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Décisions

CJUE, 1re ch., 9 mars 2023, n° C-693/20 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Annulation

PARTIES

Demandeur :

Intermarché Casino Achats SARL

Défendeur :

Commission européenne, Conseil de l’Union européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Arabadjiev

Vice-président :

M. Bay Larsen

Juges :

M. Xuereb (rapporteur), M. Kumin, Mme Ziemele

Avocat général :

M. Pitruzzella

Avocats :

Me Abouzeid, Me Eder, Me Jourdan, Me Mussi, Me Utzschneider

CJUE n° C-693/20 P

8 mars 2023

LA COUR (première chambre),

1 Par son pourvoi, Intermarché Casino Achats SARL demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 octobre 2020, Intermarché Casino Achats/Commission (T 254/17, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:459), par lequel ce dernier a partiellement rejeté son recours fondé sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2017) 1056 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Intermarché Casino Achats ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (AT.40466 – Tute 1) (ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 1/2003

2 Aux termes du considérant 25 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :

« La détection des infractions aux règles de concurrence devenant de plus en plus difficile, il est nécessaire, pour protéger efficacement la concurrence, de compléter les pouvoirs d’enquête de la Commission [européenne]. La Commission doit notamment pouvoir interroger toute personne susceptible de disposer d’informations utiles et pouvoir enregistrer ses déclarations. En outre, au cours d’une inspection, les agents mandatés par la Commission doivent pouvoir apposer des scellés pendant la durée nécessaire à l’inspection. Les scellés ne doivent normalement pas être apposés pendant plus de soixante-douze heures. Les agents mandatés par la Commission doivent aussi pouvoir demander toutes les informations ayant un lien avec l’objet et le but de l’inspection. »

3 Sous le chapitre V, intitulé « Pouvoirs d’enquête », figure l’article 17 de ce règlement, lui-même intitulé « Enquêtes par secteur économique et par type d’accords », lequel énonce, à son paragraphe 1 :

« Lorsque l’évolution des échanges entre États membres, la rigidité des prix ou d’autres circonstances font présumer que la concurrence peut être restreinte ou faussée à l’intérieur du marché commun, la Commission peut mener son enquête sur un secteur particulier de l’économie ou un type particulier d’accords dans différents secteurs. Dans le cadre de cette enquête, la Commission peut demander aux entreprises ou aux associations d’entreprises concernées les renseignements nécessaires à l’application des articles [101] et [102 TFUE] et effectuer les inspections nécessaires à cette fin. »

4 L’article 19 dudit règlement, intitulé « Pouvoir de recueillir des déclarations », prévoit :

« 1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête.

2. Lorsque l’entretien prévu au paragraphe 1 est réalisé dans les locaux d’une entreprise, la Commission informe l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’entretien a lieu. Les agents de l’autorité de concurrence de l’État membre concerné peuvent, si celle-ci le demande, prêter assistance aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour conduire l’entretien. »

5 L’article 20 du même règlement, intitulé « Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection », dispose :

« 1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.

2. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection sont investis des pouvoirs suivants :

a) accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises ;

b) contrôler les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support ;

c) prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents ;

d) apposer des scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci ;

e) demander à tout représentant ou membre du personnel de l’entreprise ou de l’association d’entreprises des explications sur des faits ou documents en rapport avec l’objet et le but de l’inspection et enregistrer ses réponses.

3. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection exercent leurs pouvoirs sur production d’un mandat écrit qui indique l’objet et le but de l’inspection, ainsi que la sanction prévue à l’article 23 au cas où les livres ou autres documents professionnels qui sont requis seraient présentés de manière incomplète et où les réponses aux demandes faites en application du paragraphe 2 du présent article seraient inexactes ou dénaturées. La Commission avise, en temps utile avant l’inspection, l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.

4. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice [de l’Union européenne] contre la décision. La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.

5. Les agents de l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée ainsi que les agents mandatés ou désignés par celle-ci doivent, à la demande de cette autorité ou de la Commission, prêter activement assistance aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission. Ils disposent à cette fin des pouvoirs définis au paragraphe 2.

6. Lorsque les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission constatent qu’une entreprise s’oppose à une inspection ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé leur prête l’assistance nécessaire, en requérant au besoin la force publique ou une autorité disposant d’un pouvoir de contrainte équivalent, pour leur permettre d’exécuter leur mission d’inspection.

7. Si, en vertu du droit national, l’assistance prévue au paragraphe 6 requiert l’autorisation d’une autorité judiciaire, cette autorisation doit être sollicitée. L’autorisation peut également être demandée à titre préventif.

8. Lorsqu’une autorisation visée au paragraphe 7 est demandée, l’autorité judiciaire nationale contrôle que la décision de la Commission est authentique et que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de l’inspection. Lorsqu’elle contrôle la proportionnalité des mesures coercitives, l’autorité judiciaire nationale peut demander à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’autorité de concurrence de l’État membre, des explications détaillées, notamment sur les motifs qui incitent la Commission à suspecter une violation des articles [101] et [102 TFUE], ainsi que sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l’implication de l’entreprise concernée. Cependant, l’autorité judiciaire nationale ne peut ni mettre en cause la nécessité de l’inspection ni exiger la communication des informations figurant dans le dossier de la Commission. Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission est réservé à la Cour de justice. »

6 L’article 23 du règlement no 1/2003, intitulé « Amendes », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes jusqu’à concurrence de 1 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent lorsque, de propos délibéré ou par négligence :

[...]

c) elles présentent de façon incomplète, lors des inspections effectuées au titre de l’article 20, les livres ou autres documents professionnels requis, ou ne se soumettent pas aux inspections ordonnées par voie de décision prise en application de l’article 20, paragraphe 4 ;

d) en réponse à une question posée conformément à l’article 20, paragraphe 2, point e),

– elles fournissent une réponse incorrecte ou dénaturée, ou

– elles omettent de rectifier dans un délai fixé par la Commission une réponse incorrecte, incomplète ou dénaturée donnée par un membre du personnel, ou

– elles omettent ou refusent de fournir une réponse complète sur des faits en rapport avec l’objet et le but d’une inspection ordonnée par une décision prise conformément à l’article 20, paragraphe 4 ;

e) des scellés apposés en application de l’article 20, paragraphe 2, point d), par les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés de la Commission, ont été brisés. »

 Le règlement (CE) no 773/2004

7 L’article 2 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), intitulé « Ouverture de la procédure », prévoit, à son paragraphe 3 :

« La Commission peut exercer ses pouvoirs d’enquête en application du chapitre V du règlement [no 1/2003] avant d’ouvrir une procédure. »

8 Sous le chapitre III, intitulé « Enquêtes menées par la Commission », figure l’article 3 du règlement no 773/2004, lui-même intitulé « Pouvoir de recueillir des déclarations », lequel dispose :

« 1. Lorsque la Commission interroge une personne avec son consentement, conformément à l’article 19 du règlement [no 1/2003], elle indique, au début de l’entretien, sur quelle base juridique celui-ci est fondé ainsi que son objectif, et elle en rappelle le caractère volontaire. Elle informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien.

2. L’entretien peut être réalisé par tout moyen de communication, y compris par téléphone ou par voie électronique.

3. La Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées. Une copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation. La Commission fixe, au besoin, un délai dans lequel la personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration. »

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

9 Les antécédents du litige ont été résumés aux points 2 à 8 de l’arrêt attaqué comme suit :

« 2. Intermarché Casino Achats [...] est la filiale commune d’EMC Distribution, elle-même filiale de Casino, Guichard-Perrachon (ci-après “Casino”), et d’ITM Alimentaire International, elle-même filiale d’ITM Entreprises (ci-après “Intermarché”), qui exercent leurs activités principalement dans le secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire. Sa mission principale est la négociation, au nom et pour le compte de ses sociétés mères, des conditions d’achat des produits et la conclusion avec les fournisseurs de la convention annuelle prévue par le droit français.

3. Ayant reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre Casino et Intermarché dans le secteur des biens de consommation courante, la Commission européenne a adopté [la décision litigieuse].

