’article 30 du règlement antisubventions de base, dès lors qu’elle n’aurait pas divulgué, avant la publication du règlement d’exécution attaqué, à elles ou aux pouvoirs publics égyptiens, son raisonnement complet sur le calcul du montant de l’avantage résultant de la fourniture de terrains à Jushi, en particulier en ce qui concerne le calcul de la valeur du droit d’usufruit, tel qu’il figure au considérant 848 du règlement d’exécution attaqué. La Commission les aurait, certes, informées de son intention de compenser la fourniture de terrains à Jushi en utilisant l’évaluation réalisée en 2016 par un comité d’experts afin de dresser une carte des prix demandés pour l’usufruit de terrains dans la ZCS (ci-après l’« évaluation foncière de 2016 ») comme valeur de référence pour calculer le montant de l’avantage. Elle n’aurait toutefois pas expliqué pour quelles raisons elle avait calculé le montant de l’avantage en multipliant la valeur annuelle du droit d’usufruit par 50 ans au lieu d’utiliser une formule de calcul adéquate.
112 Or, si elles avaient eu connaissance des motifs invoqués par la Commission au considérant 848 du règlement d’exécution attaqué dès le stade de la phase administrative, elles auraient pu fournir des preuves et des observations additionnelles réfutant les arguments de cette dernière, telles que celles qu’elles ont présentées dans le cadre de la seconde branche du présent moyen. À cet égard, les requérantes précisent, d’une part, qu’elles auraient été en mesure de lui faire remarquer que les rubriques de l’évaluation foncière de 2016 prévoient clairement que les prix sont fixés pour « [l]a valeur de marché actuelle de l’usufruit foncier annuel en dollars/m² » et, d’autre part, qu’elles auraient pu demander aux pouvoirs publics égyptiens de fournir des preuves supplémentaires confirmant que la modalité de paiement du taux annuel pour la valeur du droit d’usufruit, conformément à l’évaluation foncière de 2016, consistait en un versement annuel.
113 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
114 D’emblée, il convient d’observer que, en vertu de l’article 30, paragraphes 1 et 2, du règlement antisubventions de base, les exportateurs concernés peuvent demander une information finale sur les faits et les considérations essentiels sur la base desquels il est envisagé de recommander l’institution de mesures définitives. Cette obligation d’information finale vise à garantir le respect des droits de la défense des entreprises concernées (voir arrêt du 4 octobre 2006, Moser Baer India/Conseil, T 300/03, EU:T:2006:289, point 125 et jurisprudence citée).
115 En outre, selon une jurisprudence constante en matière de mesures de défense commerciale, les entreprises concernées par une enquête précédant l’adoption de mesures définitives doivent être mises en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués (voir arrêt du 4 octobre 2006, Moser Baer India/Conseil, T 300/03, EU:T:2006:289, point 126 et jurisprudence citée).
116 Toutefois, il convient de préciser que le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter. Ainsi ce droit ne commande pas que, avant d’adopter sa position finale sur l’appréciation des éléments présentés par une partie, l’administration soit tenue d’offrir à cette dernière une nouvelle possibilité de s’exprimer à propos desdits éléments (voir, par analogie, arrêt du 14 juillet 2021, Interpipe Niko Tube et Interpipe Nizhnedneprovsky Tube Rolling Plant/Commission, T 716/19, EU:T:2021:457, point 211 et jurisprudence citée).
117 Enfin, l’existence d’une irrégularité dans le respect de ces droits ne saurait conduire à l’annulation d’un règlement instaurant un droit compensateur que dans la mesure où il existe une possibilité que, en raison de cette irrégularité, la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent, affectant ainsi concrètement les droits de la défense de la partie concernée. Toutefois, il ne saurait être imposé à cette partie de démontrer que la décision de la Commission aurait été différente, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement exclue, dès lors que ladite partie aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité procédurale dénoncée (voir, par analogie, arrêt du 14 juillet 2021, Interpipe Niko Tube et Interpipe Nizhnedneprovsky Tube Rolling Plant/Commission, T 716/19, EU:T:2021:457, point 210 et jurisprudence citée). En revanche, il incombe à la partie concernée d’établir concrètement comment elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de ladite irrégularité procédurale, sans pouvoir se limiter à invoquer l’impossibilité de fournir des observations sur des situations hypothétiques (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2019, Jindal Saw et Jindal Saw Italia/Commission, T 300/16, EU:T:2019:235, point 79).
118 C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’analyser la présente branche.
119 Tout d’abord, il convient de rappeler que, au considérant 844 du règlement d’exécution attaqué, la Commission explique avoir reçu, à la suite de l’information finale et de l’information finale additionnelle, des commentaires de la part de Jushi faisant valoir plusieurs erreurs qu’elle aurait commises en déterminant la référence concernant la vente des terrains. Cette société arguait notamment que la valeur totale du droit d’usufruit sur une parcelle ne saurait être déterminée en multipliant le prix annuel de l’usufruit par la durée totale du contrat d’usufruit, mais bien en divisant le prix annuel de l’usufruit par le rendement moyen de l’investissement. La raison en serait que le montant annuel initial de l’usufruit diminue de valeur chaque année en raison de l’inflation. La Commission devait donc diviser le prix annuel par mètre carré en dollar des États-Unis (USD) par le bénéfice moyen escompté par Egypt TEDA sur le terrain.
