Cass. crim., 7 septembre 2004, n° 03-85.468
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Gailly
Avocat général :
M. Frechede
Avocat :
Me Foussard
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 131-27, 441-1 et 441-10 du Code pénal, de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Didier X... coupable de faux au préjudice des consorts Y..., de Jean-Paul Z..., de Noël A... et d'Aurélie B..., en répression l'a condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis assortie d'une mise à l'épreuve pendant deux ans, a prononcé à son encontre une interdiction d'exercer la profession de contrôleur technique pendant deux ans, outre des dommages-intérêts ;
"aux motifs que, "le 31 octobre 1998, Hélène C... a acquis auprès de Philippe D..., au prix de 38 000 francs, un véhicule Renault 25 immatriculé 1403 VM 14 à la suite d'un contrôle technique effectué le 16 octobre 1998 par Didier X... qui avait accepté le véhicule en mentionnant trois défauts à corriger sans obligation d'une contre-visite : flexible de freins : détérioration AVD ;
crémaillère, boîtier de direction : défaut d'étanchéité AV ;
essuie-glace avant : mauvais état ; qu'un autre contrôle technique réalisé le 11 décembre 1998 à l'initiative de l'acquéreur faisait état d'un "résultat inacceptable" quant à l'opacité des fumées d'échappement, soit 5.73 mm-1 ; que, dans un rapport d'expertise établi le 31 mars 1999 par Philippe E... à la demande de Christophe Y..., ami d'Hélène C..., décédée entre temps, il a été relevé de nombreux défauts de carrosserie et plusieurs défauts de mécanique dont la détérioration du soufflet G de crémaillère de direction ; que l'expert a conclu à l'existence de multiples défauts témoignant d'une absence de suivi d'entretien régulier et a déconseillé vivement d'utiliser le véhicule dans son état actuel, compte tenu du caractère de dangerosité qu'il pouvait présenter, en particulier au niveau du train roulant et des freins ; que le kilométrage lors de l'expertise étant de 158 206 km alors qu'il était de 152 112 à l'achat, le nombre de kilomètres parcouru était par conséquent de 6 094 ; que, le 14 novembre 2001, M. F..., expert judiciaire désigné par jugement du tribunal d'instance de Falaise du 12 septembre 2000 dans le cadre d'une instance civile introduite par Christophe Y... au nom de ses deux filles mineures Illona et Lola, a constaté, aux termes de ces contrôles, qu'une non-conformité de la valeur d'opacité des fumées, mesurée à 5,85 m-1 (alors que la valeur à ne pas dépasser était de 3 m-1) empêchait l'utilisation du véhicule et exigeait une vérification intégrale du système d'injection du moteur ; qu'il a précisé que cette non-conformité existait à l'époque de la vente, que cette anomalie n'était pas décelable par un non professionnel et qu'elle rendait le véhicule inutilisable en l'état ;
qu'en outre, une remise en état ne lui paraissait pas économiquement envisageable ; que si le contrôle technique effectué le 11 décembre 1998 par le "centre expertise sécurité" n'est pas contradictoire à l'égard des prévenus, de même que le rapport de M. E... en date du 31 mars 1999, et si l'expertise judiciaire de M. F... ne revêt un caractère contradictoire qu'à l'égard de Philippe D... et de l'entreprise "Autosur", les résultats de ces opérations sont suffisamment probants et concordants pour considérer que le contrôle technique réalisé le 16 octobre 1998 par Didier X... a omis de relever de graves défauts ainsi ignorés de l'acquéreur qui a procédé à l'acquisition d'un véhicule inutilisable dans l'état où il se trouvait lors de la livraison ; que l'allusion de Didier X... à l'hypothèse d'une introduction par Philippe D... d'un produit nettoyant qui aurait pu faire baisser le taux d'opacité et l'empêcher ainsi de constater le défaut est inopérante dès lors que l'anomalie a été repérée peu de temps après - le 11 décembre 1998 - par le centre expertise sécurité d'Hérouville ; que l'opacité des fumées d'échappement étant un point contrôlé dans le cadre du contrôle technique institué par l'arrêté du 18 juin 