CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 15 mars 2007, n° 06/03721
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Chavaux (ès qual.), La Guenaidel des Papes (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mandel
Conseillers :
M. Chapelle, Mme Valantin
Avoués :
SCP Jullien-Lecharny-Rol et Fertier, SCP Boiteau-Pedroletti, SCP Debray-Chemin
Avocats :
Me Baudouin, Me Pechenard, Me Rolland
Madame Gisèle H. a eu d'un précédent mariage avec Monsieur Elie H., dont elle a divorcé, deux fils, Jean Yves H. et Serge H., et de son mariage actuel avec Monsieur Claude F., un autre fils Emmanuel F..
Par acte notarié du 30 juin 1992, Madame Gisèle H. a constitué une SCI dénommée SCI La Guenaïdel des Papes, dont le capital était divisé en 100 parts de 100 francs chacune, et réparties à concurrence de 47 parts pour elle-même, une part pour son mari Claude F., 26 parts pour Jean Yves H. et 26 parts pour Emmanuel F.. Monsieur Jean Yves H. a été désigné comme gérant de la SCI. Il était statutairement décidé que toutes les décisions, de nature ordinaire ou extraordinaire, seraient prises à l'unanimité.
Cette SCI a fait l'acquisition, le 7 septembre 1992, d'une propriété située au ..., à Taulignan (Drôme) pour un prix de 1.900.000 francs, cette maison étant destinée à servir de résidence de vacances pour les membres de la SCI, ce qui s'est effectivement produit jusqu'à l'année 2000.
En raison d'une donation de Madame Gisèle H. du 25 mars 2004, son autre fils, Serge H., est devenu associé de la SCI. Une seconde donation est intervenue le 2 avril 2004 au profit d'Emmanuel F., si bien qu'actuellement, les 100 parts de la SCI La Guenaïdel des Papes, sont réparties de la manière suivante :
- Gisèle H. : 1 part en toute propriété et 46 parts en usufruit,
- Claude F. : 1 part en propriété,
- Jean Yves H. : 26 parts en propriété,
- Serge H. : 36 parts en nue propriété,
- Emmanuel F. : 26 parts en propriété et 10 parts en nue propriété.
A la suite de la dégradation des relations entre les parties, Maître Jean Pierre Fertelle a été nommé administrateur provisoire de la SCI par un arrêt infirmatif de la cour d'appel de Versailles, rendu le 1er décembre 2004. Maître Jean Pierre Fertelle a été ultérieurement remplacé par Maître Chavaux, le 25 février 2005, pour une durée d'un an, puis à nouveau, par ordonnance de référé du 28 février 2006.
C'est dans ces conditions que, faisant état d'une mésentente entre associés entraînant la paralysie progressive du fonctionnement de la SCI , Monsieur Jean Yves H. a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Versailles, par acte du 5 avril 2004, Madame Gisèle H., Monsieur Claude F., Monsieur Emmanuel F., et la SCI La Guenaïdel des Papes, aux fins de voir ordonnée, sur le fondement de l'article 1844-7 du Code civil, la dissolution et le partage de la SCI La Guenaïdel des Papes et de dire que la liquidation automatique qui en résulte s'effectuerait conformément à l'article 23 des statuts.
Par actes distincts des 5 avril et 6 mai 2004, Monsieur Jean Yves H. a fait assigner Monsieur Serge H., devenu entre-temps associé de la SCI.
Par jugement du 9 mai 2006, le tribunal de grande instance de Versailles a ordonné la dissolution anticipée de la SCI La Guenaïdel des Papes et a dit qu'elle s'effectuerait conformément aux dispositions statutaires et sous la surveillance de l'administrateur judiciaire, Me Chavaux. Le tribunal a rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et a ordonné l'exécution provisoire.
* Monsieur Serge H., Madame Gisèle H., Monsieur Claude F. et Monsieur Emmanuel F. ont interjeté appel.
Par ordonnance du 23 juin 2006, le Premier Président de la cour de ce siège, saisi sur le fondement de l'article 524 du nouveau code de procédure civile, a arrêté l'exécution provisoire.
Aux termes de leurs dernières écritures, (30 novembre 2006), les appelants concluent à la réformation du jugement en toutes ses dispositions, au débouté de Monsieur Jean Yves H. de toutes ses demandes et à sa condamnation à payer à chacun une indemnité de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Au soutien de leur appel, ils font valoir, pour l'essentiel, que la mésentente entre associés est exclusivement imputable à Monsieur Jean Yves H., lequel, associé minoritaire de la SCI, (26 % des parts), s'oppose systématiquement à la majorité des associés depuis plusieurs années. Ils soulignent que celui-ci a adopté un comportement contraire à l'affectio societatis, et que cette attitude hostile est principalement causée d'une part, par la rupture, en juillet 2000, de l'association professionnelle d'avocats avec sa mère, d'autre part, par un contentieux familial sur l'exercice d'un droit de visite entre grands parents et petits enfants.
