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Décisions

Cass. com., 4 janvier 2023, n° 21-15.385

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocats :

Me Goldman, SCP Foussard et Froger, SCP Piwnica et Molinié

T. com. Paris, du 20 déc. 2019, n° 16/46…

20 décembre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 mars 2021) et les productions, par une décision du 13 novembre 2015, l'Autorité des marchés financiers a approuvé la fusion-absorption de la société MPI par la société Maurel & Prom (la société M&P), disant n'y avoir obligation, pour la société M&P, de lancer une offre publique de retrait.

2. L'opération a été votée lors des assemblées générales des sociétés MPI et M&P du 17 décembre 2015. Les publications au registre du commerce et des sociétés ont été effectuées en février 2016.

3. Le 24 août 2016, la société Pacifico, principal actionnaire de la société M&P, a cédé l'ensemble des titres qu'elle détenait dans le capital de celle-ci.

4. Le 7 mars 2016, soutenant que la société Pacifico, détenant plus de 30 % des droits de vote de la société MPI, aurait dû déclencher une offre publique d'achat et que la parité de fusion retenue leur avait causé un préjudice, MM. [Z], [V] et [S] [P] et Mmes [W], [A] et [T] [P] (les consorts [P]) ainsi que [I] [P], M. [H] et Mmes [Y] et [O] [H] (les consorts [H]), actionnaires minoritaires des sociétés MPI et M&P ont assigné celles-ci et la société Pacifico en annulation des assemblées générales des sociétés MPI et M&P du 17 décembre 2015.

5. [I] [P] étant décédé en cours d'instance, M. [Z] [P], M. [V] [P], M. [S] [P], Mme [W] [P] et Mme [A] [P] ont repris l'instance en ses lieu et place.

Examen des moyens

Sur les quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Les consorts [H] et [P] font grief à l'arrêt de constater que leur demande de production de pièces n'était plus soutenue, alors « que, dans leurs dernières écritures d'appel, en date du 4 janvier 2021, les consorts [H] sollicitaient la production forcée par Pacifico de toutes les pièces permettant de constater les transferts des actions M&P entre les années 2009 et 2015 et demandait à la cour de tirer les conséquences qui s'imposaient en cas de refus de produire ; que cette demande figurait dans la discussion et dans le dispositif de leurs conclusions ; que toutefois, pour statuer comme ils l'ont fait, les juges du second degré ont relevé que "la demande de production de pièces n'est plus soutenue" ; qu'en statuant de la sorte, les juges du fond ont dénaturé les conclusions en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir retenu qu'il est légal et de pratique courante pour un actionnaire d'effectuer des mouvements de titres du nominatif au porteur afin d'éviter d'acquérir les droits de vote double attachés aux actions nominatives pour ne pas franchir certains seuils de droits de vote, l'arrêt relève que sont produits aux débats les documents de référence de la société M&P sur la structure de son actionnariat, faisant apparaître que la société Pacifico n'a jamais détenu plus de 30 % des droits de vote avant la fusion.

9. La cour d'appel a, par ces seuls motifs dont il résulte que les pièces versées aux débats étaient suffisantes pour lui permettre d'apprécier le bien-fondé des demandes d'annulation de la résolution 1A de l'assemblée générale de la société M&P du 17 décembre 2015 et des opérations de fusion-absorption fondées sur l'absence de déclaration de franchissement de seuil, légalement justifié sa décision de ce chef.

10. Le moyen, inopérant en ce qu'il attaque des motifs erronés mais surabondants, ne peut donc être accueilli.

Et sur les deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé des moyens

11. Par leur deuxième moyen, les consorts [H] et [P] font grief à l'arrêt de dire irrecevable comme prescrite l'action fondée sur l'abus de majorité, alors :

« 1°/ que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but ; qu'en considérant que la demande fondée sur un abus de majorité et visant l'anéantissement de la fusion-absorption de MPI par M&P était prescrite au motif que cette contestation n'avait pas été soulevée dans l'assignation du 7 mars 2016, mais pour la première fois par conclusions du 28 février 2019, sans s'interroger sur le point de savoir si, comme le faisaient valoir les consorts [H] et [P], les demandes telles que formulées dans l'assignation n'avaient pas également pour but l'anéantissement de la fusion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil ;