1991 et la défectuosité dont le véhicule était affecté rendant nécessaire une révision complète du système d'injection, du fait de l'avoir occulté sur le procès-verbal de contrôle technique constitue une altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice dans un écrit, en l'espèce, le procès-verbal de contrôle technique, qui avait pour objet d'établir la preuve du droit, pour Philippe D..., de proposer ce véhicule à la vente ; que le jugement dont appel doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré Didier X... coupable du délit de faux et Philippe D... coupable du délit d'usage de faux, en ce qu'il les a déclarés responsables du préjudice subi par Christophe Y..., en sa qualité de représentant légal de ses filles mineures, et en ce qu'il les a condamnés in solidum au paiement des sommes mentionnées au jugement correspondant au prix d'acquisition du véhicule assorti des intérêts au taux légal à compter de la vente, aux frais de carte grise, au coût des contrôles des 13 novembre et 11 décembre 1998, de l'expertise de M. E... et aux frais divers ; (..) que, lors de l'acquisition, par Jean-Paul Z..., le 25 mars 1999, auprès de Philippe D..., d'une voiture automobile de marque Peugeot 205 immatriculée 7048 VN 14, il a été remis à l'acquéreur un procès-verbal de contrôle technique établi le 24 mars par Didier X... mentionnant quatre défauts à corriger sans obligation d'une contre-visite : mauvais état de la plaque d'immatriculation avant, déséquilibre avant et arrière du frein de service, corrosion de la coque et fuite importante au moteur ;
qu'un autre contrôle technique effectué le 10 mai 1999 à l'initiative de Jean-Paul Z... par le centre de contrôle de Vimoutiers (61) alors que le véhicule avait parcouru 2 642 km a fait apparaître plusieurs autres défauts qui n'avaient pas été relevés au premier contrôle et notamment l'usure prononcée du disque de frein avant gauche ; qu'une plaquette était complètement usée ; que de tels défauts n'ayant pu apparaître dans une aussi courte période d'utilisation, et l'état des disques de frein constituant l'un des points de contrôle technique (réf 1.4.1.), l'omission commise par le contrôleur technique dans son procès-verbal du 24 mars 1999 caractérise de la part de Didier X... une altération frauduleuse et préjudiciable de la vérité dans un document utilisé par le revendeur Philippe X... ; que ce dernier ayant accepté de reprendre le véhicule contre livraison de Jean-Paul Z... d'un véhicule Opel "Corsa" qu'il avait déjà utilisé, le préjudice, exactement apprécié par les premiers juges, se limite au coût du second contrôle technique et aux frais divers ; que, lors de l'acquisition par Noël A..., le 18 février 1999, auprès de Philippe D..., d'une voiture automobile de marque Wolswagen "Golf" immatriculée n° 6208 VM 14, il a été remis à l'acquéreur un procès-verbal de contrôle technique établit le 18 février 1999 par Didier X... mentionnant, pour tout défaut, une protection défectueuse des amortisseurs arrières ; qu'un second contrôle technique effectué par "ACO Sécurité" le 25 février 1999, alors que le véhicule avait parcouru 439 km, a relevé, outre le mauvais état des encrages de la porte avant gauche, une usure prononcée de deux disques de frein ; que, par jugement du 13 mars 2000, le tribunal de grande instance de Lisieux a prononcé la résolution de la vente tout en mettant hors de cause Didier X..., faute de preuve d'un manquement à ses obligations de contrôleur technique ; que, cependant, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que soit constaté les éléments constitutifs du délit d'altération frauduleuse et préjudiciable de la vérité caractérisés en l'espèce par l'omission commise par Didier X..., quant à l'usure prononcée des disques de frein, dans le procès-verbal de contrôle technique utilisé ensuite par Philippe D... pour vendre le véhicule ; que le jugement sera donc réformé de ce chef (..) ; que, lors de l'acquisition par Aurélie B..., le 20 mai 1999, auprès de Philippe D..., d'une voiture automobile de marque Renault "Supercinq" GTS immatriculée n° 1080 WE 14 au prix de 10 000 francs, le compteur kilométrique affichant 255 127 km, mais le moteur ayant été remplacé par un autre moteur de 73 000 km, il a été remis à l'acquéreur un procès-verbal de contrôle technique établi par Didier X... mentionnant sept défauts à corriger sans obligation de contre-visite ;
