CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 20 janvier 2011, n° 09/03393
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
M. épouse R.
Défendeur :
EDITIONS DU PANTHEON (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Madame Catherine BONNAN-GARÇON
Conseillers :
Madame Marie-Suzanne PIERRARD, Madame Geneviève REGNIEZ
Avoués :
SCP BOMMART-FORSTER - FROMANTIN, SCP HARDOUIN
Avocat :
Me Alain LABERIBE
Vu l'appel de Mme Marie R. du jugement rendu le 3 février 2009 par le tribunal d'instance de Paris 11ème arrondissement qui l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de la société EDITIONS DU PANTHEON ;
Vu les conclusions du 10 juin 2010 de Mme Marie R. qui, poursuivant l'infirmation du jugement, demande la condamnation de la société EDITIONS DU PANTHEON à lui payer les sommes de 7.433,07 € au titre de son préjudice matériel et 2.000 € au titre de son préjudice moral et qu'il soit ordonné à la société de lui remettre la copie de la facture relative à l'impression du livre' la Tour d'Ivoire'par l'imprimerie DE LAVIELLE et le relevé de comptes du deuxième trimestre 2000 ;
Vu les conclusions du 21 mai 2010 de la société EDITIONS DU PANTHEON
tendant à la confirmation du jugement et à la condamnation de Mme Marie R.
à lui payer la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant que le 2 janvier 1998 Mme Marie R. a adressé à la société EDITIONS DU PANTHEON un manuscrit intitulé ' La Tour d'Ivoire' aux fins de le voir publier ;
Que par courrier du 26 janvier 1998, la société EDITIONS DU PANTHEON l'a informé que son manuscrit avait été retenu en vue de sa publication et a formulé une offre de contrat régie par l'article L 132-2 du code de la propriété intellectuelle pour un prix de 7.119,37€ correspondant à une impression à 3.000 exemplaires, la publication et la diffusion de l'ouvrage ;
Que le 31 janvier 1998, Mme Marie R. a accepté cette proposition et signé le 4 février 1998 un contrat 'à compte d'auteur' pour une durée de 2 années ;
Que le livre a été imprimé à 3.000 exemplaires, publié au mois de novembre 1998 et vendu en deux ans à 19 exemplaires, Mme Marie R. ayant versé conformément au contrat la somme de 7.119,37 € ;
Que le 23 octobre 2003 elle a porté plainte avec constitution de partie civile du chef de publicité mensongère pour laquelle une ordonnance de non-lieu a été rendue le 14 septembre 2005 ;
Que le 16 juin 2008, se prévalant d'une inexécution fautive des prestations promises, Mme Marie R., a assigné la société EDITIONS DU PANTHEON devant le tribunal d'instance en dommages et intérêts lequel l'a déboutée de ses demandes ;
Considérant qu'à l'appui de son appel, Mme Marie R. fait valoir que les engagements de la société EDITIONS DU PANTHEON résultent aussi bien du contrat formalisé le 4 février 1998 que de la lettre d'intention de l'éditeur du 26 janvier 1998 laquelle a été acceptée par elle selon le courrier du 31 juillet 1998 ;
Qu'elle invoque un manquement de la société EDITIONS DU PANTHEON à ses devoirs d'information et de conseil pour ne l'avoir pas avertie des risques de mévente de l'ouvrage et des risques liés à la signature d'un tel contrat alors qu'elle était profane et que le contrat ne mentionnait pas les termes de contrat à compte d'auteur ;
Qu'elle lui reproche également des manquements à ses obligations de diffusion notamment auprès des services de presse spécialisée et de distribution auprès des libraires, une absence de reddition des comptes pour le second trimestre 2000 ;
Considérant que pour sa part la société EDITIONS DU PANTHEON soutient qu'elle a réalisé les prestations promises, que le contrat mentionne expressément qu'il est régi par l'article 132-2 du code de la propriété intellectuelle définissant le contrat à compte d'auteur ; qu'un tirage de 3.000 exemplaires est tout à fait envisageable pour un auteur inconnu ; que la vente d'une oeuvre est soumise à de nombreux aléas sans obligation de résultat de la part de l'éditeur ; que les annonces publicitaires contractuellement prévues (livre hebdo, magazine littéraire, Europe 1) ont été diffusées ; qu'elle a effectué les démarches commerciales auprès des libraires mentionnés par courrier des 18 décembre et 28 janvier 1998 ; que Mme Marie R. ne démontre pas par les pièces versées aux débats que ses prestations n'ont pas été satisfaites, qu'elle a procédé à l'envoi prévu de 40 exemplaires de l'ouvrage aux services de presse des journaux publiant régulièrement une rubrique littéraire conformément à ses obligations ; que le nombre d'exemplaires invendus en stock (2.928) s'explique par la technique du tirage des imprimeurs qui impriment un nombre d'exemplaires supérieur d'environ 10 % ; qu'elle a justifié du tirage à 3.000 exemplaires selon le certificat de tirage de l'imprimeur ;
