CA Versailles, 12e ch., 2 mars 2023, n° 22/01049
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Embevi (SA)
Défendeur :
Mercedes-Benz Financial Services France (SA), Mercedes-Benz Trucks France (Sasu), Mercedes-Benz France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thomas
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Avocats :
Me Zerhat, Me Silva, Me Debray, Me Vogel
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Mercedes-Benz France, aux droits de laquelle est venue la société Mercedes-Benz France Trucks, est l’importateur en France des véhicules neufs de la marque Mercedes-Benz ainsi que des pièces afférentes.
La SA Mercedes-Benz Financial Services France, filiale de la société Mercedes-Benz France, est un établissement de crédit.
La société Embevi, anciennement dénommée Etoile d’Aquitaine, a été le concessionnaire véhicules industriels et utilitaires de la société Mercedes-Benz France en région Aquitaine.
Le 16 septembre 2002, les sociétés Mercedes-Benz France et Embevi ont conclu quatre contrats : deux contrats de distribution et deux contrats de services, pour les camions et les utilitaires légers.
Durant l’année 2008, une baisse des résultats et chiffre d’affaires de la société Embevi est intervenue.
Par courrier recommandé du 29 janvier 2009, la société Mercedes-Benz France a mis en demeure la société Embevi de lui régler une somme de 1.022.938,69 € correspondant à 25 véhicules qu’elle lui avait livrés et qui ne lui avaient pas été réglés.
Le 30 avril 2009, la société Mercedes-Benz France a informé la société Embevi de sa décision de mettre un terme aux contrats de distribution avec un préavis de deux ans.
Le 29 octobre 2010, la société Embevi a cédé son fonds de commerce à la société Sami Aquitaine.
Par acte du 29 octobre 2015, la société Embevi a assigné les sociétés Mercedes-Benz France et Mercedes-Benz Financial Services France devant le tribunal de commerce de Versailles en indemnisation du préjudice qu’elle aurait subi du fait de leur attitude déloyale à son égard.
Le 17 octobre 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé le redressement judiciaire de la société Embevi, et désigné les sociétés Vincent Mequinion et Laurent Mayon comme respectivement administrateur et mandataire judiciaires.
Le 29 janvier 2020, la société Embevi a bénéficié d'un plan de redressement.
Par jugement du 8 septembre 2017, le tribunal de commerce de Versailles a :
- dit irrecevable la société Embevi en ses demandes formulées à l'encontre des sociétés Mercedes-Benz France et Mercedes-Benz Financial Service,
- condamné la société Embevi à payer à chacune des sociétés Mercedes-Benz France et Mercedes-Benz Financial Service, la somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l’exécution provisoire,
- condamné la société Embevi aux dépens.
Par arrêt du 26 septembre 2019, la cour d’appel de Versailles a :
- confirmé le jugement rendu le 8 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Versailles en ses dispositions,
Y ajoutant,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Embevi, la société Vincent Mequinion ès qualités d’administrateur judiciaire et la société Mayon-Laurent ès qualités de mandataire judiciaire, aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct.
Par arrêt du 22 septembre 2021, la Cour de cassation a cassé l’arrêt du 26 septembre 2019.
