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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 1, 27 mai 2010, n° 09/02733

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

IMPRIMERIE F. PLANQUART ET FILS

Défendeur :

épouse LHEUREUX

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Christine PARENTY

Conseillers :

Jean Michel DELENEUVILLE, Sophie VALAY-BRIERE

Avoués :

SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, SCP DELEFORGE FRANCHI

Avocats :

Me DEBEURME, Me CHEYAP

Lille, du 17 fév. 2009

17 février 2009

Vu le jugement contradictoire du 17 février 2009 du tribunal de commerce de LILLE ayant condamné la SARL PLANQUART ET FILS à payer à Mme LHEUREUX POTELLE 6100€ avec intérêts légaux depuis l'assignation et 800 € sur la base de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ayant débouté les parties de leurs plus amples demandes ;

Vu l'appel interjeté le 16 avril 2009 par l'imprimerie PLANQUART ;

Vu les conclusions déposées le 28 juillet 2009 pour la SARL PLANQUART ;

Vu les conclusions déposées le 30 octobre 2009 pour Mme LHEUREUX ;

Vu l'ordonnance de clôture du 4 février 2010 ;

La société PLANQUART a interjeté appel aux fins d'infirmation du jugement ; elle demande à la Cour de dire que l'action est prescrite, subsidiairement de la dire mal fondée, de condamner l'intimée à lui payer 3000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 3000€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

L'intimée sollicite la confirmation et demande en outre la production des renseignements sollicités en vue de l'établissement de ses droits d'auteurs, soit un devis du coût d'édition du livre et notamment son prix de revient effectif, un état complet chiffré du nombre de livres édités depuis 1994, des ventes réalisées depuis la publication, des invendus et du nombre d'exemplaires qui lui ont été livrés et ce sous astreinte ; elle sollicite la condamnation de la SARL à lui payer 3000€ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et 2500 euros sur la base de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Le 2 mai 1994, Madame LHEUREUX et les éditions PUBLI NORD, enseigne de l'imprimerie PLANQUART, se sont associées pour la publication d'un livre intitulé "sur les chemins du BOA, les pavés se souviennent' ; le coût d'impression était fixé à 7,40€ HT l'exemplaire et Madame LHEUREUX ayant commandé un tirage de 2000 exemplaires renouvelable par tranche de 1000 ou 2000 exemplaires, le coût total de l'impression et de l'édition s'est monté à 96000 francs. La participation financière de l'auteur a été fixée à 40000 francs et après couverture des frais, il était prévu que les droits d'auteur, égaux à la moitié du bénéfice commercial de l'édition sur la totalité des ventes, soient versés chaque année à terme échu après inventaire.

Madame LHEUREUX a assigné l'imprimerie en remboursement de sa participation le 15 janvier 2008 ;

L'imprimerie soulève la prescription de 10 ans de l'article 189 bis du code de commerce, le point de départ étant fixé au jour où l'obligation du débiteur principal a été mise à exécution, Mme LHEUREUX ayant effectué son dernier versement le 27 juin 1994, ce qui entraîne une prescription acquise au 27 juin 2004. Contrairement à l'analyse du tribunal, selon elle, il ne s'agit pas d'un contrat conditionnel mais d'un contrat ferme et définitif, à exécution successive, commutatif au sens des articles 1101 et 1104 du code civil, de compte à demi au sens du code de la propriété intellectuelle, qui fonctionne comme une société en participation et est régi selon les dispositions des articles 1871 et suivants du code civil par la convention et les usages.

L'appelante ajoute que Mme LHEUREUX s'était réservée la partie promotionnelle et les contacts avec la presse, qu'elle même n'avait aucune obligation dans le domaine, que la somme dont elle réclame restitution correspond à sa participation prévue au contrat pour la réalisation du projet en couverture des frais engagés par les deux parties pour l'impression, l'édition et la publication, choses qui ont été faites, qu'elle a donc rempli son obligation et n'est pas responsable de la mévente de l'ouvrage, qu'elle n'a elle même pas récupéré son propre investissement, qu'elle a parfaitement tenu au courant Mme LHEUREUX des chiffres de vente annuels, laquelle pouvait au demeurant se déplacer au siège pour faire un inventaire contradictoire.

