Cass. crim., 6 février 1996, n° 95-84.041
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Milleville
Avocat général :
M. Dintilhac
Avocats :
M. Choucroy, SCP Piwnica et Molinié, M. Garaud
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 31 janvier 1992, Jean-Pierre D..., ex-directeur général adjoint de la société Heulin, a porté plainte avec constitution de partie civile du chef d'établissement de fausses attestations contre 2 des dirigeants de la société Campenon-Bernard Constructions (CBC), dont la société Heulin était une filiale, leur reprochant d'avoir, dans une instance prud'homale qui l'opposait à son ancien employeur, délivré des attestations mettant en doute sa probité dans la gestion de la société ;
Qu'il invoquait, documents à l'appui, l'existence de pratiques portant atteinte aux intérêts de la société Heulin et auxquelles il avait dû se soumettre sur ordre de sa direction ;
Qu'à la suite de cette plainte, une information a été ouverte le 12 février 1992, du chef d'établissement de fausses attestations, au cabinet du juge d'instruction du Mans ; que ce magistrat a aussitôt délivré une commission rogatoire aux fins de vérifier les allégations de la partie civile, a procédé, le 26 mars 1992, à l'audition de celle-ci puis, constatant que de cette audition et des pièces d'exécution de la commission rogatoire il paraissait résulter que des actionnaires de la société Heulin avaient été victimes d'abus de biens sociaux, il a, le 30 mars 1992, communiqué le dossier au parquet ;
Attendu qu'au vu de la copie certifiée conforme de cette procédure, le procureur de la République a, le 21 avril 1992, ouvert une seconde information du chef d'abus de biens sociaux, laquelle a été confiée au même juge d'instruction ;
Attendu que, par ailleurs, ayant eu connaissance de cette poursuite, Alain C..., en sa qualité d'actionnaire du groupe " Compagnie générale des eaux " auquel appartenait la société Heulin, a, par lettre du 25 février 1993, informé le juge d'instruction de sa décision de se constituer partie civile, par voie d'intervention, en faisant valoir que les abus de biens sociaux poursuivis avaient pu causer un préjudice aux actionnaires minoritaires, dont il faisait partie ; que, par ordonnance du 2 mars 1993, il a été déclaré irrecevable en sa constitution ; qu'il a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, par l'arrêt attaqué, la chambre d'accusation se prononce tant sur cet appel que sur une ordonnance du juge d'instruction, du 30 septembre 1992, existant au dossier et lui soumettant la procédure en vue de statuer sur la validité de certains actes d'information, ainsi que sur la régularité de l'ensemble de la procédure ;
En cet état ;
I. Sur le pourvoi de Léon X... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit par le demandeur ;
II. Sur les pourvois de Gilbert Y..., Daniel Z... et Christian A... :
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, commun aux 3 demandeurs, et pris de la violation des articles 80 du Code de procédure pénale, 173, 174, 593 et 802 dudit Code, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté les griefs tirés de la nullité de la commission rogatoire portant la date du 3 février 1992 rectifiée en 3 mars 1992 et de la nullité du procès-verbal d'audition de Jean-Pierre D... du 26 mars 1992 ayant entraîné la nullité de toute la procédure d'instruction ;
" aux motifs que les pièces d'exécution de la commission rogatoire précisent qu'elle a été délivrée le 3 février 1992, que d'autres mentionnent qu'elle est en date du 3 mars 1992, que cette commission a été enregistrée au courrier arrivée du SRPJ le 4 mars et qu'elle était alors datée du 3 février 1992 ;
" qu'il doit en être déduit que la correction de sa date faite en marge et approuvée par le juge d'instruction est postérieure à son envoi au service chargé de l'exécuter, mais antérieure à son exécution ;
" qu'en tout cas, elle a été délivrée à une date certaine alors que le juge d'instruction était régulièrement saisi depuis le 12 février pour instruire les faits dénoncés par Jean-Pierre D..., la mention de la date du 3 février 1992 procède donc d'une erreur matérielle, la date réelle de cette délégation étant celle du 3 mars 1992 approuvée en marge par le juge d'instruction ;
