CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 13 octobre 2010, n° 08/13150
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
YARED
Défendeur :
SACEM (Sté), CARGO FILMS (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Didier PIMOULLE
Conseillers :
Madame Brigitte CHOKRON, Madame Anne-Marie GABER
Vu l'appel relevé par M. Gabriel Yared du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 1ère section, n° de RG : 06/5705), rendu le 4 décembre 2007 ;
Vu les dernières conclusions de l'appelant ( 13 avril 2010 ) ;
Vu les dernières conclusions (17 février 2010 ) de la société cargo films intimée et incidemment appelante ;
Vu les dernières conclusions (31 octobre 2008) de la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après : sacem),
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 18 mai 2010 ;
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SUR QUOI,
Considérant que, par contrat du 15 octobre 1985, M. Yared a cédé à la société de bop ses droits d'auteur sur les 'uvres constituant la musique du film « 37,2° le matin » ; que, par suite de la liquidation judiciaire de la société de bop prononcée le 11 décembre 1995, ce contrat a été résilié par jugement du 13 août 1997 sur la demande de M. Yared fondée sur l'article L. 132-15 du code de la propriété intellectuelle ; que cette cour, par arrêt infirmatif du 27 avril 2001, a accueilli la tierce opposition de la société cargo films se présentant comme cessionnaire du fonds de commerce de la société de bop - et par conséquent du contrat litigieux - et, faisant droit à la demande reconventionnelle de M. Yared, a résilié ce même contrat aux torts exclusifs de la société cargo films pour avoir manqué à ses obligations d'éditeur ; que cet arrêt a été cassé sans renvoi le 2 mars 2004 au motif que la tierce opposition n'autorise aucune partie à former une demande nouvelle ;
Que c'est ainsi que M. Yared, agissant dans la continuité de ses précédentes demandes, a assigné la société cargo films devant le tribunal qui, par le jugement dont appel, a prononcé la résiliation du contrat d'édition du 15 octobre 1985 aux torts exclusifs de la société cargo films et avec effet à compter du jugement et a condamné cette société à payer à M. Yared des dommages-intérêts et une indemnité de procédure ;
Considérant qu'il peut être indiqué, pour mémoire, que la société cargo films a interjeté appel de ce jugement le 9 janvier 2008 puis s'est désistée le 1er avril 2008 mais que, intimée sur l'appel principal déclaré par M. Yared le 6 février 2008, elle a formé un appel incident qui a été déclaré recevable par ordonnance du conseiller de la mise en état prononcée le 6 octobre 2009 ;
Considérant que M. Yared, aux termes de ses dernières écritures d'appel, demande à titre principal la résolution du contrat aux torts de la société cargo films, subsidiairement la résiliation avec effet, par voie d'infirmation du jugement, au 22 décembre 1995, voire au 5 juin 1996, date de la première assignation ;
Que la société cargo films conclut à l'infirmation du jugement et au débouté de M. Yared de toutes ses prétentions et présente une demande de dommages-intérêts pour abus de procédure ;
Que la sacem, contre laquelle aucune demande n'est formée et qui n'en présente aucune, s'en rapporte à justice sur la recevabilité et le bien fondé des diverses prétentions, fins de non recevoir, exceptions et moyens des parties ;
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Considérant qu'il résulte des dispositions des articles L.132-12, L.132- 13 et L.132-14 du code de la propriété intellectuelle que l'éditeur doit, d'une part, assurer à l''uvreune exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conformément aux usages de la profession, d'autre part, rendre des comptes et fournir à l'auteur toutes justifications propres à établir l'exactitude des comptes ;
1. Sur la demande de M. Yared tendant à la résolution du contrat d'édition :
Considérant que M. Yared, qui rappelle que le contrat d'édition est un contrat synallagmatique dans lequel, en vertu de l'article 1184 du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement, soutient que ni la société de bop ni la société cargo films n'ont jamais satisfait à leurs engagements d'éditeur et que la résolution du contrat d'édition du 15 octobre 1985 doit en conséquence être prononcée ;
