CA Paris, 1re ch. sect. cbv, 10 mars 1992, n° 91/24720
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Richelieu Finance (SA)
Défendeur :
Pinault (SA), Société Alsacienne de Magasins (SA), Maus Frères (SA), Crédit Lyonnais Investissement, BNP, Compagnie d'Investissement de Paris, Banque Lazard, Société Générale, Geneval (SA), Conseil des Bourses de Valeurs, Président de la Commission des Opérations de Bourse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Ezratty, M. Canivet
Conseillers :
Mme Aubert, M. Bargue, Mme Renard-Payen
Avoués :
SCP Duboscq-Pellerin, Me Ribaut, Me Régnier, SCP Varin Petit, Me d'Auriac, SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Me Berlioz, Me Ayache, Me Villey, SCP Moquet Borde, Me Rambaud Martel, Me Orenjo, Me Prat
Statuant en application de la loi n° 88-70 du 22 janvier 1988 sur les Bourses de Valeurs et du décret n° 88-603 du 7 mai 1988 relatif aux recours exercés devant la Cour d'Appel de Paris contre les décisions du Conseil des marchés à terme et du Conseil des bourses de valeurs.
Et après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des bourses de valeurs, le représentant du président de la Commission des Opérations de bourse et le ministère public en leurs observations.
Le capital social de la société inscrite à la cote officielle Au Printemps SA, composé de 6 875 178 actions, représentant 10 235 887 droits de vote aux assemblées générales, outre 845 256 bons de souscription d'actions, était, jusqu'au mois de novembre 1991 majoritairement détenu par un ensemble de personnes physiques et morales agissant de concert, désignées sous le nom de groupe familial Maus-Nordmann, et comprenant :
- la société de droit Suisse Mauss Frères SA qui possédait 1 129 710 actions représentant 2 232 920, des droits de vote (soit 21,81 %) et 183 327 bons de souscription,
- la société Alsacienne de Magasins (S.A.M.A.G.), société de droit français sous contrôle d'actionnaires résidant en Suisse, qui possédait 1 659 034 actions représentant 3 318 068 des droits de vote (soit 32,42 %) et 220 952 bons de souscription,
- les consorts Maus-Nordmann, comprenant Bertrand, Jacques, Olivier, et Jacqueline Maus, Gérard, Philippe Nordmann et la succession Nordmann, ainsi que la S.A. 18-20 rue de Passy qui, ensemble, possédaient 113 635 actions représentant 226 045 des droits de vote (soit 2,21 %).
Au total ce groupe était propriétaire de 2 902 379 actions soit 42,27 % du capital lui conférant 5 77 033 des droits de vote de la société Au Printemps (soit 56,44 %).
Le reste des titres était réparti entre divers actionnaires comprenant, entre autres, les établissements financiers : Clinvest, filiale du Crédit Lyonnais (3,8 % du capital et 4,29 % des droits de vote ), C.I.P., filiale de la Banque Nationale de Paris (3,8 % du capital et 4,41 % des droits de vote ), Geneval, filiale de la Société Générale (3,3 % du capital et 4,45 % des droits de vote ) et la banque Lazard Frères & Cie (4 % de capital et autant de droits de vote ).
Aux termes d'une lettre datée du 21 novembre 1991, la société Pinault S.A. a fait transmettre à la société Maus Frères l'offre d'acheter ferme et de manière irrévocable les actions composant le capital de la S.A.M.A.G. pour la somme payée comptant de 3 300 000 000 francs, sa proposition étant notamment soumise à la condition que cette société détienne 2 788 744 actions, toutes au porteur, ainsi que 404 279 bons de souscription Au Printemps.
Par contrat d'acquisition d'actions daté du 22 novembre 1991, la société Maus Frères et les consorts Maus-Nordmann ont cédé à la société Pinault 100 % du capital de la S.A.M.A.G. aux conditions susvisées, moyennant un prix de 1 971 923 205 francs établi sur la base de 1 105 francs par action et 435 francs par bon de souscription Au Printemps, ajouté à la somme de 1 328 076 795 francs, montant de la créance de Maus Frères sur la S.A.M.A.G. résultant de la cession de ses titres.
