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Décisions

Cass. crim., 17 décembre 2008, n° 08-82.280

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dulin

Rapporteur :

Mme Canivet-Beuzit

Avocats :

Me Haas, SCP Didier et Pinet, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky

Agen, du 13 déc. 2007

13 décembre 2007

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Corinne Y..., pris de la violation des articles 441-1, 441-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Corinne Y... coupable de faux et usage de faux en écritures privées et, en répression, l'a condamnée à huit mois d'emprisonnement avec sursis, outre l'interdiction définitive d'exercer la profession d'avocat ;

"aux motifs que les deux documents argués de faux par la prévention ne constituent pas des documents administratifs au sens de l'article 441-2 du code pénal, mais des documents contractuels ; que l'article 441-1 du code pénal dispose que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et, accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée, qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; que Corinne Y... ne conteste pas avoir préparé les deux conventions des 23 juillet 2004 et 24 janvier 2005 et les avoir signées ; qu'elle ne conteste pas davantage qu'elle n'a jamais effectué de stage auprès des services vétérinaires du Gers, ni que durant toute cette période elle n'a pas effectué un quelconque stage ; qu'en indiquant dans les deux conventions litigieuses qu'il s'agissait d'une prolongation sur stage initial, elle a établi des documents contenant une altération frauduleuse de la vérité au sens de l'article 441-1 du code pénal ; que, contrairement à ce que soutient Corinne Y..., ces documents ne constituent pas des déclarations unilatérales ne représentant que ses seules affirmations, mais un écrit revêtu de la signature d'un cocontractant pour lui donner du crédit ; que ces documents avaient pour objet d'établir la preuve de la réalisation par Corinne Y... d'une partie du stage de deux ans imposée par l'article 12.3° de la loi du 31 décembre 1971 au jeune avocat ayant obtenu son certificat d'aptitude à la profession pour valider sa formation professionnelle et obtenir son inscription au grand tableau ; que Corinne Y... a fait usage de ces documents en les adressant au bâtonnier de l'ordre des avocats du Gers et du président de l'école des avocats du Sud-Ouest Pyrénées à Toulouse ; que cet envoi caractérise la volonté de Corinne Y... de faire croire au bâtonnier de l'ordre des avocats du Gers qu'elle effectuait un stage et d'éviter une nouvelle omission de la liste du stage qui aurait pu être prononcée par le conseil de l'ordre dès lors que l'article 81 du décret du 27 novembre 1991 disposait que le stage ne peut être suspendu pendant plus de trois mois et qu'en l'absence de fournitures de conventions, le bâtonnier aurait nécessairement constaté que Corinne Y... n'effectuait plus de stage depuis plus de trois mois ; que l'intention délictueuse de Corinne Y... est donc parfaitement caractérisée ;

"alors que, en premier lieu, pour qu'il y ait faux punissable, il est nécessaire que l'écrit altéré constitue un titre, c'est-à-dire un document établissant la preuve d'un droit ou d'un fait susceptible d'entraîner des conséquences juridiques ; qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas de faux au sens de l'article 441-1 du code pénal lorsque la pièce arguée de faux est inopérante à produire des effets juridiques ; que la cour d'appel ne pouvait donc pas déclarer Corinne Y... coupable de faux et d'usage de faux pour avoir adressé au conseil de l'ordre des avocats du Gers de fausses conventions de stage dès lors que cet envoi ne pouvait produire aucune conséquence juridique, seul le centre régional de formation professionnelle, personne juridique distincte de l'ordre, étant compétent pour contrôler et sanctionner les obligations de l'avocat au titre du stage ;

"alors que, en deuxième lieu, un document soumis à vérification et à discussion n'est pas un titre au sens de l'article 441-1 du code pénal, quand bien même il revêtirait la signature d'un tiers de nature à lui donner du crédit ; qu'en se fondant sur la considération inopérante que les documents litigieux, établis par Corinne Y..., avaient été cosignés par Vincent Z..., sans rechercher si le centre régional de formation professionnelle ne devait pas contrôler, en toute hypothèse, les conditions de déroulement du stage avant de délivrer le certificat de fin de stage, ce d'autant plus que les documents litigieux, sans être des attestations de stage, indiquaient seulement que Corinne Y... «effectuera» un stage auprès des services vétérinaires du Gers, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément matériel du délit de faux ;

