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Décisions

Cass. crim., 2 décembre 2008, n° 08-80.066

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pelletier

Rapporteur :

M. Blondet

Avocat général :

M. Charpenel

Avocats :

Me Brouchot, SCP Ancel et Couturier-Heller, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan

Paris, du 30 nov. 2007

30 novembre 2007

Vu le mémoire commun aux demandeurs, les mémoires en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 188, 388 et 593 du code de procédure pénale, 1351 du code civil, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré irrecevable l'action des parties civiles ;

" aux motifs que l'article 388 du code de procédure pénale prévoit que le tribunal correctionnel est saisi des infractions de sa compétence notamment par la citation directe délivrée à l'initiative de la victime ; que l'article 188 du même code dispose que la personne mise en examen à l'égard de laquelle le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre ne peut plus être recherchée à l'occasion du même fait, à moins qu'il ne survienne de nouvelles charges ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la victime d'une infraction ne peut mettre en mouvement l'action publique par la voie de la citation directe à l'égard des personnes qui ont été l'objet d'une information diligentée à raison des mêmes faits ; qu'au soutien de l'infirmation du jugement de la recevabilité des citations directes délivrées à leur initiative, les parties civiles n'invoquent l'existence d'aucune charge nouvelle à l'encontre des prévenus, mais font valoir que l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance de non-lieu, en date du 21 mai 2002, ne saurait leur être opposée dès lors que les parties civiles ne sont pas toutes les mêmes, que les prévenus n'ont pas été poursuivis-aucun n'ayant été mis en examen et seul trois, sur sept cités, ayant été entendus par le magistrat instructeur-et que les chefs de poursuite ne sont pas identiques, certaines citations visant le délit de mise en danger de la vie d'autrui non mentionné dans le réquisitoire introductif ; que le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Cayenne a été saisi, par réquisitoire introductif du procureur de la République, en date du 26 avril 2000, de faits d'homicides et de blessures involontaires à raison de la catastrophe du 19 avril 2000, contre toute personne que l'information pourrait faire connaître ; que, par ordonnance de non-lieu rendue le 21 mai 2002, le juge d'instruction a dit qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les infractions d'homicides et de blessures involontaires ; que le préfet de la région Guyane et le directeur départemental de l'équipement de la Guyane ont été nommément mis en cause par Michel AA..., secrétaire général de l'association SPAF-RME (Structure populaire alternative et fédérative pour la prévention face aux risques majeurs et la protection de l'environnement), dans sa plainte déposée le 3 mai 2000, notamment contre ces derniers, des chefs d'homicide involontaire et mise en danger de la vie d'autrui, par les consorts Y... dans leur plainte avec constitution de partie civile du 9 avril 2001, par les consorts Q..., I... et GG... dans la note de leur conseil, Me Hélène BB..., en date du 12 novembre 2001, laquelle demandait la mise en examen des responsables de la DDE comme celle de " ceux qui au plus haut niveau sont responsables dans le département de la sécurité des personnes et des biens " ; que le magistrat instructeur a instruit à l'encontre de ces autorités ; qu'ainsi, il a procédé à l'audition : * en qualité de témoins, de Jean-Pierre ZZ..., directeur général du bureau de recherches géologiques et minières, le 4 décembre 2000, et de Gérard YY..., directeur départemental de l'équipement de la Guyane, le 6 décembre 2000 ; * en qualité de témoin assisté, de Roger XX..., directeur du service des infrastructures routières et des déplacements à la DDE de Guyane, le 6 février 2001 ; qu'il a notamment fait porter ses investigations sur la connaissance, par ces derniers, de la situation des mouvements de terrain affectant le Mont Cabassou et sur les dispositions précises que chacun a prises ou a omis de prendre ; qu'il a également recherché les éventuelles responsabilités des représentants de l'Etat et des chefs de services-parmi lesquels figuraient nécessairement les préfets de région successifs et les responsables des services de l'équipement et de la surveillance géologique-dans le cadre : * de la commission rogatoire délivrée le 26 avril 2000 à la brigade des recherches de la compagnie de gendarmerie de Guyane ; * de l'expertise confiée le même jour aux experts Francis CC... et Roberto DD..., interrogés notamment sur les points de savoir si des dispositions avaient été prises (par les personnes compétentes) pour prévenir le renouvellement d'un glissement de terrain et pour assurer la surveillance du site ; * de l'analyse de l'enquête interministérielle intérieure (inspection générale de l'administration) et inspection générale de l'équipement (conseil général des ponts et chaussées) de juin 2000 ; * de l'étude des conclusions de Marcel EE..., ingénieur général des ponts et chaussées, dans son rapport au conseil général des ponts et chaussées en date du 2 juin 2001, et de son audition en qualité de témoin le 6 février 2001 ; * de l'examen critique du rapport EE... demandé, le 27 avril 2001, aux experts Francis CC... et Roberto DD... ; que les prévenus ont été, dans le cadre de la procédure d'instruction, soit nominativement dénoncés dans les plaintes déposées, soit visés par ces plaintes ou par les demandes d'actes dans des conditions telles que leur identification, par la mention de leur fonction, ne pouvait laisser place à aucun doute ; que le juge d'instruction était ainsi saisi de faits à caractère pénal susceptibles de leur être imputés ; qu'il a recherché leur éventuelle responsabilité pénale, et ce d'autant qu'aux termes de l'ordonnance de non-lieu, il a identifié un certain nombre de fautes d'action ou d'omission imputables aux décideurs de l'Etat tout en estimant que les manquements relevés ne revêtaient pas le caractère de fautes caractérisées ; que les prévenus ont, dans ces conditions, été l'objet de l'information ; que, dès lors que, saisi in rem, le juge d'instruction n'a mis en examen aucune des personnes poursuivies dans la présente procédure, il a été considéré qu'aucune infraction pénale ne pouvait leur être reprochée ; que, par actes en date du 2 mars 2004, cinquante parties civiles ont cité directement à comparaître devant le tribunal correctionnel Pierre U..., Dominique V..., Henri W...- préfets de la région Guyane entre 1995 et 2000- Gérard YY..., directeur départemental de l'équipement de la Guyane en 2000, Roger XX..., directeur du service des infrastructures routières et des déplacements de la DDE de Guyane en 2000, Jean-Pierre ZZ..., directeur général du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), et le BRGM à raison des faits de la même catastrophe du 19 avril 2000 ; qu'il n'est pas contesté que les faits objet de ces poursuites sont exactement ceux ayant fait l'objet de l'information judiciaire conduite par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Cayenne ; que les personnes mises en cause dans le cadre de la présente procédure sont également celles ayant fait l'objet de l'information ; qu'ainsi que l'ont retenu les premiers juges, il ne peut, en application de l'article 188 du code de procédure pénale, être à nouveau suivi contre les mêmes personnes à raison des mêmes faits, et ce quelles que soient tant les parties civiles présentes dans l'une et l'autre de ces procédures que la qualification pénale donnée à ces mêmes faits par les parties civiles ; que c'est donc avec raison que le tribunal a fait droit aux exceptions d'irrecevabilité de la procédure soulevées in limine litis par les conseils des prévenus et de l'agent judiciaire du Trésor et a débouté les parties civiles de leurs demandes ; que le jugement sera en conséquence confirmé ;