120 C’est dans ce contexte que la Commission explique, au considérant 848 du règlement d’exécution attaqué, que, concernant cet argument, elle a estimé que la valeur d’un usufruit était normalement déterminée en tant que pourcentage de la valeur marchande de l’actif concerné (c’est-à-dire la valeur de la pleine propriété) selon la durée de l’usufruit : plus celle-ci est longue, plus la valeur de l’usufruit se rapproche de celle de la pleine propriété. Étant donné que la pleine propriété d’un terrain est, par définition, sans limitation de durée, la multiplication par 50 (50 ans) du taux d’usufruit annuel donnerait une valeur de référence toujours inférieure à la valeur réelle du terrain en pleine propriété. La Commission relève en outre que, dans l’exemple concret du contrat d’usufruit signé en 2016 par Egypt TEDA, le montant total pour l’obtention du droit d’usufruit devait être versé en une seule fois à la date de prise d’effet de ce droit. Puisqu’il n’y a pas eu de loyers annuels en tant que tels dans la réalité, l’argument avancé serait inopérant.
121 À cet égard, premièrement, il convient de relever que, déjà au stade de l’information finale, la Commission avait expliqué aux requérantes les raisons pour lesquelles elle avait considéré que la valeur totale d’achat d’un terrain nu pour le promoteur pouvait être calculée en multipliant la valeur annuelle moyenne de l’usufruit dans la ZCS par la durée du contrat d’usufruit signé avec Egypte TEDA pour la zone d’expansion de 6 km2 de la zone CECS. En effet, force est de constater que le point 582 de l’information finale était rédigé de la même façon que le considérant 840 du règlement d’exécution attaqué. Or, les requérantes ne contestent pas avoir pu faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des éléments et des circonstances alléguées dans cette information.
122 Deuxièmement, dans la mesure où l’explication de la Commission figurant au considérant 848 du règlement d’exécution attaqué constitue la réponse de cette dernière à un grief soulevé par les requérantes dans le cadre de l’information finale et de l’information finale additionnelle et, de ce fait, un élément venant à l’appui de la position finale qu’elle entendait adopter, il ne saurait lui être reproché, sur la base de la jurisprudence citée au point 116 ci-dessus, d’avoir méconnu les droits de la défense des requérantes en ne divulguant pas, pendant la phase administrative, cet élément.
123 Troisièmement, les requérantes ne sauraient valablement soutenir ni qu’elles auraient pu demander des informations supplémentaires aux pouvoirs publics égyptiens, ni qu’elles auraient pu invoquer devant la Commission les mêmes arguments que ceux qu’elles ont soulevés devant le Tribunal dans le cadre de la seconde branche du troisième moyen si elles avaient connu à l’avance le raisonnement de la Commission figurant au considérant 848 du règlement d’exécution attaqué.
124 En effet, d’une part, comme la Commission l’a clairement précisé aux considérants 828 et 840 du règlement d’exécution attaqué, les pouvoirs publics égyptiens ne lui ont communiqué ni des statistiques sur les prix des terrains dans la ZCS, ni les procédures de mise en concurrence relatives aux opérations d’achat effectuées par les promoteurs. En outre, même à la suite de l’adoption du règlement d’exécution attaqué et dans le cadre de la présente procédure juridictionnelle, les requérantes n’ont pas été en mesure de présenter les prétendues informations citées au point 112 ci-dessus dont disposeraient les pouvoirs publics égyptiens. D’autre part, il doit être relevé que, ainsi qu’il ressort du point 157 ci-après, tous les arguments avancés par les requérantes dans le cadre de la seconde branche du troisième moyen doivent être rejetés.
125 Ainsi, il n’est pas démontré que, si les requérantes avaient pu, pendant la procédure administrative, présenter les éléments de preuve ou arguments supplémentaires cités au point 124 ci-dessus, la Commission aurait pu aboutir à une conclusion différente.
126 Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter la première branche du troisième moyen.
2. Sur la seconde branche du troisième moyen, tirée de la violation de l’article 3, point 2, de l’article 5 ainsi que de l’article 6, sous d), du règlement antisubventions de base
127 Selon les requérantes, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation lors de l’établissement de la valeur de référence pour le calcul du montant de l’avantage résultant de la fourniture de terrains à Jushi. Elles présentent trois griefs au soutien de cette branche.
a) Sur le premier grief, tiré de l’utilisation d’une formule inadéquate pour calculer la valeur intégrale du droit d’usufruit
128 Les requérantes font valoir que la Commission aurait appliqué une formule inadéquate pour calculer la valeur intégrale du droit d’usufruit, dès lors qu’elle aurait comparé le prix des parcelles achetées par Jushi en pleine propriété avec la valeur annuelle d’un droit d’usufruit multiplié par le nombre d’années de ce droit. Or, cette valeur de référence ne refléterait pas les caractéristiques de vente des parcelles de Jushi, car la valeur en pleine propriété d’un droit d’usufruit annuel sur une parcelle ne correspond pas à la valeur locative annuelle d’une parcelle multipliée par le nombre d’années du droit d’usufruit. En effet, dans la mesure où le paiement annuel d’un loyer en vertu d’un contrat d’usufruit peut être simplifié en un « droit perpétuel », à savoir un flux monétaire constant et identique sans fin, la Commission aurait dû utiliser la méthode des flux de trésorerie actualisés pour son calcul. Ce calcul correspond à la formule suivante :
« PV » = valeur actuelle ; « C » = flux de trésorerie ; « r » = taux d’actualisation.
129 Or, la formule adoptée par la Commission ne tiendrait pas compte du fait que chaque paiement n’est qu’une fraction du précédent en raison de la valeur temps de l’argent.
