CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 25 août 2016, n° 15/03591
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
EMJ (Selarl) (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Blum
Conseillers :
Mme Lelievre, M. Ponsot
Vu le jugement rendu le 9 novembre 2010 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :
- mis hors de cause la société Pierre J. Productions,
- débouté la société Quasar Pictures de ses demandes au titre de la violation de l'article 12 §1 des contrats de cession de droits d'auteur scénariste conclus le 23 octobre 2003 avec Éric M. et Emmanuel C.,
- dit que Éric M. et Emmanuel C. ont manqué à leurs obligations contractuelles découlant de l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur scénariste conclus le 23 octobre 2003 avec la société Quasar Pictures et des lettres-accord du 20 avril 2004,
- prononcé la résolution des contrats de cession de droits d'auteur scénariste conclus le 23 octobre 2003 entre M. Éric M. et la société Quasar Pictures d'une part, et M. Emmanuel C. et la société Quasar Pictures d'autre part, ainsi que des lettres-accord du 20 avril 2004 liant les mêmes parties,
- condamné Éric M. et Emmanuel C. à rembourser à la société Quasar Pictures chacun la somme de 5.000 € reçue à titre d'acompte sur leurs droits d'auteur en exécution des contrats de cession de droits d'auteur scénariste conclus le 23 octobre 2003,
- condamné Éric M. et Emmanuel C. à rembourser à la société Quasar Pictures la somme de 2.000 € reçue à titre d'acompte sur l'exclusivité accordée en exécution des lettres-accord du 20 avril 2004,
- condamné in solidum Éric M. et Emmanuel C. à payer à la société Quasar Pictures la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de développer et produire le film No pasaran,
- débouté la société Quasar Pictures du surplus de ses demandes de dommages-intérêts,
- débouté Éric M. et Emmanuel C. de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Quasar Pictures à payer à la société Pierre J. Productions la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
- condamné in solidum Éric M. et Emmanuel C. à payer à la société Quasar Pictures la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par la société Quasar Pictures à hauteur d'un tiers et par Éric M. et Emmanuel C. in solidum à hauteur des deux tiers ;
Vu l'arrêt rendu le 6 février 2013 par la cour d'appel de Paris qui a :
- déclaré nul l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur-scénariste respectivement signés par Éric M. et Emmanuel C. le 23 octobre 2003 avec la société Quasar,
- déclaré nulles les 'lettres-accord' du 20 avril 2004,
- débouté la société Quasar de toutes ses prétentions fondées sur l'inexécution par Éric M. et Emmanuel C. de leurs obligations contractuelles,
- dit que la société Quasar est redevable à l'égard d'Eric M. et d'Emmanuel C., en exécution de l'article 7 du contrat du 23 octobre 2003, de la somme de 3.375 € à chacun, déduction faite du versement à chacun d'un acompte de 7.000 €,
- fixé en conséquence la somme de 6.750 € au passif du redressement judiciaire de la société Quasar,
- débouté Éric M. et Emmanuel C. du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Quasar Pictures assistée de la SELARL M.-M.-G., prise en la personne de Me G., et de la SELARL EMJ, prise en la personne de Me C., respectivement ès qualités d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Quasar Pictures en redressement judiciaire, aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Éric M. et Emmanuel C. la somme de 10.000 € à chacun au titre des frais irrépétibles ;
Vu l'arrêt rendu le 18 février 2015 par la Cour de cassation qui a cassé et annulé l'arrêt du 6 février 2013, mais seulement en ce qu'il a annulé l'article 13 des contrats de cession des droits d'auteur-scénariste en date du 23 octobre 2003 ;
Vu la saisine de la cour d'appel de Versailles, cour de renvoi, par déclaration en date du 12 mai 2015 de M. Éric M. et de M. Emmanuel C. ;
Vu les dernières conclusions déposées le 9 juillet 2015 et signifiées le 15 juillet suivant par Éric M. et Emmanuel C. qui demandent à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions non encore définitivement jugées et de :
1/ à titre principal, vu les articles L. 131-1 et L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle
- déclarer nul et de nul effet l'article 13 des contrats du 23 octobre 2003 faute de référence à des oeuvres futures de genres nettement déterminés,
- dire que la nullité encourue est une nullité absolue et qu'elle n'a pas pu être couverte par exécution volontaire ou une renonciation,
- en toute hypothèse, dire que l'envoi du 6 février 2007 du scénario Boghari ne vaut ni exécution volontaire non équivoque de l'article 13 ni renonciation expresse à se prévaloir de sa nullité, s'agissant en outre d'un projet antérieur aux engagements de 2003, ne répondant ni à la définition du 'prochain scénario' ni à l'exigence de la disponibilité des droits,
2/ à titre subsidiaire, vu l'article 14 des conventions,
- dire que l'absence de mise en demeure préalable prive la société Quasar Pictures de se prévaloir d'une faute contractuelle,
