CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 1 mars 2023, n° 21/04180
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
DNUD (SARL)
Défendeur :
MC Company S.A.M. (Sté), Sam Digital Distribution Company (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Douillet
Conseillers :
Mme Barutel, Mme Bohée
Avocats :
Me Grappotte-Benetreau, Me Jacoby, Me Levy, Me Levy, Me Weil
EXPOSE DU LITIGE
La société DNUD a été créée en 2002 par M. [M] [R] et se présente comme un des leaders dans la création de maillots de bain de sport et de loisirs.
M. [R] se présente comme styliste, fondateur et gérant de la société DNUD, et expose avoir créé, en 2008, un maillot de bain une pièce pour la collection de l'été 2009, initialement dénommé "Obby Fizz" puis "Hobby", présentant trois à cinq bandes (ou biais) surpiquées et deux lignes de couture, un décolleté en 'V' et des bretelles droites, et ayant été conçu dans l'esprit d'une gaine. Il indique que ce modèle est décliné chaque année, depuis 2009, notamment dans des versions col rond et maillot de bain deux pièces, et qu'il constitue le modèle emblématique de la marque "DNUD".
La société DNUD dit avoir découvert la présence, au sein du salon UNIQUE BY MODE CITY qui s'est tenu à [Localité 8] en juillet 2018, d'un maillot de bain de la marque "LIVIA MONTECARLO" reprenant, selon elle, les caractéristiques du maillot "Hobby".
Elle a alors mis en demeure, le 19 juillet 2018, la société de droit monégasque MC COMPANY, titulaire de la marque de prêt-à-porter "LIVIA", de cesser toute fabrication, importation, offre à la vente et commercialisation du maillot de bain litigieux et de lui communiquer les quantités des maillots litigieux fabriqués, importés et/ou distribués par elle, ainsi que le chiffre d'affaires afférent aux ventes réalisées.
La société MC COMPANY, qui a été fondée en 1984, se présente comme un des principaux acteurs du secteur balnéaire et exploite les marques "BANANA MOON" et "LIVIA", a sollicité en réponse que lui soient fournis les justificatifs des droits d'auteur et de la commercialisation des modèles invoqués.
Après une tentative de rencontre amiable, la société DNUD a fait constater, par procès-verbaux d'huissier des 18 mars et 7 mai 2019, la présence et l'offre à la vente, sur les sites Internet www.livia.com et www.amazon.fr, du maillot de bain litigieux dénommé "Cidalia-Lavandou".
La société DNUD a également fait procéder à l'achat, selon procès-verbaux de constat des 25 mars et 7 mai 2019, sur le site Internet www.livia.com, d'un maillot de bain "Cidalia-Lavandou" et d'un bas de maillot de bain intitulé "Chely Lavandou", ce dernier reprenant, selon elle, les caractéristiques du bas de maillot deux pièces "Hobby". Elle a également fait procéder à l'achat, le 7 mai 2019, d'un exemplaire du maillot de bain "Cidalia-Lavandou" sur le site Internet www.laredoute.fr.
La société LA REDOUTE (qui n'est plus partie au litige en cause d'appel) est spécialisée dans la vente par correspondance et à distance, principalement sur son site Internet www.laredoute.fr. Elle s'est présentée en première instance comme le premier site français de e-commerce en mode et maison. Depuis 2010, en complément de la vente de produits de ses collections, la société LA REDOUTE met à disposition de vendeurs professionnels une plateforme technique – "place de marché" ou "marketplace" - sur laquelle ces derniers peuvent présenter à la vente et commercialiser des produits à des consommateurs.
La société DNUD a mis la société LA REDOUTE en demeure, le 27 juin 2019, de cesser la commercialisation du maillot "Cidalia-Lavandou" et de lui communiquer des éléments comptables, ainsi que le contrat passé avec la société MC COMPANY pour l'annonce et la publicité dudit modèle.
Par courrier du 3 juillet 2019, la société LA REDOUTE a répondu n'avoir agi qu'en qualité de prestataire et que le produit était commercialisé par un de ses vendeurs marketplace, la société SAM DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY, dont elle a communiqué les coordonnées. Elle a précisé qu'elle avait informé cette dernière de la réclamation et que le produit n'était plus proposé à la vente sur son site www.laredoute.fr.
Par actes des 2 juillet et 7 août 2019, la société DNUD et M. [R] ont fait assigner les sociétés MC COMPANY et LA REDOUTE devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale.
La société de droit monégasque SAM DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY (ci-après, la société SAM DIGITAL DISTRIBUTION) est intervenue volontairement à l'instance, en qualité d'éditeur du site Internet www.livia.com sur lequel sont commercialisés les produits litigieux.
