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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 18 janvier 2018, n° 14/23028

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

M. Fohlen, M. Prieur

TGI Marseille, du 4 nov. 2014, n° 12/143…

4 novembre 2014

Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile,

Vu le jugement contradictoire du 4 novembre 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Marseille,

Vu l'appel interjeté le 5 décembre 2014 par madame Christel B.,

Vu les dernières conclusions de madame Christel B., appelante en date du 30 octobre 2015,

Les conclusions de l'intimée ont été déclarées irrecevables selon ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 5 juillet 2016,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 octobre 2017,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,

Il sera simplement rappelé que :

Le 28 septembre 2011, madame Anne-Marie R., auto-éditeur, a signé avec madame Christel B., graphiste illustratrice, un contrat intitulé ' contrat de collaboration pour la réalisation du livre Truffette de la Naissance à l'Assiette'.

L'ouvrage objet du contrat a été imprimé à 300 exemplaires et a fait l'objet d'un dépôt légal à la bibliothèque Nationale le 24 novembre 2011 par madame R..

Selon acte d'huissier du 28 novembre 2012, madame Christel B. a fait assigner madame Anne -Marie R. en violation de ses droits d'auteur et en réparation du préjudice en résultant et en nullité du contrat du 28 septembre 2011.

Suivant jugement contradictoire du 4 novembre 2014 dont appel, le tribunal de grande instance de Marseille a :

- débouté madame B. de l'intégralité de ses demandes,

- débouté madame R. de sa demande reconventionnelle,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- fait masse des dépens, avec droit de recouvrement au profit des avocats de la cause et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties.

En cause d'appel madame Christel B., appelante demande au visa des articles L. 113-2 alinéa 1, L. 131-1, L. 131-2, L. 132-3, L. 132-II, L. 133-1 du code de la propriété intellectuelle, L. 131-1 et suivant du code du patrimoine, dans ses dernières écritures en date du 30 octobre 2015 de :

- infirmer le jugement déféré

- 'constater' que madame R. qui a fait réimprimer le livre 'Truffette de la naissance à l'assiette' sans l'autorisation de madame B., a porté atteinte aux droits de coauteur dont elle dispose,

- 'constater' que madame R. est l'éditrice de l'ouvrage 'Truffette de la naissance à l'assiette',

- déclarer le contrat d'édition conclu le 28 novembre 2011 entre les parties, nul et de nul effet en ce qu'il ne fait pas état des mentions obligatoires devant figurer dans un contrat d'édition,

- condamner madame R. à verser à madame B. les 20 % qui lui reviennent concernant le mauvais calcul de son pourcentage sur les produits dérivés,

- ordonner à madame R. de verser à madame B. 50 % des sommes perçues sur tous les dérivés et non de 20% comme l'a décidé arbitrairement madame R.,

- ordonner à madame R. de verser à madame B. la somme de 694,99 euros au titre du manque à gagner résultant de ses décisions de modification du prix de vente du livre 'Truffette de la naissance à l 'assiette',

- enjoindre madame R. de communiquer à madame B. les relevés de vente issues du livre litigieux, ainsi que les écrits prouvant les accords passés avec les librairies pour une remise de 35%, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé un délai de 7 jours à compter de la signification de la présente assignation,

- interdire à madame R., l'utilisation ou la reproduction des dessins et illustrations, et photographies de madame B.,

- ordonner à madame R. de ne plus éditer le livre 'Truffette de la naissance à l'assiette', et de remettre à madame B. toutes les copies des fichiers numériques du livre, y compris les fichiers déposés chez son imprimeur,

- condamner madame R. à verser à madame B. , la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) en réparation du préjudice matériel subi par le manque de professionnalisme de madame R.,

- condamner madame R. à verser à madame B. , la somme de 10 000 euros (dix mille euros) en réparation du préjudice moral qu'elle a subi par la violation de ses droits d'auteurs et du non-respect des obligations légales par son éditeur,

- accorder l'exécution provisoire de la décision à venir (sic) ;

- condamner madame R. à verser à madame B. la somme de six mille euros (6000 euros) au titre de l'article 700 du CPC et aux frais et débours, au regard des honoraires que madame B. doit à nouveau engager pour faire valoir ses droits, et la totalité des dépens déboursés par elle au titre de cette nouvelle procédure, ceux d'appel distraits au profit de Maître Romain C., membre de la SELARL Lexavoue Aix-En- Provence, aux offres de droit.

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Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de la création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code.

Sont considérées comme oeuvres de l'esprit selon l'article L. 112-2 dudit code, les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques..

