CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 28 juillet 2015, n° 15/09742
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
DG Diffusion (SA), Ellebore (SARL), FHB (Selarl) (ès qual.), BTSG (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hirigoyen
Conseillers :
Mme Hebert-Pageot, M. Boyer
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 3 octobre 2014 à l'égard de la Sarl Ellebore ayant pour activité l'édition d'ouvrages dédiés à la santé et au bien-être.
Par jugement du 7 mai 2015 , le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de cession portant sur différents éléments corporels et incorporels du fonds de la société Ellebore en faveur de DG Diffusion avec faculté de substitution au profit d'une filiale à 100%, moyennant le prix de 25.000 euros HT, a ordonné en application de l'article L. 642-7 du code de commerce la cession de différents contrats dont l'ensemble des contrats d'auteurs, a pris acte que DG Diffusion remboursera l'intégralité des dettes acquises à l'égard des auteurs au jour de la reprise dans la limite de 170.000 euros TTC, à raison de 20.000 euros par mois, a désigné DG Diffusion comme tenue d'exécuter le plan, a maintenu la Selarl FHB, en la personne de Maître B., en qualité d'administrateur pendant six mois et la Scp BTSG, prise en la personne de Maître G., en qualité de mandataire judiciaire.
Mmes A. et N., MM. A., A., M. et L., auteurs ayant contracté avec Ellebore, ont relevé appel de ce jugement selon déclaration du 15 mai 2015.
En application de l'article R. 661-6 du code de commerce, les appelants ont été autorisés par ordonnance du délégataire du premier président à assigner à jour fixe pour l'audience du 29 juin 2015.
Par actes des 8 et 9 juin 2015, les appelants ont fait assigner à jour fixe pour cette audience, la société Ellebore, la Selarl FHB, en la personne de Maître B., ès qualités, la Scp BTSG, en la personne de Maître G., ès qualités, la société DG Diffusion et son gérant, M. Edouard F. R. pour voir prononcer la nullité du jugement.
MM. S. et S., auteurs, sont volontairement intervenus à la procédure.
Dans leurs conclusions signifiées le 26 juin 2015, Mmes A. et N., MM. A., A., M., L. et S. demandent à la cour de déclarer recevables leur appel et l'intervention volontaire de M. S., de prononcer la nullité du jugement, de débouter les intimés de leurs demandes et de condamner Ellebore, M. F. R., la Selarl FHB, la Scp BTSG et DG Diffusion, solidairement au paiement de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions du 24 juin 2015, M. S. demande à la cour de le déclarer recevable en son intervention volontaire ainsi qu'en son appel, de prononcer la nullité du jugement et de condamner DG Diffusion au paiement de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Ellebore et son gérant, M. F. R., demandent à la cour dans leurs écritures signifiées le 29 juin 2015 de déclarer l'appel irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir et pour défaut d'excès de pouvoir du tribunal, de débouter les appelants de toutes leurs prétentions, de confirmer le jugement arrêtant le plan de cession, en tout état de cause de condamner solidairement l'ensemble des ' demandeurs' à verser à Ellebore ainsi qu'à son gérant chacun 6.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et de condamner chacun des 'demandeurs' à verser à Ellebore et à son gérant 1.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.
La Selarl FHB en la personne de Maître B. et la Scp BTSG, en la personne de Maître G., ès qualités, demandent à la cour, suivant conclusions signifiées le 23 juin 2015 , de dire irrecevable l'appel nullité, subsidiairement, de juger que le tribunal de commerce n'a pas commis d'excès de pouvoir, de rejeter comme mal fondé l'appel- nullité, à titre encore plus subsidiaire, de confirmer le jugement, de dire qu'en toute hypothèse une éventuelle infirmation ne pourrait porter que sur la partie du jugement ayant ordonné le transfert des contrats d'auteurs de Mmes A. et N., MM. A., A., M., L. et S. et en tout état de cause de condamner solidairement ces derniers à payer à la Selarl FHB et à la SCP BTSG, ès qualités, chacune 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Dans ses conclusions du 24 juin 2015 , DG Diffusion sollicite à titre principal de voir déclarer irrecevables les appels-nullité des appelants et de M. S., subsidiairement, voir juger que le tribunal de commerce n'a pas commis d'excès de pouvoir en ne convoquant pas les auteurs et en ne sollicitant pas leur autorisation préalablement à la cession des contrats et débouter en conséquence les appelants et M. S., à titre infiniment subsidiaire, voir confirmer le jugement et, en tout état de cause, condamner solidairement les appelants au paiement de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE
- Sur les interventions volontaires
Les interventions volontaires de MM. S. et S., dont il n'est pas contesté qu'ils sont au même titre que les appelants liés par un contrat d'édition à Ellebore, seront déclarées recevables.
