CA Pau, 2e ch. sect. 1, 4 décembre 2008, n° 07/03593
PAU
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Des Saligues (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bertrand
Conseiller :
Mme Meallonnier
Avoué :
SCP J.Y. Rodon
Avocats :
Me Perreau, Me Decorny
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte notarié du 23 octobre 1996, ont été formalisés les statuts d'une société civile familiale dénommée DES SALIGUES constituée entre M. Henri D. (57 % des parts sociales), Mme Monique D., épouse du premier, (10 %), Mlle Magalie D. (10 %), Mlle Laetitia D. (10 %), M. Cédric D. (10 %), tous trois enfants du couple D., et M. Jean-Paul G. (3 %) désigné en qualité de gérant de droit.
Le couple D. s'est séparé et des difficultés sont apparues dans le fonctionnement de la société, Mme Monique D., Mlle Magalie D. et Mlle Laetitia D. se plaignant de l'absence de tenue d'assemblée générale, de communication des documents sociaux et d'excès de pouvoir du gérant.
C'est dans ce contexte que ces trois associées ont fait assigner en référé M. Henri D., M. Cédric D., M. Jean-Paul G. et la société DES SALIGUES par devant le président du tribunal de grande instance de Pau, par actes des 21 et 23 mars 2007, aux fins de voir désigner un administrateur provisoire.
Par ordonnance du 14 août 2007, à laquelle il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample des faits, de la procédure suivie en première instance, comme des moyens et prétentions initiaux des parties, le juge des référés du tribunal de grande instance de Pau a :
- constaté que la société DES SALIGUES n'était pas représentée à l'instance ;
- constaté que cette société connaissait des dysfonctionnements justifiant la désignation d'un administrateur provisoire en la personne de Me LIVOLSI ;
- désigné Me LIVOLSI pour une durée de 6 mois, renouvelable, avec pour mission de :
- convoquer une assemblée générale aux lieu et place du gérant défaillant ;
- faire un tour d'horizon de la situation financière de la société et ce, depuis sa création ;
- le cas échéant, prendre toute décision de dissolution anticipée et/ou de révocation de l'actuel gérant ;
- et plus généralement, se faire communiquer tous documents comptables utiles et ce depuis la création de la société ;
- ordonné la communication du dossier à M. le Procureur de la République de Pau ;
- condamné M. Henri D., M. Cédric D. et M. Jean-Paul G. à payer aux demanderesses une somme de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
M. Henri D., M. Cédric D., M. Jean-Paul G. et la société DES SALIGUES ont relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la Cour le 30 octobre 2007, dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas contestées et à l'égard desquelles les seuls éléments portés à la connaissance de la Cour ne font pas ressortir qu'elles seraient contraires à l'ordre public.
Vu les conclusions déposées le 30 janvier 2008 par les appelants qui ont demandé à la Cour de :
- dire et juger que les demandes des intimées sont infondées, contestables, ne relèvent pas de l'urgence et sont inadaptées à la situation ;
- mettre à néant l'ordonnance du 14 août 2007 ;
- débouter les intimées de leurs demandes ;
- les condamner au paiement d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Vu les conclusions déposées le 02 juillet 2008 par Mme Monique D., Mlle Magalie D. et Mlle Laetitia D. qui ont demandé à la Cour de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, et y ajoutant, de condamner in solidum les appelants à leur payer une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 30 septembre 2008.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR L'ADMINISTRATEUR PROVISOIRE
1) la tenue d'assemblée générale et le droit à l'information des associés
L'article 19 des statuts stipule que :
- les assemblées générales sont convoquées par la gérance au lieu du siège social ou en toute autre endroit indiqué dans la convocation. Un ou plusieurs associés représentant au moins 5 % du capital social peuvent par lettre recommandée avec avis de réception demander à la gérance la convocation d'une assemblée générale ;
- les convocations à l'assemblée générale sont effectuées par lettre recommandée avec avis de réception adressée à chaque associé quinze jours au moins avant la réunion. Lettre de convocation indique l'ordre du jour, les modifications aux statuts, s'il en est proposé, devant être explicitement mentionnées. La convocation peut être verbale et l'assemblée réunie sans délai si tous les associés sont présents ou représentés.