L'article L. 132- 1 du code de la propriété intellectuelle dispose que le contrat d'édition constitue le contrat par lequel l'auteur d'une oeuvre de l'esprit ou ses ayants droit cède à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l'oeuvre, à charge pour elle d'en assurer la publication et la diffusion.

Ces contrats doivent être selon l'article L. 132-2 suivant, être constatés par écrit, et l'article L. 131-3 précise que la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.

Aux termes de l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle l'oeuvre de collaboration est la propriété commune de ses coauteurs.

Les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord.

Selon l'article L. 122-4 du même code, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

Madame Christel B. expose que le livre a été commercialisé en version luxueuse (sans recette) à proportion de 100 exemplaires, et en version non luxueuse (avec recette), à proportion de 200, ces derniers, sans son autorisation alors qu'elle avait validé la première impression des 100 exemplaires.

Elle précise que le contrat signé entre les parties n'est pas un contrat d'édition en raison d'un certain nombre de mentions obligatoires manquantes mais que malgré sa rédaction maladroite la volonté des parties était de conclure un contrat d'édition et qu'il ne comporte aucune cession de son droit de reproduction ou de représentation au profit de madame R..

Elle incrimine le comportement de madame R., qui en sa qualité d'éditrice, qu'elle a clairement revendiquée dans ses mails notamment celui du 27 septembre 2011, aurait dû se charger de la rédaction d'un contrat sérieux.

Elle expose que le contrat de collaboration et d'édition en cause ne permet pas de déterminer si elle a cédé ou non ses droits et dans qu'elle mesure madame R. entend assurer son rôle d'éditrice et qu'elle a signé ce contrat sous la pression de cette dernière, sans céder ses droits d'auteur.

Elle demande la nullité de ce contrat qui ne peut être qualifié de contrat d'édition faute de respecter les dispositions légales.

Elle ajoute qu'elle n'a jamais été rémunérée sur la vente des 300 exemplaires à l'exception d'un chèque de 279 euros alors qu'elle est co-auteur de l'oeuvre pour avoir été à l'origine de la totalité des 14 illustrations du livre, ce qui figure clairement sur sa page de couverture ou sur les sites de vente en ligne et qu'elle a pris elle-même des photographies afin de réaliser les illustrations de l'ouvrage comme en attestent les crédits photographiques mentionnés sur la couverture de l'ouvrage.

Elle soutient que l'oeuvre 'Truffette de la Naissance à l'Assiette' est le fruit de la collaboration entre madame R. et elle-même, auteur et auto-éditeur, et qu'en sa qualité de coauteur elle bénéficie de droits moraux et de droits patrimoniaux, et souligne que l'ouvrage en tant que livre, oeuvre de l'esprit est une oeuvre protégeable par le droit d'auteur.

Elle indique que madame R. a agi comme si elle était le seule et unique auteur en exploitant et en imprimant le livre sans son autorisation et sans lui rendre les comptes de cette exploitation qui ne respecte pas les clauses de partage telles que stipulées au contrat ; qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon de son droit patrimonial de droit d'auteur.

Elle ajoute que le fait d'avoir modifié pour des raisons budgétaires, la reliure, d'avoir supprimé les deux pages imprimées sur papiers calques afin de les réinsérer sur une seule page papier, et d'avoir rajouté une page de recette, s'apparente à une modification du livre qui a fait'objet d'un nouveau dépôt sans son autorisation.

Elle lui reproche également d'avoir décidé seule d'appliquer une réduction aux libraires de 35 % sur le prix de vente du livre de 9,50 euros qu'elle avait réduit à 7,50 euros de sorte qu'elle aurait dû percevoir la somme de 973,99 euros ce qui représente un manque à gagner de 694, 99 euros et ajoute qu'elle n'a pas été en mesure de vérifier si le prix du livre est bien mentionné sur sa couverture conformément aux obligations légales..

Elle poursuit en indiquant que dans le contrat signé entre les parties, elle a été induite en erreur par sa cocontractante car en tant que co auteur elle aurait du percevoir 50% des revenus générés par la vente des produits dérivés et non 30% comme prévus au contrat.

Elle soutient que son droit moral a été violé par l'ensemble de ces faits.

Elle estime son préjudice matériel dû au manque de professionnalisme de madame R. à la somme de 5.000 euros et son préjudice moral à la somme de 10.000 euros.

Ceci rappelé, l'ouvrage 'Truffette de la naissance à l'assiette', en tant que livre, oeuvre de l'esprit est, en application des dispositions des articles L. 111-1 et L. 112-2 précités, éligible à la protection du droit d'auteur.