130 Ensuite, la circonstance que, dans l’exemple du contrat signé par Egypt TEDA en 2016 au sujet de l’expansion de 6 km2 de la zone CECS, le paiement total du droit d’usufruit a été effectué en une seule fois ne serait pas pertinente, dans la mesure où ce contrat établit un prix fixe pendant 50 ans et non un loyer annuel et, en tout état de cause, le droit d’usufruit en question ne devrait pas être réglé en une seule fois, mais en plusieurs versements.
131 Enfin, la Commission se serait fondée de façon erronée sur l’évaluation foncière de 2016 pour déterminer la valeur de référence, puisque cette évaluation indique des prix pour la valeur annuelle de marché contemporaine de l’usufruit foncier et non des prix à payer en un versement unique. En outre, l’achat de l’usufruit en question par Egypt TEDA aurait été négocié avant la modification de la loi sur la propriété foncière et l’évaluation foncière de 2016, qui constitue le début d’une nouvelle pratique de fixation par les pouvoirs publics égyptiens des prix des droits d’usufruit dans la ZCS. En conséquence, la Commission aurait dû calculer la valeur de référence en appliquant une formule qui prenne en considération les conditions de paiement prévues dans cette évaluation, à savoir des versements annuels, et non se limiter à multiplier la valeur annuelle de l’usufruit foncier par le nombre estimé d’annuités de ce droit.
132 Par ailleurs, les requérantes arguent que, si la Commission avait des doutes à ce sujet, elle aurait dû, notamment eu égard à son obligation de mener son enquête avec diligence, demander des informations complémentaires aux pouvoirs publics égyptiens. Or, elle n’aurait pas demandé ces informations pertinentes et aurait même empêché les pouvoirs publics égyptiens de les fournir en ne divulguant pas son raisonnement avant l’adoption du règlement d’exécution attaqué.
133 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
134 Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la Commission a précisé, au considérant 840 du règlement d’exécution attaqué, que les pouvoirs publics égyptiens n’ont été en mesure de communiquer ni informations ni statistiques sur les prix d’achat de terrains dans la ZCS et qu’ils n’ont fourni que des informations sur les transactions réalisées concernant des droits d’usufruit, à savoir l’évaluation foncière de 2016 ainsi qu’un exemple de contrat d’usufruit qu’Egypt TEDA a souscrit avec la société Main Development Company (ci-après « MDC »), un promoteur égyptien, cette même année. En ce qui concerne notamment MDC, la Commission a expliqué, au considérant 813 du règlement d’exécution attaqué, que, depuis 2015, il n’était plus possible d’acquérir des terrains en pleine propriété auprès de l’autorité générale de la ZCS, dès lors que celle-ci octroyait uniquement des droits d’usufruit à ce promoteur, lequel les concédait ensuite, par voie d’enchères, à d’autres promoteurs, tels qu’Egypt TEDA, qui, enfin, louaient les terrains aux entreprises implantées dans la zone. Ainsi qu’il ressort de l’article 5 du contrat d’usufruit signé par Egypt TEDA et MDC, les droits d’usufruit étaient établis à hauteur d’un taux fixe pendant la durée de l’usufruit et le paiement de ceux-ci était échelonné en plusieurs versements à effectuer selon un échéancier précis.
135 C’est donc à la lumière de ces éléments que la Commission a procédé à une comparaison entre, d’une part, la valeur des parcelles de terrain en pleine propriété acheté par Jushi et, d’autre part, la valeur annuelle moyenne de l’usufruit dans la ZCS multipliée par la durée du contrat d’usufruit signé entre MDC et Egypt TEDA pour la zone d’expansion de 6 km2 de la zone CECS, pour vérifier si Jushi avait reçu un avantage en ce qui concerne la fourniture de terrains moyennant une rémunération moins qu’adéquate.
136 À cet égard, premièrement, il convient de relever que les requérantes ne remettent pas en question les constats de la Commission mentionnés au point 134 ci-dessus, notamment l’absence d’informations concernant les prix d’achat de terrains en pleine propriété dans la ZCS. Tout au plus font-elles valoir que la Commission aurait pu recueillir des informations pertinentes ultérieurement auprès des pouvoirs publics égyptiens concernant l’évaluation foncière de 2016.
137 Cet argument doit toutefois être rejeté, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 124 ci-dessus dans le cadre de l’analyse de la première branche du présent moyen, les requérantes n’ont pas été en mesure de présenter, ni même d’expliquer les prétendues informations que les pouvoirs publics égyptiens auraient pu fournir au sujet de l’évaluation foncière de 2016.
138 Deuxièmement, pour autant que les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir utilisé la méthode de calcul des flux de trésorerie actualisés, qui serait plus adéquate que celle proposée par cette institution, il y a lieu de considérer, tout d’abord, qu’il ne ressort pas du dossier déposé devant le Tribunal que les pouvoirs publics égyptiens aient jamais fait usage de cette méthode pour calculer des droits d’usufruit dans la ZCS. À cet égard, les requérantes ont d’ailleurs affirmé, lors de l’audience, que, depuis la modification de la loi sur la propriété foncière, ces pouvoirs publics n’ont pas encore vendu de droits d’usufruit sur la base de l’évaluation foncière de 2016, si bien qu’elles n’étaient pas en mesure de confirmer si la méthode de calcul des flux de trésorerie actualisés était appliquée dans d’autres contrats d’usufruit dans la ZCS. Ensuite, force est de constater que l’évaluation foncière de 2016 ne fait pas état de la méthode proposée par les requérantes. Enfin, le contrat d’usufruit signé par Egypt TEDA et MDC, seul exemple de contrat d’usufruit dans la ZCS dont la Commission disposait pour pouvoir procéder à une comparaison, ne mentionnait aucunement que les droits d’usufruit étaient calculés selon la méthode des flux de trésorerie actualisés. Au contraire, ainsi qu’il ressort du point 134 ci-dessus, ce contrat précisait, à son article 5, que ces droits étaient établis à hauteur d’un taux fixe pendant la durée de l’usufruit.
