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Décisions

Cass. 2e civ., 30 septembre 2021, n° 20-12.856

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Jollec

Avocat :

SCP Alain Bénabent

Paris, du 19 déc. 2019

19 décembre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 décembre 2019), en exécution d'un jugement du 12 mars 2015 ayant condamné M. [Y] à payer une prestation compensatoire à Mme [X], cette dernière a fait pratiquer, d'une part, des saisies des biens meubles au domicile parisien de M. [Y], les 5 et 27 janvier et 14 avril 2016, d'autre part, une saisie des droits d'associés et de valeurs mobilières sur les parts de M. [Y] dans la société civile immobilière Lepas Dubuisson (la SCI Lepas Dubuisson), le 4 mars 2016.

2. Le 23 août 2016, Mme [X] a fait diligenter une saisie conservatoire dans la propriété située à [Localité 1] (Alpes-Maritimes) appartenant à la SCI Lepas Dubuisson, dont M. [Y] est l'associé majoritaire, après avoir obtenu, par ordonnance sur requête du 5 août 2016, d'un juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse l'autorisation de procéder à l'enlèvement des meubles et à leur transfert dans un garde-meuble.

3. Par jugement du 28 mars 2017, un juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse a rétracté cette ordonnance et ordonné à Mme [X] de remettre à ses frais les meubles dans la propriété.

4. Faisant valoir que les meubles avaient été endommagés, M. [Y] a assigné Mme [X] devant un juge de l‘exécution du tribunal de grande instance de Paris en réparation des dommages, paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive et mainlevée de l'ensemble des saisies.

5. Mme [X] a soulevé une exception d'incompétence territoriale au profit du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse s'agissant de la demande en réparation des dommages matériels.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et R. 512-2 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ces textes que le juge de l'exécution du lieu où demeure le débiteur est compétent pour se prononcer sur une exception de compensation fondée sur une exécution dommageable d'une mesure conservatoire et présentée à l'appui d'une demande de mainlevée d'une saisie conservatoire prise sans autorisation préalable.

8. Pour confirmer le jugement en ce qu'il accueille l'exception d'incompétence territoriale au profit du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse concernant les demandes de M. [Y] tendant à condamner Mme [X] à lui payer, en raison de la dégradation des biens meubles saisis à titre conservatoire à [Localité 1] et séquestrés le 23 août 2016, des dommages-intérêts, à condamner Mme [X] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive à son obligation de restitution des biens meubles saisis à titre conservatoire à [Localité 1] et séquestrés le 23 août 2016, l'arrêt retient que les demandes découlent des conditions dans lesquelles la saisie conservatoire a été exécutée et se rattachent au séquestre autorisé puis levé par le juge de l'exécution de Grasse, ces opérations de séquestre et celles ayant permis au débiteur saisi de récupérer la garde des biens saisis s'étant d'ailleurs déroulées dans le ressort du tribunal de grande instance de Grasse.

9. L'arrêt en déduit qu'il s'agit d'une contestation autre qu'une demande de mainlevée, relative à une mesure conservatoire, au sens de l'article R. 512-3 du code des procédures civiles d'exécution, qui relève de la compétence du juge de l'exécution du lieu de la mesure.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait qu'à l'appui de sa demande de mainlevée, l'appelant invoquait une exception de compensation entre les sommes restant dues et les sommes indemnitaires réclamées au titre des dégradations subies par les meubles dans le cadre du séquestre ordonné avant la saisie du 23 août 2016 et qu'en qualité de juridiction du lieu où demeurait le débiteur, elle était alors compétente pour statuer sur la créance indemnitaire et l'exception de compensation, la cour d'appel, statuant avec les pouvoirs du juge de l'exécution, a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. M. [Y] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il dit irrecevable la demande de mainlevée de la saisie conservatoire du 23 août 2016, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. [Y] sollicitait la mainlevée de la saisie-conservatoire du 23 août 2016 au motif qu'il avait intégralement réglé les sommes sur lesquelles elle était fondée le 25 avril 2017 et que « Mme [X] [était] irrecevable et mal fondée à solliciter l'exécution d'autres décisions de justice que celle visée aux actes de saisie, pour s'opposer à la mainlevée des saisies » ; que la cour d'appel a pourtant rejeté cette demande de mainlevée au motif « qu'ainsi que le relève justement l'intimée, cette demande figure au dispositif des conclusions de l'appelant mais il ne développe aucun moyen à l'appui de cette prétention » ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. [Y] sollicitait la mainlevée de la saisie conservatoire du 23 août 2016 au motif qu'il avait intégralement réglé le 25 avril 2017 les sommes sur lesquelles elle était fondée, à savoir celles mises à sa charge par le jugement de divorce du 12 mars 2015 ; que la cour d'appel a pourtant rejeté cette demande de mainlevée au motif éventuellement adopté du premier juge que « M. [Y] ne produit aucun élément nouveau postérieur au jugement du 4 janvier 2017 ayant rejeté la demande de nullité et de mainlevée de la saisie conservatoire, de nature à rendre la présente demande de mainlevée recevable au regard du principe de l'autorité de la chose jugée » ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a, de plus fort, violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

12. Pour dire irrecevable la demande de mainlevée de la saisie conservatoire du 23 août 2016, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, d'une part, M. [Y] ne produit aucun élément nouveau, postérieur au jugement du 4 janvier 2017 ayant rejeté la demande de nullité et de mainlevée de la saisie conservatoire, de nature à rendre la présente demande de mainlevée recevable au regard du principe de l'autorité de la chose jugée, et d'autre part, que si cette demande figure au dispositif des conclusions de l'appelant, il ne développe aucun moyen à l'appui de cette prétention.

13. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions devant la cour d'appel, M. [Y] avait soutenu, d'une part, avoir intégralement réglé les causes de la saisie le 25 avril 2017 et, d'autre part, que Mme [X] était irrecevable et mal fondée pour s'opposer à la mainlevée des saisies à solliciter l'exécution d'autres décisions de justice que celle visée aux actes de saisie, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ces conclusions, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le moyen relevé d'office entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif qui rejette les demandes de mainlevée des saisies-vente des 5 janvier et 27 janvier 2016, du 14 avril 2016 et de la saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières du 4 mars 2016, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de M. [Y] en restitution des meubles saisis le 14 avril 2016 mais l'en déboute, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.