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Décisions

Cass. crim., 28 mars 2017, n° 16-82.060

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Avocats :

SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Versailles, du 04 mars 2016

4 mars 2016

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, article L. 4612-1 du code du travail, 388, 392-1, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale :

"en ce que l'arrêt attaqué a fixé à 600 euros le montant de la consignation que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la société Chubb France doit déposer auprès du régisseur du tribunal de grande instance de Pontoise ;

"aux motifs que, selon l'article 392-1 du code de procédure pénale, lorsque l'action de la partie civile n'est pas jointe à celle du ministère public, le tribunal correctionnel fixe, en fonction des ressources de la partie civile, le montant de la consignation que celle-ci doit, si elle n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel elle devrai être faite sous peine de non-recevabilité de la citation directe ; qu'ainsi, le tribunal correctionnel "fixe (...) le montant de la consignation" que la partie civile "doit" déposer au greffe ; "si elle n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle" ; qu'il se déduit des termes précis de ce texte que la juridiction doit impérativement fixer une consignation, et que la partie civile n'est pas fondée à demander à être dispensée du versement de cette consignation et donc a fortiori si elle n'a pas au préalable au moins sollicité celle-ci ; qu'il n'appartient pas à la juridiction de spéculer sur les risques de voir le bureau d'aide juridictionnelle rejeter la demande de la partie civile ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le CHSCT de la société Chubb France n'a jamais sollicité l'aide juridictionnelle ; qu'en revanche, la juridiction doit prendre en considération "les ressources de la partie civile" ; que c'est pourquoi la cour confirmera le principe du versement d'une consignation, mais réduira le montant de celle-ci à 600 euros, et repoussera le délai de versement au 15 avril 2016" ;

"1°) alors que toute personne prétendant être victime d'un délit dispose du droit de saisir directement de la juridiction de jugement de l'action publique, en application de l'article 388 du code de procédure pénale ; qu'imposer aux CHSCT de procéder à une consignation, à peine d'irrecevabilité de leur action en cas de non-versement de son montant, en application de l'article 392-1 du code de procédure pénale, obligation qu'ils ne peuvent pas exécuter dès lors qu'ils ne sont pas légalement dotés de ressources propres, porte atteinte au droit de saisir la juridiction de jugement par voie de citation directe et viole ainsi l'article 385 précité ;

"2°) alors que, selon l'article 392-1 du code de procédure pénale, le tribunal fixe la consignation en fonction des ressources de la partie civile qui l'a saisi, si celle-ci n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle ; qu'il en résulte que si la partie civile qui a saisi le tribunal correctionnel n'a pas de ressources, aucune consignation ne peut lui être imposée, peu important qu'elle n'ait pas obtenu ou sollicité l'aide juridictionnelle ; qu'en estimant que seule la partie civile bénéficiant de l'aide juridictionnelle doit être dispensée du versement de la consignation, la cour d'appel a méconnu l'article 392-1 précité ;

"3°) alors que, par ailleurs, toute personne se prétendant victime d'une infraction doit pouvoir accéder au juge, conformément à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'il en résulte que l'article 392-1 du code de procédure pénale, qui prévoit que la consignation, destinée à "garantir" le paiement éventuel d'une amende civile pour procédure abusive, doit être fixée en fonction des ressources de la partie civile, doit être interprété comme impliquant que les personnes qui ne disposent d'aucune ressource ne peuvent être tenues de consigner ; qu'en jugeant qu'elle ne pouvait dispenser la partie civile de l'obligation de consigner en l'absence d'obtention de l'aide juridictionnelle, la cour d'appel a violé, de plus fort, l'article 392-1 du code de procédure pénale ;