que, le 30 septembre 1999, alors que le véhicule avait parcouru 4 470 km, Aurélie B... a fait procéder par la SARL Centre Bonnet "Fiabilis Sérénité" un contrôle technique qui a permis de relever diverses anomalies qui ne figuraient pas sur le procès-verbal établi par Didier X... et, en particulier, une fissure et une cassure de l'amortisseur arrière gauche, une défectuosité de la protection de la rotule d'articulation de direction et, au frein de service arrière, un déséquilibre réduisant l'efficacité à 80 % ; qu'un rapport d'expertise établi le 2 novembre 1999 par Philippe E... a relevé vingt défauts et a conclu à l'impropriété du véhicule à la circulation dans l'état où il se trouvait ; qu'étant observé que le déséquilibre du frein de service figure à l'annexe I de l'arrêté ministériel du 18 juin 1991 parmi les points qui doivent faire l'objet du contrôle technique et qui doivent donner lieu à une contre-visite, l'omission de ce défaut, de même que de la défectuosité de l'amortisseur, dans le procès-verbal de contrôle technique établi par Didier X... caractérise l'altération frauduleuse et préjudiciable de la vérité dans ce document utilisée ensuite par Philippe D... pour vendre le véhicule avec une apparence de régularité ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point de même que sur les dispositions civiles qui s'y rapportent (...)" ; que les sanctions prononcées par les premiers juges étant conformes à la nature et à la gravité des faits ainsi qu'à la personnalité et au comportement des prévenus, le jugement sera confirmé sur les peines" (arrêt attaqué, p. 19, 4, 5, 6, avant-dernier et dernier, p. 11, p. 12, p. 13, dernier , et p. 14, 1, 2, 3 et 4 et p. 15, dernier ) ;
"alors qu'il n'y a faux au sens de l'article 441-1 du Code pénal qu'autant que l'auteur de l'omission a agi frauduleusement, c'est-à-dire ait eu conscience de commettre une altération de la vérité de nature à porter préjudice à autrui ; que cet élément doit être constaté par les juges du fond ; qu'au cas d'espèce, en déduisant l'existence des faux de ce que Didier X... aurait omis de constater dans les procès-verbaux de contrôle technique certains défauts, alors même que leur vérification était prévue par les textes, sans autre précision et sans constater, notamment, que ces omissions ne résultaient pas d'une erreur ou d'une omission involontaire de Didier X... mais de la conscience qu'il avait, en agissant de la sorte, de permettre à Philippe D... de vendre des véhicules avec une apparence de régularité, les juges du fond n'ont pas caractérisé l'élément intentionnel des délits de faux et ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 441-1 du Code pénal ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Didier X..., chargé d'effectuer les contrôles techniques, prévus par les articles R. 323-6 et suivants du Code de la route, de quatre véhicules destinés à être vendus, a dressé des procès-verbaux incomplets, omettant de mentionner de graves défauts portant sur des points qu'il avait l'obligation réglementaire de vérifier ; que ces omissions ont eu pour conséquence de permettre la vente des véhicules qui n'étaient pas en état de circuler ;
Attendu que, pour déclarer Didier X... coupable de faux, l'arrêt retient que ces omissions caractérisent une altération frauduleuse et préjudiciable de la vérité ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le seul manquement du prévenu à ses obligations professionnelles ne suffit pas à caractériser l'intention frauduleuse exigée par l'article 441-1 du Code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 16 juillet 2003, en ses seules dispositions relatives à Didier X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.