Dans son jugement rendu le 15 janvier 2021, le tribunal - devenu tribunal judiciaire de Paris a :
- dit que la société LA REDOUTE a la qualité d'hébergeur et bénéficie du régime d'exonération de responsabilité civile issu de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique,
- ordonné, en conséquence, la mise hors de cause de la société LA REDOUTE,
- dit la demande en garantie de la société LA REDOUTE sans objet,
- rejeté la demande de mise hors de cause de la société MC COMPANY,
- déclaré M. [R] irrecevable à agir au titre du droit d'auteur,
- déclaré la société DNUD recevable en son action en contrefaçon de droit d'auteur,
- débouté la société DNUD de son action en contrefaçon de droit d'auteur et de l'ensemble des demandes réparatoires et indemnitaires afférentes,
- dit que les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY ont commis des actes de parasitisme au préjudice de la société DNUD,
- condamné in solidum les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY à payer à la société DNUD la somme globale de 50 000 euros en réparation de son préjudice au titre du parasitisme,
- débouté la société DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY de sa demande reconventionnelle en concurrence déloyale,
- rejeté la demande reconventionnelle de la société LA REDOUTE pour procédure abusive,
- condamné in solidum les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY à payer à M. [R] et à la société DNUD la somme globale de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum M. [R] et la société DNUD à payer à la société LA REDOUTE la somme globale de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY aux dépens, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire.
La société DNUD et M. [R] ont interjeté appel de ce jugement le 3 mars 2021, n'intimant que les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY.
Dans leurs dernières conclusions, numérotées 2, transmises le 25 octobre 2022, la société DNUD et M. [R] demandent à la cour :
Vu les dispositions des Livres I et III du code de la propriété intellectuelle,
Vu les dispositions des articles L. 111-1, L. 122-4 et L. 331-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,
Vu les dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil,
- de débouter les Sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY de leur appel incident comme étant irrecevable et mal fondé, ainsi que toutes leurs demandes,
- d'infirmer le jugement et statuant à nouveau,
- d'accueillir l'action de M. [R] au titre de son droit moral de créateur,
- de juger que les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY se sont rendues coupables de contrefaçon de droit d'auteur au préjudice de M. [R] et de la société DNUD et en conséquence, de les condamner in solidum à payer :
- 50 000 € à M. [R] en réparation de l'atteinte à son droit moral,
- 300 000 € à la société DNUD en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon, en violation de ses droits patrimoniaux,
- 150 000 euros à la société DNUD en réparation de son préjudice moral.
- de réformer le jugement en ce qu'il n'a accueilli la demande qu'au titre du parasitisme,
- de l'infirmer quant au quantum de la condamnation,
- et statuant à nouveau et y ajoutant,
- de juger que les sociétés de droit monégasque MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme en important, en offrant à la vente et en commercialisant des produits reproduisant les caractéristiques originales du modèle HOBBY de la société DNUD, en ayant créé un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, tirant ainsi profit, sans bourse délier, d'une valeur économique leur ayant procuré un avantage concurrentiel injustifié leur permettant une commercialisation à vil prix, et en conséquence les condamner in solidum à payer à la société DNUD les sommes de :
- 200 000 € en réparation du risque de confusion et de l'avilissement du modèle "Hobby", actes de concurrence déloyale, détachables de la contrefaçon,
- 200 000€ en réparation de l'atteinte aux investissements de la société DNUD, au titre du parasitisme économique,
- 100 000 € en réparation de l'atteinte à l'image de marque de DNUD, au titre de son préjudice moral,
- de juger que tous les articles et objets de la contrefaçon et de la concurrence déloyale devront être retirés du commerce sous astreinte liquide et exigible de 5 000 € par infraction constatée commençant à courir à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- d'enjoindre les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY de justifier à la société DNUD de la destruction effective devant huissier de justice des stocks restant des modèles contrefaisants sous astreinte liquide et exigible de 5 000 € par jour de retard commençant à courir à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- d'ordonner la publication, aux frais avancés par MC COMPANY, des termes du dispositif de l'arrêt à intervenir dans un journal à tirage national et deux journaux professionnels du textile et de la distribution, au choix de la société DNUD, sans que le prix unitaire de chacune de ces insertions ne puisse être inférieur à la somme de 5 000 € HT
- de condamner in solidum les intimées à verser à la société DNUD la somme de 30 000 euros en indemnisation des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- de les condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions, numérotées 3, transmises le 28 novembre 2022, les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY demandent à la cour :
Vu les dispositions des Livres I et III du code de la propriété intellectuelle,
Vu notamment les dispositions des articles L. 111-1, L. 122.4 et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 954 et 910-4 du code de procédure civile
Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
- de déclarer la société DNUD et M. [R] mal fondés en leur appel et de les en débouter purement et simplement,
- ce faisant,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a :
- déclaré M. [R] irrecevable à agir au titre du droit d'auteur,
- débouté la société DNUD de son action en contrefaçon de droit d'auteur et de l'ensemble des demandes réparatoires et indemnitaires afférentes,
- recevant les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION en leur appel incident, et y faisant doit,
- d'infirmer la décision entreprise.
- statuant à nouveau,
- de déclarer la société DNUD irrecevable en son action en contrefaçon de droit d'auteur,
- de débouter la société DNUD de ses actions en concurrence déloyale et parasitisme et en conséquence ordonner la restitution de la somme de 50 000 euros réglée en première instance par la société MC COMPANY augmentée des intérêts au taux légal de 0,76% applicable en 2022 de professionnels à professionnels,
- de dire que la société DNUD et M. [R] ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société DIGITAL DISTRIBUTION tendant à la déstabiliser,
- de condamner in solidum la société DNUD et M. [R] à verser à la société DIGITAL DISTRIBUTION la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice au titre des actes de concurrence déloyale établies et tendant à la déstabilisation de sa clientèle,
- de condamner in solidum la société DNUD et M. [R] à verser aux sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION la somme de 25 000 euros à chacune des intimées, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner in solidum la société DNUD et M. [R] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Eric ALLERIT, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2022.