139 Par conséquent, dans la mesure où, premièrement, la Commission disposait d’informations très limitées de la part des pouvoirs publics égyptiens, deuxièmement, il ne ressortait pas de ces informations que le calcul de la valeur des droits d’usufruit se faisait, dans la ZCS, sur la base de la méthode des flux de trésorerie actualisés, troisièmement, dans le seul exemple de contrat d’usufruit signé entre deux promoteurs dans la ZCS, les droits d’usufruit étaient établis sur la base d’un taux fixe et, quatrièmement, les taux d’usufruit fixés dans la ZCS avaient été établis par les pouvoirs publics égyptiens eux-mêmes dans l’évaluation foncière de 2016, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en calculant la valeur de référence en multipliant un taux d’usufruit figurant dans l’évaluation foncière de 2016 par 50, à l’instar de ce qui a été fait dans le cadre du contrat d’usufruit signé entre Egypt TEDA et MCD.
140 En conséquence, le premier grief doit être rejeté.
b) Sur le deuxième grief, tiré de l’ajout de coûts d’investissements excessifs
141 Les requérantes contestent le fait que, après avoir établi le prix par mètre carré de référence pour l’achat d’un terrain nu, la Commission ait pris en considération le coût d’investissement d’Egypt TEDA destiné à la zone d’expansion, qui a été estimé à 230 millions d’USD, et réparti le montant de cet investissement en fonction de la superficie de cette zone. Selon elles, ce coût serait excessif et gonflerait artificiellement le point de référence de l’analyse de la Commission. En effet, Jushi aurait acheté un terrain nu, dépourvu de bâtiments résidentiels sur lequel elle a construit son usine. Or, l’investissement d’Egypt TEDA dont il est question concernerait la construction d’une zone industrielle complète, bâtiments compris. En outre, la Commission ne saurait valablement soutenir qu’elle n’a pas pu trouver d’autres informations accessibles au public concernant une ventilation plus détaillée desdits coûts, alors qu’elle n’a pas demandé aux parties intéressées de fournir ces informations avant l’adoption du règlement d’exécution attaqué.
142 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
143 D’emblée, il y a lieu de rappeler que la Commission a expliqué, au considérant 841 du règlement d’exécution attaqué, que, afin de tenir compte des frais exposés par le promoteur pour l’aménagement du terrain, le coût d’investissement d’Egypt TEDA par mètre carré a ensuite été calculé sur la base d’informations publiques. Selon ces éléments, un investissement de 230 millions d’USD était prévu pour la zone d’expansion de 6 km2. Une marge bénéficiaire pour le promoteur a également été ajoutée.
144 Toutefois, ainsi qu’il ressort du considérant 844 du règlement d’exécution attaqué, dans l’information finale et l’information additionnelle, les requérantes ont fait valoir que le coût d’investissement de 230 millions d’USD annoncé par Egypt TEDA incluait non seulement le prix de l’usufruit du terrain, mais aussi les investissements effectués pour bâtir les zones résidentielles, les zones de services et les usines, alors que les parcelles achetées par Jushi ne comportaient aucun aménagement de ce type, Jushi ayant acheté le terrain nu.
145 En réponse à cet argument, la Commission a précisé, au considérant 849 du règlement d’exécution attaqué que Jushi avait effectivement acheté le terrain dépourvu de bâtiments. Pour autant, ce terrain s’accompagnait de tous les services nécessaires : voirie, assainissement, éclairage public, sécurité, ainsi que tous les autres équipements et services mis à disposition par Egypt TEDA. Or, de tels aménagements seraient susceptibles d’avoir une incidence sur la valeur d’un terrain.
146 À cet égard, il convient de relever que la Commission ne disposait d’aucune information concernant les coûts d’aménagement d’un terrain nu de la part d’un promoteur, bien qu’elle ait interrogé tant les pouvoirs publics égyptiens qu’Egypt TEDA à cet égard. Les seules informations dont elle disposait ont été obtenues en consultant des sites Internet. Pourtant, ces informations étaient essentielles dans le cadre du calcul de la valeur de référence et visaient à dresser une estimation de cette dernière qui se rapproche le plus possible des conditions auxquelles Jushi a acheté son terrain.