"alors que, en troisième lieu, le faux n'est punissable qu'autant qu'il est de nature à causer un préjudice ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer Corinne Y... coupable de faux dès lors que la prévention ne visait que l'envoi des faux documents au conseil de l'ordre des avocats du Gers, lequel était incompétent pour contrôler et sanctionner les modalités d'exécution du stage de sorte que les documents litigieux ne pouvaient causer aucun préjudice" ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Corinne Y..., pris de la violation des articles 441-1, 441-10 du code pénal, 2, 3, 475-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;


"en ce que l'arrêt attaqué a reçu la constitution de partie civile de l'ordre des avocats du Gers et a condamné Corinne Y... à lui verser la somme de un euro à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs que l'ordre des avocats du barreau du Gers a capacité et intérêt à agir dès lors que les deux conventions litigieuses lui ont été adressées par Corinne Y... pour lui faire croire que le stage n'avait pas été interrompu pendant une période supérieure à trois mois et éviter ainsi une omission de la liste de stage ; que l'ordre des avocats du barreau du Gers a subi un préjudice moral tenant au fait qu'en raison du comportement frauduleux de Corinne Y..., il a maintenu sur la liste de stage un avocat stagiaire qui ne pouvait y prétendre du fait de l'interruption de son stage pendant une durée supérieure à trois mois ; que ce préjudice a été justement réparé par l'allocation de l'euro symbolique réclamé par la partie civile ;

"alors que seul est recevable à se constituer partie civile, celui qui a personnellement souffert d'un dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait accueillir la constitution de partie civile de l'ordre des avocats au barreau du Gers dès lors qu'il ne relevait pas de sa compétence d'omettre Corinne Y... de la liste du stage, de sorte que l'envoi des fausses conventions ne pouvait lui causer aucun préjudice, fût-il seulement moral" ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Vincent Z..., pris de la violation des articles 441-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de faux en écriture privée, et a prononcé sur la répression ;

"aux motifs que les deux documents argués de faux par la prévention ne constituent pas des documents administratifs au sens de l'article 441-2 du code pénal, mais des documents contractuels ; que l'article 441-1 du code pénal dispose que constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, et accompli par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée, qui a pour objet ou qui peut avoir pour objet la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; que Corinne Y... ne conteste pas avoir préparé les deux conventions des 23 juillet 2004 et 24 janvier 2005 et les avoir signées ; qu'elle ne conteste pas davantage qu'elle n'a jamais effectué de stage auprès des services vétérinaires du Gers, ni que durant toute cette période elle n'a pas effectué un quelconque autre stage ; qu'en indiquant dans les deux conventions litigieuses qu'il s'agissait d'une prolongation du stage initial, elle a établi des documents contenant une altération frauduleuse de la vérité au sens de l'article 441-1 du code pénal ; que, contrairement à ce que soutient Corinne Y... devant la cour, ces documents ne constituent pas des déclarations unilatérales ne représentant que ses seules affirmations, mais un écrit revêtu de la signature d'un cocontractant pour lui donner du crédit ; que ces documents avaient pour objet d'établir la preuve de la réalisation par Corinne Y... d'une partie du stage de deux ans imposé par l'article 12.3° de la loi du 31 décembre 1971 au jeune avocat ayant obtenu son certificat d'aptitude à la profession pour valider sa formation professionnelle et obtenir son inscription au grand tableau ;