4. Le dispositif de la décision [litigieuse] se lit comme suit :

“Article premier

Intermarché Casino Achats [...], ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, sont tenues de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à des pratiques concertées contraires à l’article 101 [TFUE] dans les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante, dans le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque et dans les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante. Ces pratiques concertées consistent en :

a) des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment [International Casino Dia Corporation (ICDC)] [...], et/ou ses membres, notamment Casino et AgeCore et/ou ses membres, notamment Intermarché, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment [en] France, et

b) des échanges d’informations, depuis au moins 2016, entre Intermarché et Casino concernant leurs stratégies commerciales futures, notamment en termes d’assortiment, de développement de magasins, d’e-commerce et de politique promotionnelle sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et sur les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante, en France.

Cette inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de l’entreprise [...]

[Intermarché Casino Achats] autorise les fonctionnaires et autres personnes mandatées par la Commission pour procéder à une inspection et les fonctionnaires et autres personnes mandatées par l’autorité de concurrence de l’État membre concerné pour les aider ou nommées par ce dernier à cet effet, à accéder à tous ses locaux et moyens de transport pendant les heures normales de bureau. Elle soumet à inspection les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support, si les fonctionnaires et autres personnes mandatées en font la demande et leur permet de les examiner sur place et de prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents. Elle autorise l’apposition de scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci. Elle donne immédiatement sur place des explications orales sur l’objet et le but de l’inspection si ces fonctionnaires ou personnes en font la demande et autorise tout représentant ou membre du personnel à donner de telles explications. Elle autorise l’enregistrement de ces explications sous quelque forme que ce soit.

Article 2

L’inspection peut débuter le 20 février 2017 ou peu de temps après.

Article 3

[Intermarché Casino Achats] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle sont destinataires de la présente décision.

Cette décision est notifiée, juste avant l’inspection, à l’entreprise [...] qui en est destinataire, en vertu de l’article 297, paragraphe 2, [TFUE].”

5. Ayant été informée de cette inspection par la Commission, l’Autorité de la concurrence française a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil (France), afin de lui demander l’autorisation de réaliser des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la requérante. Par ordonnance du 17 février 2017, le juge des libertés et de la détention a autorisé les visites et saisies sollicitées à titre préventif. Aucune des mesures prises lors de l’inspection n’ayant nécessité l’usage des “pouvoirs de contrainte” au sens de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement no 1/2003, cette ordonnance n’a pas été notifiée à la requérante.

6. L’inspection a débuté le 20 février 2017, date à laquelle les inspecteurs de la Commission, accompagnés de représentants de l’Autorité de la concurrence française, se sont présentés au siège de la requérante et lui ont notifié la décision [litigieuse].

7. Dans le cadre de l’inspection, la Commission a procédé notamment à une visite des bureaux, à une collecte de matériel, en particulier informatique (ordinateurs portables, téléphones mobiles, tablettes, périphériques de stockage), à l’audition de plusieurs personnes et à la copie du contenu du matériel collecté.

8. La requérante a adressé à la Commission un courrier daté du 24 février 2017, dans lequel elle a formulé des réserves quant à la régularité des auditions et, plus généralement, de l’inspection. Ces réserves ont été complétées par un courrier adressé à la Commission le 13 mars 2017. »

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2017, la requérante a introduit, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de son recours, la requérante a invoqué, en substance, trois moyens. Le premier était fondé sur une exception d’illégalité de l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1/2003, le deuxième était tiré de la méconnaissance de l’obligation de motivation et le troisième de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile.

11 Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité la Commission à produire les indices d’infractions présumées dont elle disposait à la date de la décision litigieuse.

12 En réponse à cette invitation, la Commission a notamment produit des comptes rendus d’entretiens tenus en 2016 et en 2017 avec treize fournisseurs des produits de consommation courante concernés qui concluaient régulièrement des accords avec Casino et Intermarché (annexes Q.1 à Q.13 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) (ci-après les « entretiens avec les fournisseurs »).

13 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal, ayant estimé que la Commission ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter l’existence d’une infraction consistant en des échanges d’informations entre Casino et Intermarché concernant leurs stratégies commerciales futures, a annulé l’article 1er, sous b), de la décision litigieuse. Il a rejeté le recours pour le surplus et condamné chacune des parties à supporter leurs propres dépens.

Les conclusions des parties

14 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :

– d’annuler le point 2 et, en conséquence, le point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué ;

– d’annuler l’article 1er, sous a), de la décision litigieuse, et

– de condamner la Commission aux dépens de l’ensemble de la procédure devant le Tribunal et la Cour.

15 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

16 Le Conseil de l’Union européenne demande à la Cour :

– de rejeter le premier moyen du pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens du pourvoi.

Sur le pourvoi

17 À l’appui de son pourvoi, la requérante soulève trois moyens. Le premier moyen est tiré de ce que le Tribunal aurait commis plusieurs erreurs de droit en rejetant l’exception d’illégalité de l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1/2003, fondée sur l’absence de voies de recours contre le déroulement des inspections. Le deuxième moyen est tiré de ce que le Tribunal aurait violé l’article 19 du règlement no 1/2003, l’article 3 du règlement no 773/2004 et l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») en considérant que les comptes rendus produits par la Commission, pour justifier du caractère suffisamment sérieux des indices en sa possession, n’étaient pas entachés d’une irrégularité de forme affectant leur valeur probante. Le troisième moyen est tiré de ce que le Tribunal aurait violé le droit à l’inviolabilité du domicile en rejetant l’argument de la requérante, fondé sur l’absence, dans la décision litigieuse, de limitation dans le temps de l’inspection.

Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit commises par le Tribunal dans le cadre de l’analyse de l’effectivité des voies de recours concernant le déroulement des inspections

Argumentation des parties

18 La requérante fait valoir que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit, en rejetant, aux points 46 à 79 de l’arrêt attaqué, l’exception d’illégalité de l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1/2003, fondée sur l’absence de voies de recours contre le déroulement des inspections.

19 Par un premier grief, la requérante soutient que, contrairement à l’affirmation du Tribunal au point 51 de l’arrêt attaqué, dans les arrêts de la Cour EDH du 21 février 2008, Ravon et autres c. France (CE:ECHR:2008:0221JUD001849703), du 21 décembre 2010, Société Canal Plus et autres c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002940808), du 21 décembre 2010, Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002961308), ainsi que du 2 octobre 2014, Delta Pekárny a.s. c. République tchèque (CE:ECHR:2014:1002JUD000009711), la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas jugé que les voies de recours devaient être appréciées dans leur ensemble pour satisfaire aux exigences de cette juridiction relatives au droit à un recours effectif. La conclusion du Tribunal, figurant au point 69 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’existence d’un recours effectif pourrait être appréciée sur la base d’une analyse globale des multiples voies de recours qui, de manière individuelle, ne remplissent pas les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme serait donc entachée d’une erreur de droit.

20 Par un deuxième grief, la requérante soutient que, en toute hypothèse, le Tribunal a commis une erreur de droit en affirmant que les voies de recours existantes permettaient de porter devant le juge de l’Union toutes les contestations relatives au déroulement des inspections.

21 En premier lieu, elle souligne que le Tribunal n’a pas fait une analyse complète des voies de recours ouvertes contre les décisions prises dans le cadre des inspections, mais invoquerait, de manière anecdotique, le recours contre les actes de la Commission rejetant une demande de protection au titre de la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients ainsi que le recours contre les actes de la Commission rejetant une demande de protection au titre de la vie privée des membres du personnel d’une entreprise, mentionnés par le Tribunal aux points 61 et 62 de l’arrêt attaqué. Ce dernier recours serait, en outre, incertain à ce jour et, à ce titre, ineffectif (Cour EDH, 10 septembre 2010, Mac Farlane c. Irlande, CE:ECHR:2010:0910JUD003133306).

22 En deuxième lieu, le Tribunal n’identifierait aucune voie de recours immédiate pour contester d’autres mesures prises en application d’une décision d’inspection, telle que la saisie de documents sortant du champ de l’inspection. L’entreprise inspectée devrait attendre une décision finale clôturant la procédure d’application de l’article 101 TFUE pour contester de telles mesures, ainsi que cela ressortirait de la jurisprudence du Tribunal. Or, une telle voie de recours aurait été jugée insuffisante par la Cour européenne des droits de l’homme, car incertaine et n’intervenant pas dans un délai raisonnable, dans ses arrêts du 21 décembre 2010, Société Canal Plus et autres c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002940808), ainsi que du 21 décembre 2010, Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002961308).

