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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 28 février 2023, n° 22/03535

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Naturhouse (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Goumilloux, Mme Masson

Avocat :

Me Priet

T. com. Bordeaux, du 30 juin 2022, n° 20…

30 juin 2022

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Naturhouse a été immatriculée le 28 aout 2007 au RCS d'Albi avec pour objet la vente directe et au détail de produits diététiques, herboristerie, cosmétiques naturels, revues et livres.

Elle a développé sous l'enseigne Naturhouse un réseau de franchise qui permet à des professionnels de santé de délivrer gratuitement à des clients des conseils diététiques et de leur vendre des compléments alimentaires de la marque Naturhouse.

M. [O] [D] a occupé les fonctions de responsable commercial de la société Naturhouse, puis de directeur général entre le 1er janvier 2008 et le 31 mai 2017, date à laquelle les parties ont signé une rupture conventionnelle du contrat de travail.

Le 10 mai 2019, la SAS Yiango Care a été immatriculée au RCS d'Albi, avec pour président M. [O] [D], et pour activités la création, le développement, l'encadrement, la gestion des réseaux commerciaux, l'achat et la revente de compléments alimentaires, produits d'aromathérapie et de phytothérapie.

A compter du mois de juin 2020, plusieurs sociétés franchisées du réseau Naturhouse ont notifié la résiliation des contrats de franchise avec la société Naturhouse et ont ensuite repris une activité de diététique sous l'enseigne Yiango.

La société Naturhouse a fait procéder par huissier à plusieurs constats concernant divers locaux commerciaux exploités à l'enseigne Yiango par certains de ses anciens franchisés, et l'activité de vente de produits diététiques qui s'y exerce.

Par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 18 mai 2021, la société Natur House a mis en demeure la société Yango Care de rompre les contrats de franchise conclus avec ces sociétés, et de cesser le trouble occasionné du fait de la violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle à la charge de ses anciens franchisés.

Se fondant sur les dispositions des articles L. 420-1, L. 420-7, R. 420-3 du code de commerce, sur l'article 1240 du code civil, ensemble les articles 10,145,493 et suivants, 874 et 875 du code de procédure civile, la société Naturhouse a, par requête en date du 28 juin 2022, demandé à la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux une mesure d'instruction avant tout procès, et plus précisément la désignation d'un huissier de justice compétent à [Localité 1], pour, principalement, se rendre au siège social de la société Yiango Care, accéder au contenu des ordinateurs, procéder à des recherches sur les ordinateurs de tout employé de la société Yiango Care et de son président M. [O] [D], au moyens de mots clés, et prendre copie sur tous supports des fichiers électroniques ou informatiques ou courriels comportant ces mots et établir un constat de l'ampleur des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale commis par elle et certains anciens franchisés du réseau Naturhouse.

Par ordonnance en date du 30 juin 2022, la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux a :

- rejeté la requête présentée par la société Naturhouse tendant à une mesure d'instruction avant tout procès,

- dit que le réquérant supportera provisoirement la charge des frais de la mesure d'instruction,

- dit que le requérant supportera la charge des dépens.

La présidente du tribunal de commerce a retenu que les éléments produits permettaient de justifier l'existence d'un procès en concurrence déloyale dont l'objet et le fondement étaient suffisamment caractérisés, mais que les circonstances ne justifiaient pas qu'il soit dérogé au principe du contradictoire, ni au principe légal de protection du secret des affaires.

Par déclaration d'appel en matière gracieuse du 12 juillet 2022, la société Naturhouse a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 15 juillet 2022, la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux a maintenu sa décision confirmant le rejet de la requête présentée par la société Naturhouse, et le dossier de l'affaire a été transmis au greffe de la cour d'appel de Bordeaux.

Le Ministère public a indiqué s'en rapporter à Justice, par mention au dossier en date du 31 janvier 2023, dont lecture a été faite à l'audience.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 31 janvier 2023, et la société Naturhouse a, par l'intermédiaire de son conseil, sollicité qu'il soit fait droit à sa requête.

Lors de l'audience, le conseil de la société Naturhouse a été invité à faire valoir ses observations, par voie de note en délibéré, sur le moyen tiré de l'absence de pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Bordeaux pour connaître de l'appel.

Par message électronique en date du 3 février 2023, le président de chambre a confirmé les termes de la demande de note en délibéré, concernant la compétence de la cour d'appel de Paris, en invitant en outre le conseil de l'appelante à communiquer ses observations sur l'absence de conclusions aux fins d'infirmation de l'ordonnance, au regard des dispositions des articles 930-1, 954 du code de procédure civile, 953 et 768 du code de procédure civile.

Par note en délibéré transmise par message électronique en date du 8 février 2023, le conseil de la société Naturhouse a fait valoir, en substance ;

Sur le pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Bordeaux :

- que le juge des requêtes, statuant en matière gracieuse, ne connaît pas d'un litige au sens de l'article L. 420-7 du code de commerce, et ne peut être qualifié de juridiction spécialement désignée au sens de l'article R. 420-3, quant bien même le requérant se prévaudrait dans sa requête de pratiques méconnaissant le droit des pratiques anticoncurrentielles, de sorte que l'appel formé contre l'ordonnance rendue par le Juge des requêtes relève du pouvoir juridictionnel de la cour d'appel dans le ressort de laquelle lesdites juridictions sont situées et non de celui de la cour d'appel de Paris en qualité de juridiction d'appel spécialisée.