Considérant, ceci exposé, que l'article L132-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que ne constitue pas un contrat d'édition, au sens de l'article L132-1, le contrat dit à compte d'auteur ; que par un tel contrat, l'auteur verse à l'éditeur une rémunération convenue, à charge par ce dernier de fabriquer en nombre, dans la forme et suivant les modes d'expression déterminées au contrat, des exemplaires de l'oeuvre et d'en assurer la publication et la diffusion ; que ce contrat constitue un louage d'ouvrage régi par la convention, les usages et les dispositions des articles1787 et suivants du code civil ;
Considérant que, s'agissant de l'obligation d'information et de conseil que, même s'il n'est pas mentionné les termes 'à compte d'auteur' l'offre du 26 janvier 1998 cite les dispositions de l'article L132-2 et le contrat signé le 4 février 2008 indique explicitement qu'il est régi par ces dispositions et prévoit précisément la rémunération des prestations de la société EDITIONS DU PANTHEON dans ce cadre légal ;
Considérant que repose sur celle-ci, en contrepartie de cette rémunération, une obligation d'assurer correctement la promotion et la diffusion de l'oeuvre de l'auteur sur lequel repose le risque financier de l'opération, d'autant qu'il lui a été proposé, s'agissant d'un premier ouvrage d'écrivain débutant et non connu, un tirage important de 3.000 exemplaires ;
Que l'article 1134 du code civil dispose que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ;
Considérant qu'en l'espèce selon l'offre du 26 janvier 1998 et le contrat signé le 4 février 2008 la société EDITIONS DU PANTHEON s'est engagée notamment à :
- informer le public de la sortie de l'ouvrage par des annonces ayant pour support, d'une part des revues spécialisées telles que le magazine littéraire ou la quinzaine littéraire et, d'autre part, de grands émetteurs de radio tels Europe 1 ou RTL mais aussi par les comptes rendus que pourrait valoir le service de presse,
- adresser 40 volumes à autant de critiques littéraires de la presse écrite et parlée en vue d'obtenir des recensions, sous forme d'articles ou d'émissions, les destinataires étant choisis en fonction des caractéristiques du livre,
- utiliser, pour la diffusion, les circuits traditionnels, grossistes et ou libraires détaillants par dépôt ou vente ferme ;
Considérant que s'il est établi que l'ouvrage de Mme R. a été mentionné dans le catalogue de la société et sur une annonce collective parue en décembre 1998 dans le magazine littéraire et dans Livres Hebdo et qu'une annonce publicitaire, a bien été diffusée à l'antenne de la station EUR0PE 1, le 29 novembre 1998 en fin de soirée entre 23 heures et 23 heures 30, la société EDITIONS DU PANTHEON ne justifie pas par les pièces produites avoir correctement rempli ses obligations contractuelles en ce qui concerne l'envoi de 40 ouvrages à des critiques ;
Qu'en effet aucune pièce ne justifie de l'envoi réel de ces 40 exemplaires, un simple listing établi par la société ne pouvant valoir preuve alors même que les invendus en stock se sont élevés à 2928 soit à deux exemplaires prêt le nombre d'ouvrage à commercialiser ;
Que s'agissant de la diffusion auprès des libraires sur la liste transmise par la société EDITIONS DU PANTHEON à Mme Marie R. recensant les libraires auxquelles l'éditeur aurait proposé son ouvrage , cette dernière justifie par les réponses de ceux-ci renvoyées par courrier à sa lettre circulaire du 15 novembre 2000 qu'ils n'ont pas été contactés , qu'aucune proposition de dépôt n'a été faite, que pour certains ils ne travaillent pas avec cet éditeur ou ne le connaissent pas, que certaines librairies n'existent plus depuis des années( Librairie Gendronneau à la Roche sur Yon, librairie Verrier les Herbiers ), d'autres libraires ou commerces ajoutant avoir une spécialité excluant en toute hypothèse son ouvrage ( Aux fines Couleurs à Angoulême qui ne vend que des ouvrages techniques en rapport avec les beaux arts, la librairie Le Curieux à Paris 16ème qui ne vend pas de livres neufs, la librairie le Roi Lire à Paris 18ème qui ne vend que des livres soldés, la librairie Victor Hugo à Angoulème qui est spécialisée en ésotérisme , la librairie Voyelles les Sables d'Olonne spécialisée 'Jeunesse') ;