147 Certes, il convient de relever, à l’instar des requérantes, que les informations mentionnées au point 143 ci-dessus ne reflètent pas précisément les conditions auxquelles Jushi a acheté son terrain, dès lors qu’il est constant que ce terrain était dépourvu de bâtiments, alors que l’investissement d’Egypt TEDA dans la zone d’expansion prévoyait également la construction de bâtiments. Toutefois, ainsi que cela a été relevé par la Commission au considérant 849 du règlement d’exécution attaqué et sans que les requérantes le contestent, le terrain que Jushi a acheté à Egypt TEDA disposait de tous les services nécessaires, tels que la voirie, l’assainissement, l’éclairage public, la sécurité, ainsi que de tous les autres équipements et services mis à disposition par Egypt TEDA. En outre, la Commission a expliqué avoir divisé le coût total de l’investissement par la superficie totale de la zone d’expansion, à savoir 6 km², de sorte que, en utilisant le dénominateur le plus large possible, elle s’est efforcée de veiller à ce que le coût d’investissement ne soit pas appliqué aux requérantes de manière disproportionnée. Enfin, alors que les requérantes se plaignent que la Commission s’est abstenue de demander aux parties intéressées de fournir une ventilation plus détaillée des coûts d’aménagement dans la ZCS, il convient de constater que, ni dans les observations sur l’information finale, ni dans celles sur l’information finale additionnelle, ni dans les écritures déposées devant le Tribunal, les requérantes ne présentent des renseignements supplémentaires concernant ces coûts qu’elles ou les pouvoirs publics égyptiens auraient pu fournir.
148 En conséquence, il convient de rejeter le deuxième grief comme étant non fondé.
c) Sur le troisième grief, tiré de l’ajustement erroné du prix d’achat en ce qui concerne la parcelle de 2011, à cause de l’application d’un taux de change dollar des États-Unis/livre égyptienne incorrect
149 Les requérantes reprochent à la Commission le fait que, en ce qui concerne l’achat de la parcelle de 2011, elle a ajusté la référence obtenue sur la base de la valeur de marché annuelle de l’usufruit en 2016 en fonction de la différence entre le PIB égyptien de 2016 et celui de 2011.
150 Selon elles, la Commission aurait dû convertir ce prix en utilisant le taux de change en vigueur au jour de la transaction relative à l’achat de la parcelle de 2011, dès lors que le taux de change dollar des États-Unis/livre égyptienne était nettement plus élevé en 2016, à cause de la dévaluation de la livre égyptienne (EGP). En outre, les fluctuations du produit intérieur brut (PIB) ne seraient pas identiques à celles de la valeur de la monnaie et la Commission aurait comme pratique de convertir les valeurs en devises étrangères en utilisant le taux de change applicable au jour de la transaction en cause. Les requérantes se réfèrent en particulier au considérant 802 du règlement d’exécution attaqué ainsi qu’au considérant 92 du règlement d’exécution (UE) 2017/141 de la Commission, du 26 janvier 2017, instituant des droits antidumping définitifs sur les importations de certains accessoires de tuyauterie en aciers inoxydables à souder bout à bout, finis ou non, originaires de la République populaire de Chine et de Taïwan (JO 2017, L 22, p. 14).
151 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
152 Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que la Commission a expliqué, au considérant 842 du règlement d’exécution attaqué, que, en ce qui concerne la parcelle achetée en 2011, le prix d’achat de 2016 a été corrigé pour tenir compte de l’inflation et de l’évolution du PIB. L’ajustement a été calculé sur la base des taux d’inflation et de l’évolution du PIB par habitant à prix courants en dollar des États-Unis pour l’Égypte, tels que publiés par le Fonds monétaire international (FMI) pour 2016. En réponse à l’argument présenté par les requérantes dans leurs observations sur l’information finale et l’information finale additionnelle (voir considérant 844 du règlement d’exécution attaqué), selon lequel la Commission aurait dû employer le taux de change applicable à la date de la vente pour convertir en livres égyptiennes la référence libellée en dollars des États-Unis, la Commission a expliqué, au considérant 850 du règlement d’exécution attaqué, que l’inflation due à la dévaluation de la livre égyptienne en 2016 par rapport au dollar des États-Unis avait déjà été prise en compte par l’ajustement lié au PIB et qu’opérer de nouveaux ajustements liés aux fluctuations du taux de change reviendrait à une double prise en compte de ce paramètre.
153 En premier lieu, il convient de relever que, s’il est vrai que la Commission a pris en considération comme taux de change de base USD/EGP celui de 2016 pour la référence obtenue sur la base de la valeur de marché annuelle de l’usufruit, elle a tout de même ajusté ce taux pour tenir compte des taux d’inflation et de l’évolution du PIB par habitant à prix courants en dollar des États-Unis pour l’Égypte, tels qu’ils ont été publiés par le FMI pour 2016.
154 Or, en se bornant à soutenir que le taux de change applicable devait être celui de 2011, puisque celui de 2016 était faussé par la dévaluation de la livre égyptienne, les requérantes restent en défaut d’expliquer pour quelle raison l’ajustement proposé par la Commission du taux de change USD/EGP de 2016, se fondant notamment sur les taux d’inflation et sur l’évolution du PIB par habitant à prix courants en dollar des États-Unis pour l’Égypte, tels qu’ils ont été publiés par le FMI pour 2016, ne tiendrait pas suffisamment compte de cette dévaluation.
155 En second lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la méthode suggérée par les requérantes correspondrait à la pratique de la Commission, il convient de rappeler, en ce qui concerne la référence au règlement d’exécution 2017/141 que la légalité d’un règlement instituant des droits compensateurs doit s’apprécier au regard des règles de droit et, notamment, des dispositions du règlement antisubventions de base, et non sur la base de la prétendue pratique décisionnelle antérieure de la Commission [voir, par analogie, arrêt du 18 octobre 2016, Crown Equipment (Suzhou) et Crown Gabelstapler/Conseil, T 351/13, non publié, EU:T:2016:616, point 107].
