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Décisions

Cass. soc., 29 septembre 2021, n° 19-19.074

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Lyon, du 15 mai 2019

15 mai 2019

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 mai 2019), M. [D] a été engagé le 14 mars 2004 en qualité de responsable du service marketing, statut cadre III A, par la société Renault sport technologie, filiale du groupe Renault.

 

2. Le 1er octobre 2009, il a été engagé par la société Renault (la société) au poste de responsable communication régionale, en qualité de technicien de service commercial hors classe, statut ETAM.

 

3. Il a été placé en arrêt de travail le 7 avril 2014.

 

4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes de rappel de salaire au titre du statut cadre, d'heures supplémentaires, de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et de paiement de diverses sommes.

 

5. Il a été licencié le 12 décembre 2014.

 

Examen des moyens

 

Sur le premier moyen

 

Enoncé du moyen

 

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer diverses sommes au titre du rappel de salaire correspondant au repositionnement au statut cadre III A depuis le 1er octobre 2009, alors :

 

« 1°/ que le juge ne peut attribuer une classification à un salarié qu'à la condition de constater qu'au regard des fonctions réellement exercées, le salarié réunit l'ensemble des conditions posées par la convention collective pour l'attribution de cette classification ; qu'en retenant que M. [D] pouvait prétendre à la qualification de cadre III A à compter du 1er octobre 2009 au motif qu'il aurait été le seul salarié de la société Renault à exercer la fonction de responsable communication régionale sans avoir le statut de cadre, et qu'il devait recevoir, à compter du 1er octobre 2009, des rappels de salaire correspondant à la différence entre les salaires qu'il a perçus depuis cette date jusqu'au 31 décembre 2014 et le salaire moyen perçu par les cadres III A, sans confronter les fonctions réellement exercées par le salarié à la définition conventionnelle du statut de cadre III A, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;

 

2°/ qu'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", de soumettre au juge des éléments de fait, matériellement établis, caractérisant une différence traitement ; que ce n'est que dans l'hypothèse où l'existence d'une différence de rémunération est matériellement établie par le salarié, autrement que par voie d'affirmation, qu'il incombe alors à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence ; qu'au cas présent, M. [D] se bornait à prétendre, par voie de simple affirmation, qu'il aurait été le seul responsable communication régionale à ne pas bénéficier du statut cadre et ne versait aux débats strictement aucun élément de preuve permettant de vérifier ses allégations ; que la cour d'appel s'est bornée à relever que "M. [D] indique dans ses conclusions qu'il est le seul responsable communication régionale de la société Renault sur les sept salariés de la société Renault à posséder un statut de technicien coefficient 400, niveau 5, échelon 3, deux salariés bénéficiant du statut cadre III B et quatre salariés du statut cadre III A" ; qu'en énonçant néanmoins que le salarié apportait "des éléments laissant supposer une différence de traitement à son préjudice", avant de reprocher à la société Renault l'absence de production des contrats de travail ou bulletin de salaires des autres salariés nommément désignés, puis de faire droit aux demandes du salarié, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, devenu 1353 du code civil ;

 

3°/ qu'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération ; que lorsque le salarié soutient que la preuve de tels faits se trouve entre les mains d'une partie, il peut demander au juge d'en ordonner la production ; que si le juge peut ensuite tirer toute conséquence de droit en cas d'abstention ou de refus de l'autre partie de déférer à une décision ordonnant la production de ces pièces, ce n'est qu'en présence d'une telle décision de justice, ordonnant une telle production, que les juges peuvent tirer une conséquence juridique de l'abstention ou du refus d'obtempérer de l'employeur ; qu'au cas présent, la cour d'appel a fait droit à la demande de M. [D] au motif que la société Renault ne produisait pas les contrats et bulletins de paie des autres salariés responsables de communication régionale, quand l'employeur, en l'absence de décision ordonnant la communication de ces documents, n'avait pas à suppléer l'insuffisance de preuves présentées par le salarié ; qu'en jugeant pourtant que M. [D] devait bénéficier du statut de cadre III A, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, devenu 1353, et les articles 11 et 146 du code de procédure civile ;

 

4°/ que constitue une rémunération au sens du code du travail, et au regard du principe d'égalité des rémunérations, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier ; qu'ainsi, les avantages, tels que l'indemnité forfaitaire d'aide au logement ou l'avantage en nature lié à l'attribution d'un véhicule, doivent être pris en compte pour apprécier le respect du principe "à travail égal, salaire égal" ; que la société Renault faisait valoir que M. [D] avait perçu une rémunération de 71 185,85 euros bruts pour l'année 2010, soit une rémunération supérieure à la moyenne de ce que percevaient les salariés cadres III A, et supérieure à la rémunération de la plupart des salariés cadres III B, la même constatation pouvant être faite en 2012 ; qu'en énonçant que "M. [D] démontre cependant qu'il a perçu les rémunérations annuelles suivantes : 46 963,83 euros en 2010, 47 656,74 euros en 2011, 48 587,23 euros en 2012, 49 963,83 euros en 2013 et 49 915,56 euros en 2014", la cour d'appel ne s'est fondée que sur les appointements mensuels du salarié et n'a pas pris en compte les avantages et accessoires au salaire de M. [D] mentionnés sur ses bulletins de salaire, violant ainsi les articles L. 3221-3 et L. 3221-4 du code du travail ;

 