Par conclusions transmises le 2 décembre 2023, les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY ont sollicité le rejet des débats des pièces n° 33, n° 96 et n° 97 des appelants.
Par conclusions transmises le 2 décembre 2023, la société DNUD et M. [R] ont conclu au rejet de l'incident de procédure.
Par ordonnance prise à l'audience du 3 janvier 2023, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture afin d'accueillir les dernières conclusions des parties et a prononcé la clôture à la date du 3 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION,
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur l'incident de procédure tendant au rejet de pièces.
Les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY sollicitent, au visa de articles 15 et 16 alinéa 2 du code de procédure civile, le rejet des débats : d'une part, de la pièce n° 33 des appelants intitulée « Note sur le chiffre d'affaires de famille de produit HOBBY 2009 à 2022 du 19 janvier 2022 de DSA Experts » au motif qu'elle a été communiquée tardivement, le 12 décembre 2022, veille de la clôture, d'autre part, des pièces n° 96 et n° 97 au motif qu'elles ne sont pas visées au bordereau de communication de pièces annexé aux dernières conclusions des appelants signifiées le 25 octobre 2022, en contradiction avec les dispositions de l'article 954 alinéa 1 du code de procédure civile qui prévoient qu'un bordereau récapitulatif des pièces est annexé aux conclusions.
La société DNUD et M. [R] répondent que ces trois pièces ont été communiquées de manière parfaitement régulière ; que la pièce 33 correspond à une pièce communiquée en première instance, de nouveau communiquée en appel en 2021 mais depuis lors remplacée par sa mise à jour dûment communiquée selon bordereau de communication de pièces daté du 28 novembre 2022 et annexé à leurs conclusions du 25 octobre 2022 ; que les pièces 96 et 97 ont pareillement été transmises selon ce même bordereau ; que ces trois pièces ne sont donc que des mises à jour du préjudice subi, calculé par l'expert-comptable de la société DNUD, déjà connues dans leur principe par les intimées depuis la première instance et réactualisées, compte tenu de l'aggravation du préjudice.
Ceci étant exposé, la cour observe que la pièce n° 33 des appelants intitulée « Note sur le chiffre d'affaires de famille de produit HOBBY 2009 à 2022 du 19 janvier 2022 de DSA Experts », attestation émanant de M. [K], expert-comptable, datée du 19 janvier 2022, est mentionnée dans la liste des pièces annexée aux deuxièmes conclusions des appelants transmises le 27 janvier 2022 et figure sur tous les bordereaux de pièces communiqués par les appelants depuis le 18 février 2022. Ce constat n'est pas en contradiction avec le courrier du conseil des appelants du 12 décembre 2022 appelant l'attention de la conseillère de la mise en état sur le fait que les intimées évoquent dans leurs conclusions une pièce adverse n° 33 intitulée "DnuD c/ HAUTE PRESSION" datée du 17 juin 2019, laquelle relèverait, selon lui, d'un autre dossier, et demande en conséquence que seule la pièce n° 33 réellement communiquée par ses soins, et transmise à nouveau en pièce jointe à son courrier, apparaisse dans les débats. Aucune violation du contradictoire au préjudice des intimées n'est donc caractérisée, la pièce concernée étant, de plus, une actualisation d'une précédente pièce 33 communiquée en première instance.
La cour constate par ailleurs que les pièces n° 96 et n° 97 des appelants ont été communiquées selon bordereau de communication de pièces daté du 28 novembre 2022 faisant suite à des conclusions des appelants transmises le 25 octobre 2022 ; qu'à la suite de la transmission de ce bordereau, le conseil des appelantes, par courrier du 28 novembre 2022, a sollicité auprès de la conseillère de la mise en état un report de l'ordonnance de clôture prévue le 29 novembre afin de permettre à son adversaire de prendre connaissance de ces nouvelles pièces, demande de report confirmée le même jour par le conseil des intimées et réitérée par le conseil des appelants le 29 novembre, son adversaire lui ayant indiqué qu'il souhaitait prendre de nouvelles écritures. Aucune violation du contradictoire au préjudice des intimées n'est donc là encore caractérisée.
L'incident de rejet de pièces introduit par les appelants sera en conséquence rejeté.
Sur les chefs du jugement non critiqués.
La cour constate que le jugement est définitif à l'égard de la société LA REDOUTE, mise hors de cause par le jugement déféré, qui n'a pas été intimée par les appelants ni mise en cause par les intimées et qui n'est plus dans la cause devant la cour. Le jugement est donc définitif en ce qu'il a :
- rejeté la demande reconventionnelle de la société LA REDOUTE pour procédure abusive,
- dit que la société LA REDOUTE a la qualité d'hébergeur et bénéficie du régime d'exonération de responsabilité civile issu de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique,
- ordonné, en conséquence, la mise hors de cause de la société LA REDOUTE,
- dit la demande en garantie de la société LA REDOUTE sans objet,
- rejeté la demande reconventionnelle de la société LA REDOUTE pour procédure abusive,
- condamné in solidum M. [R] et la société DNUD à payer à la société LA REDOUTE la somme globale de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ailleurs, le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société MC COMPANY et est également irrévocable de ce chef.