156 En outre, pour autant que les requérantes se réfèrent, dans le contexte de cet argument, à la méthode appliquée par la Commission au considérant 802 du règlement d’exécution attaqué consistant à adapter le taux de change en ce qui concerne les apports de fonds propres afin de tenir compte de la dévaluation de la livre égyptienne, il suffit de relever que, contrairement à ce qui concerne la fourniture des terrains pour une rémunération moins qu’adéquate où elle a dû ajuster le taux de change d’un achat effectué cinq ans auparavant, la Commission a pu suivre la méthode employée par Jushi dans ses états financiers.
157 En conséquence, il convient de rejeter le troisième grief, ainsi que la seconde branche du troisième moyen ainsi que ce dernier dans son intégralité.
D. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 3, point 1, sous a), ii), et point 2, ainsi que de l’article 5 du règlement antisubventions de base
158 Les requérantes soutiennent que c’est à tort que la Commission a considéré que les pouvoirs publics égyptiens avaient renoncé à des recettes fiscales sur les importations de matériaux utilisés par Jushi pour produire les SFV vendus à Hengshi et que cet abandon avait conféré un avantage à Jushi, dans la mesure où cette dernière n’aurait de toute façon pas dû acquitter de droits de douane sur ces matériaux, qu’elle ait relevé du régime juridique de la ZCS ou du droit égyptien général applicable.
159 En ce qui concerne le régime de remise de droits, la Commission serait tenue, sur la base d’une analyse en trois étapes, d’examiner la différence entre les droits de douane qui devraient être acquittés en vertu du droit national et ceux qui sont effectivement acquittés en vertu du régime de remise de droits. Or, en l’espèce, la situation fiscale permettant d’effectuer une comparaison légitime pour déterminer le point de référence serait donc celle d’une entreprise en Égypte qui n’est pas située dans la ZCS et qui ne bénéficie d’aucune remise de droits, et non, comme le soutient la Commission, celle de deux entités situées au sein de la ZCS. Ainsi, même si Jushi avait été soumise au droit égyptien général, ses ventes à l’égard de Hengshi auraient été exonérées de droits de douane sur ces ventes, dès lors que les ventes à destination de la ZCS effectuées par des entreprises situées hors de cette zone sont considérées comme des exportations et, de ce fait, les droits de douane exposés sont ensuite remboursés.
160 Par ailleurs, les pouvoirs publics égyptiens seraient libres d’instaurer des exonérations de droits de douane ou de créer des zones qui ne relèvent pas du cadre juridique général appliqué aux sociétés en Égypte. En outre, en l’espèce, même si les pouvoirs publics égyptiens avaient mis en place un système de ristourne de droits opérationnel, il n’existerait pas de différence entre ce que ces pouvoirs publics auraient dû percevoir de Jushi et ce qu’ils ont effectivement perçu, dès lors que, dans les deux cas, ils n’auraient rien dû recevoir de celle-ci.
161 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
162 L’article 3, point 1, sous a), ii), du règlement antisubventions de base prévoit ce qui suit :
« [Une subvention est réputée exister si :] des recettes publiques normalement exigibles sont abandonnées ou ne sont pas perçues (par exemple dans le cas des incitations fiscales telles que les crédits d’impôt). À cet égard, l’exonération, en faveur du produit exporté, des droits ou des taxes qui frappent le produit similaire lorsque celui-ci est destiné à la consommation intérieure ou la remise de ces droits ou taxes jusqu’à concurrence des montants dus n’est pas considérée comme une subvention, pour autant qu’elle ait été accordée conformément aux dispositions des annexes I, II et III. »
163 Ainsi qu’il ressort de l’annexe III, partie II, dudit règlement, afin de déterminer s’il y a une ristourne excessive, la Commission vérifie l’existence et l’application effective des procédures de surveillance et de vérification qui l’accompagnent. Dans la négative, elle peut constater qu’il y a une subvention.
164 Afin de déterminer les recettes publiques normalement exigibles qui ont été abandonnées ou qui n’ont pas été perçues, l’organe d’appel de l’OMC a considéré, au point 812 du rapport concernant l’affaire « États-Unis – Mesures affectant le commerce des aéronefs civils gros porteurs (deuxième plainte) » (WT/DS 353/AB/R), que l’identification des circonstances dans lesquelles des recettes publiques normalement exigibles sont abandonnées nécessite une comparaison entre le traitement fiscal applicable aux bénéficiaires allégués de subventions et le traitement fiscal de revenus comparables de contribuables se trouvant dans des situations comparables.
165 Les parties débattent essentiellement sur la question de savoir quelle est, en l’espèce, la situation comparable. Selon les requérantes, il s’agit de la situation d’une entreprise établie hors de la ZCS qui vend des produits composés de matériaux importés à une entreprise dans la ZCS, telle que Hengshi. Selon la Commission, il s’agirait en revanche de la situation d’une entreprise établie dans la ZCS, comme Jushi, qui vend de tels produits à une entreprise installée hors de la ZCS.
166 Ainsi qu’il ressort des considérants 904, 910 et 913 du règlement d’exécution attaqué, selon l’article 42 de la loi no 83/2002, les fournitures, les pièces de rechange et tout autre matériau ou élément importés de pays étrangers sont exonérés de droits et taxes, pour autant qu’ils soient affectés à la production de biens ou de services aux fins de l’activité autorisée dans la ZCS. À l’inverse, les droits et taxes doivent être intégralement acquittés sur tous les produits commercialisés sur le marché intérieur hors de la ZCS. La Commission a en outre constaté qu’il n’existait pas de système effectif et approprié de ristourne de droits et que la zone spéciale dans laquelle les requérantes étaient installées n’était pas une zone franche industrielle classique et qu’elle différait également des autres zones franches spéciales qui existaient en Égypte. Selon elle, il s’agissait d’une zone spéciale unique, hybride, dans laquelle la législation et la réglementation en vigueur ne semblaient pas être appliquées.