Vu la déclaration de saisine du 18 février 2022 par la société Embevi.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 15 avril 2022, la société Embevi demande à la cour de :
- recevoir la société Embevi, anciennement dénommée Etoile d’Aquitaine, en ses écritures et l’y déclarer tout aussi recevable que bien fondée,
- infirmer purement et simplement le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Versailles le 8 septembre 2017,
Statuant de nouveau,
- déclarer que la société Mercedes-Benz France, aux droits de laquelle s’est présentée venir (sic) la société Mercedes-Benz France Trucks, a été déloyale et en tant que telle fautive d’avoir prononcé la résiliation des contrats de distribution Mercedes-Benz Utilitaires et Mercedes-Benz Industriels, la liant à la société Embevi, anciennement dénommée Etoile d’Aquitaine, en avançant comme motifs objectifs des impayés et une perte de confiance,
- retenir que la déloyauté de la société Mercedes-Benz France, aux droits de laquelle s’est présentée venir (sic) la société Mercedes-Benz France Trucks, s’est poursuivie postérieurement à la résiliation des contrats de distribution,
- retenir que les sociétés Mercedes-Benz France, aux droits de laquelle s’est présentée venir (sic) la société Mercedes-Benz France Trucks, et Mercedes-Benz Financial Service, ont toutes deux été à l’origine de la cession du fonds de commerce, propriété de la société Embevi, anciennement dénommée Etoile d’Aquitaine,
- condamner solidairement les sociétés Mercedes-Benz France, aux droits de laquelle s’est présentée venir (sic) la société Mercedes-Benz France Trucks, et Mercedes-Benz Financial Service au paiement d’une somme de 12.197.446 €, en indemnisation du préjudice subi par la société Embevi, anciennement dénommée Etoile d’Aquitaine,
A titre subsidiaire,
- commettre tel expert qu’il plaira avec mission habituelle afin de valoriser :
- le prix de vente du fonds de commerce de la société Etoile d’Aquitaine dès lors que les contrats de distribution n’avaient pas été résiliés le 30 avril 2009,
- la perte de marge éprouvée par la société Etoile d’Aquitaine quant aux mois d’août, septembre et octobre 2010,
- le manque à gagner inhérent aux véhicules propriété de la société Embevi dont le cessionnaire n’a pas entendu se porter acquéreur,
- le manque à gagner des pièces détachées conservées par la société Etoile d’Aquitaine que le cessionnaire n’a pas entendu acquérir,
En tout état de cause,
- condamner solidairement les sociétés Mercedes-Benz France, aux droits de laquelle s’est présentée venir (sic) la société Mercedes-Benz France Trucks, et Mercedes-Benz Financial Service au règlement d’une somme de 37.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 14 juin 2022, les sociétés Mercedes-Benz France, aux droits de laquelle est venue la société Mercedes-Benz France Trucks, et Mercedes-Benz Financial Services France demandent à la cour de :
A titre principal,
- déclarer la saisine devant la Cour de renvoi irrecevable, en tout cas mal fondée,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Versailles le 8 septembre 2017 en toutes ses dispositions,
- débouter en conséquence la société Embevi de l'ensemble de ses demandes,
Subsidiairement,
- débouter la société Embevi de l'ensemble de ses demandes,
- débouter la société Embevi de sa demande d’expertise,
- condamner la société Embevi à verser à chacune des sociétés Mercedes-Benz France Trucks, venant aux droits de la société Mercedes-Benz France, et Mercedes-Benz Financial Service France une somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Embevi en tous les dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 3 novembre 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la portée de la cassation
Après avoir rappelé que la prescription en matière contractuelle court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s’est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu auparavant connaissance, l’arrêt cassé a retenu que la société Embevi a eu connaissance de son préjudice si ce n’est lors de la résiliation des contrats de distribution le 30 avril 2009, lorsqu’elle a cédé son fonds de commerce puisqu’elle connaissait alors sa valeur estimée (900.000 €), moindre que celle à laquelle elle pouvait prétendre.
L’arrêt a considéré que la société Embevi avait eu connaissance du préjudice dès la signature de la promesse de vente du fonds de commerce le 19 juillet 2010, et ne pouvait prétendre que les faits dommageables n’avaient été connus d’elle de façon certaine que lors de l’acte définitif de cession de vente du fonds de commerce, le 29 octobre 2010, après réalisation des conditions suspensives. Il a considéré que la prescription avait commencé à courir le 19 juillet 2010 et indiqué qu’au surplus même à considérer la date de connaissance des faits comme le 29 octobre 2010, l’assignation a été délivrée le 29 octobre 2015 alors qu’elle ne devait intervenir que le 28 octobre 2015 à minuit au plus tard pour interrompre la prescription.
Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle que le point de départ de la prescription en matière de responsabilité civile est la date à laquelle un dommage certain se manifeste au titulaire du droit, et qu’au jour de la promesse de vente (le 19 juillet 2010), qui était conclue sous conditions, le dommage n’était pas certain.
La Cour de cassation ajoute que selon l’article 2224 du code civil, la prescription est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli. EIle retient que la cour d’appel a, pour déclarer la société Embevi irrecevable, indiqué que même dans l’hypothèse où la date de connaissance des faits était fixée au 29 octobre 2010, date de la conclusion de l’acte de vente du fonds de commerce, l’assignation devait intervenir le 28 octobre 2015 à minuit au plus tard pour interrompre la prescription, alors que le délai quinquennal de prescription expirait le 29 octobre 2015 à 24 heures, de sorte que la cour d’appel a écourté le délai d’une journée et violé l’article susvisé.