5°/ que, subsidiairement les juges ne peuvent pas dénaturer les documents de la cause ; qu'au cas présent, il ressort des bulletins de salaire de M. [D] de 2010 à 2014 que ce dernier a perçu, pour l'année 2010, la rémunération brute annuelle imposable de 71 185,85 euros, pour l'année 2011 la rémunération brute annuelle imposable de 61 258,02 euros, pour l'année 2012 la rémunération brute annuelle imposable de 60 277,88 euros et pour l'année 2013 la rémunération brute annuelle imposable de 54 465,82 euros ; qu'en énonçant pourtant, pour condamner la société Renault à un payer à M. [D] un rappel de salaire d'un montant de 47 335,96 euros, outre l'indemnité congés payés y afférents, que "M. [D] démontre cependant qu'il a perçu les rémunérations annuelles suivantes : 46 963,83 euros en 2010, 47 656,74 euros en 2011, 48 587,23 euros en 2012, 49 963,83 euros en 2013 et 49 915,56 euros en 2014", la cour d'appel a dénaturé par omission les bulletins de salaire de M. [D], violant le principe selon lequel les juges ne peuvent dénaturer les documents de la cause. »

 

Réponse de la Cour

 

7. Selon le principe d'égalité de traitement et l'article 1315, devenu 1353, du code civil, s'il appartient, d'abord, au salarié qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération ou de traitement entre des salariés placés dans une situation identique ou similaire, il incombe, ensuite, à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs et pertinents justifiant cette différence.

 

8. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

 

9. Après avoir estimé que les éléments de fait qui lui étaient soumis par le salarié étaient susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, la cour d'appel a constaté que l'employeur s'abstenait de produire les documents de nature à prouver que les six autres responsables communication régionale de la société nommément désignés par l'intéressé auxquels il se comparait ne se trouvaient pas dans une situation différente de la sienne. Elle a ainsi fait ressortir que la production des pièces sollicitées était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.

 

10. Ayant relevé, par une appréciation souveraine des bulletins de salaire qui lui étaient soumis, sans dénaturation, que le salarié percevait une rémunération moindre que la rémunération moyenne des cadres III A, et que l'employeur se bornait, pour justifier cette situation, à se prévaloir des conditions de passage dérogatoire au statut cadre, la cour d'appel en a exactement déduit que l'atteinte au principe d'égalité de traitement était caractérisée.

 

11. Le moyen, inopérant en sa première branche, n'est donc pas fondé.

 

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

 

Enoncé du moyen

 

12. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer diverses sommes au titre du rappel d'heures supplémentaires pour la période du 1er octobre 2009 au 31 décembre 2012, outre les congés payés afférents, de la contrepartie obligatoire en repos et du rappel de majoration pour travail dominical, alors « que l'objet du litige est déterminé par les écritures des parties, reprises oralement à l'audience ; qu'au cas présent, M. [D] ne contestait pas avoir intégré dans son décompte les temps de trajet et de déplacement mais prétendait qu'il s'agissait bien de temps de travail effectif, en énonçant que "les déplacement qu'a dû assumer M. [D] pour se rendre sur les lieux des manifestations où il représentait la société Renault n'ayant aucun caractère habituel, ils doivent être assimilés à du temps de travail effectif" ; qu'en énonçant pourtant, pour entériner intégralement le décompte du salarié au titre des heures supplémentaires prétendument réalisées, qu'"il ne ressort pas de son décompte qu'il a comptabilisé les temps de trajet", tandis que M. [D] lui-même reconnaissait avoir comptabilisé les temps de trajet comme du travail effectif, la cour d'appel a modifié l'objet du litige, violant l'article 4 du code de procédure civile. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

 

13. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

 

14. Pour condamner l'employeur à payer diverses sommes au titre du rappel d'heures supplémentaires pour la période du 1er octobre 2009 au 31 décembre 2012, l'arrêt retient qu'il ne ressort pas du décompte du salarié qu'il a comptabilisé les temps de trajet.

 

15. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, le salarié soutenait que les déplacements qu'il avait dû assumer pour se rendre sur les lieux des manifestations où il représentait la société n'ayant aucun caractère habituel devaient être assimilés à du temps de travail effectif, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé.

 

Et sur le troisième moyen

 

Enoncé du moyen

 

16. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts, avec effet au 12 décembre 2014, et de le condamner à payer au salarié des dommages-intérêts, alors « que la cour d'appel a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [D] aux torts de l'employeur notamment au regard du fait que la société Renault ne lui aurait pas versé le salaire correspondant au statut cadre dont le salarié aurait dû bénéficier depuis octobre 2009 et au regard de l'absence de rémunération des heures supplémentaires et de l'absence de contrepartie en repos, ces manquements, pris dans leur ensemble, ayant été qualifiés de suffisamment graves pour justifier que soit prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail ; que dès lors, la cassation à intervenir sur le premier moyen, relatif au statut de cadre du salarié et à la prétendue violation du principe "à travail égal, salaire égal", ou sur le deuxième moyen, relatif au paiement des heures supplémentaires, entraînera, en application de l'article 624 du code de procédure civile, l'annulation des chef de dispositif prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [D] aux torts de la société Renault avec effet au 12 décembre 2014 et condamnant cette dernière à payer à M. [D] la somme de 60 000 euros. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

 

17. La cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif relatifs à la résiliation judiciaire du contrat de travail et à la condamnation à des dommages-intérêts, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

 

Portée et conséquences de la cassation

 

18. La cassation partielle n'atteint pas les chefs de dispositif portant sur les condamnations de l'employeur à payer une certaine somme en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, justifiées par une autre condamnation prononcée à l'encontre de celui-ci et non remise en cause.

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Renault à payer à M. [D] les sommes de 89 632,67 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires pour la période du 1er octobre 2009 au 31 décembre 2012, outre 8 963,26 euros d'indemnité de congés payés afférents, 38 635,92 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos et 534,17 euros à titre de majoration pour travail dominical, et en ce qu'il prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [D] aux torts de la société Renault, avec effet au 12 décembre 2014, et la condamne à lui payer la somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

 

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

 

Condamne M. [D] aux dépens ;

 

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un.