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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 mars 2023, n° 21/01323

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

HEC Alumni (Association )

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Brun-Lallemand

Avocats :

Me de Maria, Me de Roux, Me Ingold, Me Esclarmonde

T. com. Paris, du 7 déc. 2020, n° 201906…

7 décembre 2020

L'association des diplômes HEC, dite HEC Alumni, distribue le magazine «  Hommes et Commerces », devenu « HEC Stories » en 2019.

M. [E], qui exerce la profession de concepteur graphique, a réalisé la maquette du magazine HEC de 2005 à 2018 inclus. A compter de 2013, il a aussi réalisé les newsletter adressées par HEC Alumni.

Les relations commerciales entre les parties ont pris fin en janvier 2019.

Le 28 novembre 2019, M. [E] a fait assigner HEC Alumni devant le tribunal de commerce de Paris afin de l'entendre condamner au paiement de la somme de 52 634 €, à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par jugement du 7 juin 2012, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- dit qu'en accordant un préavis de 4 mois et demi, l'association HEC Alumni avait rompu brutalement sa relation commerciale établie avec M. [E],

- condamné l'association HEC Alumni à payer à M. [E] la somme de 13 518 €

- débouté M. [E] de sa demande au titre du préjudice moral,

- condamné l'association HEC Alumni aux dépens et à payer la somme de 4 800 € à M. [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'association HEC Alumni a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 18 janvier 2021.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 5 décembre 2022, l'association HEC Alumni demande à la cour, au visa de l'article L 442-1 du code de commerce, de :

1) à titre principal :

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu qu'elle avait accordé un préavis de 4,5 mois à M. [E],

- l'infirmer en ce qu'il a considéré ce préavis comme insuffisant,

- en conséquence, constater l'absence de rupture brutale des relations commerciales établies au sens de l'article L 442-6 du code de commerce, le préavis octroyé étant suffisant,

- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes fondées sur l'article L 442-1 du code de commerce,

2) à titre subsidiaire :

- constater l'absence de dépendance économique de M. [E] vis à vis de HEC Alumni et les autres éléments entourant la relation commerciale de nature à minimiser la durée du préavis accordé par HEC Alumni à M. [E],

- constater que le calcul du montant de l'indemnisation octroyée à M. [E] n'est pas justifié,

- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné HEC Alumni au paiement de la somme de 13 158 € et limiter le montant de l'indemnisation de M. [E] à la somme de 2 880,29 €,

3) en tout état de cause :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande pour préjudice moral,

-constater le caractère exhorbitant et disproportionné des demandes initiales de M. [E], la démarche opportuniste de ce dernier et la qualité d'association reconnue d'utilité publique de HEC Alumni,

- en conséquence, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné HEC Alumni au paiement de la somme de 4 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [E] aux entiers dépens et à payer la somme de 2.000 € à HEC Alumni.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 18 juillet 2021, M. [E] demande à la cour, au visa de l'article L.442-1 du code de commerce, de :

- débouter l'association HEC Alumni de son appel et de l'ensemble de ses demandes, l'y disant mal fondée,

- confirmer le jugement,

- y ajoutant, condamner l'association HEC Alumni à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en appel,

- condamner l'association HEC Alumni aux entiers dépens de l'instance.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur les circonstances de la rupture des relations commerciales

Il n'est pas contesté que les parties entretenaient des relations commerciales établies depuis 2005 lorsque, par lettre du 12 septembre 2018, l'association HEC Alumni a écrit à M. [E] :

« Comme nous l'avons évoqué par téléphone, notre magazine Hommes et Commerce va prochainement connaître un changement de formule. Dans ce contexte, nous avons pris la décision de réaliser un appel d'offres concernant l'exécution de la nouvelle maquette d'ici la fin de 2018.

Vous serez invité à participer à cette consultation, mais au regard du mécanisme d'appel d'offres et de l'absence de garantie que votre candidature soit retenue, nous souhaitions vous prévenir d'ores et déjà afin que vous puissiez prendre vos dispositions d'ici janvier 2019, date à laquelle une décision vous sera communiquée sur l'issue de l'appel d'offres. »

M. [E], par courriel du 18 novembre 2018, a indiqué au représentant de l'association HEC Alumni :

'J'ai bien noté le souhait de l'association de travailler pour la création de la nouvelle revue HEC avec un studio parisien pour des questions de proximité.