Sur les demandes de M. [R] et de la société DNUD en contrefaçon de droits d'auteur.
Sur la recevabilité des demandes.
Sur la qualité à agir de M. [R].
Les appelants soutiennent que M. [R], styliste, spécialiste de maillots de bain depuis plus de 40 ans qu'il commercialise au travers de sa société DNUD dont il est le fondateur et gérant, et sous sa marque "DNUD" dont il est seul propriétaire, a la qualité de créateur du maillot revendiqué ; qu'à ce titre, il a cédé ses droits patrimoniaux sur ce maillot à la société DNUD mais a conservé son droit moral ; que si le nom de Mme [U] et sa qualité de styliste apparaissent sur la fiche technique du maillot, cette personne n'a fait qu'assurer pour le modèle de 2016 "le suivi technique à l'usine pour la production" et atteste ne pas être l'auteur du maillot, celui-ci étant l'œuvre de M. [R] qui l'a créé le 14 mars 2008.
Les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY soutiennent que M. [R] ne rapporte pas la preuve de sa qualité d'auteur en ce qu'il aurait créé seul ou à tout le moins participé à la création du maillot de bain revendiqué, de sorte qu'il ne peut en être considéré comme l'auteur, les pièces nouvelles versées en appel (attestation de Mme [U] et carnet de croquis) n'étant nullement probantes.
Ceci étant exposé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, « La qualité d'auteur appartient sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée ».
En l'espèce, le tribunal a, à juste raison, constaté que les fiches techniques du maillot de bain une pièce "Hobby" ne comportent aucun nom permettant d'identifier l'auteur du maillot ; qu'une fiche technique concernant une culotte de maillot de bain deux pièces "Hobby" mentionne, elle, le nom d'[H] [U] et sa qualité de styliste (pièce 35) ; qu'une attestation dactylographiée signée de M. [R] en qualité de "gérant et créateur de DNUD", datée du 29 janvier 2019 et intitulée "Le processus de création de DNUD", fait état de l'existence d'un bureau de style sans indiquer qu'il y participe ou qu'il en est à la tête ; qu'un document dactylographié "Descriptif de la fiche technique HOBBY", ni daté ni signé et accompagné d'une fiche technique concernant un maillot une pièce "Obby" avec la date du 14 mars 2008, détaille à la première personne du pluriel, sans mentionner le nom de M. [R], le processus de création du maillot de bain une pièce ; et que dans une interview accordée au magazine Marie-Claire en août 2019, M. [R] fait état de "nos stylistes" sans évoquer plus précisément son propre rôle de créateur.
En appel, M. [R] apporte l'attestation de Mme [U], laquelle indique qu'elle est styliste pour la marque DNUD depuis 2014, qu'elle n'est pas la créatrice du modèle "Hobby" 'puisqu'il a été créé chez DNUD par [M] [R] avant mon arrivée pour la collection de la saison 2008 et explique que « La raison pour laquelle mes coordonnées professionnelles se trouvent au bas de certaines fiches techniques est que nous avions mis en place au bureau un modèle type de fiches techniques. En effet nous indiquions nos coordonnées afin de faciliter les échanges avec nos usines et ateliers de fabrication s'ils avaient des questions concernant Ie développement et la mise au point des modèles ». Ce témoignage doit être apprécié avec circonspection compte tenu du lien de subordination dans lequel se trouve Mme [U] par rapport à la société DNUD et son gérant et il est relevé que Mme [U] fait état de la création du maillot "Hobby" par M. [R] à une date à laquelle elle n'était pas encore dans l'entreprise. Si son témoignage incline à penser qu'elle-même n'est pas la créatrice du maillot, puisqu'elle indique travailler pour la société DNUD depuis 2014 et que la fiche technique d'un maillot une pièce "Obby 480 Fizz" avec une encolure en 'V' et des biais surpiqués sous la poitrine, correspondant au maillot de bain revendiqué (pièces 2 et 3 appelants), porte la date du 14 mars 2008 (pièce 64), ce qui permet de retenir cette date comme étant celle de la création du maillot, il ne peut suffire à démontrer, compte tenu des éléments évoqués supra, que M. [R] est personnellement l'auteur du maillot. Cette preuve n'est pas plus apportée par la production en appel d'un carnet contenant des croquis qu'aucun élément ne permet d'attribuer à M. [R] (pièce 69).
Il est relevé qu'aucune pièce (article de presse, diplôme de styliste...) visée dans les conclusions des appelants ne fait état de la qualité de créateur dont M. [R] se prévaut.
En l'état de ces éléments, la cour retient que pas plus qu'en première instance M. [R] n'apporte la preuve qu'il est l'auteur du maillot revendiqué.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a déclaré M. [R] irrecevable à agir au titre du droit d'auteur.
Sur la qualité à agir de la société DNUD,
Les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY contestent la recevabilité à agir de la société DNUD, faisant valoir que celle-ci ne peut bénéficier de la présomption prétorienne de titularité puisque M. [R] excipe de sa qualité d'auteur, qu'il n'est pas prouvé que ce dernier lui a cédé ses droits, que la société DNUD n'établit pas le processus créatif du maillot de bain sur lequel elle revendique la protection du droit d'auteur, qu'il n'est pas plus justifié d'une dévolution des droits d'auteur au profit de la société DNUD dans le cadre d'une œuvre collective, que la société ne justifie du reste d'aucune exploitation en France des maillots de bain revendiqués antérieurement à 2019.
