CA Grenoble, 1re ch., 28 février 2023, n° 21/00756
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Peugeot (SA)
Défendeur :
Société Industrielle Et Commerciale Du Matériel Automobile (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Clerc
Conseillers :
Mme Blatry, Mme Lamoine
Avocats :
Me Detroyat, Me Luiset, Me Mayol, Me Reboul
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Selon bon de commande en date du 12 septembre 2017, M. [Z] [N] a commandé auprès de la SAS Société Industrielle et Commerciale du Matériel Automobile - SICMA -, concessionnaire de la marque PEUGEOT, un véhicule neuf Peugeot 208 "1,2 Pure Tech 110 EAT6" essence d'une puissance fiscale de 5 CV pour le prix de 19 881,16 € moyennant la reprise de son véhicule Renault Clio.
Le véhicule a été livré le 29 septembre 2017.
Par lettre recommandée du 27 novembre 2017, M. [N] s'est plaint auprès de la société SICMA d'une consommation excessive en carburant par rapport à son attente, à son budget, et à son ancien véhicule diesel repris à l'occasion de la vente. Il demandait à la société SICMA de remplacer le véhicule vendu par un véhicule diesel sans frais supplémentaires.
Sans réponse écrite de la part de son vendeur, il a fait appel à un expert en la personne de M. [E], lequel, dans un rapport en date du 6 mars 2018, indique avoir relevé, après un essai routier prolongé mixte du véhicule vendu, une consommation moyenne de 6,6 litres/100 km.
Par lettre recommandée du 23 mars 2018, l'avocat de M. [N] a, au visa de cet essai et d'un descriptif technique remis à son client avant la vente mentionnant une consommation moyenne de 4,1 litres/100 km, écrit à la société SICMA en invoquant la nullité du contrat pour tromperie sur les qualités substantielles du véhicule ou encore une garantie des vices cachés, et lui demandant ses observations ou propositions en réponse.
Par lettre du 4 avril 18, la société SICMA a répondu en relevant le caractère non contradictoire des essais réalisés par M. [E], et en indiquant qu'en toute hypothèse, la valeur relevée au cours de cet essai était conforme à ce type de véhicule compte-tenu de sa motorisation, l'écart avec les indices communiqués par le fabriquant PEUGEOT pouvant s'expliquer par les conditions d'utilisation et par la circonstance que les mesures de consommation transmises résultaient de tests en laboratoire sur bancs d'essai conformément aux directives européennes.
Par acte du 22 octobre 2018, M. [N] a assigné la société SICMA devant le tribunal de grande instance de Grenoble pour voir prononcer, à titre principal la nullité de la vente pour dol, et à titre subsidiaire sa résolution pour défaut de conformité. Il demandait, à titre infiniment subsidiaire, que soit ordonnée une expertise judiciaire, et réclamait une indemnité de procédure.
La société SICMA a appelé en cause et garantie la SA Automobiles PEUGEOT (la société PEUGEOT), fabriquant et venderesse du véhicule litigieux. Toutes deux ont conclu en principal au rejet des demandes et réclamé une indemnité de procédure. La société SICMA formait des demandes subsidiaires contre la société PEUGEOT au cas où il serait fait droit à la demande d'annulation de la vente du véhicule.
Par jugement contradictoire du 11 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Grenoble a :
débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
condamné M. [N] aux dépens.
Par déclaration au Greffe en date du 10 février 2021, M. [N] a interjeté appel de ce jugement.
