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Décisions

Cass. 1re civ., 18 février 2015, n° 13-17.205

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Paris, du 6 fév. 2013

6 février 2013

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Quasar Pictures (société Quasar), soutenant que MM. X... et Y...qui, par contrats du 23 octobre 2003, lui avaient cédé leurs droits d'auteur sur le scénario d'un film ayant pour titre « L'apocalypse », avaient manqué à leurs obligations de réécriture ainsi qu'au droit de préférence qu'ils lui avaient accordé sur leur prochain scénario, les a assignés en résolution judiciaire, d'une part, des contrats de cession et, d'autre part, des accords du 20 avril 2004 lui attribuant un droit de priorité sur la production et l'exploitation commerciale des deux prochains films des auteurs ;

Sur le second moyen, ci-après annexé :

Attendu que la société Quasar fait grief à l'arrêt de déclarer nulles les « lettres-accord » du 20 avril 2004 et, en conséquence, de rejeter ses demandes fondées sur l'inexécution de ces accords ;

Attendu que, selon l'article L. 132-4, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, est licite la stipulation par laquelle l'auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l'édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés ;

Et attendu que la cour d'appel qui n'a pas retenu que les lettres d'accord emportaient cession de droits au profit du producteur, a énoncé, par l'exacte application de ce texte qui ne fait pas d'une cession des droits de l'auteur sur les oeuvres à venir la condition de son application, que la référence faite aux deux prochains films de long métrage n ¿ était pas de nature à caractériser le genre de ces oeuvres cinématographiques ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche qui critique un motif surabondant, ne peut être accueilli ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour déclarer nul l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur-scénariste au profit de la société Quasar, l'arrêt retient que la seule référence faite au prochain scénario de l'auteur ou des auteurs ne renseigne en rien sur le genre du scénario ainsi défini et ne permet aucunement de rattacher l'oeuvre future à un genre nettement déterminé ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions à la société Quasar qui faisait valoir que, par leur comportement, les auteurs avaient renoncé à invoquer un éventuel vice dont serait entaché l'article 13, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a annulé l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur-scénariste en date du 23 octobre 2003, l'arrêt rendu le 6 février 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Quasar Pictures, les sociétés Michel-Miroite-Gorins et EMJ, ès qualités.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré nul l'article 13 des contrats de cession de droits d'auteur-scénariste respectivement signés par Eric X... et Emmanuel Y... le 23 octobre 2003 avec la société QUASAR, d'AVOIR, en conséquence, débouté la société QUASAR de ses demandes fondées sur l'inexécution de cette stipulation et de l'AVOIR condamnée à verser à Eric X... et Emmanuel Y... une indemnité de 10. 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles ;