" qu'en instruisant dans le cadre d'une saisine régulière des faits d'établissement d'attestations faisant état de faits matériellement inexacts susceptibles d'avoir été commis par E... et F..., c'est sans excéder sa saisine que le juge d'instruction a interrogé Jean-Pierre D... et consigné ses déclarations qui décrivaient les pratiques existant, selon lui, à l'intérieur du groupe et les directives hiérarchiques auxquelles il avait dû se soumettre et que E... et F... lui reprochaient ; que la réalisation de travaux effectués de manière occulte sur un immeuble lui appartenant ayant été reprochée à Jean-Pierre D... par les auteurs des attestations, le magistrat instructeur était fondé à l'interroger sur l'existence de pratiques similaires au sein de la société Heulin et du groupe CBC ;
" alors que, d'une part, et indépendamment du problème posé par sa date, le contenu de la commission rogatoire du 3 février 1992, délivrée dans le cadre d'une instruction ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile de Jean-Pierre D... du chef d'établissement d'attestations faisant état de faits matériellement inexacts, démontre que, comme Christian A... le soutenait dans son mémoire, le magistrat instructeur a excédé sa saisine puisque, avant de solliciter un réquisitoire portant sur des éventuels abus de biens sociaux auxquels la partie civile faisait allusion dans sa plainte, il a procédé à des actes d'instruction portant sur ces infractions en délivrant, les 3 février ou 3 mars 1992, une commission rogatoire qui avait pour objet de rechercher si un ministre, bénéficiaire desdits abus de biens sociaux selon la plainte, était susceptible de bénéficier d'un privilège de juridiction, de reconstituer l'organigramme des sociétés qui auraient été victimes desdits délits, d'obtenir les extraits K bis de celles-ci ainsi que les noms de leurs responsables, toutes investigations que des poursuites pour établissement de fausses attestations ne pouvaient expliquer mais qui étaient manifestement destinées à déterminer l'existence et les auteurs des abus de biens sociaux dont le juge d'instruction n'était pas saisi ; que, dès lors, en refusant de constater la nullité de cette commission rogatoire ainsi que l'audition de la partie civile au cours de laquelle le magistrat instructeur a interrogé cette dernière au vu des pièces d'exécution de la commission rogatoire délivrée hors saisine et en admettant la validité du réquisitoire introductif du 21 avril 1992 délivré au vu des éléments recueillis au cours de ces investigations, la chambre d'accusation a violé l'article 80 du Code de procédure pénale ;
" alors que, d'autre part, après avoir elle-même relevé que certaines des pièces d'exécution de la commission rogatoire qui portait initialement la date du 3 février 1992, précisaient que ce document avait été délivré à cette date antérieure à celle du réquisitoire introductif à l'origine des poursuites pour établissement d'attestations inexactes, la chambre d'accusation s'est mise en contradiction avec ses propres constatations et a privé sa décision de motifs en affirmant néanmoins péremptoirement que la correction de la date de cette commission rogatoire aurait été effectuée par le magistrat instructeur antérieurement à son exécution pour admettre la validité d'un tel procédé et des poursuites pour abus de biens sociaux diligentées au vu des actes d'exécution de cette commission rogatoire " ;
Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces de la procédure que, sur la commission rogatoire qui a été délivrée initialement par le juge d'instruction aux fins de vérifier les allégations de Jean-Pierre D..., la date du 3 février 1992 a été raturée et remplacée par celle du 3 mars 1992, portée en marge et approuvée par le juge d'instruction ;
Attendu qu'en cet état, c'est à bon droit que la chambre d'accusation a rejeté l'exception de nullité prise de l'incertitude de la date de ladite commission rogatoire ;
Qu'en effet, la date apposée en marge d'un acte de procédure par le juge d'instruction, et authentifiée par sa signature, fait foi jusqu'à inscription de faux ;