- dire qu'en toute hypothèse, s'agissant d'une oeuvre de commande d'un tiers, ils n'étaient pas tenus contractuellement de soumettre le scénario No pasaran à la société Quasar Pictures,
- dire en conséquence qu'ils n'ont commis aucune faute,
- dire qu'en toute hypothèse, un manquement de leur part à l'article 13 n'entraînerait pas la résolution globale des conventions s'agissant d'une clause particulière, indépendante des engagements principaux,
- dire enfin que la société Quasar Pictures représentée par son mandataire liquidateur ne justifie ni d'un préjudice ni d'un lien de causalité avec la faute invoquée,
- débouter la société Quasar Pictures représentée par son mandataire liquidateur de toutes ses demandes,
- fixer leur créance à la somme de 10.000 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société Quasar Pictures représentée par son mandataire liquidateur ;
Considérant que la SELARL EMJ, à laquelle la déclaration de saisine et les dernières conclusions d'appelants ont été régulièrement signifiées le 15 juillet 2015 en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Quasar Pictures, n'a pas constitué avocat ; que la signification de la déclaration de saisine ayant été faite à sa personne morale, il sera statué, en application de l'article 473 du code de procédure civile, par arrêt réputé contradictoire ;
Considérant que par contrats du 23 octobre 2003, Éric M. et Emmanuel C. ont cédé à la société Quasar Pictures leurs droits d'auteur sur le scénario du film intitulé 'L'Apocalypse' ; que ces contrats stipulent à l'article 13 que :
'Il est d'ores et déjà entendu entre les Parties que le Producteur bénéficiera d'un droit de premier regard sur l'acquisition des droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles du prochain scénario de l'Auteur ou de celui écrit conjointement par Messieurs Éric M. et Emmanuel C. (les coauteurs)' et qu'à cette fin, l'Auteur ou les Coauteurs communiqueront au Producteur ledit scénario ainsi que le casting envisagé. Le Producteur disposera alors d'un délai de 90 (quatre-vingt dix jours) à compter de cette communication pour informer l'Auteur ou les Coauteurs par lettre recommandée avec accusé de réception de son souhait d'acquérir ou non les droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles dudit scénario et négocier les termes et conditions de cette cession de droits. À défaut de réponse du Producteur dans ce délai, son refus sera réputé acquis' ;
Considérant que le 20 mars 2007, Éric M. et Emmanuel C. ont conclu avec la société Pierre J. productions des contrats par lesquels celle-ci, levant l'option sur une continuité non dialoguée intitulée No Pasaran dont ils étaient les coauteurs, leur a confié le soin d'écrire la version finale du scénario et de réaliser le film si elle décidait sa mise en production ;
Que se plaignant notamment de ce que le scénario No Pasaran le lui avait pas été proposé et ce en violation de l'article 13 des contrats du 23 octobre 2003, la société Quasar Pictures a assigné, le 21 octobre 2008, outre la société Pierre J. productions, Éric M. et Emmanuel C. en résolution, à leurs torts, desdits contrats ainsi que des accords passés entre eux le 20 avril 2004 et paiement de dommages et intérêts ;
Considérant que par le jugement déféré, le tribunal de grande instance de Paris a, entre autres dispositions :
- dit que Éric M. et Emmanuel C. ont manqué à leurs obligations contractuelles découlant de l'article 13 des contrats du 23 octobre 2003,
- prononcé la résolution de ces contrats,
- condamné Éric M. et Emmanuel C. à rembourser à la société Quasar Pictures, chacun, la somme de 5.000 € reçue à titre d'acompte sur leurs droits d'auteur en exécution des contrats du 23 octobre 2003,
- condamné in solidum Éric M. et Emmanuel C. à payer à la société Quasar Pictures la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de développer le film No Pasaran,
- débouté la société Quasar Pictures du surplus de sa demande de dommages et intérêts ;
Considérant que par arrêt infirmatif du 6 février 2013, la cour d'appel de Paris a, entre autres dispositions, déclaré nul l'article 13 des contrats du 23 octobre 2003 et débouté la société Quasar Pictures de toutes ses prétentions fondées sur l'inexécution par Éric M. et Emmanuel C. de leurs obligations contractuelles ;
Considérant que par arrêt du 18 février 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt mais seulement en ce qu'il a annulé l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur scénariste en date du 23 octobre 2003, au visa de l'article 455 du code de procédure civile et au motif qu'il n'avait été pas répondu aux conclusions de la société Quasar qui faisait valoir que, par leur comportement, les auteurs avaient renoncé à invoquer un éventuel vice dont serait entaché l'article 13 ;