AUX MOTIFS QUE la société QUASAR reproche aux auteurs d'avoir failli à l'obligation mise à leur charge à l'article 13 du contrat faute de lui avoir soumis le scénario du film " No pasaran " et de lui avoir proposé la cession des droits ; que les auteurs soulèvent, à titre principal, la nullité des stipulations opposées comme contraires aux dispositions des articles L. 131-1 et L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle ; que l'article 13 du contrat prévoit qu'« il est d'ores et déjà entendu entre les parties que le Producteur bénéficiera d'un droit de. premier regard sur l'acquisition des droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles du prochain scénario de l'Auteur ou de celui écrit conjointement par Messieurs Eric X... et Emmanuel Y... (les Coauteurs) et qu'à cette fin, l'Auteur ou les Coauteurs communiqueront au Producteur ledit scénario ainsi que le casting envisagé. Le Producteur disposera alors d'un délai de 90 (quatre vingt dix) jours à compter de cette communication pour informer l'Auteur ou les Coauteurs, par lettre recommandée avec accusé de réception, de son souhait d'acquérir ou non les droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles dudit scénario et négocier les termes et conditions de cette cession de droits. A défaut de réponse du Producteur dans ce délai, son refus sera réputé acquis » ; qu'il résulte des stipulations précitées que la société QUASAR se voit accorder un droit de premier regard sur l'acquisition des droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles afférents au prochain scénario qui sera écrit soit par Eric X..., soit par Emmanuel Y..., soit par les deux auteurs conjointement et que, pour permettre à la société de production d'exercer ce droit, les auteurs s'obligent à lui communiquer, en exclusivité, le scénario précédemment défini et à lui laisser la faculté, pendant un délai de 90 jours, d'acquérir les droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles sur ce scénario ; que le Tribunal en a exactement déduit que le contrat confère au producteur un droit de préférence sur les oeuvres futures des auteurs, dont la validité doit être appréciée au regard de l'article L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle, lequel trouve à s'appliquer aux oeuvres audiovisuelles et dans les rapports entre l'auteur-scénariste de l'oeuvre audiovisuelle et le producteur ; qu'en vertu de l'article L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle, « est licite la stipulation par laquelle l'auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour 1'édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés » ; qu'une telle disposition, constituant une exception au principe, posé à l'article L. 131-1 du même Code, selon lequel « la cession globale des oeuvres futures est nulle » doit faire l'objet d'une interprétation restrictive ; qu'en l'espèce, le droit de préférence accordé à la société QUASAR porte, ainsi qu'il a été dit précédemment, sur le prochain scénario qui sera écrit par l'auteur ou par les deux auteurs conjointement ; que, contrairement à ce que le Tribunal a retenu à tort, la seule référence au « prochain scénario » de l'auteur ou des auteurs ne renseigne en rien sur le genre du scénario ainsi défini et ne permet aucunement de rattacher l'oeuvre future à un genre nettement déterminé ; qu'il s'ensuit que les stipulations de l'article 13 ne sont pas licites au regard des dispositions combinées des articles L. 131-1 et L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle et que, par réformation du jugement déféré, la demande en nullité formée à leur endroit par Eric X... et Emmanuel Y... doit être accueillie ; qu'il s'infère des développements qui précèdent que les demandes formées par la société QUASAR au titre de l'inexécution par Eric X... et Emmanuel Y... des obligations mises à leur charge par l'article 13 du contrat de cession de droits d'auteur-scénariste du 23 octobre 2003 se trouvent privées de fondement et doivent être, par réformation du jugement dont appel, rejetées ;

1°) ALORS QUE la cession suppose un prix déterminé ou déterminable et emporte transfert des droits sur lesquels elle porte ou fait naître une obligation de les céder ; qu'en affirmant que l'article 13 du contrat dont elle était saisie était illicite au regard de l'article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle bien qu'il ait seulement imposé aux auteurs d'accorder au producteur un premier regard sur l'acquisition des droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles de leur prochain scénario, les termes et conditions devant être négociés, de sorte que les auteurs n'étaient pas tenus de céder leur oeuvre à des conditions qui auraient été déterminées, la Cour d'appel a violé l'article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse, est licite la stipulation par laquelle un auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour 1'édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés ; qu'en jugeant que les pactes de préférence consentis par les auteurs à l'exposante étaient nuls après avoir constaté qu'ils stipulaient que « il est d'ores et déjà entendu entre les parties que le Producteur bénéficiera d'un droit de. premier regard sur l'acquisition des droits d'adaptation et d'exploitation audiovisuelles du prochain scénario de l'Auteur ou de celui écrit conjointement par Messieurs Eric X... et Emmanuel Y... (les Coauteurs) » (arrêt p. 4, dernier al.), ce dont il résultait que le genre des oeuvres sur lesquelles portait le droit de préférence ¿ un scénario destiné à faire l'objet d'une exploitation audiovisuelle ¿ était nettement déterminé, la Cour d'appel a violé l'article L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse, les exposants avaient fait valoir que la nullité encourue par un pacte de préférence méconnaissant les prescriptions imposées par la loi est une nullité relative susceptible de confirmation (conclusions signifiées le 30 octobre 2012, p. 23, al. 3) et que Messieurs Eric X... et Emmanuel Y... avaient, par leur comportement, « renoncé à invoquer un éventuel vice dont serait entaché » l'article 13 des contrats du octobre 2003 (mêmes conclusions, p. 23, al. 6) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pourtant déterminant des conclusions de la société QUASAR PICTURES, la Cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation et a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré nulles les « lettres-accord » du 20 avril 2004, consenties par Eric X... et Emmanuel Y... au profit de la société QUASAR PICTURES, d'AVOIR, en conséquence, débouté la société QUASAR PICTURES de ses demandes fondées sur l'inexécution de ces accords et de l'AVOIR condamnée à verser à Eric X... et Emmanuel Y... une indemnité de 10. 000 euros chacun au titre des frais irrépétibles ;