Selon les parties à cette transaction, la signature du contrat a été précédée, dans la soirée du 22 novembre :
- d'une part, du transfert par la société Maus Frères à la S.A.M.A.G. de 1 129 710 actions Au Printemps, ne représentant plus, du fait de la perte des droits de vote doubles , que 21,8 % des droits de vote , et de 183 327 bons de souscription aux prix sus-indiqués, soit au total une somme de 1 328 076 795 francs payable à terme,
- d'autre part, de la conversion au porteur des 2 788 744 actions Au Printemps nominativement détenues par la S.A.M.A.G., ramenant ainsi le pourcentage de ses droits de vote de 48,70 à 37,31 %.
Conformément à l'article 5-3-3 du règlement général du Conseil des bourses de valeurs (le Conseil), la société Pinault a, le 27 novembre 1991, fait saisir la Société des Bourses Françaises (S.B.F.) par le Crédit Lyonnais, banque présentatrice, d'un projet d'offre publique d'achat visant 1 953 933 actions ou bons de souscription au prix unitaire de 1 105 francs par action et 435 francs par bon qui, ajoutés à ceux déjà en sa possession, lui permettraient de détenir à l'issue de l'opération les deux tiers du capital de la société Au Printemps en cas d'exercice de la totalité des bons en circulation.
Ce projet, publié le 28 novembre 1991, a été déclaré recevable par la décision soumise à recours, prise par le Conseil en sa séance du 4 décembre 1991 et publiée le lendemain, la note d'information ayant été visée par la Commission des Opérations de Bourse le 9 décembre suivant.
Simultanément, la S.B.F. a publié un avis du 9 décembre 1991, indiquant que le Conseil avait été informé, le 29 novembre 1991, conformément aux dispositions de l'article 356-1 de la loi du 24 juillet 1966, qu'à la date du 22 novembre précédent :
- après la cession de 1 129 710 actions par la société Maus Frères à la S.A.M.A.G. d'une part, la conversion au porteur des actions détenues par cette société d'autre part, le groupe Maus-Nordmann, avait franchi à la baisse le seuil de 50 % des actions Au Printemps, la société Maus Frères ayant elle-même franchi à la baisse les seuils de 20 %, 10 %, et 5 %,
- à la suite de la cession de la totalité du capital de la S.A.M.A.G. à la société Pinault, le groupe Maus-Nordmann avait franchi à la baisse les seuils de 1/3, 20 %, 10 %, 5 % de la société Au Printemps et ne détenait plus désormais que 226 045 droits de vote , soit 3,02 % des 7 472 581 droits de vote existants,
- la société Pinault SA avait franchi à la hausse les seuils de 5 %, 10 %, 20 % et du 1/3 de la société Au Printemps au sein de laquelle elle détenait désormais indirectement, par l'intermédiaire de la S.A.M.A.G., 2 788 744 actions et le même nombre de droits de vote , représentant 40,56 % du capital et 37,31 % des droits de vote existants.
La cotation des titres Au Printemps ayant été suspendue du 25 novembre au 9 décembre 1991, l'offre publique a été ouverte le 11 décembre suivant, et par application de l'article 5-2-9 de son règlement général, le Conseil en a prorogé la date de clôture jusqu'au 24 mars 1992, dernier jour de la cotation liquidation du mois de mars 1992.
Successivement, le 13 décembre 1991, Armand Anastassiades et 8 autres personnes, toutes actionnaires de la société Au Printemps puis, le 16 janvier 1992, Florence de Saint-Seine, ayant la même qualité, et la société Richelieu Finance agissant en tant que gérant de portefeuille et gestionnaire d'un fonds commun de placement, ont formé des recours en annulation contre la décision prise par le Conseil le 4 décembre 1992, déclarant recevable l'offre publique d'achat déposée par la société Pinault et visant les actions et bons de souscription Au Printemps.