Par uniques conclusions notifiées le 6 mai 2021, il demande à la cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré, et de :
à titre principal constater que son consentement a été obtenu par des manœuvres dolosives,
par conséquent prononcer la nullité du contrat de vente en date du 12 septembre 2017 et condamner la société SICMA à lui payer la somme de 19 881,16 € correspondant au prix de vente,
à titre subsidiaire constater le défaut de délivrance conforme du véhicule,
en conséquence prononcer la résolution de la vente et condamner la société SICMA au paiement de la même somme en principal sur ce fondement,
à titre infiniment subsidiaire, ordonner une expertise judiciaire du véhicule vendu,
en toute hypothèse condamner la société SICMA à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir :
à titre principal sur le dol :
que lors de l'acquisition du véhicule, celui-ci lui a été présenté comme ayant une consommation moyenne d'essence de 4,5 litres/100 km, ainsi qu'il ressort du descriptif technique qui lui a été remis,
qu'il a constaté à l'usage qu'il n'en était rien, la consommation réelle étant largement supérieure à ce qui était annoncé,
que l'expert [E] a, lors d'un test réalisé sur 147 km de conduite mixte (ville, route, autoroute et montagne), constaté une consommation moyenne de 6,6 l/ 100 km,
que cette consommation réelle n'a pas été discutée par la société SICMA dans son courrier du 4 avril 2018, où elle indique que la valeur moyenne de 6,6 litres/100 km est "conforme à ce type de véhicule équipé de la motorisation 1,2 Pure Tech 110 EAT6",
que la consommation moyenne est indéniablement une caractéristique essentielle d'un véhicule automobile,
que, dès lors, il est établi que la société SICMA, vendeur professionnel, l'a sciemment trompé sur la consommation réelle du véhicule, élément déterminant de son consentement,
qu'en toute hypothèse, la société SICMA aurait dû l'informer sur les conditions de réalisation des mesures de consommation annoncées et sur la circonstance selon laquelle, au vu de son courrier du 4 avril 2018 et de ses propres explications en défense, celles-ci diffèrent d'une consommation réelle, qu'à défaut il s'agit d'une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 111-1 du code de la consommation,
qu'en effet, la société SICMA reconnaissait dans son courrier du 4 avril 2018 que, selon un protocole européen dit "WLTP" (Worldwide Harmonised Light Vehicule Test Procedure), plus proche des usages des clients, le modèle testé le plus approchant du véhicule vendu donnait une consommation moyenne de 7,1 litres/100 km, bien loin des 4,5 km/100 km annoncés en moyenne dans le document technique qui lui a été remis,
à titre subsidiaire, sur le défaut de délivrance conforme :
qu'à titre subsidiaire, la société SICMA a manqué à son obligation de délivrance conforme résultant de l'article L. 217-4 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 applicable en l'espèce en lui délivrant un véhicule non conforme à ce qui lui était annoncé quant à la consommation moyenne en carburant,
le cas échéant sur la demande d'expertise judiciaire :
que si la cour s'estimait insuffisamment informée, une expertise judiciaire serait utilement ordonnée afin de déterminer la consommation réelle du véhicule objet de la vente, et sa conformité aux caractéristiques annoncées par le vendeur.
La société SICMA, par dernières conclusions notifiées le 30 septembre 2022, demande à titre principal la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions.
A titre subsidiaire, au cas où la vente intervenue avec M. [N] serait annulée, elle demande aussi que soit annulée la vente intervenue entre elle-même et la société PEUGEOT, et que cette dernière soit condamnée à lui restituer le prix de vente soit 17 032,16 €.
En toute hypothèse, elle conclut au rejet de toutes réclamations pécuniaires formées contre elle, et demande la condamnation de M. [N] ou subsidiairement de la société PEUGEOT à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle qu'une juridiction ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d'une partie, et fait valoir :
qu'il ne peut lui être reproché, en qualité de vendeur intermédiaire, d'avoir remis la documentation technique du fabriquant et qu'aucune manœuvre dolosive n'est démontrée,
que d'ailleurs la société PEUGEOT rappelle que le décret n° 2002-1508 du 23 décembre 2002 et l'arrêté du 10 avril 2003 modifié en 2005 interdisent au vendeur de véhicules automobiles d'utiliser d'autres documents que ceux prévus par ces textes et relatifs à la consommation de carburant, lesquels fournissent des valeurs de consommation découlant de tests en laboratoires dans le cadre d'une procédure mise en œuvre par des autorités indépendantes,
qu'il est aisé de comprendre que la consommation de carburant en situation réelle est nécessairement variable,
que d'ailleurs les données de consommation précisent bien que la consommation est différente selon que le véhicule est utilisé en zone urbaine (5,7 l par 100 km) ou en zone extra urbaine (3,8 l par 100 km),
que, sur l'allégation d'une délivrance non conforme, rien à part l'affirmation de M. [N] ne permet de retenir que la consommation réelle du véhicule ait été un élément déterminant de son consentement,
qu'en toute hypothèse, en l'état d'une seule expertise effectuée à la demande d'une partie, la preuve d'une consommation plus élevée en carburant que ce qui était annoncé lors de la vente n'est pas rapportée,
que si, par impossible, la cour faisait droit à la demande d'annulation de la vente, elle-même subirait un préjudice obligeant la société PEUGEOT à lui rembourser le prix du véhicule vendu.
