Cass. crim., 8 juin 2017, n° 17-80.709
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Moreau
Avocat général :
M. Mondon
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 15 mars 2017, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles préliminaire au code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de la loyauté des preuves, du droit à un procès équitable, des articles 40, 80, 81, 706-113, 706-116, 706-117 et 591 et 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense ;
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler l'audition par le juge d'instruction le 6 octobre 2015 de M. Kévin X... et des actes subséquents, dont le réquisitoire supplétif du 7 octobre 2015 pris au vu de cette audition ;
" aux motifs que M. Patrick X... est sans qualité pour invoquer l'irrégularité des auditions réalisées de M. Kévin X... par les services de police le 21 janvier 2015, puis par le juge d'instruction le 6 mars 2015 et qu'il ne peut se prévaloir de la méconnaissance de droits qui appartiennent en propre à une autre personne (cf. Crim 14 février 2012, n° 11-84. 694, Crim 11 février 2014 n° 1386. 878) ; que lors de son audition en qualité de témoin par les services de police le 21 janvier 2015, M. Kévin X..., placé sous curatelle renforcée, a révélé que son père lui avait fait part de son intention de tuer Mme Natacha Y...et lui avait demandé de l'assister ; que cependant, s'il a déclaré avoir accompagné son père pour des surveillances de Mme Y..., M. Kévin X... n'avait alors tenu aucun propos auto-incriminant, précisant "...... moi je ne voulais pas la tuer ou lui faire du mal, je ne pensais pas vraiment que mon père voulait faire cela " et qu'il ne résultait pas de cette audition, ni d'autres éléments de la procédure, de raisons plausibles de soupçonner l'existence de nouveaux faits d'enlèvement et de tentative d'assassinat au préjudice de Mme Y... ; que par ordonnance de soit communiqué en date du 7 octobre 2015, le juge d'instruction, visant la procédure d'enquête du commissariat de Livry Gargan, l'audition de M. Kévin X... du 6 octobre 2015 et le document transmis par mail par le curateur de ce dernier, sollicitait des réquisitions ou avis du procureur de la République pour supplétif sur les faits nouveaux de tentative d'enlèvement et tentative d'assassinat de Mme Y... ; que préalablement à cette communication, il avait procédé le 6 mars 2015 à l'audition de M. Kévin X... en qualité de témoin ; que cette audition a été valablement réalisée, dès lors que les faits évoqués par M. Kévin X... lors de son audition par le service enquêteur étaient étroitement liés à ceux dont était déjà saisi le juge d'instruction, que ce magistrat avait le devoir de vérifier la vraisemblance des révélations faites par l'intéressé, ce d'autant plus qu'il était placé sous curatelle renforcée, avant toute sollicitation éventuelle du procureur de la République aux fins de réquisitions supplétives, et dès lors que cet acte de procédure n'a revêtu aucun caractère coercitif, l'intéressé ayant comparu librement ; qu'aucune prescription légale ou réglementaire ne rendait obligatoire l'assistance du curateur lors de l'audition de M. Kévin X... ; que M. Kévin X... a, au cours de son audition du 6 mars 2015 par le juge d'instruction, apporté des précisions et fait de nouvelles révélations sur le projet de M. Patrick X... d'enlever et de tuer Mme Y..., M. Kévin X... devant pour sa part " planter " avec un couteau l'ami de cette dernière ; qu'il a également indiqué que son père avait prévu de mettre le corps de la victime dans le canal du parc de Montfermeil ; qu'il a aussi déclaré qu'il n'avait pas osé dire non à son père et qu'il s'était senti un peu obligé ; que les questions du magistrat instructeur avaient pour seuls buts de rappeler les déclarations du témoin au service enquêteur, de les lui faire préciser, et de s'assurer que sa proximité affective avec son père ne suscitait pas de manquement à son obligation de dire la vérité ; que le juge d'instruction a également consigné les déclarations du témoin dont il résulte que ce dernier avait tenté à plusieurs reprises de dissuader son père de passer à l'acte, ce qui vient contredire l'allégation de parti-pris à l'encontre de M. Kévin X... ; que le juge d'instruction n'a, à aucun moment, procédé à des affirmations de faits inexacts, développé de fausse argumentation ou usé de toute autre forme de procédé déloyal ou stratagème ; que l'enregistrement audio-visuel prévu par l'article 116-1 du code de procédure pénale ne concerne pas les auditions de témoins ; qu'en conséquence les moyens de nullité présentés par les conseils de M. Patrick X... et de M. Kévin X... seront écartés ;