"et aux motifs que Vincent Z... est titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat ; qu'il a indiqué lui-même, notamment à l'audience, qu'avant de signer la première convention il avait vérifié les dispositions légales invoquées par Corinne Y... et notamment celles relatives au stage obligatoire pour les jeunes avocats titulaires du CAPA et désireux d'intégrer la profession et d'être inscrit au grand tableau ; qu'il ne pouvait donc se méprendre sur l'intérêt que pouvait avoir Corinne Y... la signature d'une convention de stage, respectivement des conventions mentionnant la «prolongation» du stage ; qu'il ne pouvait pas davantage ignorer que le projet de modernisation qu'il avait proposé au début de l'année 2004 n'avait pas été retenu par sa direction locale et centrale et que rien ne lui permettait de penser, en juillet 2004, puis en janvier 2005, que le projet pourrait aboutir à bref délai et que Corinne Y... pourrait effectivement effectuer ce stage ; qu'il n'a jamais informé ses supérieurs hiérarchique de la signature de ces conventions, ni même adressé copie à la direction ; que l'explication qu'il donne à la signature des deux conventions de juillet 2004 et de janvier 2005, à savoir qu'il voulait avoir immédiatement à disposition une juriste si son projet était accepté, n'est pas crédible, lui-même ayant admis à l'audience que le document signé n'avait aucun caractère contraignant pour Corinne Y... ; que, dans ces conditions, il apparaît que c'est sciemment et pour favoriser Corinne Y..., en lui permettant d'éviter une omission de la liste du stage, qu'il a signé les conventions litigieuses comportant une altération frauduleuse de la vérité ;

"1°) alors qu'à l'issue du stage de deux ans compris, avant le 1er septembre 2005, dans la formation professionnelle exigée pour l'exercice de la profession d'avocat, le conseil d'administration du centre régional de formation professionnelle délivrait un certificat de fin de stage à l'avocat stagiaire autorisant son inscription au grand tableau ; que, contrairement à l'attestation de stage délivrée par le maître de stage pour faire foi de la réalité du stage réalisé par l'avocat stagiaire et des qualités professionnelles de celui-ci, la convention de stage passée entre le maître de stage et l'avocat stagiaire précise seulement les objectifs, le contenu du stage et les engagements réciproques des parties ; que les conventions de stage arguées de faux n'ayant ni pour objet ni pour effet d'établir la preuve de la réalisation par Corinne Y... d'une partie du stage exigé par l'article 12-3° de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction alors en vigueur, l'élément matériel du faux faisant ainsi défaut, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2°) alors que, la convention de stage conclue entre le maître de stage et l'avocat stagiaire dans le cadre de la formation professionnelle exigée, pour l'exercice de la profession d'avocat s'analyse en une lettre d'intention dénuée de caractère contraignant pour l'une et l'autre des parties à la convention ; qu'ayant constaté elle-même que les conventions de stage arguées de faux n'avaient aucun caractère contraignant pour Corinne Y... et qu'elles ne pouvaient ainsi avoir pour objet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"3°) alors que l'intention coupable du prévenu résulte de sa conscience de l'altération de la vérité dans un document susceptible d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; que les conventions arguées de faux, dépourvues de caractère contraignant pour le maître de stage et l'avocat stagiaire, n'ayant ni pour objet ni pour effet d'établir la preuve de la réalisation par Corinne Y... d'une partie du stage exigé par l'article 12-3° de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction alors en vigueur, le prévenu était dénué de l'intention frauduleuse requise lorsqu'il les a signées ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Corinne Y..., titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, ayant obtenu, après en avoir été omise, sa réinscription sur la liste du stage des avocats au barreau du Gers, a adressé au bâtonnier de l'ordre, une convention de stage conclue avec la direction des services vétérinaires de ce département, puis deux accords prorogeant la durée de ce stage ; qu'étant apparu que ledit stage n'avait pas été effectué, et que les contrats, qui n'avaient pas été autorisés par le directeur de ces services, avaient été signés par son adjoint Vincent Z..., ce dernier et Corinne Y... ont été poursuivis des chefs de faux documents administratifs pour l'établissement des deux conventions de prorogation de stage et Corinne Y..., en outre, pour usage de ces faux ;

Attendu que, pour déclarer Corinne Y... coupable de faux et usage et Vincent Z... coupable de faux et les condamner à des réparations civiles, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'altération de la vérité dans les conventions litigieuses porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession d'avocat, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables et alloué à la partie civile l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant, a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.