La société DNUD et M. [R] répondent que la société est cessionnaire des droits patrimoniaux sur les modèles protégés par le droit d'auteur et qu'elle bénéficie de la présomption de titularité que personne, qui aurait qualité à le faire, ne lui conteste.
Ceci étant exposé, une personne morale qui commercialise une œuvre sous son nom de façon non équivoque est présumée être titulaire des droits d'exploitation à l'égard des tiers poursuivis en contrefaçon en l'absence de revendication du ou des auteurs. Pour bénéficier de cette présomption, il lui appartient de caractériser l'œuvre sur laquelle elle revendique des droits, de justifier de la date et des modalités de la première commercialisation sous son nom et d'apporter la preuve que les caractéristiques de l'œuvre qu'elle a commencé à commercialiser à cette date sont identiques à celles qu'elle revendique.
En l'espèce, la société DNUD invoque vainement une cession de droits qui ne ressort d'aucune pièce du dossier. En revanche, M. [R], s'il se dit le créateur du maillot de bain revendiqué, ne prétend pas détenir de droits patrimoniaux d'auteur sur ce maillot. La société DNUD peut donc bénéficier de la présomption prétorienne de titularité sous les conditions qui viennent d'être rappelées.
En l'occurrence, comme le tribunal l'a relevé, elle verse aux débats :
- deux fiches techniques datées des 14 mars 2008 (pièce 64) et 24 mars 2010 (pièce 65) concernant des maillots une pièce avec encolure 'V' et des biais surpiqués sous la poitrine, respectivement désignés comme "1 P Obby 480 Fizz Saison 2009" et "1 P Triangle 638 Saison 2011", sur lesquelles est apposé en haut à gauche, le signe "DNUD [Localité 8]" ;
- plusieurs catalogues de maillots de bain (de 2009 à 2019) sur lesquels est également apposé le signe "DNUD [Localité 8]" et dont plusieurs (2009 à 2012) font apparaître le maillot revendiqué (portant les références 480, 584 (cette référence état mentionnée sur la fiche technique du maillot référencé 638 en pièce 65), 638, 704), ces catalogues étant rédigés en français et indiquant par ailleurs un show-room DNUD à [Localité 4] et un bureau de presse également situé à [Localité 9],
- un tableau des ventes des produits "Hobby" (mentionnant notamment des produits '1P' [une pièce]) de 2009 à 2022 établi par son expert-comptable,
- des tableaux de mesures en vue de la fabrication de maillots de bain "Hobby" présentant les caractéristiques revendiquées, de 2010 à 2018, et sur lesquels figure le signe 'DNUD',
- les plans de collection de 2010 à 2020 portant notamment sur des maillots de bain intitulés "Hobby" qui présentent les caractéristiques revendiquées, ainsi que le signe "DNUD",
- une attestation de la société CCT DEVELOPPEMENT faisant état du développement, pour le compte de la société DNUD, du modèle "Hobby" depuis 2009,
- un article paru dans le magazine Intima de juillet 2019 faisant mention du maillot de bain "Hobby", créé en 2009 et de la marque "DNUD".
Il est ajouté qu'est produit aux débats un contrat de licence de marques conclu le 30 décembre 2009 entre M. [R] et la société DNUD, portant notamment sur la marque française "D NU D" destinée à être exploitée pour des maillots de bain femme en France.
Comme l'a jugé le tribunal, ces éléments pris dans leur ensemble établissent que la société DNUD est titulaire des droits patrimoniaux sur les maillots de bain "Hobby" qui reprennent les caractéristiques qu'elle revendique et qu'elle commercialise lesdits maillots depuis 2009 et en France sous son nom et la marque "DNUD" qui lui a été concédée.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré la société DNUD recevable en son action en contrefaçon de droit d'auteur.
Sur la protection du maillot de bain "Hobby" par le droit d'auteur
La société DNUD soutient que l'originalité du maillot de bain revendiqué, qui comporte des biais surpiqués au nombre de 5 à 7 situés « au niveau des côtes, sous les seins, du bas du thorax au début de l'abdomen », ressort de l'impression visuelle d'ensemble qu'il dégage, à savoir l'aspect d'un accessoire de lingerie classique qu'est la gaine, à partir de simples biais surpiqués entre la base des seins et le haut du ventre, mais placés de façon originale, à l'horizontal, ces biais ayant un rôle purement décoratif ; que le styliste a ainsi choisi, dans une démarche arbitraire et nouvelle manifestant une véritable recherche esthétique, des biais en relief surpiqués créant un effet visuel à la fois moderne et classique, chic et sport le maillot étant en outre confortable puisqu'il s'agit d'un maillot "nageur" destiné à la natation mais suffisamment esthétique pour être exhibé sur une plage. La société appelante souligne que le choix des biais n'est en rien fonctionnel, le but recherché n'étant nullement le maintien des seins (pour lequel une seule bande aurait suffi) ou l'amincissement de la silhouette (cette fonction étant assurée par une quantité importante d'élasthanne) et les baleines d'une gaine étant habituellement longitudinales et non horizontales. Elle expose encore qu'à partir d'une forme donnée classique, soit un maillot de bain une pièce, le créateur a réussi le pari de rendre personnel et reconnaissable le maillot "Hobby" par ces biais surpiqués horizontaux donnant un aspect couture de lingerie à un article de natation.