Aux termes de leurs mémoires distincts, les deux groupes de requérants invoquent, conjointement ou individuellement, les moyens suivants, tendant à l'annulation de la décision soumise à recours dont ils prétendent d'abord qu'elle est entachée de vices de forme en ce que :
- telle qu'elle a été publiée, elle ne contient pas l'indication des membres ayant siégé lors de la séance où a été délibérée la décision déférée ;
- elle a été prise sans instruction préalable, en violation du principe de contradiction et en fraude aux droits des requérants ;
- elle n'est pas régulièrement motivée.
Les auteurs des recours soutiennent ensuite que le Conseil a fait une application erronée de la loi et de son règlement général en déclarant recevable le projet d'offre publique partielle déposé par la société Pinault, alors que, par application des articles 6 bis de la loi du 22 janvier 1988 et 5-4-1 et suivants du règlement, il aurait dû la contraindre à procéder, sur la totalité des titres de capital de la société visée restant dans le public, à une garantie de cours au prix de cession du bloc de contrôle, en raison de ce que :
- ladite société détient un bloc d'actions et de bons de souscription qui lui permet de contrôler la société Au Printemps, ou qui est susceptible de lui en conférer le contrôle majoritaire ;
- l'acquisition indirecte des titres Au Printemps par la société Pinault, effectuée par l'intermédiaire de la S.A.M.A.G. après conversion au porteur d'actions nominatives qui lui a artificiellement permis de réduire un bloc de titres majoritaire à 37,31 % des droits de vote est entachée de fraude et porte atteinte aux droits des actionnaires minoritaires ;
- l'opération a été réalisée par la société Pinault, avec le groupe Maus-Nordmann et certains établissements financiers agissant de concert au sens de l'article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966, en vue d'acquérir des actions leur conférant le contrôle majoritaire de la société visée.
La société Au Printemps prie la Cour de lui donner acte de ce que ses organes sociaux ont approuvé l'offre publique d'achat déposée par la société Pinault, selon elle conforme à ses intérêts financiers, et prie la Cour de rejeter les recours.
La société Pinault conclut :
- à l'irrecevabilité du premier recours, dont le mémoire contenant l'exposé des moyens et les pièces annexes ne lui ont pas été communiqués, ainsi qu'à l'irrecevabilité des moyens complémentaires tardivement invoqués au soutien du second ;
- au rejet des deux recours, en exposant que le transfert des actions Au Printemps et leur conversion au porteur effectués par le groupe Maus-Nordmann préalablement à la cession de la S.A.M.A.G. ne sont ni une manoeuvre fictive, ni une fraude à la loi ou aux droits des actionnaires minoritaires et que les actions de la société Au Printemps qu'elle a acquises ne constitue qu'un bloc minoritaire ne l'obligeant pas à procéder à une garantie de cours ; elle affirme en outre n'avoir agi de concert avec quiconque et conteste chacun des autres moyens visant à prétendre irrégulière l'acquisition des dites actions.
La société Maus-Frères, et les consorts Maus-Nordmann, ainsi que le Crédit-Lyonnais et la Société Clinvest, la Société Générale et la Société Généval, la Banque Lazard Frères & Cie et la Banque Nationale de Paris dénient toute action de concert avec la société Pinault.
Le Conseil a produit des observations tendant d'une part, à l'irrecevabilité des moyens tardivement invoqués par Florence de Saint-Seine et la Société Richelieu Finance et d'autre part, au rejet de chacun des recours.