23 En troisième lieu, les autres recours évoqués par le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, ne répondraient pas davantage aux exigences de la Charte.

24 Premièrement, le recours évoqué, au point 59 de l’arrêt attaqué, contre la décision d’inspection serait manifestement insuffisant, dès lors qu’il ne porterait pas, par définition, sur le déroulement de l’inspection.

25 De plus, le recours contre une éventuelle nouvelle décision d’inspection, fondée sur l’utilisation de pièces illégalement saisies à la suite d’une première décision d’inspection, mentionné au point 69 de l’arrêt attaqué, serait incertain et hypothétique.

26 Deuxièmement, la possibilité pour une entreprise, évoquée au point 60 de l’arrêt attaqué, de s’opposer aux mesures d’inspection pour, ensuite, former un recours contre une décision de sanction pour obstruction et contester, dans ce cadre, le déroulement de l’inspection ne constituerait pas une voie de recours effective, comme l’aurait récemment affirmé la Cour dans l’arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale) (C 245/19 et C 246/19, EU:C:2020:795, point 66), et comme l’aurait depuis longtemps reconnu la Cour européenne des droits de l’homme. Outre que l’existence de ce recours serait incertaine, car conditionnée à l’adoption d’une décision de sanction par la Commission, elle supposerait que l’entreprise prenne le risque d’une amende.

27 Troisièmement, dès lors que le déroulement d’une inspection ne pourrait, sauf exception portant sur certaines mesures particulières, faire l’objet d’un recours, une action en référé ne serait pas possible.

28 Quatrièmement, en ce qui concerne le recours en responsabilité non contractuelle évoqué dans l’arrêt attaqué, la requérante souligne que, dans son arrêt du 21 février 2008, Ravon et autres c. France (CE:ECHR:2008:0221JUD001849703, § 33), la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la possibilité d’obtenir une indemnisation ne se substituait pas à un contrôle juridictionnel effectif, car elle ne permettait pas de contrôler la régularité de mesures prises sur le fondement d’une perquisition.

29 Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en jugeant que les voies de recours existantes, individuellement ou conjointement, permettaient d’offrir un droit de recours effectif contre le déroulement des inspections au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’article 47 de la Charte.

30 En quatrième lieu, la requérante soutient que, en tout état de cause, la combinaison complexe de recours différents, envisagée par le Tribunal, serait incompatible avec les exigences de transparence et d’intelligibilité de la règle de droit pour le justiciable, a fortiori en ce qui concerne un droit fondamental. Elle relève, en outre, qu’une telle complexité n’est pas nécessaire. En effet, l’Union pourrait aisément prévoir un droit de recours immédiat contre le déroulement des inspections, à l’instar du droit français.

31 La Commission et le Conseil contestent l’argumentation de la requérante.

Appréciation de la Cour

32 À titre liminaire, il convient de relever que les points 46 à 79 de l’arrêt attaqué que la requérante conteste, dans le cadre du premier moyen, font partie des motifs par lesquels le Tribunal a rejeté l’exception d’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, tirée de la violation du droit à un recours effectif en raison de l’absence de recours contre les mesures prises dans le cadre d’une inspection.

33 Plus précisément, aux points 46 à 50 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tout d’abord rappelé que le droit à un recours effectif était consacré à l’article 47 de la Charte et aux articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Après avoir rappelé que la CEDH ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union, de telle sorte que le contrôle de légalité doit être opéré au regard uniquement des droits fondamentaux garantis par la Charte, il a souligné qu’il résulte tant de l’article 52 de la Charte que des explications relatives à cet article que les dispositions de la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relatives à ces dispositions doivent être prises en compte lors de l’interprétation et de l’application des dispositions de la Charte dans une espèce donnée.

34 Il a considéré, à cet égard, que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le respect du droit à un recours effectif doit être examiné, en matière de visites domiciliaires, à la lumière des quatre conditions suivantes, à savoir, premièrement, il doit exister un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision de procéder à de telles visites ou des mesures prises dans le cadre de celles-ci, deuxièmement, le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d’irrégularité, soit de prévenir la survenance de l’opération, soit, dans l’hypothèse où une opération irrégulière aurait déjà eu lieu, de fournir à l’intéressé un redressement approprié, troisièmement, l’accessibilité du recours concerné doit être certaine et, quatrièmement, le contrôle juridictionnel doit intervenir dans un délai raisonnable.

35 Le Tribunal a ensuite relevé, au point 51 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait également de cette jurisprudence que le déroulement d’une opération d’inspection devait pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif et que le contrôle devait être effectif dans les circonstances particulières de l’affaire en cause, ce qui impliquait la prise en compte de l’ensemble des voies de droit à la disposition d’une entreprise faisant l’objet d’une inspection et ainsi une analyse globale de ces voies de droit. Le Tribunal a estimé, aux points 54 et 55 de l’arrêt attaqué, que, la vérification du respect du droit au recours effectif devant reposer sur une analyse globale des voies de droit susceptibles de donner lieu au contrôle des mesures prises dans le cadre d’une inspection, il était indifférent que, prises individuellement, chacune des voies de droit examinées ne remplisse pas les conditions requises pour que soit admise l’existence d’un droit à un recours effectif.

36 Le Tribunal a, de plus, indiqué, aux points 56 et 57 de l’arrêt attaqué, que, outre la possibilité d’adresser des demandes au conseiller-auditeur de la Commission, il existait six voies de droit permettant de porter devant le juge de l’Union des contestations relatives à une opération d’inspection, à savoir le recours contre la décision d’inspection, le recours contre la décision de la Commission sanctionnant une obstruction à l’inspection sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement no 1/2003, le recours contre tout acte remplissant les conditions jurisprudentielles de l’acte susceptible de recours qu’adopterait la Commission à la suite de la décision d’inspection et dans le cadre du déroulement des opérations d’inspection, tel qu’une décision rejetant une demande de protection de documents au titre de la confidentialité des communications entre avocats et clients, le recours contre la décision clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE, l’action en référé et le recours en responsabilité extracontractuelle.

37 Le Tribunal a précisé, aux points 58 à 66 de l’arrêt attaqué, en quoi il considérait que ces voies de droit permettaient de porter devant le juge de l’Union des contestations relatives au déroulement des inspections.

38 Enfin, le Tribunal a jugé, au terme d’une analyse effectuée aux points 68 à 78 de l’arrêt attaqué, que le système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection constitué de l’ensemble des voies de droit énumérées au point 36 du présent arrêt pouvait être considéré comme satisfaisant aux quatre conditions découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

39 Ainsi, au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’exception d’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, fondée sur la violation du droit à un recours effectif.

40 S’agissant du premier grief, tiré de ce que le Tribunal aurait dû procéder à un examen individuel des différentes voies de recours afin de vérifier si le droit à un recours effectif contre les mesures prises dans le cadre d’une inspection est assuré, il y a lieu de rappeler que le droit à un recours effectif est consacré à l’article 47 de la Charte.

41 Il importe de rappeler également que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte précise que, dans la mesure où cette dernière contient des droits correspondant à ceux garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C 585/18, C 624/18 et C 625/18, EU:C:2019:982, point 116].

42 Or, ainsi qu’il ressort des explications afférentes à l’article 47 de la Charte, qui, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci, les premier et deuxième alinéas de cet article 47 correspondent respectivement à l’article 13 et à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C 585/18, C 624/18 et C 625/18, EU:C:2019:982, point 117]. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH constitue une lex specialis par rapport à l’article 13 de cette convention, les exigences du second se trouvant comprises dans celles, plus strictes, du premier (Cour EDH, 15 mars 2022, Grzęda c. Pologne, CE:ECHR:2022:0315JUD004357218, § 352 et jurisprudence citée).

43 La Cour a en outre jugé qu’elle devait veiller à ce que l’interprétation qu’elle effectue de l’article 47, premier alinéa, de la Charte assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 13 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme [voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (Effet suspensif de l’appel), C 175/17, EU:C:2018:776, point 35].

44 À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la protection offerte par l’article 13 de la CEDH ne va pas jusqu’à exiger une forme particulière de recours (Cour EDH, 20 mars 2008, Boudaïeva et autres c. Russie, CE:ECHR:2008:0320JUD001533902, § 190) et que même si aucun recours offert par le droit interne, pris isolément, ne satisfait par lui même aux exigences de cet article 13, tel peut être le cas de ces recours, considérés dans leur globalité (Cour EDH, 10 juillet 2020, Mugemangango c. Belgique, CE:ECHR:2020:0710JUD000031015, § 131 et jurisprudence citée).