2°/ que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but ; que la Cour d'appel a considéré que ce n'est que par conclusions en date du 28 février 2019 que les consorts [H] et [P] ont pour la première fois formulé une demande tendant à la nullité de la fusion-absorption de MPI par M&P sur le fondement d'un abus de majorité ; qu'en statuant ainsi alors qu'elle décidait par ailleurs que la demande en nullité formulée par les consorts [H] et [P] dès l'assignation du 7 mars 2016 devait être rejetée quand bien même la société Pacifico avait violé ses obligations résultant du dépassement du seuil de 30 % dès lors que cette violation n'avait eu aucun effet sur la régularité de l'assemblée générale et de la résolution relative à la fusion, ce dont il résultait nécessairement que la demande fondée sur le franchissement de seuil visait également à l'anéantissement de la fusion, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »

12. Par leur troisième moyen, les consorts [H] et [P] font grief à l'arrêt de dire irrecevables comme prescrites les actions en nullité des résolutions 2A et 1A des assemblées générales mixtes des sociétés M&P et MPI fondées sur la comptabilisation des votes, alors :

« 1°/ que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but ; qu'en considérant que la demande fondée sur la violation des règles régissant les droits de vote formulée pour la première fois par conclusions du 11 octobre 2018 était prescrite au motif qu'elle visait l'annulation des résolutions approuvant la fusion-absorption de MPI par M&P, quand l'assignation, déposée dans le délai de prescription, ne visait que l'annulation des assemblées générales au cours desquelles ces résolutions ont été approuvées, sans s'interroger sur le point de savoir si, comme le faisaient valoir les consorts [H] et [P], les demandes telles que formulées dans l'assignation n'avaient pas également pour but l'anéantissement de la fusion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil ;

2°/ que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but ; que la cour d'appel a considéré que ce n'est que par conclusions en date du 11 octobre 2018 que les consorts [H] et [P] ont pour la première fois formulé une demande tendant à la nullité de la fusion-absorption de MPI par M&P [fondée sur la violation des règles régissant les droits de vote] ; qu'en statuant ainsi alors qu'elle décidait par ailleurs que la demande en nullité formulée par les consorts [H] et [P] dès l'assignation du 7 mars 2016 devait être rejetée quand bien même la société Pacifico avait violé ses obligations résultant du dépassement du seuil de 30 % dès lors que cette violation n'avait eu aucun effet sur la régularité de l'assemblée générale et la résolution relative à la fusion, ce dont il résultait nécessairement que la demande fondée sur le franchissement de seuil visait également à l'anéantissement de la fusion, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil ;

3°/ que la recevabilité d'une action en justice ne peut être subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé ; que si l'article L. 233-14 du code de commerce ne sanctionne le défaut de déclaration de franchissement de seuil que par la privation des droits de vote attachés aux actions excédant la fraction qui n'a pas été régulièrement déclarée pour toute assemblée d'actionnaires qui se tiendrait jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification et que l'absence de dépôt d'un projet d'offre publique d'achat n'est pas non plus systématiquement sanctionnée par l'annulation des assemblées générales, les consorts [H] et [P] développaient un argumentaire visant à démontrer que les violations invoquées devaient en l'espèce entraîner la nullité des assemblées générales du 17 décembre 2015 et, par conséquence, de l'opération de fusion adoptée durant ces assemblées ; qu'en considérant que les demandes fondées sur la violation par Pacifico de ses obligations découlant du franchissement de seuil n'avaient pas pour but l'annulation de la fusion, à raison de la nature des sanctions prévues, la cour d'appel a préjugé du bien-fondé de l'action pour exclure son effet interruptif de prescription ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 2241 du code civil et 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Selon l'article 2243 du code civil, l'interruption de la prescription résultant de la demande en justice est non avenue si celle-ci est définitivement rejetée.

14. L'arrêt, qui constate que les consorts [H] et [P] ne sollicitent plus, en appel, la nullité des assemblées générales des sociétés MIP et M&P ayant statué sur la fusion-absorption, n'infirme pas le jugement en tant qu'il a rejeté cette demande, formulée dans l'assignation du 7 mars 2016.

15. Il en résulte que ce rejet est devenu irrévocable et que l'interruption de la prescription, par l'assignation du 7 mars 2016, était non avenue à la date du 11 octobre 2018.

16. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié en ce qu'il déclare irrecevables comme prescrites les demandes d'annulation des résolutions 2A et 1A des assemblées générales des sociétés MPI et M&P du 17 décembre 2015 fondées sur la comptabilisation des votes et sur l'abus de majorité.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.