Appelé à déposer des conclusions et à les développer oralement à l'audience, le Président de la Commission des Opérations de Bourse a estimé, après avoir fait procéder à une enquête dont les éléments ont été versés aux débats, qu'un accord caractérisant un concert a été conclu entre le groupe Maus-Nordmann et la société Pinault pour éviter à ce dernier de franchir le seuil de contrôle majoritaire en droits de vote de la société Au Printemps susceptible d'entraîner l'obligation de mettre en oeuvre une procédure de garantie de cours ou le dépôt d'une offre publique sur 100 % des titres de cette société et que, du point de vue de l'équité, cet accord a eu pour effet de rompre l'égalité de traitement entre les actionnaires de la société Au Printemps.
Le Ministère Public a oralement conclu au rejet des deux recours.
Sur quoi la Cour :
I - Sur la procédure :
Considérant que les recours ayant été dénoncés par le greffe à la société Pinault conformément à l'article 5 du décret du 7 mai 1988, l'irrecevabilité prévue par l'article 4 de ce texte, qui fixe les modalités de formation du recours, est sans application en l'espèce alors qu'en outre, la Cour statue après que la société mise en cause a été à même de présenter ses observations notamment sur les moyens invoqués par les requérants ;
Considérant que si un mémoire complémentaire a été produit par Florence de Saint-Seine et la Société Richelieu Finance postérieurement au délai d'un mois suivant la déclaration de recours prévu par le texte susvisé, les arguments nouveaux qu'il contient, se rattachant directement aux moyens initialement invoqués, ne sauraient entraîner son rejet des débats ;
II - Sur les vices de forme invoqués :
Considérant que s'agissant d'une décision administrative non juridictionnelle, la décision du Conseil n'est pas irrégulière du seul fait que la publication qui en a été faite par la S.B.F. ne mentionne pas la composition dans laquelle cet organisme a délibéré ; qu'en outre l'allégation que certains de ses membres auraient des relations d'intérêts avec des personnes impliquées dans l'opération financière litigieuse est inopérante, dès lors que, ni la loi du 22 janvier 1988, ni son décret d'application du 17 mars 1988, ne prévoient d'incompatibilités, étant au surplus observé que cette affirmation est dépourvue de la moindre justification ;
Considérant que le Conseil, qui n'est investi d'aucun pouvoir d'enquête, n'est pas tenu d'instruire autrement sa décision que par l'examen des requêtes, pièces et mémoires qui lui sont adressés ou dont il peut demander la production et, le cas échéant, par l'audition de toute personne intéressée ;
Que tel qu'il est produit aux débats le dossier sur lequel il a arrêté sa décision, constitué, outre les mémoires émanant de l'initiatrice de l'offre, d'une correspondance datée du 2 décembre adressée par Maître Georges Berlioz, avocat, développant le point de vue d'actionnaires minoritaires de la Société Au Printemps, de remarques du Président de la Commission des Opérations de Bourse, des éléments d'évaluation de la société visée et d'un rapport présenté en sa séance du 4 décembre 1992, établissent que le Conseil a délibéré sur des éléments d'information suffisants, après avoir pris connaissance des observations que toute personne intéressée a été en mesure de présenter après la publication du projet de l'offre publique le 28 novembre 1991 ; qu'en conséquence la procédure suivie devant le Conseil n'a manqué ni à la loyauté ni aux garanties de la défense.