Sur la prescription
Après avoir rappelé que la prescription en matière contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage, ou de la date à laquelle il s’est révélé à la victime, la société Embevi rappelle que les 1 juges ont considéré ers que la date de connaissance du préjudice était celle de la promesse de vente du 19 juillet 2010, et que les faits de déloyauté reprochés étaient antérieurs, pour retenir que la prescription était acquise le 29 octobre 2015, date de la délivrance de l’assignation. Elle ajoute qu’elle était dans l’impossibilité d’engager la responsabilité de son concédant avant la cession de son fonds de commerce. Elle fait état de l’engagement d’une procédure de conciliation, qui a suspendu la prescription. Elle affirme que c’est à compter de la réitération de l’acte portant cession de son fonds de commerce qu’elle a pu être en mesure de connaître son préjudice, le compromis étant signé sous condition suspensive, de sorte qu’aucune certitude ne pouvait être retenue avant. Elle conclut à l’infirmation du jugement quant à la prescription.
Les sociétés Mercedes-Benz soutiennent que la société Embevi confond la certitude du préjudice et son chiffrage, que le préjudice allégué était certain dès la résiliation du contrat de distribution le 30 avril 2009. Elles indiquent qu’il revient au juge de chiffrer le préjudice, qu’il ne peut être exigé du créancier de le chiffrer pour pouvoir engager son action, puisque ce chiffrage n’est qu’un élément dont dispose le juge pour évaluer le dommage, et non pour constater son existence. Elles affirment que c’est à la date de la résiliation que la partie la “subissant” est en mesure de connaître son préjudice, et qu’en l’espèce la société Embevi affirme que la résiliation aurait eu pour effet immédiat de la pousser à céder son entreprise dès l’été 2009, ayant alors connaissance de la faute et du dommage allégué, soit l’impossibilité de poursuivre l’exploitation.
Elles indiquent que la promesse de vente du 19 juillet 2010 était conclue sous quatre conditions suspensives qui devaient être réalisées pour le 15 septembre 2010, qu’un avenant a repoussé cette date au 25 octobre 2010, de sorte qu’à cette dernière date les parties savaient si les conditions étaient ou non réalisées, il n’existait plus d’aléa et le préjudice de la société Embevi était chiffrable. Elles en déduisent que la prescription a commencé à courir avant le 29 octobre 2010. Elles ajoutent que les demandes de la société Embevi demeurent prescrites malgré l’ouverture d’une procédure collective à son encontre, que l’engagement d’une procédure de conciliation à laquelle elles ne sont pas parties est indifférent.
*****
L’article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permettait à la société Embevi d'exercer son action à l’encontre des sociétés Mercedes.
La prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.
En l’espèce, si les intimées avancent que la société Embevi a envisagé dès la résiliation des contrats de distribution la cession de son fonds de commerce, elles ne peuvent en déduire que les faits dont il est allégué qu’ils seraient constitutifs d’une faute contractuelle permettant à la société Embevi d’exercer son action étaient connus dès 2009, le dommage n’étant alors ni établi ni certain lors de la réception des courriers annonçant la résiliation desdits contrats, ce d’autant que ces courriers prévoyaient un préavis de deux années.
Il sera de surcroît relevé que les sociétés Mercedes-Benz prêtent à la société Embevi des observations ou réactions qui ne résultent pas des écritures produites par cette société.
Au jour de la promesse de vente -soit le 19 juillet 2010- conclue sous conditions, le dommage n’était pas certain, de sorte que la date de cette promesse ne peut être retenue comme point de départ du délai de prescription.
L’acte de cession de fonds de commerce du 29 octobre 2010 mentionne que la promesse de vente du 19 juillet 2010 a été consentie sous quatre conditions suspensives, dont deux devaient être réalisées au plus tard le 15 septembre 2010, et il ressort de la lecture de l’acte de cession qu’un avenant a été conclu entre les parties à la promesse le 30 septembre 2010, à la suite de la non-réalisation de deux conditions suspensives (dont l’une devant initialement être réalisée au plus tard le 15 septembre 2010).
Si les sociétés Mercedes font état de l’avenant conclu le 30 septembre 2010 entre les parties à l’acte de cession, elles ne le produisent pas, et il ne figure ni au listing des pièces versées par la société Embevi, ni au listing de celles versées par les sociétés Mercedes, de sorte qu’il ne peut être utilement invoqué par les sociétés Mercedes Benz pour soutenir qu’il prévoyait que les conditions suspensives devaient être intégralement réalisées pour le 25 octobre 2010, qu’à compter de cette date les parties à l’acte savaient si les conditions étaient réalisées, et que la société Embevi pouvait alors chiffrer son préjudice.