Mais considérant que M. Yared ne justifie pas s'être inquiété des conditions d'exécution du contrat d'édition par la société de bop pendant les dix années qui ont suivi la signature du contrat ; qu'il a assigné celle-ci en 1995, non pour voir prononcer la résolution du contrat pour inexécution, mais sa résiliation sur un fondement spécifique, prévu par l'article L.132-15 du code de la propriété intellectuelle, à raison de la liquidation judiciaire de l'éditeur, et non sur d'éventuels manquements à ses obligations ; que sa longanimité suffit à démontrer que les griefs qu'il forme à l'encontre de ses éditeurs successifs n'ont pas atteint une gravité telle qu'elle justifierait l'anéantissement rétroactif du contrat ;
2. Sur la demande de M. Yared tendant à la résiliation du contrat d'édition à raison de l'aliénation du fonds de commerce de la société de bop :
Considérant que l'article L.132-16 du code de la propriété intellectuelle prévoit qu' « en cas d'aliénation du fonds de commerce, si celle-ci est de nature à compromettre gravement les intérêts matériels ou moraux de l'auteur, celui-ci est fondé à obtenir réparation même par voie de résiliation du contrat » ;
Considérant que M. Yared fait valoir que la cession à la société cargo films du fonds de commerce de la société de bop est intervenue, apparemment en mars 1995, dans le cadre d'un arrangement entre ces deux sociétés pour mettre un terme à une procédure en recouvrement de créance engagée par la première contre la seconde ; que, postérieurement, la société cessionnaire ne s'est jamais réellement comportée comme un éditeur de musique désireux de divulguer et de développer par tous moyens une 'uvre musicale figurant dans son catalogue, de sorte que cette cession entrait bien dans les prévisions des dispositions de l'article L.132-16 du code de la propriété intellectuelle et justifiait la résiliation envisagée par ce texte ;
Considérant qu'il est constant que l'acte de cession du fonds de commerce n'a pas été publié ; que la société cargo films, qui prétend que M. Yared en avait été informé, produit, pour en justifier, une télécopie qu'elle lui a adressée le 21 octobre 1996 indiquant : « Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons en charge le catalogue De Bop depuis le mois de mars 95 pour avoir acheté le fonds de commerce de la société. » ; que ce document ne suffit pas à démentir M. Yared qui soutient que cette phrase, présentée faussement comme le rappel d'une information déjà connue, n'était pour lui, en réalité, que le premier indice de ce qu'il avait changé d'éditeur ; que la société cargo films n'apporte pas la preuve qu'elle aurait donné connaissance à M. Yared de cette cession entre mars 1995, date où ce contrat est supposé être entré dans ses actifs, et la télécopie du 21 octobre 1996 dont elle se prévaut ;
Considérant que c'est précisément en raison de ce manquement que M. Yared a cru pouvoir demander la résiliation du contrat sur le fondement de l'article L.132-15 du code de la propriété intellectuelle à l'occasion de la mise en liquidation judiciaire de la société de bop, puis à engager une procédure à cette fin le 5 juin 1996 ;
Considérant que la circonstance que M. Yared ait été ainsi tenu dans l'ignorance de la cession du contrat au point d'être conduit à introduire une procédure contre la société qu'il croyait encore être son éditrice démontre que ses intérêts matériels et moraux étaient gravement compromis au sens des dispositions ci-dessus rappelées de l'article L.132-16, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle et justifie sa demande en résiliation fondée sur ce texte ;
3. Sur la demande de M. Yared tendant à la résiliation du contrat d'édition à raison du manquement de la société cargo films à ses obligations d'éditeur :
Considérant, outre l'obligation légale de rendre des comptes mise à la charge de l'éditeur par les article L.132- 13 et L.132-14 du code de la propriété intellectuelle précédemment rappelés, que le contrat d'édition du 15 octobre 1985 prévoyait, en son article XVIII 1°) : « Les comptes seront arrêtés semestriellement (les 30 juin et 31 décembre) ou, si les ventes sont insuffisantes, seulement le 31 décembre, et les règlements auront lieu dans le courant du trimestre qui suivra chacune de ces dates ;