Les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY opposent, pour l'essentiel, que l'empreinte de la personnalité de l'auteur n'est pas démontrée, les caractéristiques alléguées étant purement techniques ou fonctionnelles et reprenant en tout état de cause celles de modèles commercialisés antérieurement par la société ERES.
Ceci étant exposé, l'article L. 111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L. 112-l du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Selon l'article L. 112-2-14°, les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure sont considérées comme œuvres de l'esprit.
Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale. Néanmoins, lorsque l'originalité d'une œuvre de l'esprit est contestée, comme en l'espèce, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur d'identifier et d'expliciter ce qui caractérise cette originalité.
La notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l'œuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l'originalité doit être appréciée au regard d'œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s'en dégage d'une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d'un effort de création, marquant l'œuvre revendiquée de l'empreinte de la personnalité de son auteur.
La société DNUD revendique un maillot de bain une pièce, ayant l'esprit la gaine, comportant de 5 à 7 biais (ou bandes) surpiqués, placés de façon horizontale, situés au niveau des côtes, sous les seins, "du bas du thorax au début de l'abdomen", le maillot étant à la fois confortable et esthétique, "moderne et classique, chic et sport". En admettant, comme le prétend l'appelante, que ces biais surpiqués n'aient pas un caractère au moins partiellement technique et fonctionnel en recherchant notamment un amincissement de la taille, et tendent seulement à un effet esthétique, le fait d'apposer des biais (ou bandes) surpiqués, ton sur ton, selon de mêmes espacements, en dessous de la poitrine sur un maillot de bain une pièce, s'il traduit un incontestable savoir-faire, ne peut suffire à caractériser un parti pris créatif traduisant l'empreinte de la personnalité d'un auteur, d'autant qu'il est établi, en l'espèce, que la société ERES a déposé le 21 juillet 2000 (pièce 4 des intimées), soit bien antérieurement à la date de création revendiquée, deux modèles de maillot de bain une pièce dénommés "Asia" (col rond, bretelles droites) et "Geisha" (encolure en 'V', bretelles se nouant derrière le cou), présentant l'un et l'autre des bandes horizontales (au nombre de 5) sur l'abdomen, sous la poitrine, au-dessus de la taille, et qu'un maillot ERES 'Asia', produit aux débats, reprenant les caractéristiques revendiquées du maillot "Hobby" à l'exception, sans emport, d'un col rond et non en 'V' et de biais plus larges, est toujours commercialisé, présentant des bandes surpiquées, ton sur ton, au nombre de trois, ce qui, avec les espacements réguliers entre ces bandes, produit un effet visuel de 5 bandes superposées (la maillot DNUD revendiqué en faisant ainsi apparaître 6). Il est relevé que la société ERES met en avant, dans sa communication, le caractère en partie fonctionnel de ces bandes, prônant le choix d'un maillot "bien coupé", un maillot une-pièce comporte des coutures adroitement placées qui affinent, à la manière des corsets d'autrefois et « Le maillot une pièce permet de cacher un petit ventre, surtout chez Eres où ils sont conçus avec des coutures plates en biais qui permettent un effet affinant au niveau de la taille » (articles "Comment bien choisir son maillot de bain" - L'Express Styles, juillet 2020 ; "Comment choisir son maillot de bain by Eres" - Brindilles [Localité 8], mai 2020).
Faute l'originalité, le maillot de la société DNUD ne peut prétendre à la protection par le droit d'auteur.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société DNUD de son action en contrefaçon de droit d'auteur et de l'ensemble des demandes réparatrices et indemnitaires afférentes.
Sur les demandes de la société DNUD en concurrence déloyale et parasitaire.
La société DNUD prétend être victime d'actes de concurrence déloyale distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon, faisant valoir que la copie servile du modèle "Hobby", vendue par les même canaux de distribution que le produit original (Galeries Lafayette notamment), présente une qualité moindre et est proposé à un prix inférieur, ce qui entraîne une banalisation et un avilissement du modèle original et un risque que le consommateur d'attention moyenne, trompé sur le modèle qu'il aura acheté, se détourne définitivement de la marque "DNUD". Elle fait valoir en outre qu'en faisant l'économie de frais de création les intimées bénéficient indûment d'un avantage concurrentiel à son détriment ; que les intimées ont en outre repris leurs idées publicitaires de présentation du maillot ; que "LIVIA" montre un suivisme habituel en reprenant les caractéristiques de plusieurs modèles DNUD (modèle DNUD "Tricolore" de 2019 repris par un modèle "Alameda Taramido" de LIVIA en 2022; bustier 'Mix', best-seller de la collection été 2020 de DNUD, repris en 2022 par un produit « Léonie Ostea » ; modèle "Atlas" de la collection 2021 de DNUD repris en 2022 avec un modèle LIVIA « Nicole Ostea ») ; que les intimées se sont ainsi placées délibérément dans son sillage en profitant de ses efforts de création et de promotion et du succès de son maillot de bain mythique.