La société PEUGEOT, par dernières conclusions notifiées le 19 août 2021, demande la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté M. [N] de ses demandes dirigées contre la société SICMA, et par conséquent en ce qu'il a aussi rejeté les demandes dirigées contre elle par cette dernière.
Dans le cas où la cour, statuant à nouveau, déciderait d'ordonner une expertise judiciaire, elle entend formuler toutes protestations et réserves d'usage et sollicite que, dans ce cas, la mission d'expertise telle que sollicitée par M. [N] soit complétée par les missions suivantes :
apprécier les consommations réelles du véhicule et les comparer avec les résultats de procédures indépendantes plus proches des consommations en usage réel et appliquées aux véhicules de même modèle (ex. protocole WLTP),
rechercher les modalités d'utilisation, d'entretien et de réparation du véhicule, et tout aménagement éventuel sur celui-ci depuis sa première mise en circulation et apprécier leur effet sur les consommations en carburant.
En toute hypothèse, elle demande condamnation de la société SICMA à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle souligne que le seul cocontractant de M. [N] est la société SICMA et rappelle que, pour apprécier le dol invoqué, il faut que l'acheteur démontre une réticence dolosive sur un élément déterminant de la vente, alors qu'en l'espèce :
les vendeurs de véhicule automobile sont contraints par les dispositions du décret n° 2002-1508 du 23 décembre 2002 et de l'arrêté du 10 avril 2003 modifié en 2005 quant au contenu de leur obligation d'information sur les données de consommation des véhicules,
en application de ces textes, le vendeur d'un véhicule neuf ne peut, dans les documents d'information du consommateur, utiliser d'indications relatives à la consommation de carburant autres que celles prévues par ce texte, c'est-à-dire celles résultant de tests en laboratoire dans des conditions homogènes pour tous les constructeurs, réalisées en vue de la réception communautaire dite "réception CE" prévue par les articles R. 321-6 à R. 321'14 du code de la route,
dès lors, aucune consommation relevée en condition réelle ne peut être communiquée car non vérifiable et non fiable,
M. [N] verse en l'espèce une expertise amiable non contradictoire qui n'est pas de nature à établir à elle seule la réalité de sa consommation
les autres documents qu'il fournit (tickets de caisse de carburant et captures d'écran de son application PEUGEOT), recueillis unilatéralement ne le sont pas davantage,
en toute hypothèse, aucune intention de tromper n'est établie à l'encontre de la société SICMA qui a bien rempli son obligation d'information précontractuelle en livrant les seules données de consommation fiable qu'elle avait à sa disposition.
Elle ajoute que le défaut de conformité allégué n'est pas davantage démontré, aucune différence entre la chose convenue et la chose livrée n'étant établie.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 13 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Sur la demande aux fins de nullité de la vente,
C'est à M. [N], qui prétend avoir été trompé par la société SICMA lors de la conclusion de la vente litigieuse, qu'il revient de rapporter la preuve, selon les termes de l'article 1137 du code civil, de manœuvres, de mensonges ou de dissimulations intentionnelles de son vendeur concernant une information dont il savait le caractère déterminant pour lui.
Sur ce point, M. [N] se contente d'affirmer, sans l'établir par une quelconque pièce ni aucun témoignage, que, désireux d'acquérir un véhicule à faible consommation d'essence, il aurait sollicité des informations complémentaires du vendeur quant à la consommation du véhicule projeté, et que ce dernier l'aurait alors assuré que la consommation du nouveau véhicule serait identique sinon moindre à celle du véhicule diesel qu'il possédait jusqu'alors, ce sur la base des valeurs de référence de 4,5 l pour 100 km.