Au seul vu de ce qui précède, il apparaît que le préjudice de la société Embevi n’a été certain qu’à la signature de l’acte de cession de son fonds de commerce le 29 octobre 2010, de sorte que sa demande n’était pas prescrite le 29 octobre 2015, date de la délivrance de l’acte introductif d’instance.
Le jugement sera réformé en ce qu’il a dit la société Embevi irrecevable en ses demandes.
Sur la déloyauté reprochée aux sociétés Mercedes
Sur les sommations de communiquer
La société Embevi indique avoir sollicité des sociétés Mercedes la communication de pièces, à laquelle les intimées se sont refusées, sous des explications infondées.
Les intimées s’opposent aux demandes de communication portant sur des pièces sans lien avec l’objet du présent litige, la société Embevi ne justifiant pas de l’intérêt pour elle de les obtenir.
*****
La cour observe que si, dans le corps de ses conclusions, la société Embevi dénonce le refus des sociétés Mercedes-Benz de communiquer certaines pièces, une telle demande de communication ne figure pas au dispositif de ses conclusions, qui seul saisit la cour selon l’article 954 du code de procédure civile.
De plus, les sommations de communiquer délivrées par la société Embevi l’ont été dans le cadre de l’instance d’appel du jugement du 8 septembre 2017, et non devant la présente cour de renvoi.
Sur les griefs et impayés allégués à l’encontre de la société Embevi
La société Embevi soutient que les résiliations des contrats de distributeurs sont intervenues pour des motifs inexistants, puisque le courrier de résiliation du 30 avril 2009 se fonde sur un impayé artificiellement généré par les sociétés Mercedes-Benz, que la somme présentée comme due devait être diminuée par le jeu de la compensation par la valeur de deux véhicules repris par la société Mercedes-Benz France, et que le 15 mai 2009 cette société se reconnaissait débitrice de la société Embevi. Elle affirme que, contrairement à ce qu’allèguent les sociétés Mercedes-Benz, la compensation est un mode de règlement légal, et que l’impayé au 30 avril 2009 est inexistant.
Elle écarte la perte de confiance et la dégradation des relations entre les sociétés comme motifs de résiliation des contrats de distribution, ce alors que les sociétés Mercedes-Benz ont maintenu leur confiance s’agissant des contrats de services de réparation. Elle présente la situation des quatre premiers mois de l’année 2009. Elle soutient que le comportement des sociétés Mercedes-Benz n’a pas été loyal pendant le préavis, ce qui a été relevé par le conciliateur.
Les sociétés Mercedes-Benz soutiennent que la résiliation s’explique par la dégradation des relations entre les sociétés et la perte de confiance à l’égard de la société Embevi, ayant dès 2008 dénoncé les objectifs non atteints, certains dysfonctionnements, et la société Embevi n’ayant pas à plusieurs reprises honoré ses obligations de paiement. Elles indiquent que lors d’un audit du stock en janvier 2009, 25 véhicules étaient manquants sur le parc de la société Embevi, ce qui implique qu’elle les a vendus sans les payer. Elles déclarent que malgré une compensation qu’elles avaient accepté d’effectuer, un montant de près de 600.000 € leur était dû, et que deux nouveaux impayés leur ont été signalés les 21 et 24 avril 2009, ce qui a justifié la décision du 30 avril 2009 de mettre fin aux relations avec la société Embevi. Elles ajoutent que si la société Embevi soutient qu’elle était créancière et qu’une compensation devait s’opérer, la compensation n’était pas prévue contractuellement comme un mode de paiement, et que la société Mercedes-Benz France était au jour de la résiliation créancière de la société Embevi, le fait que la situation ait ensuite évolué ne pouvant annuler la résiliation. Elles déclarent qu’elles avaient le droit de résilier le contrat, en respectant le préavis prévu, sans indication de motifs, et que le fait d’indiquer des motifs inexacts ne peut avoir d’incidence sur leur droit à résiliation, le juge n’étant pas tenu de contrôler le bien-fondé des motifs de rupture avancés.