Les appelants soulignent que contrairement à ce que soutient Monsieur Jean Yves H., il n'y a jamais d'opposition sur le calendrier d'occupation de la maison de vacances, et que l'objet principal de la SCI, à savoir permettre aux associés la jouissance de vacances, est pleinement respecté.
Les appelants contestent les voies de fait qui leur sont reprochées, notamment en ce qui concerne la défaillance du système de chauffage de la maison. Ils lui reprochent ses carences dans la gestion et l'entretien de l'immeuble, ce qui les a conduits à prendre eux-mêmes certaines initiatives pour les travaux d'urgence.
Les appelants reprochent également à Monsieur Jean Yves H. une absence de tenue régulière des assemblées générales et de reddition de comptes et d'avoir pris l'initiative de rédiger un procès-verbal de carence alors qu'il est lui-même à l'origine des blocages dans le fonctionnement de la SCI. Ils ajoutent que depuis la désignation d'un administrateur judiciaire, l'objet de la SCI, qui est de permettre à ses membres de jouir d'une maison familiale de vacances, est respecté, si bien que les manquements relevés par le tribunal ne sont pas justifiés et que la demande présentée par Monsieur Jean Yves H. ne repose pas sur de justes motifs, mais sur la volonté de nuire aux autres membres de la SCI, dont sa mère, qui disposent de 74 % des parts et souhaitent conserver la propriété de Taulignan.
A ce propos, ils observent que Monsieur Jean Yves H. n'a jamais demandé à sortir de la société, alors que les statuts le lui permettent par un mécanisme de cession de parts.
* Intimé, Monsieur Jean Yves H. conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions. Subsidiairement, il demande de désigner tel mandataire liquidateur qu'il plaira à la cour, dans le ressort du département de la Drôme ou d'un département limitrophe.
Au soutien de sa position, Monsieur Jean Yves H. rappelle tout d'abord qu'en application de l'article 1844-7 du Code civil, la paralysie due à la mésentente constitue en elle-même un juste motif de dissolution, indépendamment de l'attitude de tel ou tel associé.
Monsieur Jean Yves H. conteste toute responsabilité dans la situation actuelle et observe que la jouissance commune de la maison de famille n'est plus possible, sans qu'il y ait lieu, pour la cour, de se prononcer sur l'imputabilité de cette mésentente.
Il fait valoir, comme l'a jugé le juge des référés, que cette mésintelligence continue d'empêcher toute action commune du seul fait des règles statutaires imposant la règle de l'unanimité. Il ajoute que le maintien permanent de Me Chavaux n'est pas satisfaisant, compte tenu du coût de son intervention, bien supérieur au montant des dépenses annuelles.
Il indique enfin qu'il ressort d'un récent constat d'huissier que la propriété est dans un état d'abandon total, envahie de toute part par les herbes hautes, et que la piscine est crasseuse, donc inutilisable.
* Maître Chavaux, administrateur provisoire de la SCI s'en rapporte à justice sur le mérite de l'appel.
* Enfin, la SCI La Guenaïdel des Papes, assignée puis réassignée, n'a pas constitué avoué.
SUR QUOI :
Considérant que l'objet social de la SCI La Guenaïdel des Papes est de permettre à chacun de ses associés de jouir, à titre de résidence de vacances, d'une propriété acquise depuis le 7 septembre 1992, sise au lieudit Les Planches à Taulignan, dans la Drôme, ce qui a été le cas jusqu à l’année 2000.
Considérant qu'en application de l'article 1844-7 du Code civil, la société prend fin : ....5° par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Considérant que la mésentente entre associés est citée par le législateur comme un exemple de justes motifs.
Considérant que cette mésentente n'est pas contestée par les parties et s'est manifestée et cristallisée à l'occasion de questions purement ponctuelles telles que la détermination des dates de jouissance de la maison, le fonctionnement du système de chauffage de l'immeuble ou l'entretien de celui-ci, dont chacune, prise isolément, ne présente qu'une importance secondaire, mais dont l'accumulation et la répétition, a conduit à une situation de conflit aigü, laquelle se trouve à l'origine de la présente procédure, introduite par Monsieur Jean Yves H., détenteur de 26 % des parts.
Considérant que c'est dans ce contexte qu'est intervenu l'arrêt de la cour de ce siège du 1er décembre 2004, et la désignation de Maître Chavaux en qualité d'administrateur provisoire, lequel exerce toujours actuellement ses fonctions, en dépit de plusieurs vicissitudes procédurales.
a) Considérant que la mésentente entre associés ne peut fonder une dissolution pour justes motifs que dans la mesure où elle a pour effet de paralyser totalement le fonctionnement de la société.
Considérant que tel n'est pas le cas en l'espèce, l'administrateur provisoire assurant la continuité de son fonctionnement sans rencontrer d'obstacle majeur.
Considérant que le calendrier des dates de vacances, fixé désormais par l'administrateur judiciaire, ne se heurte plus à aucune opposition.