- Sur la recevabilité de l'appel-nullité
Les appelants et intervenants ont exclusivement saisi la cour d'un appel-nullité contre le jugement ayant arrêté le plan de cession qu'ils fondent sur les articles 6 de la CEDH, L. 642-7, R. 642-7, R. 661-2 du code de commerce, L. 132-15 et L. 132-16 du code de la propriété intellectuelle, faisant valoir qu'ils n'ont pas été convoqués à l'audience du 16 avril 2015 du tribunal de commerce statuant sur la cession de leurs contrats d'édition, ni été sollicités pour donner leur accord à la cession envisagée, alors que leurs contrats sont nécessaires au maintien de l'activité et que le code de la propriété intellectuelle prévoit le maintien des obligations de l'éditeur en cas de procédure collective, la cession de leurs contrats d'édition intervenue dans ces conditions étant constitutive d'un excès de pouvoir. Répliquant aux fins de non-recevoir soulevées par les intimés, ils soutiennent avoir intérêt et qualité pour agir dès lors qu'ils sont co-contractants d'Ellebore, les dispositions des articles L. 642-7 et R. 642-7 du code de commerce étant applicables aux droits d'auteur, que la voie de l'appel-réformation ne leur est pas ouverte, que n'ayant pas été convoqués devant le tribunal, seul l'appel-nullité, appel principal et non subsidiaire, leur permet de bénéficier du double degré de juridiction et de faire respecter leur droit à un procès équitable.
La Selarl FHP, la Scp BTSG ès qualités, ainsi que DG Diffusion soutiennent l'irrecevabilité de l'appel-nullité au motif que cette voie de recours exceptionnelle et subsidiaire ne leur est pas ouverte, dès lors qu'en leur qualité de cocontractants d'Ellebore, les auteurs disposaient pour contester le jugement de la voie de l'appel-réformation dans la limite du transfert de leurs contrats.
Tandis qu'Ellebore et M.F. R. font valoir au soutien de leurs fins de non-recevoir prises du défaut de qualité et d'intérêt à agir que les auteurs ne disposent pas du recours à l'appel-réformation dès lors qu'ils ne sont pas des co-contractants de la société débitrice au sens de l'article L. 642-7 du code de commerce, leurs contrats étant transmissibles de plein droit en vertu du régime dérogatoire institué par le code de la propriété intellectuelle, qu'ils ne peuvent non plus avoir recours à l'appel- nullité dès lors qu'ils sont tiers à l'instance, n'ayant pas à être convoqués, ni entendus dans le cadre du plan de cession et qu'ils ne justifient d'aucun intérêt légitime à agir n'ayant aucune prétention à soutenir.
L'appel-nullité, voie de recours exceptionnelle, est ouverte aux parties qui ne disposent pas de la voie de l'appel-réformation et présente donc un caractère subsidiaire par rapport à ce dernier.
L'article L. 642-7 du code de commerce dispose que le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fourniture de biens ou services nécessaires au maintien de l'activité au vu des observations des co-contractants du débiteur et que le jugement qui arrête le plan de cession emporte cession de ces contrats, l'article R. 642-7 ajoutant que lorsque le tribunal est appelé à se prononcer sur la cession de ces contrats, les co-contractants sont convoqués à l'audience.
Il n'est pas contesté que la société Ellebore a signé avec les auteurs, parties à la présente instance, des contrats d'édition. Le jugement arrêtant le plan de cession a ordonné le transfert de l'ensemble des contrats d'auteurs et vise ainsi nécessairement ceux signés avec les auteurs appelants et intervenants dans la présente instance.
Il est également acquis au débat que les auteurs n'ont pas été convoqués à l'audience du tribunal de commerce et n'ont pas davantage donné leur accord à la cession envisagée.
Or, les contrats d'édition passés entre les auteurs et Ellebore, société d'édition, constituent manifestement des contrats nécessaires au maintien de l'activité cédée au sens de l'article L. 642-7 du code de commerce, le jugement dont la nullité est recherchée ayant d'ailleurs ordonné la cession de l'ensemble des contrats d'auteurs, au visa de cet article.
Les dispositions particulières de l'article L. 132-15 du code de la propriété intellectuelle , selon lesquelles la procédure de redressement judiciaire de l'éditeur n'entraîne pas la résiliation du contrat et de l'article L. 132-16 du même code disposant que l'éditeur ne peut transmettre le bénéfice d'un contrat d'édition à des tiers, indépendamment de son fonds de commerce, sans avoir obtenu préalablement l'autorisation de l'auteur, n'excluent pas l'application, en cas de plan de cession, des dispositions des articles L. 642-7 et R. 642-7 du code de commerce dès lors qu'il s'agit de contrats entrant dans la catégorie des contrats nécessaires au maintien de l'activité.
Aux termes de l'article L. 661-6 III du code de commerce, le jugement arrêtant un plan de cession n'est susceptible d'un appel (réformation) que de la part du débiteur, du ministère public, du cessionnaire ou du co-contractant mentionné à l'article L. 642-7, pour ce dernier dans la limite de la partie du jugement qui emporte cession de son contrat.
L'absence de convocation ne privait pas les auteurs du droit d'appel qu'ils tiennent de l'article L. 661-6 III du code de commerce.
Il s'ensuit que la voie de l'appel-réformation leur étant ouverte, les auteurs ne sont pas recevables à relever appel-nullité contre le jugement arrêtant le plan de cession et que leur appel-nullité sera déclaré irrecevable, sans qu'il y ait lieu de rechercher si le tribunal a commis un excès de pouvoir.
- Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive
Le recours formé par les auteurs contre le jugement ayant ordonné le transfert de leurs contrats sans qu'ils aient été convoqués devant le tribunal de commerce procède de l'exercice d'un droit, qui n'a pas dégénéré en abus, quand bien même le recours a été déclaré irrecevable.
Ellebore et M. F. R. seront en conséquence déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS
Reçoit les interventions volontaires de MM. S. et S.,
Déclare irrecevable l'appel-nullité,
Déboute la société Ellebore et M. F. R. de leurs demandes de dommages et intérêts,
Déboute toutes les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective et que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par les parties selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.