Que comme le relève Mme Marie R. , les courriers en copie que la société EDITIONS DU PANTHEON soutient avoir adressé aux libraires concernés ne comporte ni en tête ni adresse de l'éditeur ;
Que si la société EDITIONS DU PANTHEON verse aux débats certaines copies de ces courriers datés du 28 janvier 1999 munies du cachet de l'établissement pour justifier du respect de son obligation de diffusion ( Librairie Lacroix à La roche sur Yon, Librairie Centrale aux Sables d'Olonne, Librairie Leroy à Fontenay le Comte, Librairie Espace du Marais à Fontenay Le Comte, Maison de la Presse à Challans , Maison de la Presse à Montaigu , Librairie La Pochette Censier à Paris , Librairie La Voix au Chapitre à Paris 7ème , Librairie Del Duca à Paris 9ème, La Musardine à Paris 11ème , Le roi Lire à Paris 18ème ) , elles ne sont ni datées ni signées ; qu'elles sont en contradiction avec les réponses effectuées précédemment par ces mêmes libraires à Mme R. et ont été receuillies par M. C. postérieurement à sa déposition faite le 20 octobre 2004 aux services de police dans le cadre de l'instruction du chef de publicité mensongère ;
Que la directrice de la librairie La Musardine, entendue le 5 janvier 2005, a confirmé la teneur de son courrier à Mme R. selon laquelle elle avait indiqué ne pas travailler avec cet éditeur et n'avoir eu aucune proposition de dépôt, exposant que la mention manuscrite sur l'exemplaire produit par la société EDITIONS DU PANTHEON avait été effectuée l'année précédente, à la demande de la société EDITIONS DU PANTHEON, par une employée pour ' rendre service' alors même que cette salariée ne travaillait pas à la librairie en 1999/2000, ajoutant que la librairie était spécialisée dans le domaine érotique ce que n'ignoraient pas les EDITIONS DU PANTHEON ;
Que cette déposition a été confirmée par la salariée ;
Que la responsable de la librairie DEL LUCA a indiqué ne pas connaître la société EDITIONS DU PANTHEON, n'avoir jamais travaillé avec cette société, supposant que la mention 'pas de dépôt ' sur l'exemplaire de l'éditeur avait été rédigée par l'un de ses nombreux employés, relevant qu'elle n'était ni datée ni signée ;
Que les courriers produits revenus avec la mention 'n'habite plus à l'adresse indiquée retour à l'envoyeur ' indiquent pour expéditeur Mme R. et ont pour date de cachet le 16 novembre 2000 ; qu'ils ne peuvent donc établir l'envoi allégué par la société EDITIONS DU PANTHEON ;
Qu'il n'est justifié d'aucun service de presse , d'aucun diffuseur ou circuit réel de distribution ;
Que ces éléments établissent que la société EDITIONS DU PANTHEON a manqué à son obligation de diffusion ;
Que le fait qu'au cours du contrat, en avril 1999, Mme Marie R. ait conformément à son obligation contractuelle soumis un second manuscrit est sans incidence ;
Considérant que les manquements imputables à la société EDITIONS DU PANTHEON ont causé à Mme Marie R. un préjudice matériel et moral constitué, s'agissant d'obligations de moyens et non de résultats, par la perte de chance dans la commercialisation et la diffusion de son oeuvre ainsi qu'un préjudice moral qui sera réparée par l'allocation d'une somme de 5.000 ;
Que la demande de production du montant de la facture de l'imprimeur n'est pas justifiée, qu'elle ne constitue pas une obligation contractuelle et le certificat de triage ayant été produit ; que la demande sera rejetée ; qu'il en est de même de la demande de relevés de vente pour le second trimestre en l'absence de toute vente et de la restitution à Mme Marie R. des invendus ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau,
Condamne la société EDITIONS DU PANTHEON à payer à Mme Marie R. née M. la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts,
Rejette les autres demandes,
Condamne la société EDITIONS DU PANTHEON aux dépens de première instance et d'appel,
Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés suivant les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.