Les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY contestent tout acte de concurrence déloyale ou de parasitisme. Elles font valoir, sur la concurrence déloyale, qu'aucun comportement fautif ne peut résulter de la pratique d'un prix inférieur qui, en l'absence de prédation, relève de la recherche d'une logique économique ; que la qualité inférieure des maillots de marque "LIVIA" n'est nullement démontrée ; que la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence ; que les maillots de bain DNUD ne sont pas des produit de luxe et que les appelantes ne justifient pas non plus de ce que leurs produits seraient distribués exclusivement dans un réseau de distribution sélective ou vendus par des vendeurs spécialisés ; que des produits DNUD sont également vendus sur des sites soldeurs à 25 et 60 € ou via des "marketplaces" (Place des tendances) ; que les maillots de bain de litigieux sont parfaitement identifiables et se distinguent des maillots de bain concurrents par l'apposition de la marque "LIVIA" sur l'étiquette métallique cousue au niveau de l'aine du maillot de bain ; que les codes de communication invoqués sont communs et usuels dans le secteur de la mode balnéaire ; que les caractéristiques des maillots Tricolore', "Mix" et "Atlas", étrangers au présent litige, présentent des caractéristiques banales et appartiennent au fonds commun de la mode balnéaire. Sur le parasitisme, les intimées font valoir que l'appelante ne démontre pas l'existence d'une valeur économique individualisée, les attestations de l'expert-comptable versées au débat étant sans valeur probante ; que la notoriété du maillot "Hobby" n'est pas plus démontrée ; qu'il n'est pas démontré que l'emploi de bandes placées au niveau de la taille du maillot serait un élément d'identification propre à la société DNUD, le maillot "Hobby" étant dans le sillage du maillot "Asia" de la société ERES, leader incontesté des tendances balnéaires dans le monde depuis sa création en 1968.
Ceci étant exposé, la cour rappelle que sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, les comportements fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires, tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui tirent profit sans bourse délier une valeur économique d'autrui procurant à leur auteur, un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.
Ces deux notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un produit qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d`un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit ou par l'existence d'une captation parasitaire, circonstances attentatoires à l'exercice paisible et loyal du commerce.
L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété du produit copié.
En l'espèce, les maillots de bain en litige sont pareillement des maillots une pièce à encolure en 'V' et aux bretelles droites, présentant sous la poitrine une série de bandes horizontales surpiquées (7 sur le modèle "Hobby" de DNUD / 5 sur le modèle litigieux de marque "LIVIA"). Les bretelles du maillot "LIVIA" sont plus larges et ce maillot présente une étiquette métallique avec la marque "LIVIA" cousue au niveau de l'aine, ce qui n'altère pas une même impression visuelle d'ensemble, laquelle n'est cependant pas expressément invoquée par la société appelante à l'appui de sa demande en concurrence déloyale.
Les griefs présentés au soutien de la demande en concurrence déloyale - la moindre qualité et le prix inférieur du produit litigieux - ne peuvent être retenus. La moindre qualité des maillots litigieux, du seul fait d'une quantité légèrement moindre d'élasthanne (20 % d'élasthanne pour le produit "LIVIA" au lieu de 26 % pour le produit DNUD) n'est pas démontrée et, comme le tribunal l'a retenu, les prix allégués (99 € pour le produit "LIVIA" / 157 € pour le "Hobby" de DNUD) se situent dans la même gamme de prix (à titre de comparaison, le maillot ERES susmentionné est vendu, lui, au prix de 255 €), de sorte que la société DNUD argue vainement d'une banalisation ou d'une dépréciation de ses maillots du fait des maillots concurrents, la mise sur le marché de produits de moindre qualité à des prix inférieurs relevant du reste, en soi, de la liberté du commerce et de la concurrence.
La recherche fautive d'un risque de confusion ou du détournement d'une clientèle ne peut non plus résulter de la présence des maillots "LIVIA" dans des grands magasins tels que les Galeries Lafayette ou des marketplaces comme La Redoute, lesquels représentent des canaux de distributions incontournables pour toutes les marques quelles qu'elles soient.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes en concurrence déloyale de la société DNUD.
Au titre du parasitisme, la société DNUD produit une revue de presse montrant que le maillot "Hobby" a fait l'objet d'encarts publicitaires dans la presse féminine ou "décoration" essentiellement en 2019 (Marie-Claire juillet 2019, Côté Ouest juillet 2019, Côté Sud mai et juillet 2019...) et a été porté par deux personnalités du spectacle ([Z] [P] dans le film Camping 3, Mademoiselle [F]), ce qui ne révèle pas une représentation très large du produit dans la presse. Elle justifie également qu'elle édite des plans de collections et catalogues pour ses produits, ce qui est inhérent à la mise en vente de tous produits dans le secteur de la mode et du vêtement et ne démontre pas que le maillot "Hobby" aurait été particulièrement privilégié par la société DNUD par rapport à d'autres produits de la marque, ces catalogues et plans de collections ne concernant pas le seul modèle "Hobby" revendiqué.
Elle produit par ailleurs des pièces comptables mais qui ne se rapportent pas précisément au maillot revendiqué : un tableau de son expert-comptable, DSA EXPERTS, sur les ventes de la « famille de produits HOBBY », laquelle comporte plusieurs modèles de maillots de bain une pièce et deux pièces ainsi qu'une robe, qui montre globalement une progression des chiffres d'affaires afférents à cette ligne de produits entre 2009 et 2019 sans qu'il soit possible d'identifier précisément les chiffres propres au maillot concerné, trois modèles de maillots "Hobby" étant mentionnés (pièce 32) ; l'attestation de l'expert-comptable se référant à ce tableau et faisant état de chiffres concernant « la famille de produits HOBBY » ; et une autre attestation du même expert-comptable, encore plus générale, relative aux coûts de collection développement et communication de la société DNUD, tous produits confondus.