Considérant que la décision du Conseil qui se réfère à la situation de la société initiatrice dans l'actionnariat de la société Au Printemps, aux circonstances dans lesquelles celle-ci a indirectement acquis plus du tiers des titres de capital de la société visée, qui expose les modalités de l'offre et vise les articles de son règlement général qu'elle estime applicables, répond aux prescriptions de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;
Qu'elle ne reprend pas les arguments d'opportunité économique et industrielle évoqués dans le rapport présenté lors de la séance du Conseil du 4 décembre 1991 et qu'en conséquence, sont sans pertinence les moyens visant à soutenir qu'elle est fondée sur de tels motifs argués d'erreur ou de non conformité au droit communautaire ;
Que sous couvert de contradiction dans la motivation, il est en réalité allégué que le Conseil a fait une application erronée de la loi dans les conditions qui seront ci-après examinées ;
III - Sur le fond :
Considérant que les parties requérantes prétendent d'abord qu'est contraire au principe d'égalité des actionnaires garanti par la réglementation boursière, l'admission de la société Pinault à ne mettre en oeuvre qu'une offre publique d'achat limitée aux deux tiers des actions de la Société Au Printemps alors que, selon eux, la réalité de cette opération financière, qu'ils assimilent à une prise de contrôle majoritaire, commandait une garantie de cours sur la totalité des actions restant dans le public au prix de cession du bloc de titres par le groupe Maus-Nordmann ;
Considérant qu'aux termes de l'article 6 bis de la loi du 22 janvier 1988, le Conseil établit un règlement général qui, afin d'assurer l'égalité des actionnaires et la transparence du marché, fixe notamment les conditions dans lesquelles "le projet d'acquisition d'un bloc de titres conférant la majorité du capital ou des droits de vote d'une société inscrite à la cote officielle... oblige le ou les acquéreurs à acheter en bourse, au cours ou au prix auquel la cession du bloc est réalisée, les titres qui leur sont alors présentés" ;
Qu'il s'ensuit que le respect de l'égalité des actionnaires n'impose pas d'autres obligations dérogatoires à la liberté de contracter que celles limitativement prévues par la loi et fixées par le règlement général du Conseil pour son application ;
Considérant que la mise en oeuvre de l'obligation légale susvisée, qui ne se réfère en aucune manière à la notion de contrôle d'une société définie par l'article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966, suppose que le bloc de titres objet du projet d'acquisition confère à la date de la transaction plus de 50 % des droits de vote d'une société ;
Considérant que, selon les indications qu'elles a fournies dans le projet dont elle a saisi le Conseil, la société Pinault, n'a acquis que 40,2 % du capital lui conférant 37,31 % des droits de vote de la société Au Printemps ; qu'elle ne peut par conséquent, hors le cas où serait démontrée la fausseté de cette déclaration, être contrainte d'acheter en bourse au même prix tous les titres de cette société qui lui seraient présentés, même si au sens de l'article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966, elle en exerce d'ores et déjà le contrôle, ainsi qu'il résulte des termes d'une lettre adressée par le Président de la Société Pinault au Président du directoire de la Société Au Printemps dès le 23 novembre 1991 et des modifications intervenues le 27 novembre suivant au sein du Conseil de surveillance ;
Que selon les dispositions légales susvisées, dont les articles 5-4-1 et suivants du règlement général du Conseil fixent les modalités de mise en oeuvre sans pouvoir en aggraver les obligations, le franchissement actuel du seuil de la majorité des droits de vote de la société visée, ne peut résulter de la possession de bons de souscription, dès lors que ceux-ci, avant leur exercice à leur future date d'échéance, ne confèrent pas de droits de vote ; que pour les même raisons, il ne peut être tenu compte de la perspective pour l'acquéreur des actions d'obtenir des droits de vote doubles par une détention nominative pendant plus de deux années ;
