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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 16 mars 2006, n° CT0039

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dossche (SA), Compagnie Dossche France (SA), KPMG (Sté)

Défendeur :

Soinne (ès qual.), Fidulor (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Zanatta

Conseiller :

M. Reboul

Avoués :

SCP Deleforge Franchi, SCP Levasseur-Castille-Levasseur, Selarl Eric Laforce, SCP Cocheme Kraut Labadie

Avocats :

Me Prouvost, Me Gofard, Me Lemistre, Me Antonitti, Me Willot

T. com. Saint-Omer, du 11 déc. 2003

11 décembre 2003

Vu le jugement du tribunal de commerce de Saint Omer en date du 11 décembre 2003 qui a débouté la société DOSSCHE, la société DOSSCHE FRANCE et la Selarl SOINNE et Associés es qualités de liquidateur judiciaire de la société TAUFOUR de leurs demandes et les a condamnés in solidum à payer à la société KPMG et à la société FIDULOR, chacune la somme de 3000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu l'appel formé le 6 janvier 2004 par la société de droit belge DOSSCHE SA et la SA DOSSCHE FRANCE

Vu les conclusions déposées le 20 avril 2005 pour la société de droit belge DOSSCHE SA et la SA DOSSCHE FRANCE qui demandent en application de l'article 1382 du code civil :

- l'infirmation du jugement

- dire que la société KPMG et la société FIDULOR ont engagé leur responsabilité quasi délictuelle à l'égard des sociétés appelantes

- les condamner à titre provisionnel à la somme de 1.357.576,20 Euros et surseoir à statuer sur la somme de 773.679 Euros dans l'attente de l'arrêt de la Cour d'Appel de Douai à intervenir sur l'appel de l'ordonnance du 29 avril 2003 relative à la déclaration de créance de la société de droit belge DOSSCHE

- les condamner aux frais et intérêts à compter de l'assignation du 26 mai 1997 à titre de complément de dommages et intérêts outre la somme de 15.000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les conclusions déposées le 21 juin 2005 pour la Selarl SOINNE et Associés représentée par Me Nicolas SOINNE es qualités de liquidateur judiciaire de la société TAUFOUR, non intimée et intervenante volontaire qui demande :

- l'infirmation du jugement

- dire que la société KPMG et la société FIDULOR ont manqué à leurs obligations contractuelles et engagé leur responsabilité

- les condamner à réparer le préjudice subi collectivement par les créanciers de la société TAUFOUR

- les condamner in solidum à lui payer la somme de 606.391,27 Euros outre celle de 2000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les conclusions déposées le 14 septembre 2005 pour la SA KPMG anciennement dénommée KPMG Fiduciaire de France qui demande :

- la confirmation du jugement

- la somme de 20.000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu les conclusions déposées le 21 septembre 2004 pour la SA FIDULOR GRANT THORNTON qui demande :

- la confirmation du jugement

- la somme de 10.000 Euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Vu l'ordonnance de clôture en date du 7 décembre 2005

La SA TAUFOUR était une société sise à Bonningues les Ardres (62) qui avait pour activité le négoce d'aliments du bétail, de grains, d'engrais et fournitures pour l'agriculture.

Elle était dirigée par Monsieur Z... TAUFOUR, président du conseil d'administration.

La société KPMG était son expert-comptable et la société FIDULOR son commissaire aux comptes.

En juillet 1994, un accord était intervenu dans lequel Messieurs Z... et Aymard TAUFOUR cédaient 51 % des actions à la société DOSSCHE FRANCE pour la somme de 1 Franc au vu des comptes arrêtés au 30 juin 1993 et de ceux arrêtés provisoirement au 30 décembre 1993. Une garantie de passif était prévue.

Monsieur Z... TAUFOUR est demeuré directeur général de la société après la cession.

Suite aux pertes financières anormales constatées en juin 1996 pour plus de 4 MF et à une réunion de l'assemblée générale de 17 septembre 1996 organisée en vue de procéder à l'analyse de la situation comptable de l'entreprise, Monsieur Z... TAUFOUR a remis sa démission.

Un contrôle de la comptabilité par un employé de la société DOSSCHE FRANCE a permis de découvrir à compter de septembre 1996 des écritures fictives caractérisées par des factures clients suivies d'avoirs du même montant, ce procédé donnant l'apparence d'un chiffre d'affaires supérieur à celui réellement réalisé et permettant de diminuer artificiellement les pertes financières.

Informée de ces anomalies et suite à des contrôles de février 1997, le commissaire aux comptes FIDULOR, par lettre du 21 mars 1997, a informé le Procureur de la République de l'existence d'anomalies dans la comptabilité.

La société TAUFOUR se déclarait en cessation de paiement le 25 mars 1997 et sa liquidation judiciaire était prononcée le 27 mars 1997 par le tribunal de commerce de Saint Omer.

A la demande de Me SOINNE es qualités, un premier expert était désigné par le tribunal de commerce de Saint Omer, Monsieur A..., qui rendait son rapport le 28 avril 1998 et confirmait l'existence de factures et effets de commerce fictifs et le caractère erroné des bilans de la société TAUFOUR établis depuis plusieurs années en vue de masquer les pertes et se procurer de la trésorerie.

La société belge DOSSCHE et la société DOSSCHE FRANCE agissant es qualités d'actionnaires de la société TAUFOUR, ont assigné en responsabilité en mai 1997 la société KPMG et la société FIDULOR en vue de réclamer réparation de leur préjudice estimé à 16 MF.

Une décision du 10 septembre 1998 du tribunal de commerce de Saint Omer a ordonné une expertise et désigné Monsieur B... qui sera récusé et remplacé par deux autres experts, Monsieur C... de Paris et Madame D... de Rouen.

Les experts ont remis leur rapport le 27 février 2001.

E... confirment l'existence de factures fictives sur les 3 exercices arrêtés à juin 1993, 1994 et 1995 pour les sommes de 1,994 MF, 2,870

MF et 2,297 MF ; que ces factures fictives ont amélioré les comptes d'actif et offert une vision fausse de la situation financière de la société ; qu'elles étaient émises peu avant la fin de l'exercice comptable annuel et annulées au début de l'exercice comptable suivant par des avoirs correspondants afin que la relation entre les deux opérations ne soit pas faite dans l'immédiat par l'expert-comptable ou le commissaire aux comptes ; que cependant ces factures, d'un montant unitaire élevé, sont en faible nombre par rapport à la masse de plusieurs milliers de factures émises chaque année ; que seul un rapprochement des factures et des avoirs pouvait permettre de déceler des anomalies, le procédé par "sondages" n'en permettant pas une découverte certaine ; qu'en revanche, le nombre et l'importance des avoirs pouvait constituer une anomalie de nature à orienter une recherche qui aurait pu, si elle avait dépassé les taux usuels de sondages, conduire à une éventuelle découverte ; que l'on ne peut conclure que les diligences normales devaient nécessairement entraîner la découverte du processus frauduleux.

Sur la mission contractuelle de l'expert-comptable KPMG, au regard de son obligation de moyens, ils estiment que leurs diligences ont été accomplies conformément aux engagements exprimés par la lettre de mission, tant en ce qui concerne la vérification des comptes clients que celle de l'ensemble des comptes et qu'elles justifient le temps passé.

Sur la mission légale du commissaire aux comptes, la société FIDULOR, ils relèvent qu'au plan quantitatif, le nombre d'heures réglementaire de contrôle a été inférieur d'un tiers à ce qu'il aurait du être pour les exercices 93 et 94 avec cependant une dérogation accordée par la Compagnie Régionale de la profession et au minimum réglementaire pour l'exercice 95 ; qu'au plan qualitatif, les diligences, s'appuyant sur celles de l'expert-comptable, ont été orientées en fonction des

risques décelés, c'est à dire les créances douteuses ; que les sondages, mode opératoire de contrôle en la matière, ne permettent pas de contrôler toutes les opérations ; que les diligences paraissent avoir été freinées par la restriction des honoraires alors que des diligences plus étoffées auraient donné des chances supplémentaires à la découverte des irrégularités ; que la vigilance du commissaire aux comptes semble avoir été trompée par la confiance qu'il accordait au chef d'entreprise, Monsieur TAUFOUR, avant comme après la cession des actions aux sociétés DOSSCHE ( note FIDULOR 11 / 10 / 94 mise en annexe 30 du rapport : Monsieur TAUFOUR y est mentionné comme effectuant les contrôles clés sur les liens entre livraisons et facturations ).

La Selarl SOINNE et Associés représentée par Me Nicolas SOINNE, liquidateur judiciaire de la société TAUFOUR, s'est joint en 2003 à la demande des sociétés DOSSCHE en intervenant volontairement par dépôt de conclusions.

Avant qu'il ne soit statué au fond sur l'action en responsabilité vers l'expert-comptable et le commissaire aux comptes, deux décisions importantes ont été rendues:

- un arrêt en matière civile de la Cour d'Appel de Douai en date du 27 janvier 2003 a condamné Monsieur Z... TAUFOUR à payer aux sociétés DOSSCHE et DOSSCHE FRANCE la somme de 437.294,06 Euros au titre de la garantie de passif et Monsieur et Madame Z... TAUFOUR aux sommes de 722.500 Francs et 850.000 Francs.