Attendu, par ailleurs, que, pour déclarer justifié le réquisitoire du 21 avril 1992, visant tant ladite commission rogatoire que le procès-verbal d'audition de Jean-Pierre D..., les juges énoncent que le magistrat instructeur était fondé à entendre l'intéressé sur l'existence de pratiques similaires à celles que lui reprochaient ses anciens employeurs et qui, selon lui, auraient été commises au sein de la société Heulin et du groupe CBC ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre d'accusation a fait l'exacte application des textes invoqués par les demandeurs ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation invoqué dans l'intérêt de Christian A... et pris de la violation des articles 43, 52, 90, 382 et 593 du Code de procédure pénale, 437- 3o de la loi du 24 juillet 1966 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'incompétence ratione loci soulevée par Christian A... pour décider que le réquisitoire introductif est régulier ;
" aux motifs que, s'agissant de la décision prise par le dirigeant d'une société par actions de faire supporter par celle-ci et contrairement aux intérêts sociaux, le coût des travaux réalisés pour le compte d'un tiers ou pour favoriser une autre entreprise, le lieu de la commission du délit d'abus de biens sociaux n'est pas celui du lieu des travaux, mais celui du siège social où la décision a été arrêtée et traduite de manière comptable ;
" que la SA Heulin, victime des abus de biens sociaux dont aurait bénéficié Régie Ouest, Roland G... et Christian A..., ayant son siège au Mans, le tribunal de grande instance du Mans est territorialement compétent pour en connaître ;
" alors que si le procureur de la République du lieu du siège social de la personne morale victime d'abus de biens sociaux peut être compétent quand cette infraction a été réalisée au moyen de faux documents établis au siège de ladite société, par contre, quand les faits ne concernent que l'usage abusif des biens d'une personne morale résultant de la réalisation de travaux effectués au profit de tiers, le lieu de la commission de ce délit ne peut être que celui desdits travaux et non celui du siège social de la victime de l'infraction ; que, dès lors, en l'espèce, la chambre d'accusation a violé les règles d'ordre public relatives à la compétence territoriale des juridictions d'instruction en admettant la compétence ratione loci du tribunal de grande instance du Mans pour rejeter l'exception tirée de l'irrégularité du réquisitoire introductif " ;
Attendu que la chambre d'accusation, pour rejeter l'exception d'incompétence territoriale du tribunal de grande instance du Mans, retient à bon droit que le lieu de la commission du délit d'abus de biens sociaux est celui du siège où a été arrêtée et s'est traduite en comptabilité la décision de faire supporter, par une société, le coût de travaux entrant dans les prévisions de l'article 437- 3o, de la loi du 24 juillet 1966 ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation invoqué dans l'intérêt de Christian A..., repris par le deuxième moyen de cassation proposé pour Gilbert Y... et pris de la violation des articles 151 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure d'instruction tirée du caractère général des commissions rogatoires ;
" aux motifs que, sur la régularité des commissions rogatoires générales et en particulier de celle du 13 février 1993 figurant à la cote D 704, s'il est effectivement regrettable qu'une délégation faite par un juge d'instruction à un officier de police judiciaire soit intitulée " commission rogatoire générale ", encore faut-il, pour que cette délégation soit entachée de nullité, que la mission donnée à l'officier de police judiciaire soit générale " ;
" que l'examen de la mission donnée par cette commission rogatoire révèle qu'elle est précise et limitée ;
" que, sur la commission rogatoire du 22 mai 1992 cotée D 174, il appert de son examen et de ses pièces d'exécution que son objet était limité et rattaché à la manifestation de la vérité des faits dont il était saisi par le réquisitoire introductif ; de même qu'est mal fondé le grief selon lequel Christian A... avait été placé en garde à vue en exécution d'une commission rogatoire générale ;