45 En outre, en cas d’atteinte au droit au respect du domicile, consacré à l’article 8 de la CEDH, un recours est effectif, au sens de l’article 13 de la CEDH, si le requérant a accès à une procédure lui permettant de contester la régularité des perquisitions et des saisies réalisées et d’obtenir un redressement approprié si celles-ci ont été ordonnées ou exécutées de manière illégale (Cour EDH, 19 janvier 2017, Posevini c. Bulgarie, CE:ECHR:2017:0119JUD006363814, § 84).

46 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 6, paragraphe 1, ou à l’article 8 de la CEDH que, en matière de visites domiciliaires, l’absence de délivrance préalable d’une autorisation d’inspection par un juge, qui aurait pu circonscrire ou contrôler le déroulement de cette inspection, peut être contrebalancée par un contrôle judiciaire ex post facto sur la légalité et la nécessité d’une telle mesure d’instruction à condition que ce contrôle soit efficace dans les circonstances particulières de l’affaire en cause. Cela implique que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la mesure litigieuse et de son déroulement. Lorsqu’une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, le ou les recours disponibles doivent permettre de fournir à l’intéressé un redressement approprié (Cour EDH, 2 octobre 2014, Delta Pekárny a.s. c. République tchèque, CE:ECHR:2014:1002JUD000009711, § 86 et § 87 ainsi que jurisprudence citée).

47 Ainsi, dès lors que le contrôle judiciaire a posteriori de l’inspection peut, sous certaines conditions, contrebalancer l’absence de contrôle judiciaire préalable et qu’un redressement approprié doit être fourni par « le ou les recours disponibles », il y a lieu de considérer qu’il convient, en principe, de tenir compte de l’ensemble des recours disponibles afin de déterminer si les exigences de l’article 47 de la Charte sont remplies.

48 Par ailleurs, les requérantes ayant invoqué, par la voie d’une exception, l’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003, le Tribunal, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578), était tenu pour se prononcer sur cette exception, de procéder à une appréciation globale du système de contrôle juridictionnel des mesures prises dans le cadre des inspections, dépassant les circonstances particulières de l’affaire en cause.

49 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que c’est à tort que les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en procédant à une analyse globale de l’ensemble des voies de droit disponibles pour contester le déroulement des inspections.

50 Partant, le premier grief doit être rejeté.

51 S’agissant du deuxième grief, il convient, en premier lieu, de considérer, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578), que l’absence de pratique judiciaire établie ne peut pas être décisive pour nier le caractère effectif d’une voie de recours.

52 De plus, la possibilité, évoquée par le Tribunal au point 62 de l’arrêt attaqué, de former un recours contre une décision rejetant une demande de protection au titre de la vie privée des membres du personnel d’une entreprise ne constitue que l’application à un cas concret d’une jurisprudence constante, selon laquelle constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578).

53 En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation de la requérante selon laquelle le Tribunal aurait commis une erreur de droit en omettant d’identifier une voie de recours immédiate permettant de contester la saisie de documents sortant du champ de l’inspection, il y a lieu de préciser que, ainsi qu’il ressort du point 69 de l’arrêt attaqué, qui est contesté par la requérante, cette argumentation concerne une situation dans laquelle l’inspection concernée, dans le cadre de laquelle des documents sortant du champ de l’inspection pourraient être saisis, déboucherait non pas sur une décision de constat d’infraction et de sanction, mais sur l’ouverture d’une nouvelle enquête et l’adoption d’une nouvelle décision d’inspection.

54 À cet égard, il convient de relever que, audit point 69, le Tribunal a fait référence aux différentes voies de droit qu’il a examinées aux points 57 à 66 de l’arrêt attaqué et il a constaté, notamment, au point 59 de cet arrêt que les entreprises inspectées pourraient former un recours en annulation contre la nouvelle décision d’inspection et donc contester la légalité des indices l’ayant fondée comme ayant été irrégulièrement obtenus lors de l’inspection précédente.

55 Par ailleurs, en ce qui concerne les voies de recours immédiates pour contester les mesures prises en application d’une décision d’inspection, il convient de relever que le Tribunal a considéré, à bon droit, en substance, aux points 56 et 57 de l’arrêt attaqué, que ces entreprises ont la possibilité de faire un recours contre tout acte qu’adopterait la Commission à la suite d’une décision d’inspection, y compris lors du déroulement des opérations d’inspection, pour autant que cet acte soit susceptible d’un tel recours au regard des conditions définies par la jurisprudence.

56 En troisième lieu, s’agissant des appréciations portées par le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, sur le recours contre la décision d’inspection, le recours contre la décision de la Commission sanctionnant une obstruction à l’inspection sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement no 1/2003, l’action en référé et le recours en responsabilité extracontractuelle, il ressort du point 47 du présent arrêt qu’aucune voie de droit à la disposition d’une entreprise soumise à une mesure d’inspection ne devait être écartée par le Tribunal pour autant que cette voie de droit permet de contester une ou plusieurs mesures prises dans le cadre de cette inspection.

57 Cela étant rappelé, il convient, premièrement, de relever que, certes, le recours contre une décision d’inspection ne peut constituer une voie de recours contre les mesures ultérieurement prises dans le cadre de l’inspection, la légalité d’un acte devant être appréciée au regard des circonstances de droit et de fait existant au moment où cette décision a été adoptée, de telle sorte que des actes postérieurs à une décision ne peuvent pas en affecter la validité (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C 403/18 P, EU:C:2019:870, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

58 Cependant, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 69 de l’arrêt attaqué, dans le cas où l’inspection en cause déboucherait non pas sur une décision de constat d’infraction et de sanction, mais sur l’ouverture d’une nouvelle enquête et sur l’adoption d’une nouvelle décision d’inspection, les entreprises inspectées pourraient former un recours en annulation contre cette décision en contestant la légalité des indices l’ayant fondée comme ayant été irrégulièrement obtenus lors de l’inspection précédente.

59 Or, ainsi qu’il ressort du point 59 de l’arrêt attaqué, un tel recours est susceptible de conduire à l’annulation de cette nouvelle décision d’inspection si les mesures prises par la Commission lors de l’inspection antérieure ne sont pas conformes au champ des décisions l’ayant ordonnée (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C 583/13 P, EU:C:2015:404, points 56 à 67 et 71). Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en tenant compte de cette voie de recours.

60 Deuxièmement, quant au recours au titre de l’article 263 TFUE contre une décision de la Commission sanctionnant une obstruction à une inspection sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement no 1/2003, il est vrai que la Cour a déjà jugé qu’une législation nationale qui exclut la possibilité, pour une personne détentrice d’informations à laquelle l’autorité nationale compétente adresse une décision d’injonction de communication de ces informations, de former un recours direct contre cette décision ne respecte pas le contenu essentiel du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte et, par conséquent, que l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci s’oppose à une telle législation [arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C 245/19 et C 246/19, EU:C:2020:795, point 69].

61 Cependant, la Cour est arrivée à cette interprétation au motif que cette personne détentrice d’informations, qui est distincte du contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction de communication d’information, ne peut pas accéder à un tribunal, à moins d’enfreindre cette décision en refusant d’obtempérer à l’injonction qu’elle comporte et de s’exposer, ainsi, à la sanction attachée au non-respect de celle-ci [arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale), C 245/19 et C 246/19, EU:C:2020:795, point 68].

62 Or, les entreprises visées par une décision d’inspection ne sont pas dans une situation comparable. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578), le recours contre une décision de la Commission prise au titre de l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 en cas d’obstruction à l’inspection ne constitue pas la seule voie de droit à la disposition des entreprises inspectées pour contester la régularité des opérations de déroulement de l’inspection.

63 Troisièmement, en ce qui concerne l’argument de la requérante visant en substance à contester l’effectivité de l’action en référé, évoquée par le Tribunal aux points 64 et 65 de l’arrêt attaqué, au motif que le déroulement d’une inspection ne peut, sauf exception portant sur certaines mesures particulières, faire l’objet d’un recours principal, il suffit de rappeler que les mesures mentionnées aux points 61 et 62 de l’arrêt attaqué, qui sont susceptibles de faire un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE, n’ont été cités par le Tribunal qu’à titre d’exemples.