AUX MOTIFS QUE la société QUASAR fait encore grief à Eric X... et Emmanuel Y... d'avoir enfreint les lettres-accord du 20 avril 2004, aux termes desquelles chacun s'est engagé, en contrepartie d'une somme de 8. 000 euros sur laquelle il a d'ores et déjà encaissé un acompte de 2. 000 euros, à « proposer en priorité et en exclusivité à la société QUASAR PICTURES de produire les deux prochains films de long métrage qu'il envisage de réaliser d'après des scenarii écrits ou non par lui » ; que les auteurs font valoir que l'acompte de 2. 000 euros a été versé au titre de l'exécution du contrat du 23 octobre 2003, que les documents présentés comme constituant des " lettres-accord " sont expressément revêtus de la mention " projet sans valeur juridique " et ne sont pas signés, qu'en toute hypothèse, à supposer l'accord réalisé à raison de son exécution par l'acceptation d'un acompte sur le prix, il constituerait un pacte de préférence illicite au regard des dispositions précédemment évoquées des articles L. 131-1 et L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle ; que la référence aux « deux prochains films de long métrage que l'auteur envisage de réaliser d'après des scenarii écrits ou non par lui » ne détermine pas le genre de l'oeuvre future objet du droit de préférence concédé au producteur, l'indication selon laquelle l'oeuvre cinématographique future est de long métrage n'étant aucunement de nature à caractériser le genre de l'oeuvre dès lors qu'un long métrage et un court métrage sont susceptibles de relever du même genre ; qu'il s'ensuit, par réformation du jugement entrepris, que les lettres-accord opposées sont, à l'instar des stipulations de l'article 13 du contrat, entachées de nullité par application des dispositions combinées des articles L. 131-1 et L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'il s'infère des développements qui précèdent que les demandes formées par la société QUASAR au titre de l'inexécution par Eric X... et Emmanuel Y... des obligations mises à leur charge ¿ par les lettres-accord du 20 avril 2004 se trouvent privées de fondement et doivent être, par réformation du jugement dont appel, rejetées ;

1°) ALORS QUE la cession suppose un prix déterminé ou déterminable et emporte transfert des droits sur lesquels elle porte ou fait naître une obligation de les céder ; qu'en affirmant que les lettres-accord dont elle était saisie étaient illicites au regard des dispositions combinées des articles L. 131-1 et L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle bien qu'elles aient seulement imposé aux auteurs de « proposer en priorité ¿ à la société QUASAR PICTURES de produire les deux prochains films de long métrage qu'il s envisage aient de réaliser d'après des scenarii écrits ou non par eux », et de « négocier ¿ de bonne foi » avec le producteur, de sorte que les auteurs n'étaient pas tenus de céder leurs oeuvres à des conditions qui auraient été déterminées, la Cour d'appel a violé les articles L. 131-1 et L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

2°) ALORS QU'en toute hypothèse, est licite la stipulation par laquelle l'auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l'édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés ; qu'en jugeant que les pactes de préférence consentis par les auteurs à l'exposante étaient nuls après avoir constaté que les accords conclus entre la société QUASAR PICTURES et Messieurs X... et Y... le 20 avril 2004 stipulaient au profit de l'exposante un droit de priorité et de préemption sur les « deux prochains films de long métrage que l'auteur envisage ait de réaliser d'après des scenarii écrits ou non par lui » (arrêt, p. 6, al. 1er) ce dont il résultait que le genre des oeuvres sur lesquelles portait le droit de préférence était nettement déterminé, la Cour d'appel a violé l'article L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle.