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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 13 février 2009, n° 07/02113

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

S. D., C. D., SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT (sté), UNE MUSIQUE (Sté)

Défendeur :

UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING MGB FRANCE (sté), EMHA (Sté), P. M., J-L. P., M-G. R., R. S.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur GIRARDET

Conseillers :

Madame REGNIEZ, Madame SAINT SCHROEDER

Avoués :

SCP HARDOUIN, SCP FANET - SERRA, Me Dominique OLIVIER

Avocats :

Me Jean-Marie GUILLOUX, Me Emmanuel ZOLA-PLACE, Me Benoît PILLOT, Me Florence DAUVERGNE

Paris, du 24 janv. 2007

24 janvier 2007

L'oeuvre LOVE EMOTION a été composée par Messieurs Christophe DESPRES et Jean-Louis PUJADE, les paroles en anglais ayant été écrites par Messieurs Stéphane DESPRES, Philippe MIMOUNI et Mario-Georges RAMSANY.

Le 5 février 1986 les coauteurs ont cédé l'intégralité des droits d'exploitation de leur oeuvre à la société FLARENASCH MUSIC. Un contrat d'adaptation musicale a également été conclu entre les sociétés TOP  1(devenue la société EMHA) et Monsieur Richard SEFF d'une part, et la société FLARENASCH MUSIC d'autre part. La chanson LOVE EMOTION a ainsi été adaptée en français, les paroles étant de Monsieur SEFF, pour devenir la chanson LES DEMONS DE MINUIT.

Elle a été interprétée dans les années 1980 par le groupe IMAGE, composé de Messieurs PUJADE et RAMSANY.

Le 1er mars 1990, le catalogue de la société FLARENASCH MUSIC a été cédé à la société BMG MUSIC PUBLISHING.

A la fin des années 1990, le groupe EMILE ET IMAGES commercialise un album dans lequel figure un medley intitulé JUSQU'AU BOUT DE LA NUIT, constitué des succès des groupes GOLD et IMAGES, dont LES DEMONS DE MINUIT. Cet album a été produit par la société UNE MUSIQUE et distribué par la société par actions simplifiée SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT.

Reprochant qu'on ne leur ait pas demandé leur autorisation pour l'édition du medley, Messieurs DESPRES ont assigné les sociétés BMG MUSIC PUBLISHING, une musique, SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT, EMHA ainsi que Messieurs MIMOUNI, PUJADE, RAMSANY et SEFF pour atteinte à leur droit moral.

La société EMHA et Messieurs MIMOUNI, PUJADE, RAMSANY et SEFF n'ont pas constitué avocat.

Par un jugement réputé contradictoire rendu le 24 janvier 2007, la troisième chambre, troisième section, du tribunal de grande instance de Paris a :

- débouté Messieurs DESPRES de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,

- condamné Messieurs DESPRES aux dépens.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 5 novembre 2008, Messieurs DESPRES, appelants, prient la cour, pour l'essentiel, de :

- infirmer le jugement entrepris,

- dire que la reproduction partielle de l'oeuvre LES DEMONS DE MINUIT dans le medley JUSQU'AU BOUT DE LA NUIT constitue une atteinte à l'intégrité de l'oeuvre, que les sociétés UNE MUSIQUE et SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT ont porté atteinte à leur droit moral sur celle-ci,

- dire qu'en ne soumettant pas la réalisation du medley litigieux à leur autorisation, la société BMG MUSIC PUBLISHING, devenue UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING MGB, a porté atteinte à leur droit moral, manqué à son obligation de rendre des comptes et à son obligation d'exploitation permanente et suivie,

- prononcer la résiliation du contrat de cession et d'édition portant sur l'oeuvre LOVE EMOTION entre eux et la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING MGB,

- la condamner à leur verser la somme de 40 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts,

- condamner in solidum les sociétés UNE MUSIQUE et SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT à leur verser la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING MGB à leur payer la somme de 2 000 euros chacun sur le même fondement,

- condamner in solidum la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING MGB, une musique et SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT en tous les dépens.

La société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING MGB, intimée, demande essentiellement à la cour, dans ses dernières conclusions signifiées le 21 novembre 2008, de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- condamner solidairement Messieurs DESPRES aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 21 septembre 2007, la société SONY BMG MUSIC ENTERTAINMENT, intimée, sollicite la cour, pour l'essentiel, de :

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

- subsidiairement, condamner la société UNE MUSIQUE à la garantir de toutes condamnations éventuelles,

- condamner solidairement Messieurs DESPRES aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société UNE MUSIQUE, intimée, demande essentiellement à la cour, dans ses dernières conclusions signifiées le 10 octobre 2007, de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner solidairement Messieurs DESPRES en tous les dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 7 500 euros Hors Taxes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