*****
Les quatre contrats conclus le 16 septembre 2002 entre les sociétés Daimler Chrysler France (désormais Mercedes-Benz France) et Etoile d’Aquitaine (désormais Embevi) l’ont été pour une durée indéterminée, et prévoient tous que le contrat peut être résilié par l’une ou l’autre des parties moyennant le respect d’un préavis de 24 mois.
Par courrier du 30 avril 2009, la société Mercedes-Benz France a notifié à la société Etoile d’Aquitaine / Embevi sa décision de mettre fin aux contrats de distribution qui les liaient, en indiquant qu’elle avait décidé de respecter un préavis de deux ans.
Si le concédant peut résilier le contrat de concession sans donner de motifs, sous réserve de respecter le délai de préavis et sauf abus du droit de résiliation, en l’occurrence les contrats prévoyaient que si la société Daimler “souhaite résilier le présent contrat, elle est tenue de le faire par écrit en spécifiant les raisons objectives et transparentes de sa décision. Cette obligation ne fait pas obstacle à la prise d’effet de la résiliation”.
La lettre de résiliation du 30 avril 2009 de la société Mercedes-Benz France vise l’attitude de la société Etoile d’Aquitaine (désormais Embevi), lui reprochant une désinvolture inacceptable, un mépris de ses engagements malgré les nombreux rappels qui lui avaient été faits remettant en cause la relation de confiance entre elles, soulignant que la situation de ses impayés aurait pu amener à une résiliation avec effet immédiat, la société Mercedes-Benz France rappelant être dans l’attente de ses règlements.
Dans un courrier précédent du 6 février 2008, la société Mercedes-Benz France faisait état à la société Etoile d’Aquitaine de réalisations insuffisantes s’agissant des camions, avec un taux de commandes annuel de 78% par rapport à son objectif. Ce courrier pointait la nécessité d’un plan d’action “compte-tenu de ces contres performances, récurrentes sur ces 4 dernières années”.
Un autre courrier de la société Mercedes-Benz France lui était adressé le 17 mars 2008, relevant que de nombreux dysfonctionnements avait été constatés “tant au niveau de votre accueil clients que du fonctionnement global de votre activité SAV”, demandant que lui soit précisé le détail des “mesures d’amélioration qui s’imposent”.
La cour observe que la société Embevi ne conteste pas la réalité de ces griefs, ni n’allègue avoir mis en oeuvre un plan d’action pour y remédier.
Par courrier du 29 janvier 2009, la société Mercedes-Benz France indiquait à la société Etoile d’Aquitaine que lors de l’audit de son site réalisé le 8 janvier 2009, 25 véhicules ne se trouvaient pas sur son parc, sans qu’elle n’ait pu fournir aucune explication de cette absence. Ce courrier lui demandait de régler sous 48 heures le prix desdits véhicules, soit 857.205,40 €, outre celui de 3 véhicules dont les échéances étaient revenues impayées, soit 165.733,29 €, et mettait ainsi en demeure la société Etoile Aquitaine de payer au plus tard le 5 février 2009 la somme de 1.022.938,69 €.
Les sociétés Mercedes-Benz expliquent que l’absence des 25 véhicules induit qu’ils avaient été vendus par la société Etoile Aquitaine sans les payer et la société Embevi, si elle émet dans ses conclusions plusieurs hypothèses, au demeurant non démontrées, sur la situation de ces véhicules (présence sur un autre site, dans l’atelier, chez un carrossier pour préparation finale, dans un show room), ne conteste pas leur absence, ni ne justifie de la réponse qu’elle aurait alors apportée à la société Mercedes-Benz France. L’argument de la société Embevi, selon lequel ces véhicules ne pouvaient que bénéficier d’une immatriculation provisoire (WW) car la société Mercedes-Benz France détenait les documents des véhicules, ne peut expliquer leur absence.
Par courrier du 6 février 2009, la société Mercedes-Benz France expose qu’étant redevable de son côté de la somme de 439.646 € à la société Etoile Aquitaine, elle lui a proposé de procéder par compensation, de sorte que celle-ci lui devait 583.292,69 €; elle lui a indiqué qu’elle acceptait de surseoir à toute décision dans l’attente d’un plan d’apurement avec versement d’un 1er acompte au plus tard le 10 février suivant, soulignant qu’il était indispensable qu’elle bénéficie de garanties sur les prochaines échéances.
