Cass. crim., 19 octobre 1995, n° 94-81.397
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gondre
Rapporteur :
M. Roman
Avocat général :
M. Le Foyer de Costil
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Me Foussard
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Bernard, contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 14 décembre 1993, qui, pour faux et usage de faux, abus de biens sociaux, fraude fiscale et omission d'écritures ou passation d'écritures fictives en comptabilité, l'a condamné à 4 ans d'emprisonnement, avec maintien en détention, et 100 000 francs d'amende, a ordonné la publication et l'affichage de la décision de condamnation et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 80, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité du réquisitoire introductif du 2 décembre 1988 ;
"aux motifs, intégralement adoptés des premiers juges, qu'il est fait grief que le réquisitoire introductif vise des documents qui ont été transmis au Parquet après sa rédaction... ;
qu'il s'avère que ce réquisitoire est daté du 2 décembre 1988 (D 123) ;
que parmi les pièces qu'il vise figure une lettre de redressement fiscal de l'Administration à la gérante de la SAEC, datée du 7 décembre 1988 (D 119) ;
que cela ne signifie nullement que la date du réquisitoire soit erronée mais simplement que l'Administration a préparé à l'avance ce document, ce qui ne lui était d'ailleurs pas interdit ;
que, d'autre part, un courrier de l'Administration au Parquet, daté du 1er décembre 1988, est parvenu au tribunal le 5 décembre 1988, comme en font foi les timbres humides du Parquet et du juge d'instruction (D 124)) ;
que ce document, arrivé postérieurement au réquisitoire introductif, se présente comme la transmission de l'ensemble des documents visés au réquisitoire ;
que, là non plus, il n'en ressort pas la preuve que la date du réquisitoire soit fausse, mais que l'Administration a effectivement transmis les pièces avant d'avoir envoyé son courrier, ce qui est sans incidence sur la validité de la procédure ;
que, d'ailleurs, la première de ces pièces, intitulée "rapport à M. le procureur de la République concernant la SARL SAEC", est datée par le timbre humide du Parquet du 28 novembre 1988 (D 120) ;
"alors que, le juge d'instruction ne pouvant instruire que sur les faits qui lui sont déférés par la plainte avec constitution de partie civile ou le réquisitoire introductif, ce dernier doit, à peine de nullité, afin de ne laisser aucune incertitude quant à la nature et à l'étendue de la saisine du juge d'instruction, soit exposer lui-même les faits dénoncés, soit procéder par voie de renvoi à des pièces figurant en annexe et qui, nécessairement, ont été établies et transmises au Parquet antérieurement à l'élaboration du réquisitoire en cause, de sorte qu'un réquisitoire visant des pièces portant une date postérieure se trouve radicalement entaché de nullité, car excluant toute certitude quant à l'existence d'une présomption d'infraction déterminée et déterminable, justifiant l'ouverture de l'information ; que, dès lors, les juges du fond, qui, sans contester la discordance existant entre la date du réquisitoire introductif et celle des pièces visées par lui, ont ainsi, par des considérations parfaitement hypothétiques tenant à la possibilité pour l'Administration d'avoir préparé à l'avance sa lettre de redressement ou encore d'avoir transmis les pièces avant d'avoir envoyé son courrier, daté du 5 décembre 1988, a, en l'état de ces motifs totalement inopérants, privé sa décision de toute base légale, le fait qu'un rapport établi antérieurement au réquisitoire soit annexé à celui-ci ne permettant en aucune manière de suppléer à l'absence des pièces de fond dont, en l'espèce, il n'est aucunement établi qu'elles aient été transmises au ministère public préalablement à l'élaboration de son réquisitoire" ;
Attendu qu'il ne résulte ni du jugement, ni d'aucunes conclusions, que Bernard Y..., qui a comparu devant les premiers juges, ait proposé en première instance, avant toute défense au fond, l'exception de nullité du réquisitoire introductif ;
Que, dès lors, cette exception, à laquelle les juges du second degré ont, à tort, cru devoir répondre, était irrecevable en cause d'appel en vertu de l'article 385 du Code de procédure pénale ;
D'où il suit que le moyen, qui reprend cette même exception devant la Cour de Cassation, est également irrecevable ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 57, 66, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté l'exception de nullité invoquée par Bernard Y... et tirée de ce que le procès-verbal de perquisition du 7 décembre 1988 n'avait été signé que par cinq des neuf policiers ayant participé à cette opération ;
"aux motifs, intégralement adoptés des premiers juges, que si le procès-verbal de perquisition du 7 décembre 1988 dans les locaux de la SARL SAEC mentionne la présence de neuf policiers, le commissaire de police rédactrice de l'acte comprise, et qu'on ne dénombre que six signatures, il s'avère qu'aucun texte n'impose que la totalité des policiers qui procèdent à une perquisition signent le procès-verbal, seule étant requise la signature de l'officier de police judiciaire rédacteur délégué par le juge d'instruction ;
qu'aucune nullité n'est donc encourue de ce chef ;
"alors qu'en disposant que le procès-verbal de perquisition doit être signé par les personnes ayant assisté à cette opération, l'article 57 du Code de procédure pénale a, par là même, entendu nécessairement imposer la signature de tous les officiers et agents de police judiciaire ayant participé à la perquisition, de manière à garantir l'exactitude de sa relation dans ledit procès-verbal, de sorte que les juges du fond ne pouvaient, sans priver leur décision de toute base légale, retenir la validité d'un procès-verbal de perquisition n'ayant été signé que par une partie des policiers ayant conduit cette opération" ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité régulièrement soulevée par Bernard Y... et prise de ce que le procès-verbal de perquisition du 7 décembre 1988 n'a pas été signé par tous les policiers ayant participé à cette opération, l'arrêt confirmatif attaqué relève qu'aucun texte n'impose que la totalité des policiers qui assistent à une perquisition signent le procès-verbal, seule étant requise la signature de l'officier de police judiciaire rédacteur délégué par le juge d'instruction ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des articles 57 et 66 du Code de procédure pénale ;