- un arrêt en matière pénale de la Cour d'Appel de Douai en date du 9 septembre 2003 a condamné Monsieur Z... TAUFOUR pour faux et usage de faux en écritures comptables et banqueroute à la peine de 3 ans d'emprisonnement avec sursis et à payer à Me SOINNE es qualités de liquidateur judiciaire de la société TAUFOUR la somme de 606.391,27

Euros au titre du préjudice subi par cette société du fait des infractions commises, les parties civiles, sociétés DOSSCHE et DOSSCHE FRANCE, étant déclarées recevables dans leur action "ut singuli" en demande de condamnation à réparation du préjudice subi par la société.

Le premier juge dans la décision dont appel, a débouté les sociétés DOSSCHE et DOSSCHE FRANCE au motif que la faute de l'expert-comptable et du commissaire aux comptes n'était pas établie ni le dommage susceptible d'être indemnisé.

En cause d'appel, la société DOSSCHE et la société DOSSCHE FRANCE rappellent agir en application de l'article 1382 du code civil en vue d'obtenir réparation de leur préjudice propre du fait des fautes de l'expert-comptable et du commissaire aux comptes.

Elles contestent la prescription avancée par la société FIDULOR soutenant que la prescription de 3 années est atteinte pour les faits antérieurs au 26 mai 1994 alors que celle-ci de jurisprudence constante ne court qu'à compter de la découverte des faits en 1996.

Sur la responsabilité de l'expert-comptable, elles notent que des comptes ont été mentionnés "non pointables " pour 4,5 MF c'est à dire non vérifiables (page 45 du rapport ) ; qu'il n'y a pas eu de "circularisation" des clients ni de contrôle démontré de ce compte.

Sur la responsabilité du commissaire aux comptes, elles reprochent à ce dernier de s'être appuyé sur les travaux d'un expert-comptable qui déclare ne pas avoir de mission de contrôle, de ne pas avoir vérifié le "compte clients", d'avoir émis des documents de contrôle laconiques après avoir limité leur action en raison de la confiance accordée à Monsieur TAUFOUR. E... rappellent que la réduction des horaires de contrôle avait été demandée avant la cession des parts

Sur le préjudice, ils font valoir que si elles avaient connu plus tôt ces malversations, elles n'auraient pas continué en tant qu'actionnaires à alimenter la trésorerie ; qu'à ce jour et aux termes de 2 ordonnances du 29 avril 2003, leurs créances ont été admises dans la procédure collective pour 804.299,34 Euros en ce qui concerne la société DOSSCHE FRANCE et 553.276,86 Euros pour la société DOSSCHE ; qu'un surplus de 773.679 Euros demandé par la société DOSSCHE a cependant été rejeté pour lequel un appel a été formé.

La Selarl SOINNE et Associés es qualités de liquidateur judiciaire de la société TAUFOUR conteste les appréciations de l'expert, soutient que l'expert-comptable devait vérifier le "compte clients" et que la mission de certification du commissaire aux comptes devait aboutir à déceler les anomalies de la comptabilité ; qu'ils doivent être condamnés à réparer le préjudice de la société liquidée évalué à la somme des pertes des exercices de juin 1993 et 1994 diminuée du bénéfice de juin 1995 soit au total la somme de 3.977.666 Francs ou 606.391,27 Euros qui couvrira partie du passif de la société d'un montant de 2.373.094 Euros.

La société KPMG soulève l'irrecevabilité en exposant que les sociétés appelantes engagent une action en responsabilité qui leur est propre en demandant la réparation du préjudice subi en qualités d'actionnaires ; qu'il a été jugé souvent que la perte de valeur d'une société n'est pas un préjudice directement indemnisable entre les mains de ses actionnaires et que ne pouvant justifier d'un préjudice, ils sont irrecevables à agir.

Elle rappelle les termes de sa lettre de mission qui n'est pas une mission de certification ou de recherche systématique des fraudes, l'établissement des balances, écritures et inventaires étant de la responsabilité de l'entreprise, l'expert-comptable n'intervenant que pour l'établissement des comptes annuels ; qu'elle n'avait pas à vérifier les comptes clients ; que les experts judiciaires ne relèvent pas de faute de sa part.

Sur le préjudice, elle fait valoir que celui n'est pas distingué entre les deux sociétés ; que la nature des créances n'est pas connue ; que la relation ente le dommage et la faute n'est pas établi ; qu'à la rigueur il pourrait être admis une perte de chance de liquider la société antérieurement.