SUR CE, LA COUR

Considérant qu'il sera rappelé que Stéphane Despres est avec Messieurs Mimouniet Ramsamy, coauteur de l'oeuvre 'Love Emotion' et que Christophe Despres est avec Jean-Louis Pujade, le co-compositeur de l'oeuvre 'Love Emotion', laquelle a été adaptée en français par Richard Stef sous le titre 'Les démons de minuit';

Que la société BMG MUSIC PUBLISHING devenue Universal Music Publihing MGB a acquis le fond éditorial 'Edition Flarenash' comprenant l'oeuvre 'Love Emotion';

Considérant qu'un 'medley' ou pot - pourri, intitulé 'Jusqu'au bout de la nuit', a été produit en 1999 par la société Une Musique sous la forme d'un album ; qu'il a été commercialisé par la société Sony Music jusqu'en 2002 puis par la société Warner Music, laquelle n'est pas dans la cause ;que le ' medley' comprend des extraits de divers titres du groupe 'Emile et Image' dont 'les démons de minuit';

Considérant que les appelants font grief à la décision entreprise de les avoir déboutés de leurs prétentions fondées sur leur droit moral, alors que l'intégration, sous forme d' extrait, d'une composition à un pot pourri ou ' medley', constituait une altération de leur oeuvre qui commandait que leur accord ait été préalablement recueilli;

Qu'ils soutiennent en outre que la société Universal Music Publishing MGB a manqué à ses obligations d'éditeur en ne leur soumettant pas la demande d'autorisation pour la réalisation du 'medley'litigieux, en ne procédant pas à des redditions de comptes régulières et en assurant pas une exploitation permanente et suivie de leur oeuvre ;

Sur l'atteinte au droit moral

Considérant que la société Sony BMG Music prétend que Stéphane Despres n'aurait aucun intérêt légitime car il n'est pas l'auteur de l'adaptation française qui a été utilisée dans l'album litigieux ;

Considérant cependant qu'il est le parolier de l'oeuvre 'Love Emotion' ; que quand bien même n'est-il pas le parolier de la version française qui a été utilisée, il demeure qu'il est titulaire de droits sur l'oeuvre première dont est issue la version française et qui le rendent parfaitement recevable à agir en défense de son droit moral ;

Considérant que le pot-pourri ou 'medley' est d'une durée de 3,51 minutes et se compose d'une suite d'extraits de dix oeuvres interprétées par le même groupe ; que l'oeuvre 'Les démons de minuit', d'une durée de 3,47 minutes est largement amputée puisqu'un fragment de seulement 20 secondes est repris ;qu'il est constant qu'un procédé de fondu enchaîné a été utilisé comme transition entre les oeuvres pour composer un ensemble ;

Considérant que l'autorisation des appelants n'a aucunement été recueillie ;

Qu'elle ne saurait s'inférer d'une autorisation contractuelle et générale donnée par les auteurs 'in futurum' à la fragmentation de leur oeuvre ;

Qu'en effet, l'auteur ne peut renoncer de façon préalable à l'exercice de son droit moral par des dispositions contractuelles dont la généralité des termes priverait ce droit de son contenu ;

Que par ailleurs l'autorisation donnée par le passé pour une ou deux utilisations de l'oeuvre sous forme d'extraits, ne peut pas plus valoir autorisation donnée pour toute exploitation de l'oeuvre dans un 'medley';

Considérant qu'il est en outre indifférent que certains des autres coauteurs aient été à l'origine de l'utilisation litigieuse ou qu'aucun grief ne soit avancé sur la qualité de la reproduction opérée, dès lors que la fragmentation de l'oeuvre et sa réduction à une durée de vingt secondes, précédée et suivie d'enchaînements, porte atteinte aux droits des auteurs au respect de leur oeuvre au sens de l'article L 121-1 du CPI ;

Considérant que la société Une Musique, productrice du phonogramme litigieux a engagé sa responsabilité pour ne pas s'être assurée de l'autorisation des appelants ; que la société Sony BMG Music a engagé la sienne pour avoir distribué jusqu'en 2002 le phonogramme en cause ;

Sur les manquements allégués de la société BMG Music Publishing à ses obligations d'éditeur

Considérant que les appelants avancent que les relevés de comptes leur ont été transmis tardivement, à partir de 1997, en langue anglaise et ne permettent pas d'identifier ce qui est dû au travail d'exploitation réalisé par la société BMG Music Publishing ; qu'en outre les comptes ne portent que sur l'oeuvre 'Les démons de minuit' et non pas sur l'oeuvre 'Love Emotion';

Considérant ceci rappelé, que les dispositions contractuelles prévoient une reddition de comptes semestrielle avec mention des exemplaires vendus ;

Que si avant 1997, l'éditeur n'a pas respecté la fréquence prévue au contrat, il n'est pas contesté que depuis cette date les comptes ont été rendus semestriellement aux auteurs ;