64 Quatrièmement, s’agissant du recours en responsabilité extracontractuelle, s’il ressort du point 33 de l’arrêt de la Cour EDH du 21 février 2008, Ravon et autres c. France (CE:ECHR:2008:0221JUD001849703), que, en matière de visites domiciliaires, une action ayant une vocation uniquement indemnitaire ne peut, à elle seule, garantir le respect du droit à un procès équitable et du droit au respect de la vie privée et familiale, cela n’implique pas qu’une telle action ne puisse pas faire partie des remèdes à la disposition des entreprises concernées et offrir à ces dernières un redressement approprié, notamment dans l’hypothèse où une opération d’inspection qui a déjà eu lieu a été jugée irrégulière.

65 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a également tenu compte de ce recours, dans le cadre de son analyse d’ensemble, de la possibilité pour les entreprises de contester les mesures prises dans le cadre des inspections.

66 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 78 de l’arrêt attaqué, le caractère incertain et le délai d’adoption de la décision clôturant la procédure d’application de l’article 101 TFUE doit être mis en perspective avec le fait que, jusqu’à cette décision, la Commission ne prend pas position de manière définitive sur l’existence d’une infraction et sur la sanction subséquente de l’entreprise inspectée. Or, certains effets préjudiciables causés à une entreprise en raison d’irrégularités commises lors de l’inspection ne sont susceptibles de se matérialiser que si et au moment où une telle décision est adoptée, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578).

67 En revanche, ainsi que l’a également relevé le Tribunal au point 78 de l’arrêt attaqué, si d’autres conséquences dommageables devaient se produire pour l’entreprise inspectée pendant ce délai, telles qu’un comportement préjudiciable de la Commission ou l’adoption d’une nouvelle décision d’inspection sur la base des informations recueillies, il serait loisible à cette entreprise de saisir le juge, immédiatement et sans attendre l’issue de la procédure d’infraction, d’un recours en indemnité ou tendant à l’annulation de la nouvelle décision d’inspection.

68 En quatrième et dernier lieu, s’agissant des allégations de la requérante relative à la complexité du système des voies de droit pour contester le déroulement des inspections, il y a lieu de souligner que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rappelée au point 46 du présent arrêt, afin de satisfaire les exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, il importe que les entreprises concernées par une visite domiciliaire disposent de la possibilité d’obtenir l’examen du contenu de leurs contestations et l’octroi d’un redressement approprié. En revanche, il n’est pas requis que l’ensemble des griefs pouvant être soulevés contre les mesures prises par l’autorité publique sur le fondement de la décision prescrivant la visite le soient dans le cadre d’une seule et même voie de recours.

69 Partant, le second grief doit être rejeté et, par conséquent, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs de droit commises par le Tribunal en considérant que les comptes rendus produits par la Commission, pour justifier du caractère suffisamment sérieux des indices en sa possession, n’étaient pas entachés d’une irrégularité de forme affectant leur valeur probante

 Argumentation des parties

70 Par le deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a violé l’article 19 du règlement no 1/2003, l’article 3 du règlement no 773/2004 et l’article 7 de la Charte en estimant, aux points 190 à 202 de l’arrêt attaqué, que les comptes rendus produits par la Commission, pour justifier du caractère suffisamment sérieux des indices en sa possession, n’étaient pas entachés d’une irrégularité de forme pouvant affecter leur valeur probante.

71 Premièrement, en jugeant, au point 190 de l’arrêt attaqué, que les règles du chapitre V du règlement no 1/2003, intitulé « Pouvoirs d’enquête », n’étaient pas applicables avant l’ouverture d’une enquête formelle, le Tribunal aurait introduit une distinction entre deux phases de la procédure, celle préexistant à l’ouverture d’une enquête formelle et celle postérieure à une telle ouverture, qui ne ressortirait ni du règlement no 1/2003 ni du règlement no 773/2004.

72 Le chapitre V du règlement no 1/2003, dans lequel figure l’article 19 de ce règlement, n’introduirait aucune distinction entre enquête formelle et informelle, ou enquête préliminaire et avancée. Une telle distinction poserait d’ailleurs des problèmes insolubles de définition et de frontière. En outre, le règlement no 773/2004 rappellerait que la Commission peut exercer ses pouvoirs d’enquête en application de ce chapitre V, avant d’ouvrir une procédure. Il ressortirait, de surcroît, des réponses de la Commission à des questions écrites posées par le Tribunal, qu’elle considérait elle-même que l’article 19 du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement no 773/2004 étaient applicables aux entretiens avec les fournisseurs.

73 Deuxièmement, l’affirmation du Tribunal, selon laquelle le formalisme prévu à ces dispositions n’est pas applicable en l’occurrence, ne trouverait pas appui dans la jurisprudence citée au point 91 de l’arrêt attaqué, qui concernait l’appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure administrative.

74 De plus, la distinction introduite par le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, entre préenquête et enquête serait de même nature que celle rejetée par la Cour dans l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632).

75 Troisièmement, cette interprétation serait également contraire à la jurisprudence concernant l’administration des moyens de preuves orales. En effet, selon la requérante, la preuve orale ne serait autorisée, dans les procédures administratives, qu’à condition qu’une information donnée oralement à une administration publique, dans le cadre d’une réunion, soit normalement saisie et conservée, moyennant un enregistrement sonore, ou constatée par écrit, moyennant la rédaction d’un procès-verbal.

76 Il ressortirait d’ailleurs des travaux préparatoires du règlement no 1/2003 que l’une des raisons à l’origine de l’article 19 de ce règlement était de permettre la présentation de déclarations orales comme moyen de preuve. De même, il ressortirait des travaux préparatoires du règlement no 773/2004 que la validation du contenu de l’enregistrement par la personne entendue avait pour but de garantir l’exactitude des déclarations.

77 Cela serait également confirmé par les points 31 et 32 de la communication sur la clémence de 2006 qui prévoit que l’obligation d’enregistrement s’impose dès les premières déclarations orales recueillies par la Commission pour assurer l’exactitude des moyens de preuves collectés.

78 Quatrièmement, l’affirmation du Tribunal, figurant au point 190 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les indices seraient soumis à un formalisme moindre que les preuves ne trouverait aucun support dans la jurisprudence et serait contredite par la pratique de la Commission relative à l’enregistrement des demandes de clémences.

79 L’interprétation effectuée par le Tribunal serait incompatible avec l’intention du législateur de créer, au moyen de l’article 19 du règlement no 773/2004, une base juridique permettant à la Commission de verser des déclarations orales au dossier de la procédure, tout un prévoyant, à l’article 3 du règlement no 773/2004, des règles de forme destinées à garantir l’exactitude de ces déclarations.

80 Il ne saurait être admis que la Commission puisse recueillir des indices au cours d’une phase préalable à l’enquête, sans respecter les dispositions de l’article 19 du règlement no 1/2003. En effet, une telle interprétation permettrait à la Commission de mener des investigations hors de tout cadre légal et de tout contrôle juridictionnel.

81 La requérante considère que si la Commission est libre de recevoir des informations, de manière informelle, de la part de tiers, elle ne pourrait en revanche s’en prévaloir, sans respecter le formalisme destiné à garantir le caractère complet et fiable de ces informations.

82 Cinquièmement, la faculté reconnue au Tribunal d’interroger des témoins ne saurait compenser l’absence d’enregistrement des entretiens.

83 Sixièmement, en ce qui concerne la référence faite par le Tribunal, au point 201 de l’arrêt attaqué, aux potentiels effets dissuasifs que peut avoir un interrogatoire formel sur la propension des témoins à fournir des informations et à dénoncer des infractions, de tels effets pourraient être évités, selon la requérante, en garantissant l’anonymat des sources d’information. En outre, ainsi que la requérante l’aurait soutenu devant le Tribunal, le caractère très standardisé des prétendus comptes rendus, le refus de la Commission de donner leur date d’établissement et les erreurs matérielles relevées mettraient en doute la fidélité de ces documents avec les discussions réellement tenues.

84 Septièmement, l’impératif de célérité  dans l’adoption des décisions d’inspection  ne saurait justifier une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux. De plus, rien n’empêcherait d’enregistrer les déclarations orales ou, au minimum, d’établir un procès-verbal immédiatement après les entretiens, validé par les entreprises concernées.