Elle ajoute que seule la société DOSSCHE FRANCE a acheté les actions et pour la somme de 1 Franc ce qui signifie que la société devait de toute façon être recapitalisée; que la cessation de paiement, intervenue en mars 1997 et non en juin 1995, n'est pas à confondre avec une situation comptable erronée suite à des écritures fictives; qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas de lien de causalité entre le dépôt de bilan et les factures litigieuses.

La société FIDULOR

La société FIDULOR soulève la prescription des faits antérieurs au 26 mai 1994 et notamment à l'encontre de Me SOINNE es qualités qui a agi en 2003 soit 9 ans après. Elle rappelle être soumise à une obligation de diligences ; qu'elle a restreint des horaires à la demande de la société TAUFOUR après avoir demandé une dérogation ; que les experts ont signalé la difficulté de mettre à jour la fraude qui se jouait sur deux exercices ; que les indicateurs comptables ne laissaient pas présager un gonflement du chiffre d'affaires dans la mesure où celui-ci diminuait constamment depuis 5 ans mais avec des marges brutes à peu près constantes, la fraude ne faisant que dissimuler une exploitation déficitaire ; que le rapprochement entre les factures fictives et les avoirs était difficile car ces dernières étaient dans l'exercice suivant non encore contrôlé et souvent sous une forme inexploitable en l'état ;

Sur le lien de causalité, elle rappelle que les actions de la société ont été vendues pour le franc symbolique avec nécessité de recapitaliser ce qui traduisait déjà une situation financière difficile et une exploitation déficitaire ( résultat : perte de 2,2 MF en juin 1992, gain de 81.000 Francs en juin 1993 et nouvelle perte de 1,8 MF en juin 1994 ) ; qu'en tout état de cause il convient d'écarter l'action de la société de droit belge DOSSCHE qui n'était pas partie au protocole et de constater que l'apport en compte courant d'associé de la société DOSSCHE FRANCE s'élève à la somme de 4,15 MF ; qu'en outre ces sommes ne sont même pas justifiées alors qu'elles ont été soumises à la déclaration de créance devant le juge commissaire et que par ailleurs l'action contractuelle en garantie du passif a été menée vers Monsieur TAUFOUR ; qu'au surplus aucun fondement légal n'est avancé au soutien de la demande Me SOINNE es qualités.

SUR CE :

LA RECEVABILITÉ DE L'ACTION DES SOCIÉTÉS DOSSCHE

Les sociétés DOSSCHE, actionnaires de la société TAUFOUR, présentent leur action en responsabilité contre le commissaire aux comptes et l'expert comptable pour la somme de 1.357.576,20 Euros, comme une demande de réparation de leur préjudice propre du fait de la faute de ces derniers en ce qu'ils n'auraient pas continué à alimenter la trésorerie de la société s'ils avaient connu ces malversations.

Dans leurs conclusions, elles ne fournissent pas d'autres précisions ou de preuves sur la nature de leur créance.

Un actionnaire ne pouvant être admis à produire des créances dans la société liquidée en raison de la diminution de la valeur de ses actions, la Cour a été amenée à rechercher leur nature dans les pièces produites.

Celle-ci apparaît à la lecture des 2 ordonnances du 29 avril 2003 du juge commissaire de la liquidation judiciaire de la société TAUFOUR qui a :

- admis une créance de 804.299,34 Euros à titre chirographaire présentée par la société DOSSCHE FRANCE Sarl en constatant que la créance était constituée à la fois d'apports en compte courant et de paiements de factures de la société TAUFOUR à ses fournisseurs sans qu'il soit distingué entre ces deux créances.

- admis une créance de 553.276,86 Euros à titre chirographaire présentée par la société DOSSCHE BELGIQUE dont il peut se déduire à la lecture des motifs qu'il s'agirait de prêts passés en compte courant. Le surplus a été rejeté et un appel a été formé qui a confirmé le rejet par arrêt du 17 mars 2005 actuellement frappé d'un pourvoi.

Les créances dont s'agit doivent être considérées comme de droit commun.

Il se déduit de ces éléments que les sociétés DOSSCHE, bien qu'actionnaires, exercent une action en responsabilité comme des créanciers de droit commun admis à produire dans la liquidation judiciaire.

S'ils estiment que la faute des professionnels chargés de l'établissement des comptes et de leur sincérité a trompé leur confiance et entraîné l'insolvabilité de la société, leur préjudice est commun à tous les créanciers de la procédure collective et l'action en responsabilité doit être exercée par le liquidateur judiciaire à l'exclusion des créanciers agissant individuellement sauf à rompre le principe de l'égalité des créanciers.