" alors qu'en présence de commissions rogatoires elles-mêmes intitulées " générales ", la chambre d'accusation, qui était saisie de la nullité de ces actes, ne pouvait se contenter d'affirmer sans le justifier le caractère précis et limité des missions qu'ils prévoyaient dès lors que le réquisitoire introductif en exécution duquel ces commissions rogatoires avaient été délivrées ne comportait lui-même aucune précision autre que la qualification légale des infractions poursuivies " ;
Attendu qu'il n'importe que certaines commissions rogatoires aient été intitulées " générales " dès lors qu'il résulte de leur examen que, conformément au troisième alinéa de l'article 151 du Code de procédure pénale, elles ne prescrivaient que des actes d'instruction se rattachant directement à la répression des infractions visées aux poursuites ;
Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation (subsidiaire) invoqué dans l'intérêt de Gilbert Y... et pris de la violation des articles 104, 105, 114, 170, 171, 172, 593 et 802 du Code de procédure pénale, de l'article 6, § 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure présentée par Gilbert Y... pour inculpation tardive ;
" aux motifs que, le 25 juin 1992, Gilbert Y... a écrit au magistrat instructeur pour lui faire part du trouble ressenti par les collaborateurs du groupe à la suite des investigations effectuées pour vérifier l'exactitude des révélations " tendancieuses " de Jean-Pierre D... ; que, le 12 janvier 1993, il s'est présenté spontanément au juge d'instruction afin d'être entendu comme témoin ;
" qu'au cours de cette audition, Gilbert Y... a notamment déclaré qu'il endossait la responsabilité de l'imputation des factures de travaux effectués au profit de Christian A... en déplacement sur d'autres chantiers ; qu'en cet état de la procédure, il n'existait aucun indice objectif et encore moins de charge permettant de considérer que ces déclarations étaient conformes à la vérité et auraient justifié la mise en examen de leur auteur ;
" qu'entendu à nouveau le même jour comme témoin, Gilbert Y... a évoqué spontanément le rôle joué par Roger-Patrice H... dans l'obtention d'un marché à Pyong Yang, la garantie de la Coface et la rémunération de M. H... ;
" que le magistrat instructeur a alors immédiatement procédé à une confrontation de Gilbert Y... et de M. I...en qualité de témoin puis à une nouvelle audition de Gilbert Y... ;
" que, le 14 janvier, Gilbert Y... adressait au magistrat instructeur de nombreux documents concernant le contrat de Pyong Yang ;
" que, mis en examen le 3 février 1993, pour les faits d'abus de biens sociaux, Gilbert Y... ne faisait aucune déclaration ;
" qu'entendu au fond le même jour en présence de ses conseils, Gilbert Y... déclarait liminairement renoncer à toute nullité pouvant résulter de la non-convocation de ses avocats dans les délais légaux ;
" que, ceci posé, l'examen des actes accomplis par le juge entre le 12 janvier 1993, date de l'aveu spontané par Gilbert Y... de son rôle dans l'imputation du coût des travaux réalisés au profit de Christian A... mais non conforté par les éléments matériels du dossier, et le 3 février suivant, date de sa mise en examen, démontre que le grief d'" inculpation tardive " est mal fondé, les investigations du juge ayant, au surplus, porté principalement sur le contrat coréen, donc sur des faits dont il n'était pas saisi ;
" qu'en outre, les violations des droits de la défense alléguées, à supposer qu'elles aient eu lieu, ne sont pas précisées par Gilbert Y... qui, lors de son interrogatoire au fond, a expressément renoncé en présence de ses conseils à se prévaloir de toute nullité du fait du non-respect de l'article 118 du Code de procédure pénale ;
" alors que, d'une part, et selon les propres constatations de l'arrêt attaqué, le magistrat instructeur ayant, dès avant l'ouverture de l'information pour abus de biens sociaux, délivré une commission rogatoire destinée à vérifier les allégations d'un plaignant qui avait fait état de l'existence de faits susceptibles de constituer des abus de biens sociaux commis au préjudice de la société Heulin et à en déterminer les auteurs, puis, ayant entendu cette partie civile, en l'interrogeant précisément sur ces faits, avant d'ouvrir une information pour abus de biens sociaux et d'ordonner une expertise comptable qui a fait clairement apparaître que la société