Cass. com., 1 mars 2023, n° 22-16.329
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Douvreleur
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 février 2022, tel que rectifié par l'arrêt RG n° 22/00107 du 15 avril 2022) et les productions, la société Parabole Réunion et ses filiales, les sociétés Mediacom Ltd et Radio télévision par satellite (le groupe Parabole), qui ont pour activité la commercialisation de bouquets de chaînes de télévision dans la zone de l'Océan Indien, ont, le 19 janvier 1999, conclu avec la société Télévision par satellite (la société TPS) un protocole d'accord, suivi de plusieurs avenants, pour l'exclusivité de la distribution, pour les territoires de La Réunion, l'Ile Maurice, Madagascar et Mayotte, de chaînes de télévisions payantes produites par les sociétés du groupe TPS, avec effet jusqu'au 31 décembre 2009, sauf tacite reconduction par période de trois ans.
3. Des accords de concentration sont intervenus début 2006 pour le regroupement des activités de télévision payante de l'opérateur Canal + et de la société TPS au sein d'une nouvelle société dénommée Canal + France, contrôlée par la société Groupe Canal + (la société GCP).
4. Par décision du ministre chargé de l'économie du 30 août 2006, l'opération de concentration Canal +/TPS a été autorisée, sous la condition de la mise en oeuvre, par la société GCP, d'engagements, parmi lesquels figurait l'obligation de reconduction, jusqu'au 31 décembre 2012, des contrats existant entre les sociétés du groupe TPS et le groupe Parabole, dans des conditions au moins aussi favorables que celles en vigueur au jour de l'autorisation.
5. Soutenant que la société GCP n'avait pas respecté ses obligations contractuelles, le groupe Parabole a recherché sa responsabilité, ainsi que celle des sociétés Canal + France et Canal + distribution. Un arrêt du 3 juin 2016, confirmant un jugement du 29 avril 2014, devenu irrévocable, a jugé que les sociétés GCP, Canal + France et Canal + distribution avaient méconnu leurs obligations contractuelles et étaient responsables de la dégradation de l'attractivité de l'offre de programmes qui en est résultée pour le groupe Parabole sur la période du 19 juin 2008 au 31 décembre 2012, et a condamné in solidum ces sociétés à indemniser le groupe Parabole des préjudices résultant de la perte d'attractivité du bouquet de chaînes mises à sa disposition, nés pendant la période du 19 juin 2008 au 31 décembre 2012, deux experts étant successivement désignés en première instance puis en appel pour évaluer ces préjudices.
6. En cours d'instance, la société GCP est venue aux droits des sociétés Canal + France et Canal + distribution.
7. Après dépôt du rapport d'expertise, le groupe Parabole a demandé à la cour d'appel la condamnation de la société GCP à lui payer diverses sommes en réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, le troisième moyen, pris en sa cinquième branche, les quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés, du pourvoi n° D 22-16.329
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du même pourvoi
Enoncé du moyen
9. La société GCP fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au groupe Parabole la somme de 48,55 millions d'euros au titre du préjudice d'exploitation subi par ce groupe, de juin 2008 à 2012, alors :
« 1°/ que dans le dispositif de ses conclusions, la société GCP demandait à la cour d'appel de "juger que le préjudice des sociétés Parabole Réunion, Mediacom Ltd et Sarl Radio Télévision par Satellite RTPS au titre de la dégradation de l'attractivité de l'offre de programmes des chaînes mises à leur disposition par la société Groupe Canal + doit être limité au seul gain manqué par ces sociétés au cours de la période allant du 20 juin 2008 au 31 décembre 2012" ; qu'en affirmant, pour retenir un préjudice né des remises ayant dû être consenties, de juin 2008 à décembre 2012, par le groupe Parabole à ses abonnés, et partant condamner la société GCP à lui payer la somme globale de 48,55 millions