Les sociétés DOSSCHE sont donc irrecevables à agir contre les intimés, cette action n'étant réservée qu'au liquidateur judiciaire. Ce dernier ne demande pas les mêmes sommes que les sociétés DOSSCHE mais celle de 606.391,27 Euros déjà obtenue au titre de l'action civile devant la Cour statuant en matière pénale et condamnant Monsieur TAUFOUR pour banqueroute, montant correspondant à la somme des pertes des exercices de juin 1993 et 1994, diminuée du bénéfice de juin 1995.

LA RECEVABILITÉ DE L'ACTION DU LIQUIDATEUR JUDICIAIRE

En cas d'irrégularités comptables non découvertes par le commissaire aux comptes, le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité contre ce professionnel, en application de l'article L. 225-242 du code de commerce, se situe, par principe, à compter du fait dommageable et, par exception, à compter de la révélation du fait dommageable s'il a été dissimulé.

Le fait dommageable est celui imputable au commissaire aux comptes et non celui des dirigeants contrôlés. Il est constitué soit par la certification erronée soit par le défaut de révélation des irrégularités.

Il existe une difficulté sur la notion de dissimulation en ce que celle-ci peut résulter de l'action volontaire du commissaire aux comptes mais aussi du simple fait que, les irrégularités n'ayant pas été découvertes et la certification réalisée, tout se passe comme s'il y avait eu dissimulation jusqu'à la découverte de celles-ci suite à une expertise, par exemple.

Une interprétation adaptée permettant de respecter à la fois l'esprit de la prescription qui est de limiter les actions dans le temps dans un but d'ordre public économique, et l'intérêt des victimes directes ou indirectes de la faute du professionnel, voudrait que l'on puisse retarder le point de départ de la prescription au moment où l'inexactitude des bilans et des comptes d'exploitation ont été découverts et que l'on a donc pu en avoir connaissance, cette situation mettent alors en lumière l'éventuelle erreur ou négligence du commissaire aux comptes.

Dans sa déclaration de cessation de paiement du 25 mars 1997, la société TAUFOUR, pour expliquer sa situation, a précisé à plusieurs reprises que "les comptes étaient faux" et qu'il y avait des "écritures fictives".

La Selarl SOINNE et Associés représentée par Me Nicolas SOINNE, désignée liquidateur judiciaire le 27 mars 1997, a nécessairement eu connaissance de ce document et, dès le 5 mai 1997, a adressé au juge commissaire une requête demandant une expertise afin de mettre en évidence les anomalies dans la comptabilité après avoir souligné "il semble qu'il y ait eu de nombreuses irrégularités dans cette affaire au niveau de la comptabilité".

Le 16 mai 1997, le juge commissaire a désigné un expert, Monsieur A..., qui a remis son rapport le 28 avril 1998 dans lequel il conclut : "il n'est pas douteux que les bilans de la société TAUFOUR sont erronés dans des proportions significatives depuis plusieurs années, le but poursuivi étant de masquer les pertes conséquentes..." Il s'ensuit qu'à compter de cette dernière date, le liquidateur judiciaire était parfaitement informé des malversations comptables et donc de la faute éventuelle du commissaire aux comptes ; qu'il n'est pas contesté et résulte du jugement attaqué que le liquidateur judiciaire ne s'est joint à l'action des sociétés DOSSCHE qu'en 2003 alors que les faits lui étaient connus depuis près de 5 années de sorte que son action était prescrite ; qu'en se joignant tardivement à l'action des sociétés DOSSCHE, elles mêmes irrecevables, il ne pouvait bénéficier de l'existence de cette procédure pour faire vivre la sienne.

La décision sera réformée mais seulement en ce que les demanderesses doivent être déclarées irrecevables.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser supporter par les parties les frais irrépétibles engagés à l'occasion de la présente instance. PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, en dernier ressort,

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Saint Omer en date du 11 décembre 2003

Déclare irrecevables les actions de la société DOSSCHE FRANCE, de la société de droit belge DOSSCHE et de la Selarl SOINNE et Associés représentée par Me Nicolas SOINNE es qualités de liquidateur judiciaire de la société TAUFOUR

Déboute les parties de leurs demandes en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

Condamne la société DOSSCHE FRANCE, la société de droit belge DOSSCHE et la Selarl SOINNE et Associés représentée par Me Nicolas SOINNE es qualités de liquidateur judiciaire de la société TAUFOUR aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.