Mme LHEUREUX réplique que le contrat prévoyait les remboursements des sommes dues ainsi : 'par tranche de 10000 francs au fur et à mesure des ventes... après couverture des frais engagés par les deux parties, les droits d'auteur égaux à la moitié du bénéfice commercial de l'édition sur la totalité des ventes seront versés chaque année à terme échu après inventaire' ; elle en déduit que l'obligation du débiteur principal et éditeur ne pouvait être mise à exécution pour le remboursement des sommes avancées qu'au fur et à mesure des ventes et pour les droits d'auteur qu'après inventaire, que la prescription ne pouvait donc commencer à courir avant que ces conditions ne se réalisent. Les ventes ayant perduré jusqu'au 12 novembre 2007, la prescription n'avait pas commencé à courir avant.

En ce qui concerne le contrat, elle précise qu'à aucun moment les parties n'ont entendu soustraire leur convention des dispositions du contrat d'édition classique pour la soumettre à l'un des contrats exceptionnels cités pas l'adversaire, cette dérogation ne se présumant pas.

Elle plaide l'inexécution de la part de l'éditeur qui doit assurer la promotion et préparer le dossier de presse, ce qu'il reconnaît qu'il n'a pas fait au cas d'espèce ; elle réclame 3000 euros de ce chef. Elle rappelle que les droits d'auteur devaient être versés chaque année et face à la contradiction des chiffres produits, elle demande que la société PLANQUART établisse un inventaire des invendus.

SUR CE

Sur la prescription

L'article 189 bis ancien du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'article L 110-4 prévoyait une prescription de 10 ans dans les relations entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants ; le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où l'obligation du débiteur principal a été mise à exécution. Il appartient au juge du fond de qualifier la convention qui lui est soumise.

L'analyse du présent contrat permet de comprendre d'emblée qu'il s'agit d'un contrat à obligations successives et réciproques en matière d'édition. Ce contrat ne peut s'analyser, comme l'a fait le premier juge, comme un contrat conditionnel, les obligations de chacune des parties étant fermes et définitives dès la conclusion ; le premier juge est parti du postulat que l'obligation de remboursement de l'auteur par l'éditeur était l'obligation principale et que le fait qu'elle soit rattachée au déroulement des ventes en faisait une obligation sous condition. En réalité, cette obligation à charge de l'éditeur ne représente qu'un des aspects du contrat dont il faut examiner l'économie générale : d'un côté, l'éditeur s'engageait à éditer, imprimer, engager des frais, d'un autre côté l'auteur participait aux frais de 'lancement' avec promesse de remboursement et à la promotion du livre via différents supports. L'appelante y voit un contrat commutatif au sens de l'article 1104 du code civil, lequel correspond à une convention où chacune des parties s'engage à donner ou faire une chose qui est regardée comme l'équivalent de ce qu'on lui donne, ou de ce qu'on fait pour elle. Lorsque l'équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d'après un événement incertain, le contrat est aléatoire, ce qui pourrait être considéré comme tel au cas d'espèce puisque l'événement incertain est la vente du livre dont le volume est inconnu. Mais encore, s'agissant d'édition, il est légitime de recourir aux textes spécifiques de la propriété intellectuelle. Le contrat d'édition prévoyant la simple cession à l'éditeur du droit de fabriquer ou de faire fabriquer des exemplaires de l'oeuvre, l'article L132-3 du code de la propriété intellectuelle s'applique davantage au cas présent qui prévoit un engagement réciproquement contracté de partager les bénéfices et les pertes d'exploitation, ce qui correspond à la mention selon laquelle "après couverture des frais engagés par les deux parties, les droits d'auteur... seront versés chaque année, à terme, après inventaire". Ainsi, il est clair que les obligations de chacune des deux parties étaient scellées dès le 2 05 94, jour de la signature du contrat, que le dernier acte d'exécution est le dernier versement de Mme LHEUREUX en date du 27 juin 1994 ; elle disposait donc d'un délai jusqu'au 27 06 04 pour procéder. Elle a assigné le 15 janvier 2008 : elle est irrecevable car son action est prescrite et le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive

L'appelante ne fait la démonstration ni de la mauvaise foi de Mme LHEUREUX ni du préjudice que lui aurait causé la présente affaire qui ne serait pas réparé par l'octroi d'une indemnité de procédure ; elle sera déboutée de sa demande.

Sur l'application de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Il convient d'octroyer à l'appelante une somme de 1500 euros de ce chef.

Succombant, Mme LHEUREUX sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement ;

Déclare la demande de Madame LHEUREUX irrecevable comme prescrite ;

Déboute la SARL IMPRIMERIE PLANQUART de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne Mme LHEUREUX à payer 1500e sur la base de l'article 700 du Code de Procédure Civile à la SARL IMPRIMERIE PLANQUART ;

La déboute de l'ensemble de ses demandes ;

La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP LEVASSEUR CASTILLE LEVASSEUR, avoués associés, conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.