d'euros au titre du préjudice d'exploitation subi pendant cette période, que "si M. [X] a écarté l'appréciation de ce préjudice qui n'entrait pas dans sa mission, la cour relève que le principe de ces remises n'est pas contesté", quand il ressortait du dispositif des conclusions de la société GCP qu'elle contestait tout autre préjudice que le seul gain manqué par le groupe Parabole entre juin 2008 et décembre 2012, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige qui lui était soumis, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que la responsabilité est subordonnée au constat d'un lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute reprochée ; que la seule faute retenue à l'encontre de la société GCP résidait dans l'absence de maintien de l'attractivité de certaines des chaînes mises à disposition du groupe Parabole ; qu'en se bornant, pour retenir un préjudice né des remises ayant dû être consenties, de juin 2008 à décembre 2012, par le groupe Parabole à ses abonnés, et partant condamner la société GCP à lui payer la somme globale de 48,55 millions d'euros au titre du préjudice d'exploitation subi pendant cette période, à affirmer qu'"en cause d'appel, le groupe Parabole fait valoir le préjudice distinct qui est résulté des baisses de tarifs sur les abonnements qu'il a dû consentir de juin 2008 à 2012 pour résister à l'offre concurrente et infractionnelle de GCP, préjudice qui entre dans la valorisation des préjudices résultant des atteintes à la concurrence", quand l'offre concurrente de la société GCP n'était pas infractionnelle, et sans rechercher ni constater que les baisses de tarif que le groupe Parabole alléguait avoir consenties, étaient effectivement la conséquence de la moindre attractivité du bouquet de chaînes distribuées et non d'une augmentation de l'intensité de la concurrence, la cour d'appel, qui s'est dispensée de l'exigence du lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute reprochée, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1240, anciennement 1382, et 1231-1, anciennement 1147, du code civil. »
Réponse de la Cour
10. D'une part, il ne résulte pas des conclusions de la société GCP que celle-ci, qui contestait l'évaluation, dans sa méthode et son quantum, faite par les premiers juges, du gain manqué par le groupe Parabole établi à partir du nombre d'abonnés manquants ou perdus entre 2008 et 2012 du fait des pratiques qui lui étaient imputées et qui estimait celui-ci à la somme maximale de 4 millions d'euros à laquelle elle demandait à la cour d'appel de cantonner sa condamnation au titre du préjudice d'exploitation invoqué par le groupe Parabole, ait critiqué l'intégration éventuelle, dans ce gain manqué, d'un « effet-prix » résultant des remises dont le groupe Parabole réclamait en appel l'indemnisation. Dès lors, c'est sans modifier l'objet du litige que la cour d'appel a estimé que n'était pas contesté le principe de remises sur les tarifs d'abonnements de nature à entrer dans le préjudice d'exploitation subi par le groupe Parabole au cours de cette période.
11. D'autre part, l'arrêt retient qu'a été irrévocablement jugée la responsabilité solidaire des sociétés GCP, Canal + France et Canal + distribution dans la violation des accords du 19 janvier 1999 et de ses avenants ainsi que dans la dégradation de l'attractivité de l'offre de programmes qui en est résultée pour le groupe Parabole sur la période du 19 juin 2008 au 31 décembre 2012. Il retient également que la mesure des abonnements manqués est liée à la pratique infractionnelle des sociétés en cause. Il relève que, pour déterminer le préjudice d'exploitation du groupe Parabole qui en est résulté pendant cette période, le premier expert judiciaire a déterminé le chiffre d'affaires mensuel moyen d'abonnés manqués et que, sur la base de ces données réelles et reconstituées, l'expertise privée produite par ce groupe a établi une perte supplémentaire résultant de l'effet-prix en raison de remises qu'il a dû consentir de juin 2008 à 2012.