Le suivisme des sociétés intimées n'est pas démontré par ailleurs au vu des modèles "Alameda Taramido", "Léonie Ostea" et "Nicole Ostea" proposés sous la marque "LIVIA", qui sont comme les maillots DNUD des maillots une pièce à rayures ou à empiècement mais dont le nombre, la taille et les couleurs des rayures sont différents.
Enfin, l'argumentation relative à la reprise par les intimées de codes de communication similaires (une femme seule, debout devant une piscine à débordement dans un cadre marin splendide, méditerranéen alentour) ne peut emporter la conviction compte tenu de la grande banalité d'un tel cadre pour présenter et promouvoir des maillots de bain.
Dans ces conditions, la cour estime que la démonstration n'est pas suffisamment faite d'une valeur économique individualisée représentée par le maillot une pièce "Hobby" de la société DNUD, ni a fortiori de la notoriété de ce maillot, que les intimées auraient frauduleusement détournées en se plaçant dans le sillage de la société appelante pour profiter de son savoir-faire et de ses efforts de création et de promotion, alors surtout que, comme il a été dit, le maillot "Hobby" invoqué s'inspire lui-même très largement d'un maillot de la société ERES.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a dit que les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY ont commis des actes de parasitisme au préjudice de la société DNUD et en ce qu'il les a condamnées in solidum au paiement de dommages et intérêts à la société DNUD. La société DNUD se verra donc déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.
Sur les demandes des sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY.
Sur la demande de la société MC COMPANY en restitution des sommes payées en exécution du jugement.
Le présent arrêt, infirmatif du jugement déféré, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution de ce jugement, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande formée par la société MC COMPANY de ce chef.
Sur la demande en concurrence déloyale de la société DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY.
La société DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY forme une demande indemnitaire, soutenant que la procédure initiée par la société DNUD n'est motivée que par la seule volonté de nuire à des entreprises concurrentes, les griefs formulés ne reposant sur aucun moyen de fait ou de droit de nature à justifier les prétentions de l'appelante ; que la société DNUD n'en est pas à sa première tentative de désorganisation ayant préalablement à la présente action judiciaire pris directement l'attache de sa cliente, la "market place" Place des Tendances, aux fins de voir retirer autoritairement les maillots de bain "Cidalia-Lavandou", sans se préoccuper de savoir si elle était fondée à formuler une telle revendication ; que ces actes de désorganisation et de déstabilisation portent nécessairement atteinte à la réputation et à la crédibilité des intimées auprès de leurs clientes (telle La Redoute), ces dernières étant directement amenées à penser qu'elles peuvent commettre des actes de contrefaçon et/ou de concurrence déloyale.
La société DNUD ne répond pas sur ce point.
C'est pour de justes motifs, adoptés, que les premiers juges ont rejeté la demande, retenant notamment que la lettre de mise en demeure adressée à LA REDOUTE par la société DNUD sollicitant la cessation de la commercialisation du maillot "Cidalia-Lavandou" qu'elle considérait comme portant atteinte à des droits qu'elle pensait détenir ne peut être analysée comme une tentative de désorganisation de la société DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY. Par ailleurs, le courriel de l'acheteuse de PLACE DES TENDANCES expliquant le retrait du modèle litigieux ("Nous avons mis en hors ligne ce modèle car il ressemble trop à un modèle de la marque DnuD, marque avec qui nous avons un partenariat historique sur Place des tendances et avec qui nous faisons un très gros chiffre d’affaires. Je fais habituellement attention à ne pas référencer de modèles trop similaires entre nos différentes marques de bain sur Place des tendances par soucis d'une distribution optimum (...)"), ne peut davantage démontrer un comportement fautif de la société DNUD.
Enfin, comme les premiers juges l'ont relevé, aucun élément n'est fourni permettant de justifier du préjudice de désorganisation ou de déstabilisation allégué.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY.
Sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société DNUD et M. [R], parties perdantes, seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me ALLERIT, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant infirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de la société DNUD et de M. [R] in solidum au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société DNUD peut être équitablement fixée à 15 000 € pour la première instance et l'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Rejette l'incident de communication de pièces introduit par les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY tendant au rejet de pièces des appelants,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :
- dit que les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY ont commis des actes de parasitisme au préjudice de la société DNUD,
- condamné in solidum les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY à payer à la société DNUD la somme globale de 50 000 euros en réparation de son préjudice au titre du parasitisme,
- condamné in solidum les sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY aux dépens et à payer à M. [R] et à la société DNUD la somme globale de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,
Déboute la société DNUD de ses demandes en parasitisme et en concurrence déloyale,
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de la société MC COMPANY en restitution des sommes payées en exécution du jugement,
Condamne in solidum la société DNUD et M. [R] aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me ALLERIT, avocat, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société DNUD et M. [R] à payer aux sociétés MC COMPANY et DIGITAL DISTRIBUTION COMPANY la somme globale de 15 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'appel.