Heulin avait fait bénéficier un administrateur du groupe, dont elle était une des filiales, d'avantages constitués par la prise en charge partielle de travaux effectués sur sa propriété où une perquisition irrégulière avait même eu lieu, la chambre d'accusation a méconnu les dispositions des articles 105 et 171 du Code de procédure pénale et s'est mise en contradiction avec ses propres constatations, en refusant d'admettre dans ces conditions qu'après avoir entendu Gilbert Y... assumer la responsabilité de ces faits, le magistrat instructeur n'était pas tenu de le mettre en examen sous prétexte qu'à ce stade de la procédure, il n'existait aucun indice objectif et encore moins de charge permettant de considérer que ces déclarations étaient conformes à la vérité ;
" alors que, d'autre part, la chambre d'accusation ayant elle-même relevé que les investigations effectuées par le magistrat instructeur entre la date des aveux spontanés de Gilbert Y... sur sa responsabilité quant aux travaux pris en charge par la société Heulin au profit de Christian A... et celle de la mise en examen du demandeur, avaient essentiellement porté sur des faits distincts de ces aveux, elle a ainsi reconnu nécessairement qu'aucun élément nouveau n'avait été recueilli entre ces aveux et la mise en examen en sorte que, contrairement à l'affirmation de l'arrêt démentie par toutes ses constatations, tous les indices objectifs et charges qui ont entraîné cette mesure étaient déjà réunis au moment des aveux de Gilbert Y... à la suite desquels ce dernier a pourtant été entendu encore à 2 reprises et confronté à un tiers en qualité de témoin par le magistrat instructeur qui a ainsi violé les dispositions substantielles aux droits de la défense de l'article 105 du Code de procédure pénale ;
" et qu'enfin, Gilbert Y..., ayant longuement expliqué dans son mémoire que la tardiveté de sa mise en examen lui avait causé un important préjudice parce que l'instruction avait été menée pendant de longs mois sans qu'il puisse avoir accès au dossier de la procédure tout en étant nommément désigné par la presse comme étant l'auteur des abus de biens sociaux commis au profit de M. Christian A..., ce qui l'avait amené à 2 reprises à demander d'être entendu par le juge d'instruction, la chambre d'accusation qui n'a tenu aucun compte de ce moyen, et qui a raisonné comme si la tardiveté d'une mise en examen pouvait ne pas avoir porté atteinte aux droits de la défense d'une personne dès lors que cette dernière, qui invoquait la violation de l'article 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avait lors de son interrogatoire de première comparution renoncé à se prévaloir de toute nullité du fait du non-respect de l'article 118 du Code de procédure pénale, a ainsi méconnu les droits de la défense ainsi que l'ensemble des textes visés au moyen " ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité soulevée par Gilbert Y... et tirée de son inculpation tardive, l'arrêt attaqué énonce notamment que " l'examen des actes accomplis par le juge d'instruction entre le 12 janvier 1993, date de l'aveu spontané, par Gilbert Y..., de son rôle dans l'imputation des travaux réalisés au profit de Christian A..., mais non conforté par des éléments matériels du dossier, et le 3 février suivant, date de sa mise en examen, démontre que le grief d'inculpation tardive est mal fondé " ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
III. Sur le pourvoi de José B... :
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 437- 3o de la loi du 24 juillet 1966, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction rejetant la constitution de partie civile d'Alain C... ;
" aux motifs qu'il appartenait au magistrat instructeur de procéder à l'audition de la partie civile et aux vérifications nécessaires afin de constater si Alain C... justifiait d'un intérêt éventuel à agir dans le cadre strict des faits dont il était saisi et ne pouvait, par des motifs de pure abstraction, rejeter cette constitution ;