Qu'aux surplus la détention des bons par la société Pinault ne suffirait pas à lui faire franchir le seuil susvisé dans le capital de la Société Au Printemps, puisqu'ils ne lui permettront d'obtenir, lors de leur conversion en actions le 31 juillet 1992, que 5,41 % des droits de vote ;
Considérant que, pour soutenir que la société Pinault est néanmoins tenue à une garantie de cours, certains requérants prétendent d'abord que la majorité en droits de vote à prendre en compte est celle que confère au cédant le bloc de titres vendus ;
Mais considérant que, dès lors que c'est à l'acquéreur qu'est imposée l'obligation de procéder à une garantie de cours, la majorité des droits de vote nécessaire pour en causer le déclenchement doit être appréciée lors du transfert des titres dans le patrimoine de celui-ci ;
Considérant qu'il est encore allégué que la vente ayant été parfaite dès le 21 novembre 1991, avant la mise au porteur des actions Au Printemps détenues par la S.A.M.A.G., le bloc transféré à la Société Pinault représente 48,70 % des droits de vote et qu'en outre, faute d'avoir été acceptée par l'émetteur, reportée en compte par la S.I.C.O.V.A.M. et immédiatement publiée, cette conversion est inopposable aux autres actionnaires ;
Mais considérant que les seules affirmations des requérants relatives aux circonstances de fait qui ont entouré le déroulement de la cession d'actions ne suffisent pas à mettre en doute les mentions du contrat d'acquisition du 22 novembre 1991, alors qu'il est expressément indiqué dans la lettre datée de la veille, adressée par François Pinault au négociateur du groupe Maus-Nordmann, que son offre d'acheter est conditionnée par la mise au porteur des actions Au Printemps détenues par la S.A.M.A.G. ; que pour cette raison l'accord des parties n'a pu se former qu'après la réalisation de cette condition ;
Qu'au surplus, rien ne permet de douter de la sincérité de la date figurant sur les instructions relatives à la conversion des titres détenus par la S.A.M.A.G., données par son Président Directeur Général à la banque teneur de la comptabilité titres de la société Au Printemps ;
Qu'en outre l'article 2 du décret du 5 décembre 1955, donne à tout propriétaire d'actions faisant partie d'une émission qui comprend des titres au porteur, la faculté de convertir au porteur ses titres nominatifs, sans que le changement d'inscription soit subordonné à l'acceptation de l'émetteur ni à aucune autre condition ou formalité d'exécution ; que la S.A.M.A.G. ayant usé de cette possibilité le 22 novembre 1991, la conversion a instantanément produit ses effets, ainsi qu'il résulte de l'attestation délivrée le même jour par la banque chargée de la comptabilité titres de la Société Au Printemps ;
Qu'enfin il ne peut être tiré argument d'un prétendu défaut d'information du public sur les conséquences de la transformation ainsi effectuée, puisque dans le délai de cinq jours de bourse fixé par l'article 356-1 alinéa 2 de la loi du 24 juillet 1966, la S.A.M.A.G. a porté la réduction de sa participation dans l'actionnariat de la société Au Printemps à la connaissance du Conseil, qui l'a fait publier le 9 décembre 1991 ;
Considérant qu'il est prétendu par ailleurs que la S.A.M.A.G. ayant, en raison du transfert des actions détenues par la société Maus-Frères, dépassé le 22 novembre 1991 le seuil du tiers du capital de la société Au Printemps, était, par application de l'article 5-3-1 du règlement général, tenue de présenter une offre publique visant les deux tiers des titres de cette société conférant des droits de vote ;
Mais considérant que les dispositions du texte susvisé ont été respectées puisque la société Pinault, dont la S.A.M.A.G. est le même jour devenue une filiale à 100 %, a elle-même déposé un projet d'offre publique dans le délai prescrit ;
Considérant qu'il est encore invoqué que telle qu'elle s'est réalisée, par l'achat de la totalité du capital de la S.A.M.A.G. à qui elles ont été artificiellement cédées par la société Maus Frères puis converties au porteur aux seules fins de faire disparaître les droits de vote doubles attachés aux titres nominatifs, l'acquisition indirecte des actions de la Société Au Printemps par la Société Pinault, constitue une fraude portant atteinte à l'égalité des actionnaires et visant à éluder les prescriptions du droit boursier qui auraient obligé d'une part, la société Maus Frères à céder en bourse ses actions Au Printemps par une "application" conforme aux dispositions des articles 4-7-1 et suivants du règlement général du Conseil et d'autre part, la société Pinault à procéder à une garantie de cours ;