Il résulte du courrier du 4 mars 2009 de la société Mercedes-Benz France qu’alors que la société Etoile Aquitaine lui avait communiqué un échéancier de remboursement, elle n’a pas respecté son engagement, de sorte que la société Mercedes-Benz France l’a mise en demeure de régler le solde de sa dette -soit la somme de 199.495,17 €- avant le 7 mars 2009.
Par courrier du 21 avril 2009, la société Mercedes-Benz France a dénoncé à la société Etoile Aquitaine que son impayé s’élevait à 329.811 €, et l’a mise en demeure de le régler avant le 28 avril 2009.
Par courrier du 24 avril 2009, la société Mercedes-Benz France a dénoncé à la société Etoile Aquitaine que son impayé s’élevait à 459.421,51 €, et l’a mise en demeure de le régler avant le 28 avril 2009.
La cour observe que la société Embevi ne justifie pas des réponses qu’elle aurait apportées à ces courriers de mise en demeure des mois de mars et d’avril 2009.
Il résulte de ce qui précède que les relations entre les sociétés s’étaient dégradées depuis plus d’une année, en raison des manquements contractuels de la société Etoile Aquitaine, notamment l’absence de 25 véhicules de son parc sans explication.
La société Embevi soutient que par le jeu de la compensation entre créances réciproques, la société Mercedes-Benz France lui devait la somme de 53.071,28 €, en se fondant sur le courrier du 13 mai 2009 de la société Mercedes-Benz France.
Elle avance que la somme qu’elle devait à la société Mercedes-Benz France, au 30 avril 2009 - soit le jour de l’envoi du courrier de résiliation - était 391.299,79 € et que lui était due celle de 406.192,16 €, au vu notamment du décompte versé par les intimées (leur pièce 25, décompte des sommes dues au 30 avril 2009), de sorte que les impayés étaient inexistants.
Pour autant, elle n’établit pas par ses pièces qu’au 24 avril 2009, elle ne devait pas la somme de 459.422,75 €, montant justifié par le décompte versé avec le courrier de mise en demeure du 24 avril 2009, ni que la régularisation est intervenue avant le 28 avril 2009, date ultimatum retenue par ce courrier.
Si elle fait état de deux commissions n° 7865504 et 7864959 (d’un montant respectif de 34.390,98 € TTC et de 33.737,98 € TTC) à déduire du fait de la cession de ces véhicules à d’autres distributeurs Mercedes, ce que la société Mercedes-Benz France reconnaît dans son courrier du 13 mai 2009, il n’est pas justifié par les pièces versées de la date à laquelle cette cession est intervenue.
Par ailleurs, la société Embevi ne peut dénoncer comme fallacieux l’argument de la perte de confiance pour dénoncer les contrats de distribution alors que la confiance était maintenue s’agissant des contrats de réparation, les impayés précédemment relevés relevant de la distribution de véhicules et non des services de réparation.
Même à considérer qu’au 30 avril 2009, et par le recours à la compensation, la société Embevi n’était plus débitrice d’impayés au profit de la société Mercedes-Benz France, elle ne conteste pas sérieusement les motifs de résiliation autres que le défaut de paiement visé par la société Mercedes-Benz France dans son courrier de résiliation, et reconnaît avoir été confrontée au cours des quatre premiers mois de l’année 2009 à des problèmes de trésorerie qu’elle attribue sans convaincre à la société Mercedes-Benz France et à des difficultés relatives à l’immatriculation des véhicules.
Au vu de ce qui précède, la société Embevi ne justifie pas que la résiliation ait été abusive.
Sur le grief de déloyauté des sociétés Mercedes-Benz lors du préavis
Au titre de la déloyauté des sociétés Mercedes-Benz, la société Embevi relève que la société Mercedes-Benz France s’étant reconnue sa débitrice le 13 mai 2009, rien ne lui interdisait de revenir sur les résiliations prononcées à tort et de rétablir son crédit au cours de l’année 2009.
Elle ajoute que l’activité de distribution de véhicules étant consommatrice de trésorerie, l’autofinancement qui lui a été imposé de fait l’a contrainte dès l’été 2009 à envisager de céder son activité, au vu des obstacles qu’elle devait affronter. Elle dénonce l’attitude des sociétés Mercedes-Benz, déloyale et non conforme à la coopération entre concédant et concessionnaire, soulignant que le conciliateur nommé par le tribunal de commerce a dû intervenir auprès d’elles pour qu’elles acceptent des conditions de financement des pièces détachées acceptables.