" alors qu'aux termes de l'article 2 du Code de procédure pénale, l'action civile en réparation du dommage causé par un délit n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que même si au stade de l'information, il suffit aux parties civiles de démontrer que le préjudice allégué et son lien direct avec l'infraction sont possibles, encore faut-il que ce lien causal soit caractérisé ; qu'en l'espèce, le juge d'instruction, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile d'Alain C..., a constaté que la seule qualité d'actionnaire de la CGE, société mère, ne lui permettait pas d'établir un lien direct entre les faits commis par les dirigeants des sociétés filiales Heulin et CBC, susceptibles de constituer des abus de biens sociaux dont il était régulièrement saisi, et son éventuel préjudice ; que, dès lors, en énonçant que le juge d'instruction n'avait pas vérifié si Alain C... justifiait d'un intérêt éventuel à agir dans le cadre des faits dont il était saisi et s'était prononcé par des motifs de pure abstraction, la Cour a violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction qui avait déclaré Alain C... irrecevable à se constituer partie civile " faute de justifier d'un intérêt à agir ", sa seule qualité d'actionnaire de la société mère étant insuffisante dans une poursuite pour abus de biens sociaux commis au préjudice d'une filiale, la chambre d'accusation relève qu'il appartenait au magistrat instructeur de rechercher si l'intéressé pouvait justifier d'un intérêt éventuel à agir et énonce qu'il ne pouvait écarter la constitution de partie civile " par des motifs de pure abstraction " ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, les juges ont justifié leur décision ; qu'en effet, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et sa relation directe avec les infractions poursuivies ; que tel était le cas en l'espèce ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
IV. Sur le pourvoi d'Alain C..., partie civile :
Vu le mémoire personnel produit et repris par l'avocat en la Cour ;
Sur les premier, deuxième et troisième moyens de cassation, pris de la violation de l'article 174 du Code de procédure pénale :
Les moyens étant réunis ;
Attendu que la partie civile a fait valoir que, ayant été saisie de la procédure en vertu de l'ancien article 171 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation était tenue d'appliquer les dispositions de ce texte régissant la matière des nullités et devait donc limiter son examen aux seuls actes visés par l'ordonnance du juge d'instruction du 30 septembre 1992, aucun autre moyen de nullité ne pouvant lui être présenté par voie de mémoire ;
Attendu que, pour écarter cette prétention, les juges énoncent que, " les lois de procédure étant d'application immédiate, s'il est vrai que la chambre d'accusation saisie conformément aux dispositions de l'article 171 ancien du Code de procédure pénale, alors en vigueur, ne pouvait statuer que sur la validité des actes qui lui étaient déférés et de ceux qui en étaient la conséquence, elle doit, depuis le 1er mars 1993, observer les règles fixées par les articles 173 et 174 du Code de procédure pénale et statuer sur tous les moyens de nullité qui lui sont proposés par les parties, sans préjudice du droit qu'elle tient de les relever d'office " ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre d'accusation a fait l'exacte application de la loi ; que, par ailleurs, elle n'avait pas à soumettre aux parties, pour observations, les moyens de nullité qu'elle relève d'office en application de l'article 174, alinéa 1er, du Code de procédure pénale ;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris d'un défaut de réponse aux chefs de ses mémoires faisant valoir que " les mémoires déposés par les avocats de François J... et Léon X... " n'étaient pas signés et devaient donc être écartés des débats :
Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces de la procédure que les mémoires visés au moyen ont été signés par leurs auteurs ;
Que, dès lors, le moyen est inopérant ;
V. Sur le pourvoi du procureur général :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 80, 591 et 593 du Code de procédure pénale en ce que l'arrêt attaqué ;
" a) a constaté que le juge d'instruction n'était pas saisi d'abus de biens sociaux commis au profit de la " Compagnie Fermière des Services Publics ", de bureaux d'études ainsi que d'associations, lorsqu'il a rendu ses ordonnances de disjonction des 22 juin et 4 décembre 1992 et a, en conséquence, ordonné la cancellation desdites ordonnances ;