"4°) alors que toute personne doit pouvoir accéder à un tribunal pour statuer sur ses droits et obligations de nature civile ; que si le législateur peut soumettre la recevabilité d'une action à des conditions éventuellement financières, celles-ci ne doivent pas être telles qu'elles privent ce recours de son effectivité ; qu'en imposant, à peine d'irrecevabilité de son action, au CHSCT de la société Chubb de verser une consignation, aux motifs qu'elle est légalement tenue de fixer une telle consignation en l'absence d'obtention de l'aide juridictionnelle par la partie civile, la cour d'appel a méconnu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, une telle obligation de consigner dont le non-respect est sanctionnée par l'irrecevabilité de l'action n'étant pas justifiée au regard du but d'une telle obligation, qui est de garantir le paiement éventuel d'une amende civile pour procédure abusive, en l'absence de ressource propre du CHSCT, ce qui implique que la recevabilité de l'action est subordonnée à la seule décision de l'employeur qui est légalement tenu de prendre en charge les dépenses du CHSCT en vertu de l'article L. 4612-1 du code du travail et ce alors que cet employeur est la personne contre laquelle les poursuites sont engagées ;

"5°) alors que et à tout le moins, en ne recherchant pas, pour déterminer s'il convenait de fixer une consignation et, dans ce cas, quel devait en être le montant, quelles pouvaient être les ressources du CHSCT, quand celui-ci soutenait que les CHSCT ne disposent pas de ressources propres, tout en n'imposant pas que la société Chubb poursuivie prenne en charge cette dépense en qualité d'employeur, la cour d'appel a privé son arrêt de toute base légale" ;

Vu les articles L. 4612-1 et suivants du code du travail, 392-1 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu, en premier lieu, que, selon l'article 392-1 du code de procédure pénale, le tribunal correctionnel, saisi par une citation directe de la partie civile, fixe en fonction des ressources de celle-ci, lorsqu'elle n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle, le montant de la consignation destinée à garantir le paiement de l'amende civile susceptible de lui être infligée en cas de relaxe du prévenu, si la citation directe est jugée abusive ou dilatoire ; que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) n'ayant pas de budget propre, il doit en principe être dispensé de consigner, y compris lorsqu'il n'a pas obtenu, ni même sollicité, l'aide juridictionnelle ; que ce n'est que dans le cas où il est établi, notamment au vu des débats à l'audience, que cette institution représentative du personnel dispose en réalité de ressources, que la juridiction peut l'astreindre au versement d'une consignation, dont elle fixe le montant en fonction du niveau de ces dernières ;

Attendu, en second lieu, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que l'un des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société Chubb France a fait citer devant le tribunal correctionnel cette société ainsi que plusieurs de ses représentants, du chef d'entraves à la constitution et au fonctionnement d'un comité d'hygiène et de sécurité ; que les juges du premier degré ont fixé à 1 500 euros le montant de la consignation à verser par la partie civile, qui a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le principe du versement d'une consignation par le CHSCT, l'arrêt énonce qu'il se déduit des termes de l'article 392-1 du code de procédure pénale que le tribunal doit impérativement fixer une consignation et que la partie civile n'est pas fondée à demander à en être dispensée si elle n'a pas obtenu, et a fortiori sollicité, l'aide juridictionnelle, sans que la juridiction ait à spéculer sur les risques de voir le bureau d'aide juridictionnelle rejeter sa demande ; que les juges ajoutent que, en l'espèce, il n'est pas contesté que le CHSCT réseau de la société Chubb France n'a pas sollicité une telle aide ; que pour réduire néanmoins à 600 euros le montant de la consignation fixée par les premiers juges, l'arrêt rappelle que la juridiction doit prendre en considération les ressources de la partie civile ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si le CHSCT réseau de la société Chubb France, qui soutenait, dans ses conclusions régulièrement produites devant elle, ne pas avoir de budget propre, disposait en réalité de ressources disponibles lui permettant d'acquitter le montant, fût-il réduit, d'une consignation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 4 mars 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 4 800 euros la somme que la société Chubb France devra payer à la société civile professionnelle Lyon-Caen et Thiriez au titre des frais de procédure exposés devant la Cour de cassation, en vertu de l'article L. 4612-1 du code du travail ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mars deux mille dix-sept ;