167 En l’espèce, Jushi a bénéficié de l’exonération des droits de douane prévue par la loi no 83/2002, s’agissant des matériaux importés utilisés pour la production des SFV vendus à Hengshi, laquelle est établie dans la ZCS et vend ses TFV à l’exportation. Toutefois, selon cette loi, dans le cas où les SFV avaient été commercialisés sur le marché intérieur au lieu d’être utilisés ou exportés à partir de la ZCS, Jushi aurait dû acquitter les droits de douane correspondants. Tel serait notamment le cas d’une entreprise située dans la ZCS qui vend des produits contenant des matériaux importés ayant bénéficié d’une exonération des droits de douane à une autre entreprise hors de la ZCS, sur le marché intérieur.
168 Il s’ensuit que la seule situation comparable afin de déterminer si Jushi a reçu un avantage est précisément celle prise en considération par la Commission, c’est-à-dire celle d’une entreprise établie, comme Jushi, dans la ZCS qui vend des produits contenant des matériaux qui ont bénéficié d’une exonération des droits de douane à une entreprise installée hors de la ZCS.
169 C’est donc à bon droit que la Commission a considéré, à la lumière de cette comparaison, que les pouvoirs publics égyptiens avaient renoncé à des recettes sur les importations de matériaux utilisés par Jushi pour la production des SFV vendus à Hengshi.
170 En outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 166 ci-dessus, la Commission a également relevé dans le règlement d’exécution attaqué que les pouvoirs publics égyptiens ne disposaient pas, ni avant ni pendant la période d’enquête, d’un cadre de surveillance et de vérification effectif pour la perception des droits de douane dans la ZCS. À cet égard, les requérantes se limitent à faire valoir que ce système avait été instauré à la fin de l’année 2016 et que les pouvoirs publics égyptiens avaient plusieurs années pour le mettre en place. Toutefois, comme l’a relevé à juste titre la Commission lors de l’audience et ainsi qu’il ressort d’ailleurs du règlement antisubventions de base, et notamment de l’annexe III, cette dernière doit examiner l’existence et l’efficacité du système de ristourne au moment où elle mène son enquête antisubventions.
171 Eu égard à ce qui précède, le quatrième moyen doit être rejeté.
E. Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 3, point 2, et de l’article 4, paragraphe 2, sous c), du règlement antisubventions de base
172 Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que le traitement fiscal des pertes de change résultant de la dévaluation de la livre égyptienne en 2016 constituait une subvention spécifique qui a conféré de facto un avantage substantiel a' un nombre limité d’entreprises dans le pays, c’est-à-dire aux sociétés qui étaient tournées vers l’exportation et qui menaient leurs activités presque entièrement en devises étrangères, telles que le dollar des États-Unis ou l’euro.
173 En effet, tant les entreprises qui sont orientées vers l’exportation que celles qui opèrent seulement sur le marché égyptien pourraient bénéficier du traitement fiscal en question de la même façon et déduire de leur revenu imposable les pertes causées par les effets de la dévaluation de la livre égyptienne, pour autant qu’elles aient des passifs en devises étrangères. Or, en affirmant que les sociétés qui sont tournées vers l’exportation ont tiré profit de manière disproportionnée de ce traitement fiscal, la Commission aurait en réalité considéré que c’était la dévaluation de la livre égyptienne qui conférait un avantage, laquelle ne serait pas toutefois, par définition, un système de subventions passibles de mesures compensatoires.
174 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.
175 Il convient de relever, à titre préliminaire, que les arguments des requérantes reposent essentiellement sur le fait que, d’une part, cette mesure ne saurait être considérée comme une subvention dès lors que cet avantage dériverait en réalité de la dévaluation de la livre égyptienne et, d’autre part, ladite mesure ne confère pas un avantage spécifique de facto à certaines entreprises, car toutes les entreprises égyptiennes ayant des passifs en devises étrangères peuvent bénéficier du traitement fiscal des pertes de change.
176 S’agissant du premier argument, il convient de relever que la Commission n’a pas considéré que le traitement fiscal en soi constituait une subvention susceptible de faire l’objet d’une mesure compensatoire. Elle a, au contraire, précisé, ainsi qu’il ressort du considérant 861 du règlement d’exécution attaqué, que, bien que cette règle fût destinée à compenser les effets négatifs de la dévaluation de la monnaie égyptienne, elle a conféré de facto un avantage substantiel à un nombre limité d’entreprises dans le pays, c’est-à-dire à des sociétés qui étaient tournées vers l’exportation et qui menaient leurs activités presque entièrement en devises étrangères, dans la mesure où cette catégorie particulière d’entreprises n’a pas subi de perte réelle du fait de la dévaluation de la livre égyptienne, mais a pu tirer parti de la norme comptable spéciale publiée par les pouvoirs publics égyptiens à des fins fiscales.