" b) a constaté que le juge d'instruction n'avait été saisi d'aucun fait d'abus de biens sociaux susceptible d'avoir été commis au préjudice de la société CBC, notamment par Roger-Patrice H..., et a, en conséquence, annulé un certain nombre d'actes d'information " ;
Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 80 du Code de procédure pénale en ce que l'arrêt attaqué :
" a) en ce qui concerne la société Bateg, a décidé que Gilbert Y... ne pouvait être mis en examen pour complicité d'abus de biens sociaux commis au profit de Roger-Patrice H... ;
" b) en ce qui concerne la société Jaf, a estimé que le juge d'instruction n'avait pas été saisi des faits commis au préjudice de cette société " ;
Les moyens étant réunis ;
Sur la première branche du premier moyen :
Attendu que, dans une note du 5 juin 1992, les experts qui avaient été désignés par le juge d'instruction ont signalé à ce magistrat des faits susceptibles de constituer des abus de biens sociaux commis " au profit de la société Berry-Publicité " ; que, se référant à cette note, le magistrat instructeur a communiqué le dossier au procureur de la République, lequel l'a saisi, le 22 juin 1992, de réquisitions supplétives tendant à informer du chef d'abus de biens sociaux " dans les conditions de la note des experts " ; que, cependant, le même jour, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de disjonction concernant d'autres abus de biens sociaux ;
Que, par ailleurs, ayant eu connaissance, par la presse, des résultats financiers de la société " Compagnie Fermière des Services Publics ", le juge d'instruction a procédé à divers actes d'information sur cette société et, le 4 décembre 1992, a rendu une ordonnance de disjonction concernant ces faits ;
Attendu que la chambre d'accusation, après avoir constaté que, lorsqu'il a rendu les 2 ordonnances de disjonction, le juge d'instruction n'était saisi que des faits commis au profit de la société Berry-Publicité, ordonne la suppression, sur ces ordonnances, des mentions relatives aux autres faits ;
Sur la seconde branche du même moyen :
Attendu que Gilbert Y..., président de la société CBC, a, lors d'une audition, évoqué le rôle joué par l'un de ses amis, Roger-Patrice H..., dans l'obtention, par cette société, d'un marché de construction en Corée et que le juge d'instruction a procédé à de nombreux actes d'information, tant sur cette opération que sur les relations financières ayant pu exister entre CBC et Roger-Patrice H... ;
Que la chambre d'accusation annule l'ensemble de ces actes d'information, au motif qu'ils portaient également sur des faits excédant la saisine du magistrat instructeur ;
Sur les 2 branches du troisième moyen :
Attendu que, le 26 février 1993, le procureur de la République a saisi le juge d'instruction de réquisitions supplétives tendant à ce qu'il soit informé, sous la qualification d'abus de biens sociaux, sur certains faits relatifs à des travaux effectués par la société Bateg, mais uniquement en raison de leur indivisibilité avec ceux pour lesquels Gilbert Y... avait été inculpé ; qu'en revanche, il a dit n'y avoir lieu à supplétif en ce qui concerne les travaux effectués pour Roger-Patrice H..., ces faits n'étant pas connexes aux faits poursuivis ;
Attendu que, Gilbert Y... ayant néanmoins été mis en examen du chef de complicité d'abus de biens sociaux " au profit de Roger-Patrice H... ", la chambre d'accusation ordonne la cancellation, sur le procès-verbal de première comparution de l'intéressé, de la mention relative à ce chef d'inculpation ;
Qu'en outre, elle annule le procès-verbal de la mise en examen de José B..., dirigeant de l'entreprise Jaf, pour des abus de biens sociaux qui auraient été commis à l'occasion de travaux effectués par cette entreprise, mais exclus des réquisitions supplétives du 26 février 1993 ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, d'où il ressort que la chambre d'accusation a souverainement apprécié, quant aux faits, l'étendue de la saisine du juge d'instruction résultant des réquisitions aux fins d'informer et des pièces qui leur étaient annexées, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure ;