- qu'en application des articles L. 420-7 et R. 420-5 du Code de commerce, le pouvoir juridictionnel reconnu à la cour d'appel de Paris en qualité de juridiction d'appel spécialisée ne concerne que les appels contre les décisions rendues par des juridictions spécialement désignées qui concernent des litiges relatifs à l'application du droit des pratiques anticoncurrentielles,

- qu'en conséquence, l'appel formé contre l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Bordeaux relève du pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Bordeaux et non de celui de la cour d'appel de Paris en qualité de juridiction d'appel spécialisée,

- que la transmission de l'affaire à la cour d'appel de Bordeaux a été faite par le greffe du tribunal de commerce de Bordeaux en application des dispositions de l'article 952 du code de procédure civile, de sorte que si la cour d'appel de Bordeaux venait à considérer qu'elle n'a pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur l'appel formé par la société Naturhouse, elle ne pourrait que transmettre le dossier au greffe de la cour d'appel de Paris, conformément aux dispositions de l'article 952 du Code de procédure civile; une solution contraire ayant pour effet de la priver de manière indue et illégitime de son droit de recours,

Sur la régularité de la procédure d'appel :

- qu'en considération des règles applicables pour la matière gracieuse, régissant l'appel contre l'ordonnance de la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 30 juin 2022, elle n'avait aucune obligation de transmettre par voie électronique des conclusions tendant à l'infirmation de cette décision,

- qu'à titre subsidiaire, si la cour estimait nécessaire de recueillir les observations écrites de la société Naturhouse sur les raisons justifiant le bien-fondé de sa requête, elle devra ordonner à cette fin la réouverture des débats et inviter la société Naturhouse à présenter ses observations.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité :

1-Il sera rappelé que selon les dispositions de l'article 125 code de procédure civile, les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public, notamment lorsqu'elles résultent de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l'absence d'ouverture d'une voie de recours.

Il est ainsi constant qu'une cour d'appel doit relever d'office l'irrecevabilité d'un appel formé devant elle, lorsqu'elle ne dispose pas du pouvoir juridictionnel pour en connaître.

2- Selon les dispositions de l'article L. 420-7 du code de commerce, sans préjudice des articles L. 420-6, L. 462-8, L. 463-1 à L. 463-4, L. 463-6, L. 463-7 et L. 464-1 à L. 464-8, les litiges relatifs à l'application des règles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 ainsi que dans les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne et ceux dans lesquels ces dispositions sont invoquées sont attribués, selon le cas et sous réserve des règles de partage de compétences entre les ordres de juridiction, aux juridictions civiles ou commerciales dont le siège et le ressort sont fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine également le siège et le ressort de la ou des cours d'appel appelées à connaître des décisions rendues par ces juridictions.

3- Selon les dispositions de l'article R. 420-5 du code de commerce, pour l'application de la 2e phrase de l'article L. 420-7, la cour d'appel de Paris est compétente.

4- Ces règles de spécialisation sont ainsi définies à raison d'une nature spécifique de contentieux, et non du type de décisions de la juridiction saisie (ordonnance ou jugement au fond), à défaut de précision sur ce point.

Elles régissent dès lors les requêtes en matière de mesures d'instruction préalables, en vue d'un litige fondé sur ces dispositions spéciales.

5- Dans sa requête déposée le 28 juin 2022, la société Naturhouse a demandé à la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux d'ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile en soutenant qu'elle disposait d'un intérêt légitime à recourir à une procédure non contradictoire à l'égard de la société Yiango Care, en raison de l'ampleur des actes de parasitisme commis par cette société, de ses opérations massives de débauchage des franchisés du réseau Naturhouse, dans le cadre d'une action concertée destinée à la déstabiliser sur le marché du Sud-Ouest et réduire sa présence dans cette région.

Elle indiquait que la démarche coordonnée de dix franchisés du réseau Naturhouse de résilier unilatéralement le contrat pour rejoindre Yiango Care constituait également un indice de l'existence de pratiques anticoncurrentielles, ainsi que d'actes de concurrence déloyale.

Elle précisait que la preuve de ces manquements serait décisive dans le cadre d'un futur procès engagé à l'encontre de la société Yiango Care et des anciens franchisés.

6- Dans le dispositif de sa requête, la société Naturhouse visait les articles L. 420-1, L. 420-7, R. 420-3 du code de commerce, ainsi que les articles 1240 du code civil, outre les articles 10, 55, 493 et suivants, 874 et 875 du code de procédure civile.

7- La requérante a valablement saisi la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux, juridiction spécialement désignée pour connaître au fond d'un litige fondé notamment sur une pratique anticoncurrentielle.

8- En revanche, c'est à tort que dans sa déclaration d'appel en matière gracieuse, déposée le 12 juillet 2022 au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux, la société requérante a demandé au greffier de ' transmettre le dossier au greffe de la cour d'appel de Bordeaux conformément aux dispositions de l'article 952 du code de procédure civile.' à moins que la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux ne décide de modifier ou de rétracter sa décision.

8- En conséquence, en application de l'article 125 du code de procédure civile, l'appel doit être déclaré d'office irrecevable, comme formé devant la cour d'appel de Bordeaux et non devant la cour d'appel de Paris, alors que celle-ci est spécialement désignée par les articles L. 420-7 et R. 420-5 du code de commerce pour connaître de l'appel formé contre les décisions rendues par les juridictions spécialisées, en matière de pratiques anticoncurrentielles, sans que ces textes distinguent entre les décisions au fond et les décisions rendues par le président du tribunal spécialement désigné rejetant une requête aux fins de mesures d'instruction in futurum, fondée notamment sur l'existence de pratiques concertées anticoncurrentielles, au visa des articles L. 420-1 et L. 420-7 du code de commerce.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare l'appel irrecevable,

Laisse les dépens à la charge de la société Naturhouse.