Livv
Décisions

Cass. crim., 6 avril 2004, n° 03-82.394

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Blondet

Avocat général :

Mme Commaret

Avocat :

Me Spinosi

Caen, du 26 fév. 2003

26 février 2003

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2 et 221-6 du Code pénal, 29 de la loi n° 82-1152 du 30 décembre 1982 sur l'organisation des transports intérieurs, 2 du décret n° 84-473 du 18 juin 1984, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a retenu la responsabilité pénale du département de l'Orne pour homicide par imprudence ;

"aux motifs qu'en tant que personne morale, le département est aux termes de l'article 121-2 du Code pénal responsable pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 et 121-7 et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour son compte, par ses agents ou représentants ; qu'en l'espèce, aux termes de l'article 221-7 du Code pénal, le département de l'Orne peut être déclaré responsable pénalement de l'infraction d'atteinte involontaire à la vie régie par l'article 221-6 dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, applicable aux faits commis antérieurement à la date de son entrée en vigueur dans la mesure où il prévoit des éléments constitutifs nouveaux de l'infraction et est plus favorable pour les auteurs de cette infraction ; que toutefois, en tant que collectivité territoriale, il n'est responsable pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de convention de délégation de service public ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces du dossier que le département de l'Orne, autorité organisatrice de premier rang du transport scolaire, a confié par convention l'exploitation de cette ligne régulière de transport non urbain à la STAO ; qu'aux termes de la loi du 10 juillet 2000, les conditions d'engagement de la responsabilité pénale des personnes morales restent inchangées ; celles-ci sont pénalement responsables de toute faute non intentionnelle - faute simple d'imprudence ou de négligence, manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence - de leurs organes ou représentants, alors même qu'en l'absence de toute faute délibérée ou caractérisée au sens de l'article 121-3 alinéa 4 du Code pénal, la responsabilité pénale des personnes physiques ne pourrait être recherchée, ce qui est précisément le cas en l'espèce, s'agissant du président du Conseil général ; que s'agissant d'un lien de causalité entre l'acte et le résultat, la théorie de la l'équivalence des conditions - chacune des causes peut être retenue à titre isolé -demeure valable pour les personnes morales ; que la personne morale étant une fiction juridique, elle ne peut réaliser elle-même et de façon autonome les éléments matériel et intellectuel de l'infraction ; un intermédiaire, en l'espèce, le président du Conseil général, est nécessaire ; toutefois, l'appréciation des diligences accomplies doit se faire, contrairement à ce qui est soutenu, au regard des dispositions générales de l'article 121-3 du Code pénal, la responsabilité de la personne morale étant seule en cause, et non de l'article L. 3123-28 du Code général des collectivités territoriales qui renvoie à la responsabilité propre du Président du conseil général -poursuivi en tant que personne physique ; que Jacques La X..., expert près la cour d'appel de Caen, estime que dans la mesure où il n'existe plus de point de rassemblement organisé (abri bus retiré), le point de ramassage scolaire à proximité du stop n'offrait pas toutes les garanties de sécurité possibles pour les enfants, d'autant que le point d'arrêt du car se trouvait dans le carrefour formé par les RD 51 et 916 ; le point de ramassage aurait dû être supprimé en même temps que l'abri retiré ; par ailleurs, il existait pour les véhicules accompagnateurs des enfants, à proximité du carrefour, des possibilités de stationnement, non aménagées, permettant à ces derniers d'éviter de traverser la RD 916, pour rejoindre le car de ramassage ; que Christian Y..., expert près la cour d'appel de Bordeaux, agréé par la Cour de Cassation, précise que le point de ramassage ne présentait manifestement aucune garantie de sécurité en raison de l'absence d'abri, de signalisation spécifique adaptée et de sa proximité avec l'intersection ; celui-ci qui ne semblait pas résulter d'un minimum de recherche pour la sécurité des enfants présentait toutes les caractéristiques d'un point d'arrêt sauvage ; il souligne la légèreté des mesures de sécurité prises par le conseil général pourtant organisateur de premier rang et dépositaire du pouvoir de sécurité en matière de transport scolaire, les conditions de l'implantation du point d'arrêt ayant un lien de causalité avec l'accident mortel ; il précise qu'à défaut d'un minimum d'aménagements consistant en l'existence d'un abri et d'une aire destinée aux véhicules des parents pour déposer les enfants, le point d'arrêt aurait dû être supprimé par l'organisateur ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, la Cour estime que le président du Conseil général de l'Orne - Gérard Z... - agissant pour le compte du département, a commis une simple faute d'imprudence en accédant à la demande des parents des enfants de maintenir un point de ramassage à cet endroit considéré comme dangereux par les deux experts judiciaires alors qu'un autre abri, situé à peine à 400 mètres présentait toutes les garanties de sécurité dans le bourg lui-même, et qu'il a la maîtrise complète et la responsabilité du choix de l'implantation des arrêts, d'une part, et que, d'autre part, la voirie départementale relève également de sa compétence, les deux services étant coordonnés par ses soins ;

"alors que, l'organisation du transport scolaire auquel est rattaché l'aménagement de la voirie départementale, à la différence de son exploitation, n'est pas une activité susceptible de faire l'objet d'une délégation de service public ; que la prétendue négligence de l'autorité publique organisatrice qui n'aurait pas respecté les dispositions de sécurité sur l'emplacement du point d'arrêt d'un autocar scolaire et des contrôles de sécurité qui devaient être effectués, en maintenant un point de ramassage à un endroit, est nécessairement intervenue dans l'exercice d'une activité de service publique indélégable" ;

Vu l'article 121-2 du Code pénal ;

Attendu qu'aux termes du deuxième alinéa de ce texte, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public ;

Que sont susceptibles de faire l'objet de telles conventions les activités ayant pour objet la gestion d'un service public lorsque, au regard de la nature de celui-ci et en l'absence de dispositions légales ou réglementaires contraires, elles peuvent être confiées, par la collectivité territoriale, à un délégataire public ou privé rémunéré, pour une part substantielle, en fonction des résultats de l'exploitation ;

Attendu que, pour déclarer le département de l'Orne coupable d'homicides involontaires, l'arrêt, après avoir relevé que cette collectivité territoriale a confié par convention l'exécution du service public des transports scolaires, dans les secteurs ruraux de la circonscription, à la société de transports automobiles de l'ouest (STAO), retient qu'en maintenant, à proximité d'un carrefour, dans une zone rurale, à 400 mètres d'un autre point d'arrêt pourvu d'un abri et situé sur la place du bourg de Saint-Georges-d'Annebecq, un point de ramassage scolaire non signalisé et dépourvu tant d'abri que d'espace adapté au stationnement des véhicules des parents, le prévenu a commis par son représentant, le président du conseil général, qui avait la maîtrise du choix de l'implantation des arrêts et de la voirie, une faute d'imprudence ayant un lien de causalité avec les dommages ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, si l'exploitation du service des transports scolaires est susceptible de faire l'objet d'une convention de délégation de service public, il n'en va pas de même de son organisation, qui est confiée au département en application de l'article 29 de la loi du 22 juillet 1983, devenu l'article L. 213-11 du Code de l'éducation, et qui comprend notamment la détermination des itinéraires à suivre et des points d'arrêt à desservir, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit, ainsi que le permet l'article L. 135-5 du Code de l'organisation judiciaire, et de mettre fin au litige ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen du 26 février 2003,

DIT qu'en l'espèce le département de l'Orne n'est pas susceptible de poursuites pénales ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Caen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;