Qu'ainsi le moyen ne peut être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 2-5 de la loi n 88-828 du 20 juillet 1988, 591 et 593 du Code de procédure pénale, renversement de la charge de la preuve, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la Cour a dit n'y avoir lieu de faire bénéficier Bernard Y... de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 ;
"aux motifs que si Bernard Y... a fait soutenir en appel, par conclusions, que les faits qu'il a commis sont couverts par la loi du 20 juillet 1988, portant amnistie des infractions liées au financement des partis politiques, la Cour observe que lors de sa longue audition devant elle, Bernard Y... n'a fait que développer la thèse de l'absence de caractère fictif de la facturation fournisseurs comme de la facturation clients et n'a à aucun moment au cours des débats fait allusion à un quelconque financement politique occulte ; que c'est lorsqu'il a été précisément interrogé sur ce point par la Cour qu'il a évoqué de façon imprécise un éventuel financement politique ;
que si son défenseur a repris certains éléments du dossier pour soutenir qu'il y avait lieu de faire bénéficier Bernard Y... de la loi d'amnistie en se fondant d'ailleurs en grande partie sur les relaxes prononcées pour cette raison en première instance en faveur de Michel X... et Jean-Pierre Z..., la Cour, quant à elle, ne trouve pas dans les éléments qui lui sont fournis à la preuve certaine que les faits commis par Bernard Y... l'ont été dans le cadre du financement occulte des partis politiques ; qu'elle relève en outre que les relaxes susvisés, aujourd'hui définitives, ont été acquises grâce à une motivation particulièrement discutable puisque fondée sur un renversement de la charge de la preuve ;
que, dès lors, la Cour, tout en regrettant les relaxes intervenues dans de telles conditions, estime qu'il n'y a pas lieu de faire bénéficier Bernard Y... de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 ;
"alors que, d'une part, la preuve de l'absence d'une cause d'extinction de l'action publique, telle la prescription ou l'amnistie, incombe au ministère public, de sorte que la Cour ne pouvait, sans entacher sa décision d'un manque de base légale, refuser à Bernard Y... le bénéfice de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 en prétendant écarter les relaxes prononcées en première instance sur ce même fondement au profit de deux chefs d'entreprise en relation avec Y..., pour la raison parfaitement erronée, eu égard aux principes ci-dessus rappelés, que ces relaxes seraient intervenues en imposant au ministère public, la charge de la preuve en matière d'amnistie ;
"que, d'autre part, la Cour, qui constate elle-même expressément (arrêt page 35), que dès l'instruction, Bernard Y... a indiqué que les sommes récoltées par lui servaient au financement des partis politiques, ne pouvait, dès lors, sans entacher sa décision de contradiction de motifs, prétendre lui refuser le bénéfice de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988 sur la seule considération qu'en appel, il n'aurait pas, au cours des débats, fait immédiatement état de ces circonstances, mais aurait attendu d'être interrogé sur ce point ;
"qu'enfin, en considérant qu'elle ne trouvait pas au dossier la preuve certaine que les faits commis par Bernard Y... l'avaient été dans le cadre du financement occulte des partis politiques pour lui refuser le bénéfice de la loi d'amnistie susvisée, la Cour a méconnu le principe fondamental du droit selon lequel le doute doit profiter à l'accusation" ;
Attendu qu'il résulte du jugement et de l'arrêt que la société dont Bernard Y... était le dirigeant de fait a comptabilisé des factures d'achats émanant d'entreprises inexistantes et a facturé des prestations pour une large part fictives à plusieurs sociétés clientes, à qui des sommes étaient reversées en espèces ;
Que Bernard Y... a indiqué au cours de l'information avoir vu un de ses fournisseurs remettre à un homme politique le montant d'un acompte en espèces qu'il venait de lui verser ;
Que deux dirigeants de sociétés clientes ont déclaré avoir affecté tout ou partie des sommes ristournées par sa société au paiement de commissions à des élus locaux en vue d'obtenir des marchés ;
Attendu que, pour refuser au demandeur le bénéfice de l'amnistie prévue par l'article 2, 5 , de la loi du 20 juillet 1988, la cour d'appel, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal à l'égard de deux autres prévenus, retient qu'au cours des débats Bernard Langlet a soutenu que les factures émises ou payées par sa société correspondaient à des prestations réelles, qu'il n'a évoqué, lorsqu'il a été interrogé à ce sujet, que de façon imprécise un éventuel financement occulte des partis politiques, et que les précisions apportées sur ce point par son défenseur "relèvent du ragot, du commérage ou de l'affabulation" ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que les infractions de droit commun reprochées se sont poursuivies jusqu'au mois de décembre 1988, les juges du second degré, qui ont souverainement apprécié l'absence de relation entre ces faits et le financement des campagnes électorales ou des partis politiques, ont, abstraction faite de motifs surabondants, justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant et pour le surplus mal fondé, ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.