Considérant qu'il n'est pas établi ni même allégué que depuis la désignation de Maître Chavaux en qualité d'administrateur provisoire, le juge des référés ait été saisi d'une quelconque difficulté concernant le fonctionnement de la société, en dépit du refus de Monsieur Jean Yves H. de répondre aux appels de fonds de Maître Chavaux, ce qui contraint les autres associés à faire l'avance de diverses sommes d'argent pour son compte.
Considérant qu'il est indifférent que cette situation, nécessairement provisoire, soit constitutive d'une charge financière supplémentaire, aucun élément ne permettant d'envisager que les membres de la SCI n'aient pas les moyens financiers de l'assumer.
Considérant qu'il est inopérant de soutenir que la maison serait en état d’abandon total, au motif qu'un constat d'huissier établi le 26 mai 2006 établirait que la piscine est crasseuse , ce qui atteste simplement de la nécessité d'un entretien après la période hivernale, et que la propriété est envahie de toute part par des herbes hautes, ce qui est normal à la campagne en cette période de l'année pour une maison qui n'est habitée que de manière épisodique et qui est dépourvue de gardien.
b) Considérant qu'indépendamment des difficultés professionnelles et familiales qui ont opposé Monsieur Jean Yves H. à sa mère, la cour ne peut qu'observer que celui-ci, par une attitude délibérément hostile ou négative, est principalement à l'origine des différents dysfonctionnements qu'il invoque au soutien de sa demande en dissolution de la SCI, qu'il s'agisse de la fixation du calendrier d'occupation de la maison de vacances, de sa carence dans l'exécution des fonctions statutaires de gestion et d'entretien de l'immeuble qu'il exerçait, ou encore de l'absence de tenue régulière des assemblées générales et de reddition des comptes.
Considérant que compte tenu de la carence de Monsieur Jean Yves H., il ne peut être reproché aux autres associés d'avoir pris les initiatives nécessaires pour accomplir des actes de gestion permettant la jouissance de la maison, conformément à l'objet social de la SCI.
c) Considérant enfin que si Monsieur Jean Yves H. a manifesté le désir de sortir de la SCI en faisant usage de la faculté que lui confère l'article 10 des statuts, lequel aménage un mécanisme de cession de parts, il appartient aux parties, avisées et disposant de toute la compétence juridique nécessaire, de mener toute discussion utile sur le prix de cette cession sans qu'il y ait lieu pour la cour d'ajouter à ces discussions une contrainte supplémentaire ou une pression inopportune, en ordonnant la dissolution de la société, laquelle implique la mise en vente de la maison La Guenaïdel des Papes', à laquelle les appelants, qui représentent 74 % des associés, manifestent vivement un attachement au moins sentimental, aucun élément du dossier n'établissant qu'une sortie amiable de Monsieur Jean Yves H. de la société soit impossible ou impraticable, quand bien même les parties refuseraient, pour des raisons qui leur sont propres, toute médiation judiciaire ou extra judiciaire.
Considérant en conséquence que contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, il n'y a pas lieu d'accueillir la demande en dissolution de la SCI pour justes motifs présentée par Monsieur Jean Yves H..
Considérant que le jugement entrepris sera donc infirmé.
Sur la désignation d'un nouvel administrateur judiciaire :
Considérant que Maître Fertelle, administrateur judiciaire à Valence (Drôme), a été désigné par arrêt infirmatif de la cour de ce siège du 1er décembre 2004.
Qu'il a été remplacé par ordonnance du conseiller de la mise en état de la 14ème chambre de la cour, le 25 février 2005, par Maître Michel CHAVAUX.
Considérant que la mission de Maître CHAVAUX ayant pris fin le 30 novembre 2005, cet administrateur judiciaire a, à nouveau, été désigné par ordonnance de référé du 26 février 2006, rendue par le président du tribunal de grande instance de Versailles.
Considérant qu'il n'existe en l'espèce aucune raison déterminante pour modifier cette désignation, Maître CHAVAUX devant continuer à assurer la gestion courante de la société, en dépit de son éloignement géographique dont il n'est pas démontré qu'il constitue un obstacle insurmontable.
Qu'il doit en outre être souligné que les appelants n'ayant pas accepté de verser une provision à Maître FERTELLE, seul administrateur dans le département de la Drôme, ce dernier a demandé son remplacement, ce qui a été fait par ordonnance précitée du 25 février 2005.
Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Considérant enfin que Monsieur Jean Yves H. sera condamné à payer à l'ensemble des appelants une indemnité totale de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
Statuant publiquement et par arrêt rendu par défaut,
- INFIRME le jugement entrepris,
ET STATUANT À NOUVEAU,
- DÉBOUTE Monsieur Jean Yves H. de l'ensemble de ses demandes.
- DIT n'y avoir lieu à modifier la désignation de Maître Chavaux en qualité d'administrateur provisoire de la SCI.
- CONDAMNE Monsieur Jean Yves H. à payer une indemnité totale de 2.500 € (deux mille cinq cents euros) aux appelants sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
- CONDAMNE Monsieur Jean Yves H. aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés directement par la SCP Jullien-Lécharny-Rol & Fertier, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.