12. En l'état de ces appréciations, faisant ressortir que les remises litigieuses répondaient à la perte d'attractivité résultant du comportement fautif de la société GCP et trouvaient donc leur origine dans ce comportement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du même pourvoi
Enoncé du moyen
14. La société GCP fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au groupe Parabole la somme de 29,50 millions d'euros au titre du préjudice d'exploitation de 2013 à 2016, alors :
« 1°/ que le juge ne peut méconnaître l'autorité de chose jugée d'un précédent arrêt devenu définitif ; que par un arrêt rendu le 3 juin 2016, devenu définitif, la cour d'appel de Paris a, par confirmation du jugement rendu le 29 avril 2014, condamné in solidum les sociétés GCP, Canal + France et Canal + distribution à indemniser le groupe Parabole de son préjudice résultant de la perte d'attractivité du bouquet de chaînes mises à sa disposition, né pendant la période du 19 juin 2008 au 31 décembre 2012 ; qu'en condamnant néanmoins la société GGP à indemniser les pertes d'exploitation subies par le groupe Parabole entre 2013 et 2016, quand ce préjudice n'était pas né entre 2008 et 2012, la cour d'appel a méconnu l'autorité de chose jugée de l'arrêt rendu le 3 juin 2016, en violation de l'article 1355 du code civil ;
2°/ que par un arrêt rendu le 3 juin 2016, devenu définitif, la cour d'appel de Paris a, par confirmation du jugement rendu le 29 avril 2014, condamné in solidum les sociétés GCP, Canal + France et Canal + distribution à indemniser les sociétés du groupe Parabole de leurs "préjudices résultant de la perte d'attractivité du bouquet de chaînes mises à leur disposition, nés pendant la période du 19 juin 2008 au 31 décembre 2012" ; que la cour d'appel a constaté que le groupe Parabole avait perdu, de droit, à la date du 31 décembre 2012, terme du contrat, le bénéfice de la distribution des programmes de la société TPS ou de qualité équivalente ; qu'il s'en déduisait qu'à compter de cette date, aucun préjudice économique ne pouvait résulter, pour le groupe Parabole, de la perte d'attractivité de certaines chaînes du bouquet dont il n'assurait plus la distribution ; qu'en condamnant néanmoins la société GCP à indemniser les pertes d'exploitation subies par le groupe Parabole entre 2013 et 2016, quand ces pertes d'exploitation ne pouvaient résulter de la "perte d'attractivité du bouquet de chaînes" mis à disposition du groupe Parabole entre 2008 et 2012, la cour d'appel a encore méconnu l'autorité de la chose jugée par l'arrêt rendu le 3 juin 2016, en violation de l'article 1355 du code civil ;
3°/ que la responsabilité suppose un lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute reprochée ; que la cour d'appel, entérinant le rapport du premier expert, a retenu que le préjudice économique subi par le groupe Parabole du fait des pratiques reprochées à la société GCP, était constitué par la perte des bénéfices qui auraient été générés par les abonnés manquants – soit qu'ils aient résilié leur abonnement, soit qu'ils n'aient pas souscrit d'abonnement – du fait de la perte d'attractivité de certaines chaînes du bouquet mis à disposition ; qu'en affirmant cependant, pour condamner la société GCP au paiement de la somme de 29,5 millions d'euros, au titre du préjudice d'exploitation subi par le groupe Parabole entre 2013 à 2016, que "la perte d'attractivité des offres de bouquets de programmes de sport et de cinéma des sociétés du groupe Parabole liée aux comportements de GCP, telle qu'elle est tranchée par le jugement du 29 avril 2014, s'est indiscutablement poursuivie après le terme du 31 décembre 2012 lorsque le groupe Parabole a perdu, de droit, le bénéfice de la distribution des programmes de la société TPS ou de qualité équivalente, alors que ces abonnements aux bouquets de programmes audiovisuels sont souscrits à durée déterminée tacitement reconductible" et que l'expert a retenu "une durée moyenne d'abonnement de quatre ans", quand la survenance du terme du contrat mettait fin à la distribution du bouquet de chaînes par le groupe Parabole, partant à tout préjudice né de la perte d'attractivité de certaines des chaînes de ce bouquet et que les circonstances que les contrats d'abonnement étaient tacitement reconductibles et que la durée moyenne d'abonnement était de quatre ans étaient inopérantes, dès lors que les abonnés ou potentiels abonnés, dont le comportement était déterminé par la perte d'attractivité du bouquet de chaînes, auraient pris la même décision à la rupture de plein droit du contrat, la cour d'appel, qui a retenu un préjudice sans lien de causalité avec la faute reprochée, a violé les articles 1240, anciennement 1382, et 1231-1, anciennement 1147, du code civil. »