" et aux motifs adoptés, que dans le cas d'espèce, le juge d'instruction a reçu plusieurs notes et courriers des parties civiles sollicitant la mise en examen des préfets, directeurs et techniciens de la DDE, de la DRIRE, de la DIREN et du BRGM ; qu'il a d'ailleurs procédé lui-même à l'audition de trois des personnes citées dont une en qualité de témoin assisté ; que, dans son ordonnance de non-lieu, il s'est attaché à rechercher si les éléments constitutifs des délits dénoncés étaient caractérisés et, constatant que tel n'était pas le cas en l'espèce, il a conclu que " les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de la responsabilité pénale de quiconque à raison du décès et blessures causés par le glissement de terrain du Mont Cabassou ne sont pas réunies et qu'il n'y a pas lieu à prononcer des mises en examen (et que) dans ces conditions il n'existe pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis les infractions d'homicides et blessures involontaires " ; qu'il résulte de façon claire et précise que le magistrat instructeur a rendu son ordonnance de non-lieu après avoir recherché si la responsabilité des " décideurs, techniciens et autres autorités chargées dans le département de la sécurité des personnes et des biens " tels que visés par les courriers précités, était susceptible d'être engagée ; que les imputations exprimées dans lesdits courriers laissent d'autant moins de doute quant à l'identification des personnes ainsi visées, que celles-ci ont été soit entendues directement par le juge d'instruction, soit expressément désignées par leurs fonctions (préfet, directeur de la DDE, directeur du BRGM …) ; que dans ces conditions, le tribunal devra considérer que toutes les personnes ayant ainsi bénéficié d'un non-lieu ne peuvent plus être recherchées à l'occasion du même fait et qu'en conséquence, les parties civiles ne sont pas recevables à les citer directement devant le tribunal ;