Je voulais te dire que je suis bien entendu partant pour faire la mise en page du support (si j'ai bien compris, après le 1er numéro de la nouvelle formule de la revue HEC) : j'aime bien travailler avec vous et ce depuis de nombreuses années.'

Par la suite, dans une lettre recommandée du 8 mai 2019 avec avis de réception, M. [E] s'est plaint auprès de l'association HEC Alumni de n'avoir pas été invité à participer à l'appel d'offres annoncé le 12 septembre 2018, considérant cette absence de consultation comme une rupture abusive et brutale de leurs relations et lui demandant une proposition d'indemnisation de son préjudice.

Le 11 juin 2019, M. [E], par la voix de son conseil, a réitéré ses reproches et sa demande d'indemnisation. L'association HEC Alumni lui a répondu le 24 juin 2018 pour s'opposer à ses prétentions.

Exposé du moyen :

Au soutien de son appel, l'association HEC Alumni fait valoir :

- que par sa lettre du 12 septembre 2018, elle a prévenu M.[E] de la fin de leurs relations à intervenir fin janvier 2019 et lui a donné un préavis de 4 mois et demi,

- que le courriel de M. [E] du 18 novembre 2018 montre qu'il avait bien intégré l'arrêt de la relation,

- que l'accord des Usages professionnels de la Fédération de l'imprimerie et de la communication graphique de janvier 1998 est applicable au métier de concepteur graphique exercé par M. [E] et doit être pris en compte pour apprécier le caractère suffisant du préavis accordé,

- que cet accord professionnel prévoit en son article 203 : « Le chiffre d'affaires annuel de l'ensemble des travaux de l'imprimeur, facturé pour la période en cause, sert de base à la détermination de la durée du préavis, pour tous les industriels graphiques concernés. »,

- que selon le tableau figurant dans cet accord professionnel et devant servir de référence, à partir du montant du chiffre d'affaires annuel moyen réalisé par M. [E] sur les 5 dernières années de leur collaboration, un préavis de 9 semaines est prévu,

- que la durée de ce préavis, comme minimale, doit être prise en considération pour apprécier le caractère suffisant du préavis accordé à M. [E],

- que le préavis de 20 semaines qui lui a été accordé est d'une durée suffisante.

L'appelante ajoute, à titre subsidiaire, que le préavis de 9 mois retenu par le tribunal est excessif alors que M. [E] ne se trouvait pas en état de dépendance vis à vis de l'association HEC Alumni, qu'il dispose d'une clientèle diversifiée dans des domaines excédant ceux de l'enseignement supérieur et qu'il n'a procédé à aucun investissement particulier pour répondre aux demandes de l'association.

M. [E] réplique que le tribunal a justement décidé qu'un préavis de 9 mois aurait dû lui être octroyé compte tenu :

- du fait qu'il existait des relations commerciales établies depuis 14 ans,

- de son état de dépendance économique alors qu'il travaillait seul, que son chiffre d'affaires réalisé avec l'association HEC Alumni représentait en moyenne 48,15 % de son chiffre d'affaires global sur les 5 dernières années et qu'il ne pouvait retrouver sur le marché un partenaire de la notoriété de l'association dans le cercle restreint des grandes écoles,

- du fait qu'entre un appel d'offres, les réponses qui y sont apportées, la réalisation des travaux et le paiement du prestataire, il s'écoule environ une année.

S'agissant de l'accord professionnel invoqué, M. [E] soutient :

- d'une part, que l'existence d'usages professionnels ne dispense pas la juridiction saisie d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par ces usages, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, dont l'état de dépendance économique,

- d'autre part, que les Usages et Conditions générales de vente de l'imprimerie et de la communication graphique lui sont inapplicables, l'article 203 de cet accord visant le chiffre d'affaires des travaux de l'imprimeur servant de base à la détermination du délai de préavis pour tous les industriels graphiques et l'article 204, relatif à un défaut de préavis, visant l'éditeur qui retire un périodique à un industriel graphique ou l'industriel graphique qui cesse d'exécuter le travail d'un éditeur périodique, lui-même n'étant pas industriel graphique, ni imprimeur, ni éditeur.