Réponse de la Cour
15. L'arrêt retient que la perte d'attractivité des offres de bouquets de programmes de sport et de cinéma du groupe Parabole liée aux comportements de la société GCP, telle qu'elle est tranchée par le jugement du 29 avril 2014 confirmé par l'arrêt du 3 juin 2016, s'est indiscutablement poursuivie après le terme du 31 décembre 2012, lorsque le groupe Parabole a perdu, de droit, le bénéfice de la distribution des programmes de la société TPS ou de qualité équivalente, cependant que ces abonnements aux bouquets de programmes audiovisuels ont été souscrits à durée déterminée tacitement reconductible, de sorte que les pertes d'exploitation du groupe Parabole, dérivées des manquements de la société GCP à son obligation de fourniture des programmes de TPS, ou équivalents, jusqu'au 31 décembre 2012, ont perduré après cette date et qu'en tenant compte d'une maturité des abonnements manqués à 4 ans, d'un taux d'attrition naturelle des abonnés, ainsi que d'une décote de ce taux sur les quatre années, ces pertes devaient être limitées à la période allant de 2013 à 2016.
16. En l'état de ces appréciations, dont il ressort qu'outre la perte d'abonnés enregistrée sur la période de l'inexécution fautive, cette faute avait produit un effet rémanent du fait de la durée moyenne des abonnements qui, s'ils n'avaient pas été résiliés à la suite de la baisse d'attractivité du bouquet de chaînes ou s'ils avaient été conclus en l'absence de baisse d'attractivité n'auraient pas tous pris fin au 31 décembre 2012, c'est sans méconnaître l'autorité de la chose jugée dès lors que l'arrêt irrévocable du 3 juin 2016, en fixant à la période de 2008 à 2012 la date de naissance des préjudices causés par la faute commise sur cette période, n'avait pas exclu que leurs effets puissent être mesurés après le terme du contrat de distribution, que la cour d'appel a pu les réparer.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, du même pourvoi
Enoncé du moyen
18. La société GCP fait grief à l'arrêt de la condamner, ainsi que les sociétés Canal + France et Canal + distribution, à payer la somme de 48,55 millions d'euros avec capitalisation au taux d'intérêt de 11 % de juin 2008 à décembre 2012 et la somme de 29,5 millions d'euros avec capitalisation au taux d'intérêt de 11 % du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, alors « que le montant de la réparation ne peut être déterminé qu'à l'aune du préjudice subi ; que le caractère de gravité de la faute reprochée est sans incidence sur l'évaluation du préjudice ; qu'en retenant, pour appliquer un taux de capitalisation de 11 %, de juin 2008 à décembre 2012, sur la somme de 48,55 millions d'euros indemnisant le préjudice d'exploitation retenu pour cette période, et pour appliquer un taux de capitalisation de 11 %, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, sur la somme de 29,5 millions d'euros indemnisant le préjudice d'exploitation retenu pour cette période, que "l'intention continue de GCP de porter atteinte aux marchés du groupe Parabole depuis 2008, ceci alors que les deux groupes avaient souscrit un protocole d'intention de rachat, jusqu'en 2012, est suffisamment caractérisée par les décisions et les avis des régulateurs, Autorité de la concurrence ainsi que le Conseil supérieur de l'audiovisuel consulté, et des juridictions aussi bien administrative que judiciaire", quand cette circonstance, à la supposer avérée, était sans incidence sur la réparation du préjudice, la cour d'appel, qui s'est déterminée sur le caractère de gravité de la faute pour évaluer le préjudice, a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, ensemble les articles 1240, anciennement 1382, et 1231-1, anciennement 1147, du code civil. »
Réponse de la cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
19. Selon ce texte, tout fait de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
20. Pour assortir la condamnation de la société GCP au paiement de la somme de 48,55 millions d'euros, d'un taux d'intérêt de 11 % de juin 2008 à décembre 2012, avec capitalisation, et celle de 29,5 millions d'euros, d'un taux d'intérêt de 11 % du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, avec capitalisation, l'arrêt retient que l'intention continue de la société GCP de porter atteinte aux marchés du groupe Parabole depuis 2008, cependant que les deux groupes avaient souscrit un protocole d'intention de rachat, jusqu'en 2012, est suffisamment caractérisée par les décisions et les avis des régulateurs et des juridictions administrative et judiciaires.