Considérant qu'il est constant que la société cargo films ne justifie pas avoir adressé quelques comptes que ce soit à M. Yared même si elle lui a envoyé, le 21 octobre 1996, la télécopie déjà mentionnée accompagnée de sa quote-part des sommes perçues du distributeur Virgin pour les périodes mars-avril1995, 2ème semestre 1995 et 1996 ;
Considérant qu'il est également établi par les pièces versées au débat que cette société s'est abstenue de rendre les comptes semestriels prévus au contrat d'édition sur les recettes éditoriales procurées par l''uvre en dehors de l'intervention sur la sacem. et a attendu près d'un an et demi pour régulariser sa situation auprès de cet organisme ;
Considérant que ce manquement à l'obligation de rendre compte, ajouté aux errements précédemment évoqués de la société cargo films après la cession qui ont eu pour conséquence de compromettre gravement les intérêts matériels et moraux de M. Yared, justifie de plus fort la résiliation, sans qu'il soit nécessaire d'entrer plus avant dans le détail des arguments des parties sur la suffisance de l'exploitation et de la diffusion de l''uvre objet du contrat d'édition ;
3. Sur le préjudice :
Considérant que la résiliation du contrat trouve son origine dans la cession du fonds de commerce de la société de bop à la société cargo films et son fondement dans l'application de l'alinéa 2 de l'article L.132-16 du code de la propriété intellectuelle ; que la résiliation prend effet, pour l'avenir, à la date de la décision qui constate le bien-fondé de la demande qui en est faite ;
Considérant que la demande présentée par M. Yared tendant à la réformation du jugement pour voir remonter les effets de la résiliation, soit au 22 décembre 1995, date à laquelle il fixe la carence de la société cargo films, soit au 5 juin 1996, date de l'assignation délivrée à la société de bop, ne peuvent qu'être rejetées ; que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;
Considérant qu'il en résulte que le tribunal a exactement jugé que M. Yared n'était pas fondé à émettre quelque prétention que ce soit au titre de la part éditoriale ; que M Yared n'est pas mieux fondé à se prévaloir des redevances payées par la société Virgin au titre de l'exploitation phonographique de la bande sonore du film « 37,2° le matin », sommes qui ne dépendent pas du contrat d'édition objet du présent litige, mais du contrat de licence d'exploitation de l'enregistrement de la bande originale du film ;
Considérant qu'il en résulte que la demande de M. Yared tendant à la condamnation de la société cargo films à lui payer 150.000 euros en cas de résolution du contrat du 15 octobre 1985 ou 100.000 euros en cas de résiliation ne peut qu'être rejetée ;
Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. Yared de ses demandes en paiement des sommes correspondantes ;
Considérant que le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a accueilli, à hauteur de 5.000 euros, la demande de dommages-intérêts présentée par M. Yared en réparation du préjudice subi par M. Yared à raison, notamment, du manquement de la société cargo films à son obligation de rendre des comptes, cette demande étant également justifiée par la compromission des intérêts de M. Yared par suite des circonstances ayant entouré la cession du fonds de commerce de la société de bop ;
4. Sur les autres demandes :
Considérant que la société cargo films ne démontre pas qu'elle aurait subi, du fait de la procédure, un préjudice distinct de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée d'avoir à exposer des frais pour sa défense, ce qui donnera lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans les conditions fixées au dispositif ; que sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera en conséquence rejetée ;
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PAR CES MOTIFS :
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
DÉBOUTE la société cargo films de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
CONDAMNE M. Gabriel Yared aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société cargo films 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.