Le contenu des échanges verbaux ayant précédé la vente n'est ainsi pas établi, et M. [N] ne rapporte pas la preuve d'avoir mis en avant le critère de la consommation du véhicule dans le choix pour lui d'un modèle ou d'un autre ni que le vendeur lui aurait répondu par de telles affirmations, alors même qu'un véhicule diesel, souvent plus cher à l'achat qu'un véhicule 'essence', consomme généralement à l'usage moins que ce dernier, notion connue de tous consommateur normalement averti.
Il n'est donc rapporté la preuve d'aucune information fausse intentionnellement fournie par la société SICMA sur une caractéristique essentielle du véhicule vendu, cette dernière justifiant par ailleurs, appuyée en cela par les explications techniques fournies par la société PEUGEOT, la pièce produite par cette dernière ainsi que le rappel des textes règlementaires applicables, que la notice technique fournie à M. [N] en l'espèce et qui mentionne, pour le véhicule vendu, une consommation moyenne mixte de 4,5 litres/100 km, soit 5,7 litres pour la consommation urbaine et 3,8 litres pour la consommation extra-urbaine n'est pas mensongère mais conforme aux normes européennes puisque les mesures ainsi indiquées correspondent à celles figurant sur le certificat de conformité européen du véhicule vendu.
Pour les mêmes motifs, il ne peut être reproché à la société SICMA d'avoir manqué à son obligation d'information précontractuelle en n'informant pas M. [N] des conditions de réalisation des mesures de consommation obtenues et communiquées, et de leur décalage possible avec les données d'une consommation réelle ce qui constituerait selon l'appelant une pratique commerciale trompeuse, la société PEUGEOT rappelant justement, sur ce point, quel information préalable du consommateur est encadrée par les articles L. 111-1 et suivants du code de la consommation et que, s'agissant des véhicules particuliers neufs, l'information préalable à la vente sur leur consommation en carburant est régie par le décret n° 2002-1508 du 23 décembre 2002 lequel, en son article 6, interdit au professionnel vendeur d'utiliser, dans les documents mentionnés notamment à l'article 5 c'est-à-dire les « imprimés utilisés pour la commercialisation, la publicité et la promotion des véhicules, y compris les manuels techniques », « toute indication relative à la consommation de carburant (...) autre que celle mentionnée à l'article 1er, dès lors que cette indication serait susceptible de créer une confusion pour l'acquéreur d'une voiture particulière neuve. », le document visé à l'article 1er étant la mesure de consommation de carburant obligatoire lors de la réception communautaire.
C'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de M. [N] en annulation de la vente fondée sur le dol, et le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
Sur la demande aux fins de résolution de la vente,
M. [N] se prévaut, à cette fin, d'un manquement de la société SICMA à son obligation de délivrance conforme telle que prévue par l'article L. 217-4 du code de la consommation.
Or, ainsi qu'il a été développé au paragraphe précédent, le véhicule vendu est bien conforme aux caractéristiques techniques annoncées dans le document pré-contractuel telles qu'elles résultent de la réglementation applicable, et M. [N] ne démontre aucune non-conformité du véhicule vendu par rapport à la commande, le véhicule livré étant bien celui prévu dans le bon de commande en date du 12 septembre 2017.
Le jugement déféré sera donc confirmé aussi en ce qu'il a rejeté la demande de résolution de la vente.
Sur la demande subsidiaire aux fins d'expertise,
Le tribunal a justement retenu qu'il était suffisamment informé par les éléments fournis et les pièces du dossier, et qu'il n'y avait pas lieu de recourir à une mesure d'instruction, en l'absence de tout manquement établi du vendeur à ses obligations d'information précontractuelle.
Sur les demandes accessoires,
M. [N], qui succombe en son appel, devra supporter les dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en sa faveur.
Il n'est pas équitable de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des autres parties.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirmes en toutes ses dispositions le jugement déféré.
Rejette toutes les autres demandes.
Condamne M. [N] aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame CLERC, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.