" alors que la partie civile qui s'était constituée dans le cadre d'une information ouverte contre personne non dénommée et clôturée par une ordonnance de non-lieu à suivre contre quiconque, non frappée d'appel, peut, de même que les autres ayants droit de la victime, prendre l'initiative de poursuites pénales par voie de citation directe contre une personne n'ayant été ni nommément désignée dans une plainte avec constitution de partie civile ni mise en examen dans cette information, lors même qu'elle aurait été entendue comme témoin ou aurait été l'objet, de la part du magistrat instructeur, de diverses vérifications ; que les règles relatives à la reprise de l'information après une décision de non-lieu prévues par l'article 188 du code de procédure pénale s'appliquent uniquement aux personnes qui, pour les faits incriminés, ont été antérieurement mises en examen ou nommément visées dans une plainte avec constitution de partie civile ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué ne pouvait, sans méconnaître cette règle, déclarer que la citation directe à l'encontre des prévenus se heurtait à l'autorité de chose jugée d'une précédente ordonnance de non-lieu, alors que les prévenus n'avaient pas été mis en examen, ni nommément visés dans une plainte avec constitution de partie civile » ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 19 avril 2000, sur la commune de Rémire-Montjoly (Guyane), une masse de terre d'environ 300 000 m3 s'est détachée du Mont Cabassou et s'est répandue sur la route nationale et sur les bâtiments d'une usine de fabrication de produits laitiers situés en contrebas ; que dix personnes ont succombé aux blessures subies du fait de ce glissement de terrain et que plusieurs autres ont été blessées ; qu'à l'issue de l'enquête, le procureur de la République a ordonné, le 26 avril 2000, l'ouverture d'une information, contre toute personne que l'instruction ferait connaître, des chefs d'homicides et de blessures involontaires ; que des victimes et des ayants droit de celles décédées se sont constitués parties civiles au cours de cette information ; que, le 21 mai 2002, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu, qui est devenue définitive ;

Que, le 2 mars 2004, des victimes et des ayants droit, pour la plupart déjà constitués parties civiles au cours de l'information, et l'Union des travailleurs guyanais ont fait citer devant le tribunal correctionnel, des chefs d'homicides et blessures involontaires et mise en danger d'autrui, Pierre U..., Dominique V... et Henri W..., préfets successifs de la Guyane du 6 janvier 1995 à la date de l'accident, Gérard YY..., Roger XX... et Jean-Pierre ZZ..., respectivement directeur départemental de l'équipement, directeur du service des infrastructures routières et des déplacements à la direction départementale de l'équipement (DDE) et directeur général du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à la date des faits, ainsi que le BRGM lui-même ; que, par arrêt du 13 octobre 2004, la chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé la connaissance de l'affaire au tribunal correctionnel de Paris ; qu'après avoir ordonné la jonction des procédures, cette juridiction, faisant droit aux exceptions régulièrement soulevées par les prévenus et par l'agent judiciaire du Trésor, partie intervenante, a déclaré irrecevables les citations délivrées à la demande des parties civiles, lesquelles ont interjeté appel ;

Attendu que l'arrêt confirmatif retient qu'en l'état de plusieurs plaintes avec constitution de partie civile imputant les délits d'homicides involontaires et de mise en danger délibérée d'autrui aux dirigeants de la DDE ainsi qu'aux autorités " qui, au plus haut niveau, sont responsables dans le département de la sécurité des personnes et des biens ", le juge d'instruction, qui a entendu comme témoins le directeur départemental de l'équipement et le directeur général du BRGM et comme témoin assisté le directeur du service des infrastructures routières et des déplacements à la DDE, qui a délivré une commission rogatoire à la brigade de recherches de la gendarmerie de Guyane et une mission d'expertise à deux experts en géotechnique et en hydrologie et qui a procédé à l'analyse des conclusions des auteurs d'une enquête interministérielle et d'un rapport des ponts et chaussées au conseil général, a accompli les investigations nécessaires à la manifestation de la vérité concernant les mêmes faits que ceux visés par les citations directes délivrées aux préfets et aux fonctionnaires de la DDE et du BRGM ;

Que les juges ajoutent que l'ordonnance de non-lieu rendue à l'issue de ces investigations imputait à ces fonctionnaires, auteurs indirects du dommage, un certain nombre de fautes d'action ou d'omission qui n'avaient toutefois pas permis de caractériser à leur charge la violation délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ou une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'ils ne pouvaient ignorer ; qu'ils énoncent que, quelles que soient les parties civiles constituées dans chacune des deux procédures et la qualification pénale qu'elles ont données aux faits, il ne peut être à nouveau suivi contre les mêmes personnes en raison des mêmes faits ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que chacune des personnes citées, préfets de la Guyane ainsi que fonctionnaires et responsables de la DDE et du BRGM, si elle n'a pas été désignée par son nom dans les plaintes avec constitution de partie civile intervenues au cours de l'information, a néanmoins fait l'objet, en sa qualité professionnelle, d'une mise en cause explicite dans ces mêmes plaintes, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

DIT n'y avoir lieu à application, au profit des demandeurs, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;