Que, dès lors, les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 31, 40, 80, alinéa 2, et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que la chambre d'accusation a annulé l'ensemble des actes accomplis par le juge d'instruction concernant des abus de biens sociaux qui auraient été commis en faveur de la commune de Romorantin, au motif que, du 13 février au 16 mars 1993, il avait " instruit " sur ces faits sans en avoir été saisi, ce qui entraînait la nullité des réquisitoires supplétifs des 17 mars et 8 avril 1993, se fondant sur des actes nuls, ainsi que celle des actes subséquents ;
" alors qu'en vérifiant les conditions dans lesquelles la société Heulin avait obtenu des marchés de la ville de Romorantin, le juge d'instruction avait respecté sa saisine " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'ayant eu connaissance d'autres faits qualifiés d'abus de biens sociaux, pouvant avoir été commis par les dirigeants de la société Heulin, antenne de Bourges, pour financer le bulletin municipal de la commune de Romorantin, le juge d'instruction a, le 13 février 1993, adressé aux sections des recherches de Paris et Angers une commission rogatoire faisant état de ce qu'il était " nécessaire de s'interroger sur les conditions de financement des chantiers réalisés par l'entreprise Heulin et tout particulièrement sur ceux traités par l'antenne de Bourges (chantiers Christian A..., marchés conclus avec la mairie de Romorantin) " ; que cette commission rogatoire avait pour objet de " procéder à une enquête complète, à l'audition de tous témoins, à toutes constatations, perquisitions régulières partout où besoin sera ainsi qu'à toutes saisies qui paraîtront nécessaires à la manifestation de la vérité en vue d'identifier les auteurs ou complices " et précisait les règles à respecter en cas de mise en garde à vue ; qu'ensuite, le 26 février, le magistrat instructeur a délivré commission rogatoire aux fins d'obtenir les relevés des comptes bancaires du maire de Romorantin ; que, le 10 mars 1993, il a prescrit la mise sous écoutes téléphoniques du directeur de l'agence Heulin de Bourges, François J... ; que, le 11 mars, il s'est transporté à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, à Orléans ;
Attendu que, les officiers de police judiciaire chargés de l'exécution des commissions rogatoires ayant, les 15 et 16 mars 1993, procédé à l'audition de François J... et en ayant informé le juge d'instruction, celui-ci a, le 16 mars 1993, décerné un mandat d'amener à l'égard de l'intéressé ; qu'enfin, le 17 mars 1993, il a communiqué la procédure en vue de réquisitions supplétives concernant ces nouveaux faits ; que, le même jour, le procureur de la République l'a requis d'informer sur ces faits sous la qualification d'" abus de biens sociaux " puis, le 8 avril 1993, sous celle de " recel d'abus de biens sociaux " ;
Attendu qu'il ne peut être reproché à la chambre d'accusation d'avoir annulé l'ensemble des actes ainsi effectués, au motif que le magistrat avait " instruit " sur ces faits nouveaux sans en avoir été saisi, et d'avoir énoncé que ces actes d'instruction, méconnaissant les dispositions de l'article 80 du Code de procédure pénale, n'avaient pu servir de base aux réquisitoires supplétifs des 17 mars et 8 avril 1993, lesquels étaient eux-mêmes, par voie de conséquence, entachés de nullité ;
Qu'en effet, les pouvoirs accordés au juge d'instruction par l'article 81, premier alinéa, du Code de procédure pénale et qui lui permettent de procéder, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité, sont limités aux seuls faits dont il est régulièrement saisi en application des articles 80 et 86 de ce Code ; que, lorsque ce magistrat acquiert la connaissance de faits nouveaux, si l'article 80 ne lui interdit pas, avant toute communication au procureur de la République, d'en consigner la substance dans un procès-verbal et, le cas échéant, d'effectuer d'urgence des vérifications sommaires pour en apprécier la vraisemblance, il ne peut, sans excéder ses pouvoirs, procéder à des actes qui, présentant comme en l'espèce un caractère coercitif, exigent la mise en mouvement préalable de l'action publique ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme,
REJETTE les pourvois.