85 Huitièmement, le fait que des déclarations, recueillies sans le formalisme de l’article 19 du règlement no 1/2003, ne puissent pas être utilisées comme moyens de preuve d’une infraction ne constituerait pas un remède à une atteinte aux droits de la défense dans le cas d’un recours contre une décision d’inspection. Une telle solution porterait atteinte à l’efficacité des enquêtes, puisque cela signifierait que des déclarations orales réunies avant une inspection ne pourraient pas servir à établir une infraction.

86 La requérante soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant, aux points 202 et 218 de l’arrêt attaqué, que les documents produits par la Commission pouvaient être pris en compte pour apprécier l’existence d’indices suffisamment sérieux justifiant la décision d’infraction, alors que les règles de forme régissant l’enregistrement des déclarations orales n’avaient pas été respectées. La conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission disposait de tels indices de la première infraction serait, par conséquent, viciée. En effet, cette conclusion reposerait exclusivement sur les documents n’ayant pas satisfait aux exigences prévues à l’article 19 du règlement no 1/2003 et à l’article 3 du règlement no 773/2004, ainsi que cela ressortirait des points 250, 252, 253 et 256 de l’arrêt attaqué.

87 La Commission conteste cette argumentation.

88 À titre liminaire, la Commission précise que l’ouverture de l’enquête diffère tant de l’ouverture d’un dossier que de l’ouverture de la procédure, au sens de l’article 2 du règlement no 773/2004. L’ouverture de l’enquête interviendrait dès le premier usage de ses pouvoirs d’enquête et l’adoption de mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entités suspectées. L’ouverture du dossier serait un acte interne pris par le greffe de la direction générale de la concurrence de la Commission, lorsqu’il attribue un numéro d’affaire, et dont la seule portée serait de sauvegarder des documents. L’ouverture de la procédure correspondrait à la date à laquelle la Commission adopte une décision au titre de l’article 2 du règlement no 773/2004, en vue de prendre une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003.

89 Cela étant rappelé, la Commission fait valoir, en premier lieu, que l’argument de la requérante selon lequel le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, aurait introduit une distinction entre deux phases, celle préexistant à l’ouverture d’une enquête formelle et celle postérieure à une telle ouverture, résulte d’une lecture erronée de cet arrêt. La requérante confondrait ouverture de l’enquête et ouverture de la procédure. Or, l’arrêt attaqué concernerait uniquement l’obligation d’appliquer l’article 19 du règlement no 1/2003 avant l’ouverture d’une enquête et non pas au cours de la période, plus longue, s’achevant à l’ouverture de la procédure, au sens de l’article 2 du règlement no 773/2004.

90 En tout état de cause, la segmentation de la procédure en deux phases, avant et après l’ouverture d’une enquête, ne poserait pas de « problèmes insolubles de définition et de frontière ». Au contraire, la date du premier usage par la Commission de ses pouvoirs d’enquête constituerait un critère objectif, facilement identifiable.

91 En deuxième lieu, contrairement à ce que prétend la requérante, la distinction opérée par le Tribunal entre ces deux phases de la procédure trouverait appui dans la jurisprudence de la Cour. En effet, il ressortirait de la jurisprudence citée au point 191 de l’arrêt attaqué que l’ouverture d’une enquête correspond à la date à laquelle la Commission fait usage, pour la première fois, de ses pouvoirs d’enquête. L’approche du Tribunal serait confirmée par le libellé de l’article 19 du règlement no 1/2003 en vertu duquel un « entretien »,  au sens de cet article, doit viser à « la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête », qui par définition doit avoir été préalablement ouverte. Comme le confirmeraient les travaux préparatoires de ce règlement, cette disposition constituerait une base juridique autorisant l’enregistrement des déclarations orales « dans le cadre d’une enquête » en vue de leur présentation non pas comme de simples indices, mais comme « moyen de preuve ».

92 La Commission ajoute, premièrement, qu’il est dépourvu de pertinence qu’elle ait soutenu, devant le Tribunal, que les comptes rendus des entretiens avec les fournisseurs constituaient des enregistrements au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004, le Tribunal ne s’étant pas prononcé sur cet argument.

93 Deuxièmement, la distinction opérée par le Tribunal entre la phase de la procédure antérieure au premier usage des pouvoirs d’enquête de la Commission et celle postérieure à un tel usage ne serait pas comparable à la distinction entre les entretiens formels et les entretiens informels rejetée par la Cour dans l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C 413/14 P, EU:C:2017:632). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la réunion à propos de laquelle la Cour a conclu que s’appliquait l’obligation d’enregistrement avait eu lieu après l’adoption de décisions d’inspection. Elle aurait donc concerné une enquête qui était déjà ouverte et la collecte d’éléments de preuve pouvant être à charge ou à décharge. En revanche, en l’espèce, les entretiens avec les fournisseurs auraient eu lieu avant l’adoption de la décision litigieuse ou de tout autre mesure d’instruction. Ces entretiens n’auraient donc concerné que la collecte d’indices.

94 En troisième lieu,  l’affirmation de la requérante selon laquelle l’absence de formalisme concernant le recueil de déclarations orales préalables à une inspection empêcherait le Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel sur la proportionnalité et la régularité d’une inspection serait contredite par le contrôle des indices effectué en l’espèce par le Tribunal, qui a conduit à l’annulation partielle de la décision litigieuse. En outre, même lorsqu’un témoignage oral n’a pas fait l’objet d’un enregistrement, le Tribunal disposerait de la possibilité d’auditionner des témoins, conformément à l’article 94 de son règlement de procédure.

95 L’application du formalisme des règlements no 1/2003 et no 773/2004 avant l’ouverture de l’enquête porterait préjudice à la mise en œuvre du droit de la concurrence par la Commission, en l’empêchant de recueillir et d’utiliser des indices reçus sous forme orale. Empêcher la Commission de recueillir des indices sous forme orale compromettrait l’efficacité des enquêtes en retardant la date des inspections.

96 La Commission ajoute que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation ou administration des preuves, dont il découlerait que le seul critère pertinent pour apprécier la valeur probante des preuves régulièrement produites réside dans leur crédibilité (arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, point 65). En outre, pour apprécier la valeur probante d’une preuve, il conviendrait de vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et de tenir compte, notamment, de son origine, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et de se demander si, d’après son contenu, elle semble sensée et fiable (ordonnance du 12 juin 2019, OY/Commission, C 816/18 P, non publiée, EU:C:2019:486, point 6). Ces principes s’appliqueraient, à plus forte raison, aux indices dont la valeur probante est, par définition, moindre.

97 En quatrième lieu, la Commission soutient, premièrement, qu’il serait dépourvu de pertinence que, dans sa communication sur la clémence de 2006, la Commission ait prévu d’enregistrer, au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004, les demandes orales de clémence effectuées avant le premier usage de ses pouvoirs d’enquête.

98 Deuxièmement, l’argument de la requérante selon lequel l’arrêt attaqué permettrait à la Commission de mener des investigations hors de tout cadre légal avant l’ouverture de l’enquête officielle reposerait sur une lecture erronée de cet arrêt. D’une part, l’arrêt attaqué ne concerne que la période jusqu’au premier usage de la Commission de ses pouvoirs d’enquête et non pas la période jusqu’à l’ouverture de la procédure, au sens de l’article 2 du règlement no 773/2004. D’autre part, soumettre les indices à un degré de formalisme moindre que les preuves permettrait de concilier, d’un côté, l’impératif de célérité qui guide l’adoption des décisions d’inspection et l’efficacité de l’enquête de la Commission et, de l’autre, la préservation des droits de la défense des entreprises concernées.

99 Troisièmement, soumettre les indices à un degré de formalisme moindre que les preuves ne porterait pas atteinte à l’efficacité des enquêtes. En effet, un élément matériel qui ne respecterait pas le formalisme des règlements no 1/2003 et no 773/2004 pourrait encore servir à établir une infraction même si sa valeur probante en tant que preuve sera réduite.

100 En cinquième lieu, la Commission souligne que ce n’est qu’à titre surabondant  que le Tribunal a conclu, au point 201 de l’arrêt attaqué, qu’il serait gravement porté atteinte à la détection des pratiques infractionnelles par la Commission et à la mise en œuvre de ses pouvoirs d’enquête si elle devait être tenue d’enregistrer toute déclaration orale avant l’ouverture d’une enquête.