Considérant que, selon les parties contractantes, les raisons du procédé de cession qu'elles ont adopté ne sont nullement fallacieuses mais, s'expliquent pas la convergence de leurs volontés en fonction de leurs objectifs propres : le groupe Maus-Nordmann voulant d'une part, éviter les charges fiscales cumulées d'une vente directe des actions Au Printemps détenues par la S.A.M.A.G. puis de la liquidation de cette Société pour libérer les fonds alors que d'autre part, la Société Pinault n'acceptait pas d'acquérir dans le capital de la S.A.M.A.G. plus de droits de vote que ne lui en aurait conféré un transfert direct des titres Au Printemps par la perte automatique des droits de vote doubles attachés à certains d'entre eux ;
Qu'il n'est pas établi que le mécanisme juridique mis en oeuvre à cette fin soit un montage artificiel ou fictif visant à éluder la réglementation boursière ;
Considérant en premier lieu, que les raisons fiscales invoquées par le groupe Maus-Nordmann ne sont pas en elles-mêmes arguées de fraude, qu'il était loisible à ces personnes, qui en avaient le pouvoir, de céder le capital de la S.A.M.A.G. de préférence aux actions Au Printemps détenues par celle-ci et qu'il n'était pas interdit à la société Pinault de se placer, par des stipulations contractuelles licites, hors du champ d'application des articles 5-4-1 et suivants du règlement général du Conseil ;
Considérant en second lieu, que l'article 1er alinéa 3 de la loi du 22 janvier 1988, autorisait la société Maus Frères qui possédait plus de 20 % du capital de la S.A.M.A.G., à céder à celle-ci les actions Au Printemps qu'elle détenait sans les négocier en bourse ;
Considérant en troisième lieu, que dès lors que sont réunies les conditions prévues par l'article 1er du décret du 7 décembre 1955, la conversion au porteur de titres nominatifs relève de la seule volonté de leur propriétaire ; que par l'effet de l'article 176 de la loi du 24 juillet 1966, toute action convertie au porteur ou transférée perd son droit de vote double ;
Qu'en elle-même régulière, la conversion au porteur des actions Printemps dont la S.A.M.A.G. était propriétaire, effectuée à l'initiative du groupe Maus-Nordamnn afin de répondre à une condition contractuelle fixée par la société Pinault, n'a été ni une opération fictive ni une manoeuvre artificielle, dès lors qu'elle a effectivement et définitivement produit, par application de la loi susvisée, la perte des droits de vote doubles qui leur étaient attachés ;
Considérant qu'il s'ensuit que c'est par l'effet d'une transaction exempte de fraude que la société Pinault a indirectement acquis un bloc d'actions ne lui conférant que 37,31 % des droits de vote de la société Au Printemps ;
Considérant qu'il est encore prétendu, pour soutenir que la société Pinault doit procéder à une garantie de cours, qu'à sa participation en droits de vote dans la société Au Printemps doivent être, individuellement ou collectivement ajoutées, pour apprécier le franchissement du seuil de 50 %, celles conservées par les consorts Maus-Nordmann (3,02 %) ainsi que celles détenues par les sociétés Clinvest filiale du Crédit Lyonnais (5,88 %), C.I.P. filiale de la Banque Nationale de Paris (6,10 %), Geneval, filiale de la Société Générale (3,05 %) et la banque Lazard Frères (4 %) qui auraient agi de concert pour la prise de contrôle majoritaire de la société visée ;
Mais considérant, en ce qui concerne les consorts Maus-Nordmann, que leur accord avec la société Pinault sur la conversion au porteur des titres détenus par la S.A.M.A.G. ne saurait en lui-même caractériser une action de concert dont les effets se seraient prolongés au-delà de la signature de l'acte de cession ;