Elle relève qu’alors qu’elle bénéficiait d’un plafond de crédit de 5.207.000€, de 180 jours de financement et de primes pour 442.646 € en 2008, les sociétés Mercedes-Benz lui ont imposé de régler les véhicules pour les débloquer, ne lui ont repris que 8 véhicules utilitaires alors qu’elles “allégeaient” tous les distributeurs, ont conditionné l’octroi d’un plafond d’encours de 1,8 million d’€ à un cautionnement bancaire de 700.000 €, l’ont privée des délais de paiement. Elle en déduit qu’elle n’a pu commercialiser une centaine de véhicules, ni bénéficié des primes et des marges sur la revente des véhicules d’occasion, la contraignant à la revente de son fonds de commerce. Elle indique encore que son encours a été réduit à 1,2 million d’€ en novembre 2009, et que la résiliation a en fait été prise avec effets immédiats.
Les sociétés Mercedes-Benz contestent l’ensemble des griefs allégués à leur encontre. Elles indiquent que la société Mercedes-Benz France ne pouvait refuser l’installation d’un réparateur concurrent, vu l’impossibilité de limiter le nombre des réparateurs agréés. Elles expliquent avoir reconsidéré le risque au vu des impayés de la société Embevi, cause de la réduction du plafond de l’encours, et ont envisagé de rétablir l’encours sous la condition d’une caution bancaire qui ne leur a jamais été remise. Elles font état de l’accord de principe de la société Mercedes-Benz France pour la reprise de 20 véhicules utilitaires légers neufs, et relèvent que la société Embevi ne justifie pas de son grief sur ce point. Elles dénoncent des griefs non justifiés de la société Embevi à leur égard, et contestent avoir ébruité les difficultés financières de la société Embevi à certains de ses fournisseurs, ayant seulement refusé de vendre un véhicule du fait des impayés. Elles ajoutent que la société Embevi ne justifie pas que la société Mercedes-Benz Financial Services France aurait refusé de lui consentir une location financière.
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La société Embevi prétend qu’alors que les sociétés Mercedes-Benz ont déclaré maintenir le contrat de distribution pendant une période de deux années, dans les faits elles lui ont imposé de procéder au règlement des véhicules vendus avant de les livrer, sans qu’aucun financement de son stock ne lui soit consenti. Elle fait notamment état de la réduction du plafond de l’encours qui lui était reconnu à hauteur de 5,207 millions d’€ sans caution jusqu’au 30 avril 2009, puisqu’il lui a été proposé de le rétablir à hauteur de 1,8 million d’€ sous la condition d’un cautionnement bancaire de son dirigeant.
Pour autant, il résulte des développements qui précèdent que les sociétés Mercedes-Benz ont demandé à plusieurs reprises à la société Embevi, dans les quatre premiers mois de l’année 2009, de procéder au règlement de sommes dues. Aussi étaient-elles fondées à reconsidérer le risque induit par le maintien d’un plafond d’encours de ce montant, ce qui ne saurait révéler une exécution déloyale des relations commerciales durant le préavis. Il ressort du courrier du 8 septembre 2009 de la société Mercedes-Benz France que les intimées avaient proposé dès le 18 mai 2009 à la société Embevi de bénéficier d’un plafond d’encours de 1,8 million d’€, sous condition de la remise d’une caution bancaire pour un montant de 750.000 €, proposition à laquelle la société Embevi n’a pas souscrit.
Les sociétés Mercedes-Benz soulignent sur ce point que la société Mercedes-Benz France a rétabli à compter du mois de juin 2009 les délais de paiement au profit de la société Embevi, qui n’a pas produit de caution bancaire, de sorte que le plafond d’encours qui lui avait été reconnu a alors été diminué, et la société Embevi n’apporte aucune indication sur ce dernier point.
Par ailleurs, le courrier du 12 juin 2009 de la société Mercedes-Benz France indique notamment qu’elle n’était pas opposée à augmenter le plafond d’encours, s’il lui était remis une caution bancaire d’un montant plus élevé.
L’avenant à l’annexe 5 du contrat de distribution et/ou services Mercedes-Benz pour les utilitaires légers et/ou camions indiquant le plafond de crédit de 5,207 millions d’€ reconnu à la société Embevi (sa pièce 23) montre que les critères d’attribution d’encours étaient définis objectivement, comme la “remise en cause des conditions de règlement accordées” visant notamment les impayés du distributeur, le détournement de véhicules.