Appréciation de la Cour

101 Par le deuxième moyen, la requérante reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit, au point 190 de l’arrêt attaqué, en considérant que la Commission n’est pas tenue de respecter l’obligation d’enregistrement des entretiens résultant des dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004 avant d’avoir ouvert formellement une enquête et fait usage des pouvoirs d’enquête qui lui sont conférés en particulier par les articles 18 à 20 du règlement no 1/2003.

102 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie (arrêt du 1er août 2022, HOLD Alapkezelő, C 352/20, EU:C:2022:606, point 42 et jurisprudence citée).

103 En premier lieu, il ressort du libellé même de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 que ce dernier a vocation à s’appliquer à tout entretien visant la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 84).

104 L’article 3 du règlement no 773/2004, qui soumet les entretiens fondés sur l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 au respect de certaines formalités, n’apporte pas de précision concernant le champ d’application de cette dernière disposition.

105 Or, il importe de rappeler que la Cour a jugé que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, il pèse sur la Commission une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, tout entretien mené par elle, au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003, afin de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête de sa part (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, points 90 et 91).

106 Il convient donc de préciser qu’il y a lieu d’opérer une distinction en fonction de l’objet des entretiens auxquels la Commission procède, seuls ceux visant à collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête de la Commission relevant du champ d’application de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et, partant, de l’obligation d’enregistrement.

107 Cela étant précisé, aucun élément tiré du libellé de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 ou de l’article 3 du règlement no 773/2004 ne permet d’inférer que l’application de cette obligation d’enregistrement dépend de la question de savoir si l’entretien mené par la Commission a eu lieu avant l’ouverture formelle d’une enquête, afin de collecter des indices d’une infraction, ou après, afin de collecter des preuves d’une infraction.

108 En effet, ces dispositions ne prévoient nullement que l’application de l’obligation d’enregistrement dépend de la question de savoir si les informations qui en constituent l’objet peuvent être qualifiées d’indices ou de preuves. Au contraire, en raison du caractère générique du terme « informations », figurant à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, il convient de considérer que cette disposition s’applique indistinctement à chacune de ces catégories.

109 Certes, les notions d’« indices » et de « preuves » ne sauraient être confondues, un indice ne pouvant, par sa nature et à la différence d’une preuve, suffire à établir un fait donné.

110 Il n’en demeure pas moins que la qualification d’indice ou de preuve dépend non pas d’une étape spécifique de la procédure, mais de la valeur probante des informations concernées, des indices suffisamment sérieux et convergents, réunis en « faisceau », pouvant eux-mêmes prouver une infraction et être utilisés dans la décision finale de la Commission adoptée sur le fondement de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C 407/08 P, EU:C:2010:389, point 47).

111 Dès lors, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 141 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578), l’obligation d’enregistrement des entretiens ne peut dépendre de la qualification des informations recueillies d’indices ou de preuves, car la valeur probante de ces informations ne peut être appréciée par la Commission qu’à l’issue de ces entretiens, au cours des phases subséquentes de la procédure.

112 Par ailleurs, l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement no 773/2004 ne prévoient pas non plus que l’application de l’obligation d’enregistrement dépend du stade de la procédure auquel les entretiens sont effectués. Certes, l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 prévoit que les entretiens fondés sur cette disposition sont ceux menés aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête, ce qui suppose qu’une enquête soit en cours. En revanche, il ne ressort pas de cette disposition que ces entretiens doivent avoir lieu après l’ouverture formelle d’une enquête, telle que définie par le Tribunal au point 190 de l’arrêt attaqué, comme étant le moment où la Commission adopte une mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction.

113 En deuxième lieu, s’agissant du contexte de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, il y a lieu de relever, d’une part, que cet article figure au chapitre V de ce règlement, relatif aux pouvoirs d’enquête de la Commission. Or, l’application des dispositions de ce chapitre n’est pas nécessairement subordonnée à l’adoption, par cette institution, d’une mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction.

114 Ainsi, la Commission peut, conformément à l’article 17 dudit règlement, mener des enquêtes sectorielles, lesquelles ne nécessitent pas, au préalable, l’adoption de mesures de cette nature à l’égard d’entreprises.

115 Il convient, d’autre part, de relever que l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, en vertu duquel « [l]a Commission peut exercer ses pouvoirs d’enquête en application du chapitre V du règlement [no 1/2003] avant d’ouvrir une procédure » conforte l’interprétation selon laquelle les dispositions relatives aux pouvoirs d’enquête de la Commission énumérés audit chapitre – y compris l’article 19 – peuvent trouver à s’appliquer avant qu’une enquête ait été formellement ouverte, contrairement à ce qui découle du point 193 de l’arrêt attaqué.

116 Il est vrai que, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C 238/99 P, C 244/99 P, C 245/99 P, C 247/99 P, C 250/99 P à C 252/99 P et C 254/99 P, EU:C:2002:582, point 182), ainsi que du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission (C 105/04 P, EU:C:2006:592, point 38), cités au point 191 de l’arrêt attaqué, la Cour a identifié le point de départ de l’enquête préalable diligentée par la Commission, en matière de concurrence, comme étant la date à laquelle cette institution, faisant usage des pouvoirs que lui a conférés le législateur de l’Union, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées.

117 Cependant, les affaires à l’origine de ces arrêts concernaient la détermination du point de départ de la procédure administrative aux fins de vérifier le respect, par la Commission, du principe du délai raisonnable. Or, cette vérification nécessite d’examiner si cette institution a agi de manière diligente à partir de la date à laquelle elle a informé de l’existence d’une enquête l’entreprise suspectée d’avoir commis une infraction au droit de la concurrence de l’Union.

118 En revanche, cette date ne saurait être prise en considération afin de déterminer à partir de quand la Commission est tenue de respecter l’obligation d’enregistrement des entretiens résultant des dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 150 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578), une entreprise peut être visée par les déclarations de tiers recueillies au cours de tels entretiens, sans en avoir connaissance. Dès lors, la prise en considération de ladite date reviendrait à reporter l’application de l’obligation d’enregistrement et des garanties procédurales qui s’y attachent, prévues à ces dispositions au bénéfice des tiers interrogés et de l’entreprise soupçonnée, jusqu’à ce que la Commission adopte une mesure informant cette entreprise de l’existence de soupçons à son égard. En raison de ce report, les entretiens avec les tiers réalisés antérieurement à une telle mesure seraient soustraits du champ d’application de l’obligation d’enregistrement des entretiens et des garanties procédurales qui leurs sont applicables.

119 En troisième et dernier lieu, s’agissant de la finalité du règlement no 1/2003, il ressort du considérant 25 de ce règlement que, la détection des infractions aux règles de concurrence devenant de plus en plus difficile, l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 vise à compléter les pouvoirs d’enquête de la Commission en permettant, notamment, à cette dernière d’interroger toute personne susceptible de disposer d’informations utiles et d’enregistrer ses déclarations (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 85). Or, l’expression « détection des infractions », figurant audit considérant, conforte l’interprétation selon laquelle les entretiens menés par la Commission, à un stade préliminaire, afin de récolter des indices relatifs à l’objet d’une enquête relèvent également de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003.

120 Par ailleurs, il importe de préciser que, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, la Commission a la possibilité d’enregistrer les entretiens sous toute forme. La Commission ne saurait donc valablement soutenir que le fait de lui imposer une obligation d’enregistrement l’empêcherait de recueillir et d’utiliser des indices lorsque ceux-ci ne peuvent revêtir qu’une forme orale et compromettrait l’efficacité des enquêtes en retardant la date de l’inspection. De même, la Commission ne saurait soutenir qu’une telle obligation a un effet dissuasif, dès lors qu’elle a la possibilité de protéger l’identité des personnes interrogées.

121 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 190 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait d’exclure du champ d’application du règlement no 1/2003 les entretiens au cours desquels ont été collectés des indices ayant ensuite servi de fondement à une décision ordonnant l’inspection d’une entreprise, au motif qu’aucune enquête au sens du chapitre V de ce règlement n’était alors ouverte, la Commission n’ayant pas adopté de mesure impliquant, à l’égard de cette entreprise, le reproche d’avoir commis une infraction. Afin de déterminer si ces entretiens relevaient de ce champ d’application, le Tribunal aurait dû examiner si ceux-ci visaient à collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête, en tenant compte de leur teneur et de leur contexte.