Qu'en outre quelles que soient les raisons pour lesquelles les consorts Maus-Nordmann ont conservé les titres que chacun d'eux détenait personnellement ou par l'intermédiaire de la S.A. 18-20 rue de Passy, il n'est en rien démontré que subsiste entre eux et la société Pinault un accord en vue de céder ensuite les titres conservés par ces derniers, même si leur intention déclarée est de les apporter à l'offre publique ; qu'à fortiori il ne peut être affirmé qu'un tel accord aurait pour but de mettre en oeuvre une politique commune vis à vis de la Société Au Printemps ;
Qu'au surplus, la fraction de 3,02 % des droits de vote qu'ensemble ils possèdent encore ne serait pas de nature à leur conférer avec la Société Pinault la majorité des droits de vote dans la société visée ;
Considérant qu'en ce qui concerne les établissements financiers C.I.P., Geneval et Lazard Frères, les seules circonstances alléguées qu'ils sont actionnaires, voire membres de conseils d'administration et éventuellement conseils financiers d'une ou plusieurs des sociétés impliquées ne suffit pas à établir qu'existe, entre eux et avec la société Pinault, un accord au sens de l'article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Qu'il est dès lors sans objet de rechercher si le Crédit Lyonnais et sa filiale Clinvest agissent de concert avec la société Pinault, voire même avec les consorts Maus-Nordmann, puisqu'ensemble ils ne possèdent pas un nombre de droits de vote suffisant pour leur faire franchir le seuil déclenchant la procédure de garantie de cours ;
Considérant que, pour prétendre que le Conseil ne pouvait admettre la recevabilité d'une offre publique consécutive au transfert irrégulier d'un bloc de titres, les requérants soutiennent par ailleurs que la S.A.M.A.G. a contrevenu aux dispositions du décret du 29 décembre 1989, relatif aux investissements étrangers en France qui lui imposaient de solliciter l'autorisation du Ministre de l'Économie des Finances et du Budget avant d'acquérir les actions Au Printemps détenues par la société Maus Frères ;
Mais considérant qu'il ne résulte nullement du texte susvisé qu'un tel transfert soit soumis à déclaration ou autorisation administrative préalable ;
Considérant que n'est pas davantage pertinent le grief selon lequel la Société Pinault a omis de solliciter l'avis du comité des établissements de crédit en prenant le contrôle de la société Au Printemps dont les filiales comprennent de tels établissements, alors qu'il est justifié que cette formalité a été accomplie dès le 28 novembre 1991 ;
Considérant que les demandeurs au recours ajoutent enfin que l'acquisition par la Société Pinault des titres Au Printemps a été faite en violation des dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, en particulier :
- de l'article 162-1, qui faisait obligation à la S.A.M.A.G. de détenir nominativement les actions Au Printemps en entrant le 27 novembre 1991 au Conseil de surveillance de cette société ;
- de l'article 217-9, dès lors que le prix des actions Au Printemps sera financé par les fonds à provenir de la vente à cette société de l'entreprise Conforama détenu par le groupe Pinault, dans des conditions prétendument dénuées de justification économique, qui lèsent les intérêts des actionnaires minoritaires et constituent un abus de majorité ;
Mais considérant qu'il n'est ni du pouvoir du Conseil, ni de la compétence de la Cour statuant sur les recours formés contre ses décisions, de se prononcer sur les violations d'obligations dont les sanctions de droit privé n'entrent pas dans les mesures que l'autorité de marché est habilitée à prendre par application de la loi du 22 janvier 1988 et son règlement général ;
Que le Conseil ne peut pas davantage constater et tirer des conséquences d'un prétendu délit d'initié que certains requérants reprochent à la société Pinault, consistant à avoir été informée de la conversion au porteur des actions Au Printemps détenues par la S.A.M.A.G. avant d'acquérir le capital de cette société ;
Par ces motifs :
Joint les recours formés d'une part, par Armand Anastassiades et huit autres actionnaires de la société Au Printemps et d'autre part, par Florence de Saint-Seine et la Société Richelieu Finance, contre la décision du Conseil des Bourses de Valeurs prise le 4 décembre 1991 et publiée le 5 décembre 1991 ;
Les rejette ;
Laisse les dépens à la charge des requérants.