21. En statuant ainsi, alors que le caractère intentionnel de la faute commise par la société GCP était sans influence sur l'étendue du préjudice causé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, du même pourvoi
Enoncé du moyen
22. La société GCP fait le même grief à l'arrêt, alors « que la condamnation au paiement d'intérêts compensatoires, soit l'application d'un taux d'intérêt au montant alloué en réparation du préjudice initial, suppose la démonstration de l'existence et de la mesure d'un dommage distinct, constitué par le ou les préjudice(s) financier(s) résultant de la privation de la trésorerie, que l'octroi des intérêts vient réparer ; que, dans ses conclusions, la société GCP faisait valoir que le groupe Parabole ne rapportait la preuve d'aucun préjudice complémentaire, autre que l'érosion monétaire et, notamment, pas l'abandon de projets créateurs de valeur, qui aurait été causé par le manquement de gains d'exploitation, à raison de la perte d'attractivité de certaines chaînes du bouquet mis à leur disposition, imputable à la société GCP ; qu'en se bornant, pour appliquer un taux de capitalisation de 11 %, de juin 2008 à décembre 2012, sur la somme de 48,55 millions d'euros indemnisant le préjudice d'exploitation retenu pour cette période et pour appliquer un taux de capitalisation de 11 %, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, sur la somme de 29,5 millions d'euros indemnisant le préjudice d'exploitation retenu pour cette période, à affirmer qu' "il est par ailleurs suffisamment étayé la preuve que le groupe Parabole a manqué l'opportunité en 2012 et 2013 d'une opération d'apport d'actifs auprès de la société Outre Mer Telecom Invest, avant que celle-ci ne soit rachetée par le groupe Altice", sans rechercher ni constater que l'échec de l'opération d'apport d'actifs était effectivement en lien avec le préjudice d'exploitation retenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, ensemble les articles 1240, anciennement 1382, et 1231-1, anciennement 1147, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
23. Pour assortir la condamnation de la société GCP au paiement de la somme de 48,55 millions d'euros, d'un taux d'intérêt de 11 % de juin 2008 à décembre 2012, avec capitalisation, et celle de 29,5 millions d'euros d'un taux d'intérêt de 11 % du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, avec capitalisation, l'arrêt retient également qu'il est prouvé que le groupe Parabole a manqué l'opportunité, en 2012 et 2013, d'une opération d'apport d'actifs auprès de la société Outre Mer Telecom Invest avant que celle-ci ne soit rachetée par le groupe Altice.