" 1°) alors que constitue un procédé déloyal, violant les droits de la défense et constitutif d'un détournement de procédure, l'audition en qualité de témoin du fils de M. Patrick X..., M. Kévin X..., majeur sous curatelle, sans l'assistance de son curateur et de toute personne susceptible de l'assister, le 6 octobre 2015, après que le juge d'instruction eût reçu les résultats d'investigations policières au cours desquelles M. Kévin X... avait été entendu et avait prétendu que son père avait formé le projet d'assassinat de Mme Y... et qu'il s'était engagé à l'y aider ; que par ce procédé, le juge d'instruction s'est livré à un véritable interrogatoire de ce jeune majeur protégé, afin de lui extorquer les aveux nécessaires à sa mise en cause en qualité de complice et à celle de son père en tant qu'auteur principal de faits nouveaux ; que ce stratagème a abouti à l'extension de la saisine du juge d'instruction par réquisitoire supplétif du 7 octobre 2015 émanant du parquet, à des faits de tentative d'enlèvement et tentative d'assassinat de Mme Y... ; que dès lors, M. Patrick X... est recevable et fondé à soulever l'irrégularité de cette audition de son fils Kévin, laquelle lui a fait directement grief en fondant la suite de la procédure le concernant, en méconnaissance totale des textes et principes susvisés ;
" 2°) alors que constitue un détournement de procédure et un excès de pouvoir le fait pour le juge d'instruction qui a acquis la connaissance de faits nouveaux résultant de l'audition de M. Kévin X... par les services de police, de procéder avant sa saisine, à un acte d'instruction, en l'occurrence l'interrogatoire de M. Kévin X..., hors de tout cadre légal, acte constitutif non pas d'une vérification sommaire justifiée par l'urgence (l'interrogatoire du 6 octobre 2015 étant postérieur de neuf mois à l'audition par la police) mais d'un véritable acte coercitif à l'encontre de ce témoin, de surcroît entendu sans l'assistance de son curateur, destiné à le faire s'accuser hors de la présence de tout avocat, et avant tout réquisitoire supplétif intervenu le lendemain, sans avoir communiqué au parquet au préalable le procès-verbal de déposition de M. Kévin X... devant les services de police le 21 janvier 2015 ; qu'en disant n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure jusqu'à la cote D. 1680 incluse, la chambre de l'instruction a violé les textes et principes d'ordre public susvisés " ;
Vu les articles préliminaire, 80 et 81 du code de procédure pénale, ensemble l'article 173 dudit code ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que, d'une part, le juge d'instruction ne peut informer que sur les faits dont il est régulièrement saisi et, lorsqu'il acquiert la connaissance de faits nouveaux, doit communiquer le dossier au procureur de la République, le cas échéant après avoir procédé à des vérifications sommaires destinées à en apprécier la vraisemblance, d'autre part, la personne mise en examen a qualité pour contester la régularité des actes accomplis par le juge d'instruction en méconnaissance des limites de sa saisine ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans le cadre d'une information ouverte le 10 décembre 2014, M. Patrick X... a été mis en examen, notamment, pour viol aggravé sur la personne de son ex-compagne, Mme Natacha Y... ; que dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire, les services de police ont recueilli, le 21 janvier 2015, le témoignage de M. Kevin X..., fils du mis en examen, majeur protégé placé sous curatelle renforcée ; que le témoin a spontanément révélé un projet d'assassinat de Mme Y... par son père ; qu'il a fourni des précisions, en s'accusant d'avoir effectué des repérages et des filatures en vue de la réalisation de ce projet ;
Attendu qu'ayant pris connaissance du procès-verbal d'audition de M. Kévin X..., le juge d'instruction a interrogé le 6 mars 2015 M. Patrick X... sur les déclarations de son fils ; que le mis en examen a contesté avoir eu l'intention de commettre un tel homicide ;
Attendu que le 6 octobre 2015, le juge d'instruction a procédé à l'audition en qualité de témoin de M. Kevin X... ; qu'en réponse aux questions du magistrat, le témoin a confirmé les déclarations faites à la police et précisé le mode opératoire retenu ; qu'après avoir entendu le curateur du témoin, le juge d'instruction a communiqué le dossier au procureur de la République qui a délivré, le 7 octobre 2015, des réquisitions supplétives ; que le juge d'instruction a mis en examen M. Patrick X... du chef de tentative d'assassinat et M. Kevin X... du chef de complicité de tentative d'assassinat ;
Attendu que pour rejeter la requête en nullité, présentée par M. Patrick X..., de l'audition du 6 octobre 2015 et des actes subséquents, au motif, notamment, que le juge d'instruction avait outrepassé les limites de sa saisine, l'arrêt attaqué retient que le mis en examen est sans qualité pour invoquer l'irrégularité de l'audition de son fils ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les questions posées par le juge d'instruction, auxquelles M. Kévin X... a répondu de manière circonstanciée, excédaient de simples vérifications sommaires, ce dernier étant conduit à confirmer, hors la présence d'un avocat, ses déclarations incriminantes antérieurement reçues par les services de police, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 5 janvier 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
DIT qu'en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la cassation aura effet à l'égard de M. Kevin X... qui ne s'est pas pourvu ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.