Le contrat conclu entre les parties qui mentionne la collaboration de madame R. comme éditrice et madame B. comme illustratrice ne peut être qualifié de contrat d'édition au sens de l'article L. 132-1 du code de la propriété dès lors qu'il ne précise pas le champ d'exploitation des droits cédés conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du dit code ( nombre d'exemplaires à tirer, la destination de l'oeuvre, son lieu d'exploitation, sa durée) , et qu'aucune mention n'indique que madame B. ait cédé ses droits de reproduction et de représentation.

D'ailleurs dans son mail du 27 septembre 2011 madame B. indiquait à madame R. 'je ne te lègue pas mes droits à la propriété intellectuelle, ni même les droits d'auteur. L'impression sans mon autorisation écrite dans un contrat signé de ma part ne peut se faire ; auquel cas tu encours des dommages et intérêts.'

Il s'ensuit que le contrat dont s'agit n'est pas un contrat d'édition mais un contrat de collaboration où chacune des personnes physiques a collaboré.

Il convient de relever que madame B. ne peut à la fois soutenir n'avoir jamais agréé l'impression de l'ouvrage dont s'agit et donné son accord sur le bon à tirer pour le premier tirage, demander la nullité du contrat en solliciter son application pour le règlement de ses droits patrimoniaux.

Que par ailleurs elle est imprécise sur les tirages qu'elle conteste évoquant une première impression de l'ouvrage (page 2 de ses écritures) puis deux premiers tirages (page 27) qu'elle valide contestant la troisième impression de la version modifiée (page 29).

Qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de nullité du contrat d'édition.

L'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs indépendamment de l'importance ou du mérite de leurs apports respectifs et son exploitation exige le consentement de l'ensemble des coauteurs, de sorte que madame R. ne pouvait procéder à une réimpression sans l'autorisation de madame B..

Cependant il ressort que la réimpression de l'ouvrage au premier trimestre 2012 a été faite avec l'accord de madame B. qui selon son mail du 31 mars 2012 communiquait directement avec l'imprimeur.

En revanche il ressort du prix de vente mentionné sur le dépôt légal : 9, 5 euros et des termes de la lettre de madame R. en date du 4 avril 2012 qu'elle a modifié le prix de vente à 7,5 euros TTC auquel elle accordé une remise de 35% aux libraires ramenant le prix de vente à 4,87 euros TTC, sans avoir préalablement obtenu l'accord du co auteur, portant atteinte à ses droits patrimoniaux.

Par ailleurs un seul exemplaire de l'ouvrage litigieux étant communiqué aux débats il n'est pas possible d'apprécier si la réimpression a subi des modifications, l'ouvrage communiqué ne portant au demeurant aucune date de publication. Les griefs invoqués à ce titre ne sont en conséquence pas fondés.

Les droits patrimoniaux de madame B. ayant été fixés par le contrat à proportion de 50 % et 30 % pour les droits dérivés sans que madame B. justifie que sa volonté ait été vicié elle n'est pas fondée à soutenir avoir subi un grief à ce titre.

En revanche il convient de faire droit à sa demande tendant à voir interdire à madame R. d'exploiter l'oeuvre sans son consentement et à lui communiquer, sous astreinte les comptes d'exploitation de l'oeuvre, selon les modalités prévues au présent dispositif.

Les atteintes portées aux droit patrimoniaux de madame B. résultant de la baisse de prix de vente et de la ristourne accordée aux libraires, sans son accord en regard de la commercialisation déjà intervenue sur la base d'un prix de vente de 9, 5 euros puis 7, 50 euros et 4, 87 euros doit être fixée à la somme de 150 euros.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens resteront à la charge de l'intimée qui succombe et qui seront recouvrés par le conseil de l'appelante dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Rejette la demande de nullité du contrat du 28 septembre 2011 formée par madame B.,

Confirme le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ce chef, et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'atteinte à son droit moral,

Réforme le jugement pour le surplus,

Dit que madame Anne-Marie R. a porté atteinte aux droits patrimoniaux de madame Christel B. sur l'oeuvre de collaboration 'Truffette de la Naissance à l'Assiette',

Condamne madame Anne-Marie R. à payer à madame Christel B. la somme de 150 euros en réparation de son préjudice patrimonial,

Interdit à madame R. d'exploiter l'oeuvre dont s'agit, sous toutes ses formes, directement ou indirectement, sans l'autorisation de madame B.,

Donne injonction à madame R. de communiquer à madame B. l'ensemble des comptes d'exploitation de l'oeuvre dont s'agit, les relevés précis de vente du livre et des produits dérivés dans le délai d'un mois de la signification de la présente décision, sous peine, passé ce délai d'une astreinte de 50 euros par jours de retard,

Rejette le surplus des demandes de madame B.,

Condamne madame R. aux entiers dépens de l'instance de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit du conseil de madame B..