L'article 21 prévoit que l'assemblée générale ordinaire est réunie au moins une fois par an à l'effet de prendre connaissance du compte rendu de la gestion de la gérance et du rapport écrit sur l'activité de la société au cours de l'exercice écoulé.
Elle statue sur cette reddition du compte, approuve ou redresse les comptes et décide l'affectation et la répartition des bénéfices ;
En outre, les articles 40 et 41du décret du 03 juillet 1978 disposent qu'avant toute assemblée, le gérant doit adresser à chacun des associés, quinze jours au moins que lorsque l'ordre du jour de l'assemblée porte sur la reddition de compte des gérants, le rapport d'ensemble sur l'activité de la société avec indication des bénéfices réalisés et les pertes encourues, les rapports de l'organe de surveillance ou du commissaire aux comptes, s'il y a lieu, le texte des résolutions proposées et tous autres documents nécessaires à l'information des associés, qui peuvent également consulter sur place ces documents ;
Les comptes étant clôturés au 31 décembre de chaque année, l'assemblée générale aurait dû être convoquée au plus tard dans les 6 mois, soit avant le 30 juin ;
Or, il ne peut être justifié par M. G., gérant de droit jusqu'au 27 juin 2007, de la tenue d'une quelconque assemblée générale au cours de sa gérance ;
Si le fonctionnement familial de la société, au temps de l'entente entre les associés, a pu favoriser un relâchement du contrôle de l'activité sociale par les associés, l'apparition de dissensions internes rendait d'autant plus nécessaire le respect des dispositions légales et statutaires que doit garantir le gérant aux associés ;
M. G. s'est manifestement affranchi de toutes ses obligations légales et statutaires que lui imposaient ses fonctions de gérant, malgré les demandes de communication des documents sociaux et les récriminations sur l'absence de tenue des assemblées générales, formulées et réitérées par Madame et Mesdemoiselles D. par courriers recommandés en date des 02/01/2006, 14 mars 2006, 13 juillet 2006 (lettre non réclamée par le gérant) suivie d'une lettre simple du 10 août 2006 ;
Par son comportement, rendu possible par le soutien indispensable de M. Henri D., associé majoritaire, le gérant s'est livré à des violations graves et répétées des droits fondamentaux des associés qui, sans accès aux documents sociaux et privés de toute délibération, subissent une éviction intolérable de la vie sociale d'autant plus grave qu'à l'égard des tiers, ils répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social, ainsi que Mlle Laetitia D. a pu en faire l'amère expérience en se voyant notifier un commandement de payer du Trésor Public en date du 15 mars 2005 pour une dette sociale échue en 2002 ;
2) l'achat illicite d'un bien immobilier
L'article 17 des statuts relatif à la gérance, stipule que la gérance dispose des pouvoirs les plus étendus pour la gestion sociale mais, à titre de règlement intérieur décide que la gérance ne pourra, sans l'autorisation préalable de l'assemblée générale des associés statuant dans les conditions prévues [...] et sans que cette clause puisse être opposée aux tiers, effectuer l'une des opérations suivantes : [...] acheter tous immeubles [...], contracter tous emprunts [...] ;
A la suite d'investigations personnelles, les intimées ont découvert que par acte notarié du 23 juillet 2002 la société DES SALIGUES avait acquis un bien immobilier sis à Orthez et contracté un emprunt pour son financement ;
Après y avoir apposé son visa, le notaire a annexé à l'acte d'acquisition un procès-verbal de délibération en date du 10 juillet 2002, relatant la tenue d'une assemblée générale ordinaire en présence de l'ensemble des associés et l'adoption à l'unanimité des résolutions relatives à l'acquisition du bien et à l'emprunt ;
Or, il est établi que cette assemblée générale n'a jamais existé ; ce procès-verbal est donc, à tout le moins un faux civil, et est susceptible de recevoir la qualification pénale de faux en écritures ;
Un tel procès-verbal préjudicie incontestablement les droits des associés sur le contrôle de l'opération projetée et sur le droit ultérieur à en critiquer la pertinence ;
Ces faits révèlent une pratique dévoyée des pouvoirs de la gérance portant gravement atteinte aux intérêts des associés ;