Au vu de ce qui précède, la réduction du plafond de l’encours de la société Embevi n’apparaît pas révéler un comportement déloyal des sociétés Mercedes-Benz durant le préavis.
S’agissant du grief relatif à l’agrément donné à un autre réparateur véhicules utilitaires et poids lourds par la société Mercedes-Benz France à proximité de la société Embevi, les sociétés Mercedes-Benz expliquent que selon le règlement CE n°1400/2002 du 31 juillet 2002, le nombre de réparateurs agréés ne pouvait être limité, et que tout candidat devait être agréé lorsqu’il remplissait les critères standards qualificatifs. La société Embevi ne conteste pas cette explication et la possibilité ainsi ouverte par le règlement 1400/2002, pour les indépendants d’intégrer un réseau de réparateurs agréé.
S’agissant du grief lié au nombre limité de véhicules repris par la société Mercedes-Benz France pour “l’alléger”, il s’appuie sur un courrier de la société Mercedes-Benz France du 19 mars 2009 indiquant à la société Etoile d’Aquitaine son accord pour reprendre vingt véhicules utilitaires légers que celle-ci détenait en stock (valorisés à 549.227 €). La société Embevi avance que huit véhicules seulement seront repris, comme l’indique la mention manuscrite figurant sur cette lettre.
Pour autant, cette mention ne peut établir à elle seule le nombre de reprises effectuéespar la société Mercedes-Benz France, ni révéler en elle-même que la société Embevi n’aurait bénéficié que d’un nombre de reprises inférieur à celui qu’elle pouvait escompter, ce qui révélerait la déloyauté des sociétés Mercedes-Benz.
La cour observe de surcroît que ce courrier de la société Mercedes-Benz France est daté du 19 mars 2009 soit avant la résiliation, de sorte qu’il ne peut en être fait état utilement pour soutenir que les sociétés Mercedes-Benz n’ont pas loyalement exécuté le préavis.
Si la société Embevi reproche à la société Mercedes-Benz France d’avoir informé la société Mercedes-Benz Financial Services France de sa situation, de sorte que cette dernière lui aurait refusé des délais de paiement, les pièces versées par la société Embevi ne justifient pas à suffisance de la réalité de ce grief. De plus, il n’apparaît pas déloyal, au vu des difficultés rencontrées par la société Embevi, que les sociétés Mercedes-Benz aient demandé le paiement comptant des véhicules qu’elle commandait, et soient revenues sur les délais de paiement dont elle pouvait bénéficier précédemment, ce qui n’empêchait pas le maintien de son activité.
Il n’est pas démontré que les sociétés Mercedes-Benz auraient ébruité les difficultés rencontrées par la société Embevi auprès de ses fournisseurs. Il en est de même tant du refus allégué de la société Mercedes-Benz Financial Services France de lui consentir des locations financières, aucune pièce n’étant versée à l’appui de ces prétentions, que du grief reposant sur la mise en oeuvre de la technique dite du “frigo” [report des ventes réalisées sur l’année suivante afin d’en améliorer les ventes], non justifié et reposant sur des faits allégués antérieurs à la résiliation.
Aussi, il n’est pas justifié d’une déloyauté des sociétés Mercedes-Benz dans l’exécution du préavis, et le maintien de leur décision de résilier les contrats ne peut non plus caractériser un comportement déloyal, de sorte que ce grief n’apparaît pas établi.
La société Embevi échoue ainsi à démontrer que les sociétés Mercedes-Benz sont à l’origine de la cession de son fonds de commerce.
Elle sera donc déboutée de ses demandes, et il ne sera pas fait droit à la demande d’expertise.
Sur les frais irrépétibles et dépens
Le jugement sera confirmé s’agissant des dépens et frais irrépétibles.
Succombant au principal, la société Embevi sera condamnée au paiement des dépens d’appel, ainsi qu’au versement de la somme de 2.000 € à chacune des sociétés Mercedes-Benz, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement, sauf s’agissant des frais irrépétibles et dépens de 1ère instance,
statuant à nouveau,
Déclare la demande de la société Embevi recevable,
Déboute la société Embevi de toutes ses demandes,
Condamne la société Embevi à verser à chacune des sociétés Mercedes-Benz France Trucks, venant aux droits de la société Mercedes-Benz France, et Mercedes-Benz Financial Services France une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Embevi en tous les dépens.