Considérant que devant cette cour de renvoi, Éric M. et Emmanuel C. font valoir que l'article 13 des contrats du 23 octobre 2003 est manifestement nul au regard des articles L. 131-1 et L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle, que le vice qui l'affecte est une nullité absolue d'ordre public de sorte que l'article 1338 du code civil qui avait été invoqué par la société Quasar Pictures est sans application, qu'en outre la prétendue renonciation qui résulterait de l'envoi qu'ils ont fait, le 6 février 2007, à la société Quasar Pictures de leur scénario Boghari ne vise pas l'article 13 des contrats et ne vaut ni exécution ni renonciation expresse à se prévaloir du vice qui l'affecte, qu'en toute hypothèse, le scénario n'était pas un projet nouveau mais un projet en attente ainsi que la société Quasar Pictures le reconnaît dans ses dernières conclusions d'appel en pages 8 et 9, qu'enfin ce scénario Boghari n'était pas un projet original mais une adaptation de roman ;
Considérant que si les premiers juges ont exactement relevé que l'article 13 des contrats du 23 octobre 2003 institue au profit du producteur un droit de préférence sur les oeuvres futures créées par les auteurs qui est soumis aux dispositions de l'article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle dont la rédaction n'exclut pas les oeuvres audiovisuelles, c'est en revanche à tort qu'ils ont estimé que cette clause détermine le genre des oeuvres futures auxquelles elle s'applique, à savoir le prochain scénario des auteurs, de sorte qu'elle doit être déclarée valable ;
Considérant, en effet, que l'article L. 132-4 du code de procédure civile dispose dans son premier alinéa que : Est licite la stipulation par laquelle l'auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l'édition de ses oeuvres futures de genre nettement déterminées ;
Que ce texte déroge à la prohibition de la cession globale d'oeuvres futures posée par l'article L 131-1 du même code ; qu'il est en conséquence d'interprétation stricte ;
Qu'en l'espèce, le droit de préférence accordé à la société Quasar Pictures par l'article 13 des contrats porte, sans plus de précision, sur le 'prochain scénario de l'Auteur ou de celui écrit conjointement par Messieurs Éric M. et Emmanuel C. (les coauteurs)' ;
Qu'en l'absence de plus amples précisions sur le scénario en cause et de toute référence à un genre nettement déterminé, l'article 13 des contrats ne peut être considéré comme relevant de la dérogation permise à la prohibition de la cession globale d'oeuvres futures ; qu'il est nul ;
Considérant que contrairement à ce que Éric M. et Emmanuel C. soutiennent, cette nullité, édictée dans l'intérêt des auteurs, est relative ;
Qu'il demeure que cette nullité n'a pu être couverte par l'envoi, le 6 février 2007, par les auteurs au producteur du scénario Boghari, s'agissant, ainsi que l'a indiqué la société Quasar Pictures elle-même à réception de ce scénario, d'un scénario ancien, antérieur à la conclusion des contrat du 23 octobre 2003 et ne pouvant être qualifié de 'prochain scénario' ; que par ailleurs, si tant est qu'ils aient pu le faire, il n'est nullement prouvé que Éric M. et Emmanuel C. ont renoncé expressément, ou implicitement et sans ambiguïté, à se prévaloir du vice affectant l'article 13 des contrats ;
Considérant que l'article 13 des contrats sera en conséquence déclaré nul et de nul effet ; que Éric M. et Emmanuel C. n'ont donc commis aucune faute en proposant leur scénario No Pasaran à un tiers ; que la société Quasar Pictures sera déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
Considérant que la SELARL EMJ en sa qualité de liquidateur de la société Quasar Pictures supportera la charge des dépens qui comprendront les dépens de l'arrêt cassé ;
Que vu l'article 700 du code de procédure civile, la créance à ce titre de Éric M. et Emmanuel C. sera, ainsi qu'ils le demandent, fixée à la somme de 10.000 € chacun ;
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, dans les limites de la saisine résiduelle,
Infirme le jugement en ce qu'il a dit que Éric M. et Emmanuel C. ont manqué à leurs obligations contractuelles découlant de l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur scénariste conclus le 23 octobre 2003 avec la société Quasar Pictures, prononcé la résolution desdits contrats, condamné Éric M. et Emmanuel C. à rembourser à la société Quasar Pictures chacun la somme de 5.000 € reçue à titre d'acompte sur leurs droits d'auteur en exécution des contrats du 23 octobre 2003, condamné in solidum Éric M. et Emmanuel C. à payer à la société Quasar Pictures la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de développer et produire le film No pasaran ainsi que sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;
Déclare nul et de nul effet l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur-scénariste respectivement signés par Éric M. et Emmanuel C. le 23 octobre 2003 avec la société Quasar Pictures ;
Déboute la société Quasar Pictures de l'intégralité de ses demandes ;
Fixe la créance de Éric M. et Emmanuel C. au passif de la liquidation judiciaire de la société Quasar Pictures à la somme de 10.000 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SELARL EMJ ès qualités de liquidateur de la société Quasar Pictures aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les dépens de l'arrêt cassé.