Que par ailleurs, il est sans conséquence que les redditions aient été effectués en anglais, langue que les appelants ne prétendent pas ne pas comprendre ;

Qu'elles font état des ventes de recueils ou partitions, de 'synchronization'et de licences graphiques consenties et ont dès lors bien pour objet les comptes éditoriaux, c'est à dire l'exploitation réalisée par BMG Music Publishing ;

Que les éléments comptables fournis sont relatifs au montant perçu par l'éditeur et à la part revenant à l'auteur ;

Considérant que certes les comptes d'exploitation de l'oeuvre 'Les Démons de Minuit' n'apparaissent pas avoir été distingués de ceux de l'oeuvre 'Love Emotion' ; que cette insuffisance comme celle relative à l'absence fautive de toute mention des tirages et des stocks ne sauraient toutefois caractériser une faute suffisante pour justifier la résiliation du contrat d'autant que le contrat ne prévoyait pas que l'état des stocks fût porté à la connaissance des auteurs et que ces derniers ne les ont en tous cas jamais sollicités ;

Considérant que les appelants excipent par ailleurs d'une insuffisance d'exploitation de leur oeuvre, reprochant à leur éditeur sa totale passivité que ce soit en France ou à l'étranger ;

Mais considérant que les premiers juges ont par des motifs propres et adoptés, relevé que l'édition graphique des deux versions de l'oeuvre, les autorisations de reproduction des partitions, les licences consenties à des tiers et mentionnées sur les redditions de comptes ,les nombreuses demandes de synchronisation de l'oeuvreentre 1996 et 2006,les utilisations au sein de 'medley', l'enregistrement d'une nouvelle version des ' Démons de Minuit' et la présentation de l'oeuvre sur le site de l'éditeur réservé aux professionnels, qui permet l'écoute de l'oeuvre et son édition graphique, ou encore le projet d'adaptation en portugais, témoignent d'une exploitation permanente et suivie de l'oeuvre en France et à l'étranger qui satisfait aux exigences de l'article L132-12 du CPI ;

Considérant enfin que s'il est regrettable que la société BMG Music Publishing, lors qu'elle fut sollicitée pour autoriser la réalisation du 'medley' litigieux, se soit limitée à transmettre par télécopie du 29 janvier 2001 << un accord de principe sous réserve de l'accord des tous les auteurs et des co-éditeurs >> et qu'elle n'ait donc pas adressé aux auteurs la demande dont elle était saisie, cette abstention fautive ne justifie pas pour autant que la résiliation du contrat de cession et d'édition soit prononcée ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que le phonogramme, comprenant dix titres, a été vendu à 600 000 exemplaires, ce qui n'est pas contesté ;

Que le préjudice subi par les appelants du seul fait de la fragmentation de leur oeuvre sans leur autorisation sera réparé par le versement à chacun d'eux de la somme de 5000 euros ;

Que les sociétés Une Musique et Sony BMG Music seront condamnées in solidumau paiement de cette somme, étant observé qu'en raison des dispositions contractuelles qui les lient, la société Une Musique ne conteste pas devoir sa garantie à la société Sony BMG Music ;

Considérant que la défaillance de l'éditeur qui n'a pas informé les auteurs de la demande dont il est saisi constitue une faute contractuelle qui sera réparée par la condamnation de la société BMG MUSIC Publishing devenue Universal Music Publishing MGB France,à verser à chacun d'eux la somme de 1500 euros ;

Sur l'article 700 du cpc

Considérant que l'équité commande de condamner in solidum les sociétés Une Musique, Universal Music Publishing et Sony BMG Music, à verser aux appelants la somme globale de 4000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel .

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du 24 janvier 2007 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation du contrat de cession et d'édition,

Statuant à nouveau,

Dit que la reproduction sans l'autorisation des appelants, d'un extrait de l'oeuvre 'Les Démons de Minuit' dans un phonogramme intitulé'Jusqu'au bout de la nuit' constitue une atteinte au droit moral de ceux-ci,

Dit que l'absence de transmission aux appelants, par la société Universal Music Publishing MGB france, de la demande d'autorisation de réaliser le phonogramme précité, constitue une faute contractuelle dont ils sont bien fondés à solliciter la réparation,

En conséquence,

Condamne in solidum les sociétés Une Musique et SonyBMG Music Entertainment France à verser à chacun des appelants la somme de 5000 euros en réparation à l'atteinte portée à leur droit moral,

Condamne la société Universal Music Publishing MGBà verser à chacun des appelants la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts,

Constate que la société Une Musique ne conteste pas devoir sa garantie à la société Sony BMG Music,

Rejette toute autre demande,

Condamne in solidum les sociétés Universal Music Publishing MGB, Sony BMG Music Entertainment France et Une Musique à verser à Stéphane Despres et Christophe Despres la somme globale de 4000 euros par application de l'article 700 du cpc et à supporter les entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Hardouin, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du même code .