24. En se déterminant ainsi, alors qu'elle entendait, par l'allocation d'intérêts compensant l'impossibilité de réaliser un investissement en raison de la trésorerie perdue, réparer un préjudice additionnel s'ajoutant aux pertes d'exploitation subies par le groupe Parabole en raison du comportement fautif de la société GCP, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que l'échec de l'opération d'apport d'actifs avait été causé par l'indisponibilité des sommes allouées au titre des deux préjudices d'exploitation retenus, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, du même pourvoi
Enoncé du moyen
25. La société GCP fait le même grief à l'arrêt, alors « que la condamnation au paiement d'intérêts compensatoires, soit l'application d'un taux d'intérêt au montant alloué en réparation du préjudice initial, suppose la démonstration de l'existence et de la mesure d'un dommage distinct, constitué par le ou les préjudice(s) financier(s) résultant de la privation de la trésorerie, que l'octroi des intérêts vient réparer ; que ne constitue pas un tel préjudice, qui aurait été subi par le groupe Parabole, l'absence de versement de dividendes à leurs actionnaires ; qu'en ce qu'elle s'est fondée, pour appliquer un taux de capitalisation de 11 %, de juin 2008 à décembre 2012, sur la somme de 48,55 millions d'euros, indemnisant le préjudice d'exploitation retenu pour cette période et pour appliquer un taux de capitalisation de 11 %, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, sur la somme de 29,5 millions d'euros, indemnisant le préjudice d'exploitation retenu pour cette période, sur le constat, inopérant, que "les pertes de recettes d'exploitation telles qu'elles sont retenues sur la période de juin 2008 à 2012 ainsi que de 2013 à 2016 ont indiscutablement empêché l'opportunité du groupe Parabole de verser des dividendes à proportion des résultats amputés", la cour d'appel a encore privé sa décision de toute base légale au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, ensemble les articles 1240, anciennement 1382, et 1231-1, anciennement 1147, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
26. Pour assortir la condamnation de la société GCP au paiement de la somme de 48,55 millions d'euros, d'un taux d'intérêt de 11 % de juin 2008 à décembre 2012, avec capitalisation, et celle de 29,5 millions d'euros d'un taux d'intérêt de 11 % du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, avec capitalisation, l'arrêt retient en outre que les pertes de recettes d'exploitation, telles qu'elles sont retenues sur la période de juin 2008 à 2012 ainsi que de 2013 à 2016, ont empêché le groupe Parabole de verser des dividendes à proportion des résultats amputés.
27. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, dès lors que l'impossibilité de verser des dividendes à ses actionnaires n'est pas, en soi, pour une société commerciale, constitutive d'un préjudice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le troisième moyen, pris en sa sixième branche, du même pourvoi
Enoncé du moyen
28. La société GCP fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut allouer une réparation forfaitaire sans rapport avec l'étendue du préjudice effectivement subi ; que la condamnation au paiement d'intérêts compensatoires, soit l'application d'un taux d'intérêt au montant alloué en réparation du préjudice initial, suppose la démonstration de l'existence et de la mesure d'un dommage distinct, constitué par le ou les préjudice(s) financier(s) résultant de la privation de la trésorerie, que l'octroi des intérêts vient réparer ; qu'à supposer que la cour d'appel ait entendu réparer le préjudice né de la privation de trésorerie du groupe Parabole, en condamnant la société GCP au paiement d'intérêts capitalisés au taux uniforme et forfaitaire de 11 %, de juin 2008 à décembre 2012 sur la somme de 48,55 millions d'euros et du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, sur la somme de 29,5 millions d'euros, quand ce taux de 11 %, taux d'actualisation issu du rapport du Cabinet Deloitte établi en 2007 dans le cadre d'un éventuel rachat du groupe Parabole, était sans lien avec le préjudice de privation de trésorerie qui aurait été effectivement subi par le groupe Parabole entre 2008 et 2016 et sans rechercher quelle aurait été la rémunération effective de la trésorerie dont le groupe Parabole alléguait la perte, la cour d'appel, qui a alloué une réparation forfaitaire, a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1240, anciennement 1382, et 1231-1, anciennement 1147, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de la réparation intégrale :
29. Pour assortir la condamnation de la société GCP au paiement de la somme de 48,55 millions d'euros, d'un taux d'intérêt de 11 % de juin 2008 à décembre 2012, avec capitalisation, et celle de 29,5 millions d'euros, d'un taux d'intérêt de 11 % du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, avec capitalisation, l'arrêt retient enfin que la relative continuité des pertes du groupe Parabole de juin 2008 à 2016, bien que régressive (dégressive) de 2013 à 2016, rend pertinente l'application d'un taux de 11 % sur les préjudices d'exploitation retenus sur la période de 2013 à 2016.
30. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur le taux ainsi retenu, alors qu'elle entendait réparer un préjudice pris d'une perte d'opportunité d'investir la trésorerie perdue du fait du comportement fautif de la société GCP, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le respect du principe de la réparation intégrale du préjudice, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° D 22-16.881
Enoncé du moyen
31. Le groupe Parabole fait grief à l'arrêt, après avoir fixé la capitalisation au taux de 11 % afin de réparer le préjudice de trésorerie, de limiter cette capitalisation à la seule période de juin 2008 à décembre 2012 pour la première somme allouée au titre du préjudice d'exploitation jusqu'en 2012 (soit 48,55 millions d'euros), et à la seule période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016 pour la seconde somme allouée au titre du préjudice d'exploitation postérieure à 2012 (soit 29,50 millions d'euros) , alors « que le juge doit réparer l'entier préjudice, sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; qu'à ce titre, il doit évaluer le préjudice au jour le plus proche de sa décision ; que le préjudice né pour une entreprise de la privation des sommes allouées en réparation du préjudice initial est réparé par l'octroi d'intérêts compensatoires, lesquels sont dus de la date à laquelle ces sommes auraient dû être disponibles, à tout le moins, jusqu'au jour de la décision statuant sur ces intérêts ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que le préjudice de trésorerie subi par le groupe Parabole, qu'elle a constaté dans son principe, devait être réparé par l'allocation d'un taux de capitalisation de 11 %, ayant pour assiette les pertes d'exploitation subies, d'une part, de juin 2008 à décembre 2012, d'autre part, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016, en limitant son application aux mêmes périodes ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que les intérêts compensatoires devaient s'appliquer, à tout le moins, jusqu'au jour de la décision statuant sur ces intérêts, c'est-à-dire, pour chacune des deux périodes concernées, jusqu'à la date de l'arrêt, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du dommage, ensemble les articles 1134 et 1147 anciens du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenus respectivement les articles 1103, 1104 et 1231-1 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale et l'article 1231-7, alinéa 1, du code civil :
32. Selon ce texte, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.
33. Il en résulte que les intérêts destinés à compenser le préjudice pris de la privation des sommes dont une personne a été victime courent jusqu'au jour du jugement qui prononce une condamnation à ce titre, tandis qu'après cette date, les dommages et intérêts ainsi alloués produisent intérêt au taux légal.
34. L'arrêt condamne la société GCP à payer les sommes allouées au titre des deux préjudices d'exploitation qu'il a retenus avec capitalisation au taux de 11 % sur chacune des deux sommes et pour la durée respective de chacun de ces préjudices.
35. En statuant ainsi, alors que les intérêts alloués au titre du préjudice additionnel, à les supposer dus, couraient jusqu'au jour du jugement, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne les sociétés Groupe Canal +, Canal + France et Canal + distribution à payer aux sociétés Parabole Réunion, Mediacom Ltd et Radio télévision par satellite les sommes de 48,55 millions d'euros en principal, au titre du préjudice d'exploitation de juin 2008 à 2012, et de 29,50 millions d'euros en principal, au titre du préjudice d'exploitation de 2013 à 2016, d'un million d'euros en réparation du préjudice moral et de 500 000 euros en réparation du préjudice de réputation, avec intérêts au taux légal à compter du 11 février 2022, et en ce qu'il ordonne la publication des contenus des dispositifs des décisions qui reconnaissent les droits des sociétés du groupe Parabole dans trois journaux quotidiens et trois magazines hebdomadaires au choix des sociétés du groupe Parabole, aux frais de la société Groupe Canal + et dans la limite de 30 000 euros hors taxes, l'arrêt rendu le 11 février 2022, tel que rectifié par l'arrêt RG n° 22/00107 du 15 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.