Livv
Décisions

Cass. com., 13 janvier 2021, n° 19-13.399

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

M. Ponsot

Avocats :

SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Amiens, du 18 déc. 2018

18 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 18 décembre 2018) et les productions, Q... S... et son épouse, Mme J... B... (Mme S... B...), ont constitué le groupement foncier agricole de Louvry (le GFA) avec leurs filles, Mmes K... S..., épouse D..., (K... D...), P... S..., épouse E..., et M... S..., auxquelles ils ont ensuite transmis par donation, ainsi qu'à leurs petits-enfants, la quasi-totalité de leurs parts, avec réserve d'usufruit. Postérieurement au décès d'Q... S..., son épouse, Mme S... B... a assuré seule la gérance du GFA.

2. Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 14 juin 2011, K... D... a procédé à une consultation écrite des associés du GFA en vue de la révocation de sa mère, Mme S... B..., de ses fonctions de gérante, et de la nomination en qualité de cogérants de ses deux enfants, M. Y... D... et Mme F... D..., épouse T... (Mme T... ).

3. A l'issue de cette consultation, à laquelle elle n'a pas répondu, Mme S... B... a été révoquée de ses fonctions et remplacée par les deux cogérants proposés. Un procès-verbal mentionnant l'adoption des résolutions a été établi et a fait l'objet de publications.

4. En décembre 2011, K... D... est décédée, en laissant pour lui succéder son époux, M. L... D..., et leurs deux enfants.

5. Mme S... B... a assigné les autres membres du GFA en annulation de la consultation écrite et des résolutions en résultant. Elle a également assigné M. O..., désigné par ordonnance du 21 juin 2012 en qualité d'administrateur provisoire du GFA.

Examen des moyens

Sur les premier et second moyens, réunis

Enoncé des moyens

6. Par leur premier moyen, M. L... D..., M. Y... D... et Mme F... D... épouse T... font grief à l'arrêt d'annuler la consultation écrite des associés du GFA à l'initiative de K... D... du 8 juillet 2011, d'annuler en conséquence les délibérations en résultant et notamment la révocation de Mme S... B... de ses fonctions de gérante et la nomination subséquente de M. Y... D... et Mme F... T... en qualité de cogérants, d'ordonner des mesures de publication, alors :

« 1°/ que la nullité des actes ou délibérations des organes d'une société civile ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du Titre IX du Livre III du code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ; que sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité ; qu'en retenant, pour annuler la consultation écrite des associés du GFA organisée par feue K... D... ainsi que les délibérations en résultant, que celles-ci avaient été prises en violation des stipulations statutaires réservant au seul gérant le pouvoir de convoquer une assemblée générale ou d'organiser une consultation écrite des associés sans prévoir la faculté pour un associé non gérant de procéder à une telle convocation ou à une telle consultation écrite en cas de carence du gérant, cependant que les stipulations statutaires ainsi méconnues n'aménageaient pas conventionnellement une règle posée par une disposition législative ou réglementaire impérative, la cour d'appel a violé l'article 1844-10 du code civil ;

2°/ que l'annulation des décisions des associés d'une société civile en raison d'une irrégularité affectant les modalités de la convocation ou de la consultation écrite des associés est subordonnée à la démonstration d'un grief par celui qui s'en prévaut ; qu'en annulant la consultation écrite des associés du GFA organisée par feue K... D... ainsi que les délibérations en résultant en raison de la méconnaissance des stipulations statutaires réservant au seul gérant le pouvoir de convoquer une assemblée générale ou d'organiser une consultation écrite des associés sans prévoir la faculté pour un associé non gérant de procéder à une telle convocation ou à une telle consultation écrite en cas de carence du gérant, sans rechercher si l'irrégularité ainsi retenue avait causé un grief à Mme S... B..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1844-10 du code civil. »

7. Par leur second moyen, M. L... D..., M. Y... D... et Mme F... D... épouse T... font grief à l'arrêt de décider qu'en l'absence d'autre choix signifié au GFA par les intéressés, le droit de vote attaché à une part démembrée est exercé par l'usufruitier pour les décisions collectives ordinaires et le nu-propriétaire pour les décisions collectives extraordinaires, alors « que les juges ont l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; qu'en affirmant qu'il résultait des articles 24 et 40, 5°, des statuts du GFA, dérogeant en cela aux dispositions de l'article 1844 du code civil, qu'en l'absence d'autre choix signifié au groupement, l'usufruitier est titulaire du droit de vote pour les décisions collectives ordinaires et le nu-propriétaire pour les décisions collectives extraordinaires, cependant, d'une part, que la répartition prévue par l'article 24 des statuts entre l'usufruitier et le nu-propriétaire de parts sociales concerne les seules communications faites à ceux-ci par la gérance, d'autre part, que l'article 40, 5° se borne à prévoir la représentation des associés détenteurs de parts sociales indivises ou démembrées par un mandataire unique aux assemblées générales, enfin, qu'aucune stipulation statutaire ne vient déroger aux dispositions de l'article 1844, alinéa 3, du code civil sur la répartition de l'exercice du droit de vote entre l'usufruitier et le nu-propriétaire d'une part sociale, laquelle demeure donc régie par cette disposition, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des statuts du GFA, a violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir énoncé que l'article 1844 du code civil permet de déroger à la répartition des droits de vote qu'il prévoit entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, et constaté que l'article 24 des statuts du GFA stipule que l'usufruitier et le nu-propriétaire doivent se faire représenter par l'un d'entre eux et que, s'ils n'en ont pas convenu et signifié leur choix au groupement, toutes les communications seront faites à l'usufruitier concernant les décisions collectives ordinaires, prises ou à prendre, et au nu-propriétaire pour les décisions collectives extraordinaires, l'arrêt en déduit que le critère adopté par les statuts quant à l'exercice du droit de vote n'est pas celui de l'article 1844 du code civil puisqu'il est fondé sur une distinction entre les décisions collectives ordinaires, du ressort de l'usufruitier, et les décisions collectives extraordinaires, du ressort du nu-propriétaire.

9. Ayant ainsi souverainement procédé à la recherche de la commune intention des parties, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, et abstraction faite de ceux critiqués par le premier moyen, dès lors surabondants, retenu à bon droit et sans dénaturation que la décision prise par les nu-propriétaires de révoquer la gérante l'avait été en violation des règles statutaires relatives aux droits de vote, justifiant l'annulation de la consultation des associés, des résolutions adoptées et des mesures subséquentes.

10. Les moyens ne sont donc pas fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.