122 En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 202 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que les indices issus des entretiens avec les fournisseurs ne sauraient être écartés comme entachés d’une irrégularité formelle au motif du non-respect de l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 19 du règlement no 1/2003 et à l’article 3 du règlement no 773/2004, notamment, parce que ces entretiens se sont tenus avant l’ouverture d’une enquête au titre du règlement no 1/2003 et qu’ils n’impliquaient pas, à l’égard des requérantes et a fortiori à l’égard des fournisseurs, un quelconque reproche d’avoir commis une infraction.

123 Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 155 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578), il suffit d’indiquer, à cet égard, que, lorsque la Commission procède à des entretiens, dont l’objet est défini à l’avance et dont le but est ouvertement celui d’obtenir des informations sur le fonctionnement d’un marché donné et sur le comportement des acteurs de ce marché en vue de détecter d’éventuels comportements infractionnels ou de consolider ses soupçons quant à l’existence de tels comportements, la Commission exerce son pouvoir de recueillir des déclarations au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003.

124 Par conséquent, les entretiens avec les fournisseurs relevaient du champ d’application de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et la Commission était tenue de procéder à un enregistrement de ces déclarations conformément à l’article 3 du règlement no 773/2004.

125 Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit, en estimant, au point 202 de l’arrêt attaqué, que l’obligation d’enregistrement, prévue à l’article 19 du règlement no 1/2003 et à l’article 3 du règlement no 773/2004, ne s’appliquait pas aux entretiens avec les fournisseurs et que les indices issus de ces entretiens n’étaient pas entachés d’une irrégularité formelle.

126 Il ressort de tout ce qui précède que le deuxième moyen est fondé et que, par conséquent, il y a lieu d’accueillir le pourvoi et d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué sans qu’il soit besoin de statuer sur le troisième moyen du pourvoi. Par suite, il y a également lieu d’annuler le point 3, relatif aux dépens, du dispositif de l’arrêt attaqué.

Sur le recours devant le Tribunal

127 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

128 Tel est le cas en l’espèce.

129 Il y a donc lieu d’examiner le grief, soulevé par la requérante devant le Tribunal dans le cadre de son moyen relatif à la violation du droit à l’inviolabilité du domicile, tiré, en substance, de ce que les indices issus des entretiens avec les fournisseurs doivent être écartés en raison du non-respect, de la part de la Commission, de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004.

130 À l’appui de ce grief, la requérante soutient que les comptes rendus des entretiens avec les fournisseurs étaient non pas des enregistrements conformes aux exigences de ces dispositions, mais des reconstitutions faites unilatéralement par la Commission de ses échanges avec les fournisseurs.

131 La Commission rétorque avoir satisfait à son obligation d’enregistrement en ayant rédigé des comptes rendus exhaustifs reflétant fidèlement le contenu des déclarations des fournisseurs et en les versant au dossier, sous un numéro d’identification officiel. Ce type de compte rendu constituerait l’une des formes d’enregistrement, à laquelle l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004 permet à la Commission de recourir, au même titre qu’un enregistrement audio ou audiovisuel ou qu’une retranscription verbatim.

132 À cet égard, il convient de relever que l’article 3, paragraphe 3, première phrase, du règlement no 773/2004, qui précise que la Commission « peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées », implique que, si la Commission décide, avec le consentement de la personne interrogée, de procéder à un entretien sur le fondement de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, elle est tenue d’enregistrer cet entretien dans son intégralité, sans préjudice du choix laissé à la Commission sur la forme de cet enregistrement (arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C 413/14 P, EU:C:2017:632, point 90).

133 En outre, il ressort de l’article 3, paragraphe 3, deuxième et troisième phrases, du règlement no 773/2004 que la Commission doit mettre à disposition de la personne interrogée pour approbation une copie de l’enregistrement et qu’elle fixe, au besoin, un délai durant lequel cette personne peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration.

134 En l’espèce, la Commission n’a ni allégué ni a fortiori prouvé qu’elle avait mis à la disposition des fournisseurs pour approbation les comptes rendus qu’elle avait rédigés.

135 Or, l’obligation faite à la Commission de mettre à disposition de la personne interrogée pour approbation une copie de l’enregistrement, prévue à l’article 19 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, vise, en particulier, à assurer l’authenticité des déclarations faites par la personne interrogée, en garantissant que ces déclarations doivent effectivement lui être attribuées et que leur contenu reflète fidèlement et dans son intégralité lesdites déclarations et non l’interprétation qui en est faite par la Commission.

136 Dès lors, un indice tiré d’une déclaration recueillie par la Commission, sans que cette exigence, imposée par l’article 19 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, soit respectée, doit être considéré comme étant irrecevable et être, par conséquent, écarté.

137 Ainsi, ces comptes rendus, de nature purement interne, ne sauraient être considérés comme remplissant les exigences de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004 qui s’applique aux entretiens qui tombent dans le champ d’application de l’article 19 du règlement no 1/2003.

138 Ce constat ne saurait être infirmé par l’argumentation de la Commission, résumée au point 96 du présent arrêt, fondée sur les points 65 à 69 de l’arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission (C 99/17 P, EU:C:2018:773).

139 Certes, la Cour a jugé que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves, dont il découle que le seul critère pertinent pour apprécier la valeur probante des preuves régulièrement produites résiderait dans leur crédibilité et que, par conséquent, la valeur probante d’une preuve devrait être évaluée de manière globale, de telle sorte qu’avancer de simples doutes non étayés quant à l’authenticité d’une preuve ne suffit pas pour compromettre sa crédibilité (arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C 99/17 P, EU:C:2018:773, points 65 à 69).

140 Cependant, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la preuve dont l’authenticité était remise en cause était un courriel interne à une entreprise et non l’enregistrement d’une déclaration recueillie par la Commission entachée d’une violation de l’article 19 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004.

141 Ainsi, le principe de la libre appréciation des preuves ne peut être invoqué pour échapper aux règles de formes applicables à l’enregistrement des déclarations recueillies par la Commission au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003. À cet égard, il convient de relever que le constat d’une irrégularité dans la collecte d’indices, au regard de l’article 19 du règlement no 1/2003, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, réside dans l’impossibilité pour la Commission d’utiliser ces indices dans la suite de la procédure (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C 583/13 P, EU:C:2015:404, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

142 En l’espèce, dès lors que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 208 de ses conclusions dans l’affaire Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (C 682/20 P, EU:C:2022:578), les informations issues des entretiens avec les fournisseurs constituaient l’essentiel des indices sur lesquels reposent la décision litigieuse et qu’elle est entachée d’une irrégularité formelle au motif du non-respect de l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 3 du règlement no 773/2004, il y a lieu de conclure que la Commission ne détenait pas, à la date d’adoption de la décision litigieuse, d’indices suffisamment sérieux qu’elle était en droit d’utiliser et qui justifiaient les présomptions énoncées à l’article 1er, sous a), de cette décision. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’annuler ladite décision dans son intégralité.

Sur les dépens

143 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

144 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante dans le cadre du présent pourvoi. Par ailleurs, la décision litigieuse étant annulée, la Commission est condamnée à supporter l’entièreté des dépens exposés par la requérante dans le cadre de la procédure de première instance.

145 En vertu de l’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’elle n’a pas, elle-même formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens. Le Conseil, partie intervenante en première instance, ayant participé à la phase écrite et à la phase orale de la procédure devant la Cour, il y a lieu de décider qu’il supportera ses propres dépens afférents tant à la procédure de pourvoi qu’à la procédure de première instance.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

1) Le point 2 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 octobre 2020, Intermarché Casino Achats/Commission (T 254/17, non publié, EU:T:2020:459) est annulé.

2) Le point 3 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 5 octobre 2020, Intermarché Casino Achats/Commission (T 254/17, non publié, EU:T:2020:459), est annulé en tant qu’il a statué sur les dépens.

3) La décision C(2017) 1056 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Intermarché Casino Achats ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (AT.40466 – Tute 1), est annulée.

4) La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Intermarché Casino Achats SARL, afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.

5) Le Conseil de l’Union européenne supporte ses propres dépens afférents tant à la procédure de première instance qu’à la procédure de pourvoi.