Cass. com., 10 février 2009, n° 07-21.807
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Thouin-Palat et Boucard
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 16 octobre 2007), que Mme X... a constitué le 8 novembre 1989 avec ses trois enfants la société civile SFTC, dont le capital était composé de 1 200 parts ; que, le 20 février 1990, Mme X... a fait donation à ses enfants de la nue-propriété des 1 197 parts qu'elle détenait ; que la société a opté le 22 mars 1997 pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés ; que l'assemblée générale a, par décisions des 28 juin 1996, 23 juin 1997, 20 mai 1999, 31 mai 2000 et 29 juin 2001, affecté à un compte de réserve les bénéfices réalisés par la société au cours des années 1995, 1996, 1998, 1999 et 2000 ; que, considérant que ces décisions répétées de mise en réserve des bénéfices s'analysaient en une donation indirecte faite par Mme X... à ses enfants, l'administration fiscale a notifié à M. Jean-Pierre X... le 5 mai 2003 un redressement ; qu'après mise en recouvrement des impositions, et rejet de sa réclamation, M. X... a saisi le tribunal de grande instance afin d'obtenir la décharge des impositions réclamées ;
Attendu que le directeur général des finances publiques fait grief à l'arrêt d'avoir invalidé le redressement notifié le 5 mai 2003 et les impositions subséquentes, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il résulte de l'article 894 du code civil que la donation entre vifs suppose le dépouillement actuel et irrévocable de la chose donnée ; que cependant l'exigence d'un dépouillement actuel et irrévocable de la chose donnée qui marque le transfert définitif de la propriété, n'a pas pour corollaire obligatoire le paiement immédiat de la somme donnée ; qu'en cas de démembrement de droits sociaux, l'usufruitier, conformément à l'article 582 du code civil qui lui accorde la jouissance de toute espèce de fruits, a droit aux dividendes ; que par ailleurs, il résulte de l'article 1844, alinéa 3, du code civil, que si une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote concernant l'affectation des bénéfices appartient à l'usufruitier qui peut notamment les porter en compte de réserve ; qu'à cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que les sommes portées en réserve constituent un accroissement de l'actif social revenant au nu-propriétaire ; que la distribution ultérieure des bénéfices mis en réserve ne saurait remettre en cause le principe de leur transmutation en capital ; qu'ainsi, en cas de distribution des réserves, les sommes distribuées reviennent au nu-propriétaire ; que, si le droit éventuel de l'usufruitier d'en obtenir la jouissance sous forme de quasi-usufruit n'est pas contesté, il apparaît que cette appréhension n'est que temporaire puisqu'à charge de restituer la somme à la fin de l'usufruit ; que dès lors, la décision de l'usufruitier de droits sociaux de mise systématique en réserve les bénéfices sociaux s'analyse en une renonciation définitive et irrévocable de sa part à appréhender les dividendes auxquels il a droit ; que cette opération est donc bien constitutive d'une donation indirecte consentie par l'usufruitier au profit du nu-propriétaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel de Lyon, qui a reconnu que "l'administration fiscale a pu légitimement considérer que la mise en réserve systématique des bénéfices caractérisait une renonciation de l'usufruitière à appréhender les bénéfices, qui auraient dû lui revenir, pour accroître le capital dans l'intérêt exclusif de ses enfants nus-propriétaires", a néanmoins annulé le redressement litigieux en écartant le caractère irrévocable du dessaisissement de Mme Thérèse X... aux motifs que "les réserves ainsi distribuées reviennent à l'usufruitier, soit que l'on considère que la décision de la société a pour effet de faire perdre aux réserves leur caractère de capital, soit que l'on considère qu'il s'agit d'un quasi-usufruit, l'usufruitier retrouvant alors le droit d'exercer son droit de jouissance sur les sommes distribuées, même s'il a la charge de les restituer en fin d'usufruit" ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 894 du code civil ;
2°/ qu'il résulte de l'article 894 du code civil que la donation entre vifs suppose le dépouillement actuel et irrévocable de chose donnée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel de Lyon, a reconnu que "l'administration fiscale a pu légitimement considérer que la mise en réserve systématique des bénéfices caractérisait une renonciation de l'usufruitière à appréhender les bénéfices, qui auraient dû lui revenir, pour accroître le capital dans l'intérêt exclusif de ses enfants nus-propriétaires" ; que la cour d'appel a néanmoins annulé le redressement litigieux en écartant le caractère irrévocable du dessaisissement de Mme Thérèse X... aux motifs que les réserves distribuées reviennent à l'usufruitier, "soit que l'on considère que la décision de la société a pour effet de faire perdre aux réserves leur caractère de capital, soit que l'on considère qu'il s'agit d'un quasi-usufruit" ; qu'en statuant de la sorte par une motivation alternative qui a laissé incertaine la base de la condamnation de l'administration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 894 du code civil ;
Mais attendu que les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n'ont pas d'existence juridique avant l'approbation des comptes de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé ; qu'il s'ensuit qu'avant cette attribution, l'usufruitier des parts sociales n'a pas de droit sur les bénéfices et qu'en participant à l'assemblée générale qui décide de les affecter à un compte de réserve, il ne consent aucune donation au nu-propriétaire ; que, par ces motifs de pur droit, substitués aux motifs critiqués, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.