Réponse de la Cour :

Il convient de rechercher si, au regard des dispositions de l'article L 442-6-1 5° (ancien) du code de commerce, applicable en la cause, la rupture de la relation commerciale établie présente un caractère brutal pour insuffisance du préavis de 4 mois et demi accordé par l'association HEC Alumni.

Les Usages professionnels et Conditions de vente de la Fédération de l'imprimerie et de la communication graphique énoncent en préambule qu'ils régissent toutes les ventes et prestations effectuées par les entreprises appartenant aux industries graphiques, sauf dérogation résultant d'accords particuliers contraires. Les industries graphiques regroupent tous les métiers liés au monde des arts graphiques et de l'imprimerie et tous les métiers qui peuvent intervenir dans la chaîne graphique, tels notamment que graphiste, exécutant, maquettiste ; ils sont applicables à M. [E], concepteur graphique, peu important qu'il exerce son activité individuellement et non en société.

Cependant, la durée minimale de préavis prévue dans cet accord professionnel ne dispense pas la cour de rechercher si le préavis de 4 mois et demi octroyé par l'association HEC Alumni était suffisant.

C'est en vain que M. [E] invoque un état de dépendance économique vis à vis de l'association HEC Alumni. En effet s'il réalisait en moyenne 48,15% de son chiffre d'affaires global avec cette association, il gardait la possibilité de substituer à celle-ci d'autres donneurs d'ordre, que ce soit des grandes écoles ou d'autres, lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables.

Il demeure que M. [E], qui entretenait des relations commerciales établies depuis 14 ans avec l'association HEC Alumni et réalisait avec celle-ci environ 48 % de son chiffre d'affaires total devait bénéficier d'un préavis d'une durée suffisante pour lui permettre de réorganiser son activité et trouver d'autres partenaires commerciaux.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le tribunal a justement retenu qu'un préavis de 9 mois aurait dû lui être accordé.

L'insuffisance de préavis qui s'élève ainsi à 4 mois et demi engage la responsabilité de l'association HEC Alumni pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Sur l'indemnisation due pour rupture brutale de la relation commerciale établie

Le tribunal a fixé à 13.158 € le montant de cette indemnisation, en retenant un taux de marge brute de 90 % s'agissant d'une prestation intellectuelle, soit une moyenne mensuelle de 2 929 €.

Exposé du moyen :

Pour critiquer sa décision, l'association HEC Alumni prétend d'abord qu'il faut respecter la méthode prescrite par l'article 204 de l'accord professionnel, à savoir une indemnité égale à 8 % du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé entre l'industriel graphique et l'éditeur pendant la période qui aurait dû être celle du préavis, soit 273,22 € par mois de préavis. Elle soutient ensuite que la moyenne annuelle de la marge brute calculée sur les 5 derniers exercices s'élève à 23.042,35 €, que le préavis ne pourrait excéder 6 mois et que M. [E] ayant déjà bénéficié d'un préavis de 4 mois et demi, son indemnisation devrait être de 2 880,29 € pour un mois et demi de préavis manquant.

Réponse de la Cour :

Le préjudice indemnisable se calcule sur la base de la perte de marge sur coûts variables.

La Cour observe que les calculs que les parties développent dans leurs écritures respectives ne font cependant référence qu'à la seule marge brute.

Il ressort des conclusions de M. [E] et des pièces qu'il a versées aux débats (attestation de son expert-comptable et compte de résultat fiscal 2018), que le taux de marge moyen est de 90 % une fois déduites les charges de fonctionnement liées à l'activité de service effectuée (petit outillage, frais de véhicule, fournitures de bureau etc) au prorata du pourcentage de chiffre d'affaires réalisé avec l'association HEC Alumni. Il en résulte une perte de marge annuelle de 35 154 € en moyenne sur les 5 derniers exercices, soit 2 929 € par mois.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'association HEC Alumni au paiement de la somme de 13 158 € (2.929 € x 4,5).

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

L'association HEC Alumni, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la demande de l'association HEC Alumni à ce titre sera rejetée et il sera alloué à M. [E] la somme de 2 000 € s'ajoutant à celle de 4 800 € accordée en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant, condamne l'association HEC Alumni à payer la somme de 2 000 € à M. [E] par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne l'association HEC Alumni aux dépens de première instance et d'appel.