Par conséquent, outre la manifestation d'un différend, au sens de l'article 808 du Code de procédure civile, opposant la gérance aux trois associés évincés de la vie sociale, ces faits révèlent également un trouble manifestement illicite aux droits de ces derniers au sens de l'article 809 du même Code ; dans tous les cas, ils caractérisent en eux-mêmes l'urgence d'une mesure appropriée pour mettre un terme aux dérives dangereuses de l'organe de direction et au rétablissement d'un fonctionnement social conforme à la loi et aux statuts sans lequel l'intérêt social ne peut être préservé ;
Dans ces conditions, la désignation d'un administrateur provisoire apparaît comme la solution la plus adaptée aux intérêts en présence, nonobstant la tenue d'une assemblée générale ordinaire en date du 27 juin 2007, convoquée à la suite de l'assignation en référé, qui a désigné M. Henri D. en qualité de gérant, lequel, impliqué dans les dérives de la gérance antérieure, n'offre aucune garantie pour rétablir immédiatement un fonctionnement social régulier, assurer aux intimées une pleine information sur la gestion passée et permettre à chacun de se déterminer en pleine connaissance de cause sur l'avenir de la société et de sa gouvernance ;
Par conséquent, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a désigné Me LIVOLSI en qualité d'administrateur provisoire pour une durée de 6 mois renouvelable ;
Il sera précisé que ce renouvellement sera limité à 18 mois ;
SUR LA MISSION DE L'ADMINISTRATEUR
Les points de la mission relatifs à la convocation d'une assemblée générale, l'examen de la situation notamment financière de la société depuis sa création et la communication de tous les documents comptables depuis la création de la société doivent être confirmés, tant les dérives constatées de la gérance sont de nature à mettre en doute la sincérité et la régularité de la gestion passée ;
En revanche, le point de la mission confiant à l'administrateur, le soin, le cas échéant de prendre toute décision de dissolution anticipée et/ou de révocation de l'actuel gérant' sera infirmé, dans la mesure où il n'est pas au pouvoir du juge de charger un administrateur provisoire, dont la mission est de nature conservatoire, de décider de la dissolution de la société ou de révoquer le gérant et, ce faisant, de le substituer aux assemblées générales extraordinaire et ordinaire seules habilitées à délibérer sur ces questions, sans préjudice du droit pour les associés de demander la dissolution judiciaire de la société, en application des dispositions de l'article 1844-7 5° du Code civil, ou de contester, par exemple, la régularité de l'assemblée générale qui a nommé M. D. en qualité de gérant ;
Il sera fait observer qu'il n'a pas été demandé de charger l'administrateur provisoire d'une mission de gestion, de sorte que le gérant actuel n'est pas dessaisi de ses fonctions de gestion de la société du fait de la désignation de l'administrateur ;
La mission de l'administrateur sera complétée par la convocation de toute assemblée générale ordinaire ou extraordinaire utile, notamment, dans ce dernier cas, en vue de délibérer sur la dissolution de la société ;
L'ordonnance entreprise sera confirmée sur les dépens et les frais irrépétibles mis à la charge des défendeurs constitués ;
La société DES SALIGUES étant appelante et donc succombante aux côtés de Messieurs D. et G., ces quatre appelants seront condamnés in solidum aux dépens d'appel et à payer aux intimés une indemnité complémentaire de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, en matière de référé, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, à l'exception du point de la mission confiant à l'administrateur provisoire la prise de toute décision de dissolution anticipée et/ou de révocation de l'actuel gérant,
L'INFIRME du seul chef de cette mission,
LIMITE à 18 mois, après deux renouvellements successifs, la durée de la mission de l'administrateur provisoire,
DIT que l'administrateur provisoire pourra convoquer toute assemblée générale ordinaire ou extraordinaire utile concernant la gérance ou le sort de la société, telle qu'une délibération sur une dissolution anticipée de la société, sans préjudice du droit pour les associés de demander la dissolution judiciaire en application de l'article 1844-7 5° du Code civil, à charge de justifier des conditions d'application de ce texte,
CONDAMNE in solidum M. Henri D., M. Cédric D., M. Jean-Paul G. et la société DES SALIGUES aux dépens d'appel,
CONDAMNE in solidum M. Henri D., M. Cédric D., M. Jean-Paul G. et la société DES SALIGUES à payer aux intimées une indemnité complémentaire de 1.500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
AUTORISE la SCP MARBOT - CREPIN, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.