177 S’agissant du second argument, les requérantes se limitent à faire valoir, de façon générale, que le traitement fiscal en question profitait à toutes les entreprises ayant des passifs en devises étrangères et non seulement à celles orientées vers l’exportation, sans pour autant apporter aucun élément de preuve qui pourrait priver de plausibilité les appréciations des faits retenues par la Commission dans le règlement d’exécution attaqué, notamment à son considérant 862, ainsi que dans les écritures déposées dans le cadre de la présente procédure. En effet, les requérantes ne remettent pas en question les chiffres présentés par la Commission dans ses écritures, qui montrent dans quelle mesure celles-ci ont pu bénéficier du traitement fiscal en question et elles n’expliquent pas si ce traitement leur a vraiment permis de remédier à des pertes réelles causées par la dévaluation de la livre égyptienne. Plus particulièrement, la Commission a relevé, dans le cadre de son enquête, que le bénéfice net déclaré dans les états financiers vérifiés de Jushi faisait apparaître un montant positif [confidentiel], tandis que la déclaration fiscale de la société indiquait une base imposable nette négative [confidentiel]. De même, les états financiers vérifiés de Hengshi faisaient apparaître un montant positif [confidentiel], tandis que la déclaration fiscale de la société indiquait une base imposable nette réduite [confidentiel].
178 Par ailleurs, les requérantes ne contestent pas le constat de la Commission figurant au considérant 863 du règlement d’exécution attaqué selon lequel, bien que cette mesure fût temporaire et limitée uniquement aux opérations affectées au moment de la dévaluation, elles ont encore déduit, pendant la période d’enquête, des montants substantiels de leur revenu imposable au titre des différences de change, réalisées ou non.
179 Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le cinquième moyen.
F. Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 2, sous d), ainsi que de l’article 8, paragraphes 1, 2 et 5, du règlement antisubventions de base
180 Ce moyen est divisé en trois branches. Les requérantes soutiennent, en substance, premièrement, que, en déterminant les prix à l’exportation de Jushi, notamment de ses sociétés liées dans l’Union, pour calculer la marge de sous-cotation sur la base de l’article 2, paragraphe 9, du règlement antidumping de base appliqué par analogie, la Commission a violé l’article 2, sous d), du règlement antisubventions de base. Deuxièmement, en se fondant sur ce prix à l’exportation reconstruit pour déterminer la marge de sous-cotation, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en violation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 2, sous d), et de l’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement antisubventions de base. Troisièmement, l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission dans le cadre de la détermination de la marge de sous-cotation entacherait son analyse du lien de causalité d’une violation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 5, du règlement antisubventions de base.
181 La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste non seulement le bien-fondé de ce moyen, mais fait également valoir, à titre préliminaire, que ledit moyen est inopérant.
182 À ce dernier égard, la Commission soutient que, même si le Tribunal devait constater qu’elle a commis une erreur en utilisant, par analogie, l’article 2, paragraphe 9, du règlement antidumping de base pour le calcul de la sous-cotation des prix des requérantes, notamment pour les sociétés liées de Jushi dans l’Union, une telle erreur ne serait pas de nature à entraîner l’annulation du règlement d’exécution attaqué. La Commission produit dans la duplique des nouveaux calculs qui montreraient que, même en prenant en considération les valeurs facturées par les sociétés liées de Jushi dans l’Union sans procéder aux ajustements sur la base de l’article 2, paragraphe 9, du règlement antidumping de base, il n’y aurait qu’une très faible variation au niveau de la sous-cotation des prix ([confidentiel] au lieu de 31,5 %).
183 Interrogées par le Tribunal, lors de l’audience de plaidoiries, sur les nouveaux calculs de la Commission produits dans la duplique, les requérantes ont affirmé que ces calculs étaient sans incidence sur le niveau des droits compensateurs imposés par le règlement d’exécution attaqué.
184 Selon une jurisprudence constante, le juge de l’Union peut rejeter comme étant inopérant un moyen ou un grief lorsqu’il constate que celui-ci n’est pas apte, dans l’hypothèse où il serait fondé, à entraîner l’annulation poursuivie (arrêts du 21 septembre 2000, EFMA/Conseil, C 46/98 P, EU:C:2000:474, point 38, et du 19 novembre 2009, Michail/Commission, T 50/08 P, EU:T:2009:457, point 59).
185 En l’espèce, les requérantes ont admis, ainsi qu’il ressort du point 183 ci-dessus, que, même si la Commission avait utilisé, pour déterminer la marge de sous-cotation des prix, les calculs mentionnés au point 182 ci-dessus, qui se fondent sur le prix à l’exportation de Jushi sans les ajustements opérés sur la base de l’article 2, paragraphe 9, du règlement antidumping de base, il n’y aurait aucune incidence sur le niveau des droits compensateurs imposés par le règlement d’exécution attaqué.
186 Il s’ensuit que, à supposer même que les requérantes soient fondées à contester la méthode que la Commission a utilisée pour établir le prix à l’exportation de Jushi dans le cadre du calcul de la marge de sous-cotation des prix, l’utilisation des calculs mentionnés au point 182 ci-dessus n’aurait pas abouti, en tout état de cause, à des droits compensateurs différents. L’erreur alléguée ne saurait donc fonder l’annulation du règlement d’exécution attaqué, en ce qu’il les concerne.
187 Par conséquent, le sixième moyen doit être écarté comme étant inopérant, sans qu’il soit besoin d’analyser le bien-fondé des trois branches soulevées par les requérantes au soutien de ce moyen.
188 Eu égard à ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son intégralité.
IV. Sur les dépens
189 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
190 En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, Tech-Fab Europe eV supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
Déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Hengshi Egypt Fiberglass Fabrics SAE et Jushi Egypt for Fiberglass Fabrics Industry SAE supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
3) Tech-Fab Europe eV supportera ses propres dépens.